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Titre : Affaires étrangères : revue mensuelle de documentation internationale et diplomatique
Éditeur : Recueil Sirey (Paris)
Date d'édition : 1931-03-01
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32682976j
Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32682976j/date
Type : texte
Type : publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 8602
Description : 01 mars 1931
Description : 1931/03/01 (A1)-1931/12/31.
Description : Collection numérique : Bibliothèque Diplomatique Numérique
Description : Collection numérique : Histoire diplomatique : d'une guerre à l'autre (1914-1945)
Description : Collection numérique : Bibliothèques d'Orient
Description : Collection numérique : Droit international
Droits : Consultable en ligne
Droits : Public domain
Identifiant : ark:/12148/bpt6k115248t
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, 4-E*-324
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
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Affairée )
étrangères
Recueil Sirey
Mars 1931
Affaires étrangères REVUE MENSUELLE
DE DOCUMENTATION INTERNATIONALE ET DIPLOMATIQUE DIRECTION
Albert M.OUSSBT Questions politiques
(le mercredi de 15 à 17 h.)
Jean RAY Questions juridiques
(la vendredi de 10 à 12 h.)
Administration
286, Boulevard Saint-Germain, PARIS (VIP) L'administrateur reçoit le mardi et le jeudi, de 16 à 18 h.
Abonnfcmente
France Un an (douze numéros) 100 francs | Union postale. 125 »
Etranger r Autres pays 150 » Le numéro 10 francs (France) et 15 francs (Étranger)
Les abonnements seront reçus, soit au Siège administratif de la Revue, soit à la Librairie du Recueil Sirey, 22, rue Soufflât, Paris (S'J.
AFFAIRES ÉTtRÀÎVQÉRES PREMIÈRE ANNÉE
(Mars à Décembre 1931)
TABLE DES MATIÈRES
PREMIÈRE ANNÉE
(NUMÉROS DE MARS A DÉCEMBRE 1931)
1. QUESTIONS INTERNATIONALES (chroniques et articles)
Pages
AL,MEIDA PRADO (Yan d'), Rivalité politique anglo-américaine au Brésil. 93 ANCEL (Jacques), Une théorie française sur la géographie des frontières. 279 BLUM (Edgar), le Projet d'union douanière franco-belge sous la Monarchie de juillet 337 CASSIN (René), l'Acte général d'arbitrage. 12 Cxu (Rubert), La Crise anglaisc 479 DENNERY (Etienne), le Pfo&Mm.<' des migrations dépeuples depuis la guerre. 154 Es CARRA (Jean), la Codification chinoise et l'exterritorialité 76 HARDY (Georges), l'E.sprit intercolonial quelques manifestations actuelles. 586 HojER (Olof), la Convention en vue de renforcer les rnm~ens de prévenir la guerre. 537 LE FUR (Louis), la Protection internationale des droits de l'laomme. 85 LOISEAU (Charles), la Pénétration européenne en Asie antérieure et la compétition .soviétique. 204 LOISEAU (Charles), le Conflit ro?)MMfj. 393 ÎI10RfNI Corrtxy (Jean), la Crise agraire dams !'7Snrope orientale 25 MORINI CoMBY (Jean), la Solidarité européenne en action l'organisation internationale du crédit agricole. 140 MORINI COMBY (Jean), la Crise économique et financière évolution et perspectives 521 MORLNI CoMny (Jean), Curiosités et imprévus de la crise mondiale. 595 MoussET (Albert). Chroniques politiques
L'évolution du pacifisme 3 L' «Angloichung » 67 La République espagnole vue de l'étranger. 132 Allemagne, France et Anglelerre. 194 La proposition Hoover et l'opinion européenne. 258
Conférences et entrevues Paris,Londres, Berlin, l3ome. 322 La XIIe session de l'Assemblée de la S. D. N. 386 La Crise mondiale. 450 M. Laval à lVasltington M. Grandi à Berlin et à lVasltingtoa 514 M.f~efe<rop!)M[weM)'opee?!ne. 578 M. 0., La préparation et le progret~me de la seconde conférence tni/fant~ue. 430 PELLET[En-DoisY (Robert), la Question de la limitation des armements nas·als avttnt et après Le trailé de Lorxdres. 219 RAY (Jean). Chroniques juridiques
La procédure de la Commission d'étndes lrour Union européenne. 7 Questions de droit posées par l'accord douanier au~'o-aHe~tand. 71 Les pourparlers navals «Kg!o-/rance-~aHe?ts' 73 L'insttr·rection de Madère et le droit d'asile. L'affaire Moulin 136 Le renvoi du projet d'rcnion douanière auslro-allernande devant la Cocer per)'rn:~en<edeJtts<tcetn<ef)ttt<tono<e. 198 Les négociation.y /ranco-arrtéricaines. La tluestion da Groenland de l'est. 264 L'aclivilé de la Coicr permanente de Justice irtternatiortale 326 Le 36e Congrès de l'International Lac-v A.ssoci.ation 330 Le règlement de l'affaire de l'union dortanière 389 Leco)t/'H<~tno-/<'<pOM6fM.52, 517, 581 jf<'aA,&')/rtee<Lt6tt):,jP<!<e~[)te. 582 SHATZKY (Boris), l'Inlerprétation arnéricccirte du Pacte de Paris. 268 yl'oLCnsT (Dr Ernst), le Différend dano-n.nrvé~ien at.c .sa.jel cht 457 II. L'ACTIVITÉ DIPLOMATIQUE DES ÉTATS
Afrique du Sud la position financière et politique drc Dominion à l'égard de l'Empirc 490 Albanie Ze déficit btedgétaire et les orientations extérieu.res 296 AIIemagne:!apo~t<nytted6M.CHWntS. 43 <e?toufe(!uCftyj'tne/)'un[Mg. 492 Argentine les /~e.9~reR du gûM~er~e~e~~ provisoira. 354 Autriche:~poH<t~KedeM.Se/:o&e; 107 les causes de la crise ministérielle 297 l3elgique les rapports avec la flollanrle. 237 le problème des réparations el la crise éconorrtiqrc.e. 610 Brésil:~<6~~<t~ede~'ed~'es~'eme~t~c&ej' 108 ~eprc/e<d't//noftdouMrne~e. 299 liulgarie les di(/érenrlsavec la Grèce. 109 les débuts du Cabinel llZalinov. 355 la politique extérieure du Cabinet lVloucltarcov 554 Canada:/enottf€CtMi'Mdgef. 239 Chili la politique du général 7<'aMex. 173 le projet d'maion douanière panaméricaine. 300 Chine:i'a~cnssed[f.më/~t~eft~ 111 le conflit avec le Japon-452, 519, 581 Colombie les élections législatives. 358 Cuba le mouvement révoltctioanaire. 429 Danemark la question d'7s<<!f[de. 240 Equateur l'affaire du monopole des allumettes et la reprise des relations avec Ici Colonxbie 430 1·~spagne le fO~tge du roi à 1 oredres. 11.1 la révohctien 91, 135
<'efo!u<n)~<~e<a~nes!Mn-reHgteKM. 494 ~CotM~tMton. 517 l'élection du président de la république. 612 ELa.ts-Uius:<tœtnc[Jen<sf~[tJVtcaret~utt. 174 France: la politique de M. Briand. 44 l'interpellation sur l'accord douanier austro-allemand. 242 Grande Bretagne:~9Mes!:OKKftf~< 45 – les relations ~ftg<o-fu&!e~de~tttt<<6[C/tftn!6)'ef!e.!contm:<f:M 359 la stabilité provisoire de la livre sterlin.g. 432 le rzouveau Cabinet. 556 Grèce négociations commerciales. 176 Hongrie voyages de notabilités étrangères. 177 Inde: le pr-ojel cde fédération. 6 la reprise de la conférence de la Table Ronde. 434 Irlande (État libre d') situation politique et financière. 557 Itatie:<esf<:ppo)'<sa~<'c~F)'fcn<'e. 47 les rapports avec l'Allemagne et le problème dit désarmemerti. 362, 514 câpres le vo~age de M. Grandi actx -E~7n~9. 613 J<ipon:d('ct{K'6[<tonxc<Mt<t;'onS/tH<e/Mrft. 47 eo)i/~<~ec~C/;tne.452, 519, 581 Mexique l'entrée à la Société des nations 495 Norvège le différend avec le Danemark au secjel dct Gf'oen~t)~ 364, 457 Paraguay le conf lit avec la Bolivie. 301 la démission da président de la Républiqece 559 Pays-Bas lct question tlzc désarmement, la politique économique et la convenliort d'Oslo. 560 I'erse les relation8 avec l'Angleterre. 302 la réglementation dit commerce extérieur 615 Pologne: les rapports avec l'Allem,aâne. 52 Portugal: «~ .9on~)~c~n3~< co~~e ~cc~e. 436 Roumanie: ~CNttmf<Jo~< 178 – les rappnrt.s avec l,a France. 562 S.nnt-S)èg'e:<a~tMS<tO)tdes/cttftes.s<ca</M<t~M< 303 le conflit romain. 393 Suisse le lilige des zones. 244 fi Tchécoslovaquie le 8le anniversaire de M. llTasar~k. 112 Turquie la politique balkanique du gouvernement 180 ~oyagese<or[eft<s<<ofMf!.t:<erteMres. 616 Yougoslavie déclarations dit roi ~~e.BŒ!n!re 124 les dix ans de règne dtt souverairt. 363 la nouvelle constitution. 389 le résultat des élections législattves. 563 III. VARIÉTÉS DIPLOMATIQUES
CuARLiAT (Pierre), Une page inédite d'histoire diplomatique le voyage à Darztzig d'ecrz ayH&a9.sa~enf de Louis XIV 116 G CHARMA.T (Pierre), les présents de Louis XIV et de Louis XT' acc.v d[p<t)ma<e4' .182, 565 DETIÉRALN (Henri), bibliothécaire de l'Institut de France, la Diplomatie française et les études arcltéologiques et historiques dans le Levani. 497 GROSJEAN (Georges), Beaumarclcais, armateur et diplorzzate une correspondance inédite. 138 IIuNtBanT (Jean), Un appel it la diplomatie internationale en 1631. Comment une petite répzcblique défendait son indépendance ait XVIle siècle. 627
LOISEAU (Charles), Diplomates sur un nid d'aigles. Souvenirs de l'ancien Monténégro 307 A. M. L'art de voyager selon un diplorytate du XVllle siècle. 624 A. M. La dernière entrevue de Charles ler et du régent Hortlty, 373 J. M. Une polénzique autour de la destruction du Parthénort. 570 M. 0., Bisntarlr incoanu. 185 J. R., Le général Nogi ses rapports avec les éirangers ses missions diplomatiques (d'après K. Yamata). 188 J. R., Souvenirs de lady Ga·endolen Cecil sur la vie de lord Salisbury. 250 VAI.MY-BAYSSE (Jean), secrétaire général de la Comédie française, Les Diplomates et le Théîctre. 54, 246, 369, 631 IV. EXPOSITIONS ET MANIFESTATIONS ARTISTIQUES
BILLY (R. de), Le Salon internatiunal du livre d'art. 366 1-Iuitil (F.), L'Art international à Paris danses hindoues. 63 L'Art international à Paris la peinture argentin?. 125 Dante à Paris. 191 Une exposition d'art portugais. 447 J. M., Byzance à Paris une leçon d'art et d'histoire. 252 J. M., A propos des fêtes de chant de Riga les chansons leLtones de la SaintJean 319 J. R., Les Isles exposition des vieilles colonies françaises à la Bibliothèque nationale. 128, 190 WARNIER (R.), Une manifestation d'art yougostavc l'exposition de la Zemlia à Zagreb. 572 V. BIBLIOGRAPHIE
Annuaire de l'Associution yougoslave de Droit irzterrzatianal. 635 AUBERT (Alfred), Un grand libéral, Prévosl-Purudol. 122 BAPST (Edmond), ambassadeur de France, A la coraquête du trône de Bade.. 511 BASDEY ANT (Suzanne), Les Fonctionnaire.. tnte<vM~M)Kat<;); 202 BATY (Thomas), The Canons oj International ~~i~ '10 BILLY (Robert de), ambassadeur de France, Marcel Proust lettres et conversations 59 DESCAMPS (Baron), La condamnâmes de la gaierre et le droit international rcouveau. 201 DrMrTCn (Velimir), La Courtoisie internationale et le Droit des gerts. 61 Documents diplomatiques français. relatifs aM.'E origirzes de la guerre de 1914, Il mai-30 septembre ?9~P. 379 Documents diplorrtatiques français relatifs aux origiues de la guerre de 1914, 1er janvier-31 décembre ~902. 638 Fontes juris gentiunt. 378 GENET (Raoul), Traité de diplomatie et de droit diplomatique 9, 636 GUGGENHEIM (Paul), Les mesures provisoire.s de proee~?'e internationale et leur influence sur le développement du droit des gens. 376 LAMBERT (Jacques), Histoire constitutionnelle de l'Union ctméricaine. 575 LE RATZ, Revanche de l'Automne. 375 MANDEMTAM (André), La protection internationale des nzinor·ités 75 MONCHARVILLE (M.), Le Japon d'Outre-naer. 375 MuNcH (Dr Peter), La Politique du Danemark dans la Société des nations. 574 Origines (les) diplomatiques de la guerre de 1870-1871, tome XXVII 576
PERQUEL (Jules), Pour sauvegarder l'épargne. 639 Rarrsnxm MIRABELLI (Andrea), Le Congrès de Weslphalie ses négociations
et ses résultats ait point de vue de l'histoire du droit des gens' 637 REYES (Alfonso), El lestimonio de Juan Pena. 383 ROLIN (Henri), La politique de la Belgique dans la Société des nations. 574 RoMANonES (comte de), L as u.Ltimas leoras de una Monarquia la Republica
en Espana. 639 ROPER (Albert), La Convention internationale du .LS octobre 1919 portant régle-
mentation de la navigation aérienne. 509 RosEN (Friedrich), Aus einem diplorraatischen t't'"<W(<eHe6eft. 380 Roux (Georges), Reviser les traités ? 382 SAVADjtAK (Léon), Bibliographie &oN<'<tn~He, ~S~C-7.9~ 512 SCHUCKING (Dr Walther) et WEHBEM (Dr Hans), Die Safzung des Yoelfrer-
bundes 509
Affaires Etrangères, revue mensuelle' ~dç ̃> documentation internalionale et diplomalique, of fre à un public averti' et déjà familiarisé avec les problèmes de la politique extérieure une présentation objective, pratique et vivante de ces problèmes.
Objective Par la qualification de ses éditeurs, par l'allure scienlifique des éludes publiées, par son recours systématique aux compétences étrangères, elle exclut tout objet de propagande politique, nationale ou autre.
Pratique Elle offre une interprétation périodique ei rationnelle des principales manifestations de la vie internationale chroniques politique et juridique, documents concernant l'activité diplomatique de chaque Etat, éphémérides, bibliographie critique ou analytique des ouvrages el articles relatifs aux rapports internationaux, compte-rendu des Congrès ei Conférences, Expositions d'art, elc.
Vivante Elle reflète les aspects les plus variés de la vie diplomatique nominations et mutations, extraits de mémoires ou de thèses, activité extraprofessionnelle des diplomates, pages inédites d'histoire diplomatique d'après les documents d'archives, ele.
La Revue comporle trois sections
1° Oueslions politiques et juridiques
2° Vie diplomatique
3° Variétés.
La Revue Affaires Etrangères a un programme à la fois ambitieux et dé fini. S'inspirant de la revision de la table des valeurs depuis la guerre, elle doit être, sous une forme réaliste el évocatrice
Un instrument de travail indispensable au diplomate, à l'homme politique, au publiciste
Un organe d'initiation et d'information utile à l'amateur de questions étrangères et à tout esprit cultivé.
SOMMAIRE
1. Questions politiques et juridiques Pages
CHRONIQUES 3 René CAssiN. L'acte général d'arbitrage. 12 Jean MORINI-COMBY. -La crise agraire dans l'Europe centrale. 25 II. La vie diplomatique
Ephémérides internationales (janvier, février). 35 Nominations dans le personnel diplomatique 37 Les Etats et leur politique étrangère
Allemagne. 42 France. 44 Grande-Bretagne. 45 Italie. 46 Japon. 47 Pologne 52 III. Variétés
Les diplomates et le théâtre (Valmy-Baysse). Un livre de M. Robert de Billy, Ambassadeur de France, sur Marcel Proust (J. R.). La courtoisie internationale et le droit des gens (A. M,),- L'art international à Paris Danses hindoues (F. H.). 54
QUESTIONS POLITIQUES ET
JURIDIQUES
Chronique Politique
Quand sir Eric Drummond, secrétaire général de la Société des nations, revint d'Amérique latine, il déclara à la presse avoir été extrêmement frappé de constater, au cours de son voyage, qu'un grand nombre de gens prévoyaient une guerre européenne dans un délai très rapproché.
Cette observation est suggestive. Elle prouve qu'à une certaine distance, la voix des hommes qui tâchent à recréer la paix sur une base de bonne volonté européenne n'arrive pas à couvrir le bruit des querelles ou des armements du vieux monde. Et cependant on ne saurait prétendre que les démonstrations pacifistes manquent aujourd'hui de solennité ou de résonance. Il faut donc croire que de très apparentes raisons de pessimisme subsistent.
Vus de loin, les foyers européens d'inquiétude se détachent avec netteté: désaccords franco-allemands. rivalité franco-italienne, tension germano-polonaise ou italo-yougoslave, querelles balkaniques. Mais le désarroi politico-économique de l'Europe actuelle, en avivant les espérances des uns et les appréhensions des autres, tend à simplifier les choses et à diviser le continent en deux blocs hostiles, s'afîrontant sur la question de la revision des traités.
Simplification toute verbale d'ailleurs, car on entend bien que le « revisionnisme » diffère d'allure, de méthode et de contenu, selon qu'il se manifeste à Berlin ou à Rome, à Vienne ou à Budapest.
Toutefois les ennemis des traités de la «pétrification européenne», comme ils disent offrent un trait commun ils s'appliquent à faire entrer leurs revendications dans le cadre de la réorganisation pacifique du monde. La Hongrie considère les réparations auxquelles elle prétend comme une des assises de cette réorganisation. Et l'Autriche met sous les auspices du projet Briand ses négociations avec l'Allemagne en vue de l'aménagement d'une union douanière. Ainsi peut-on indifféramment, au gré des partis-pris nationaux, interprèter cette tendance comme un hommage rendu à la sagesse des pacifistes européens, ou comme une manœuvre visant à exploiter, dénaturer ou ruiner leurs intentions généreuses.
Ainsi encore les aspirations générales à la paix cachent sous une terminologie similaire des buts divergents.
Compte tenu de ce coefficient d'aberration, il est difficile de nier que le mouvement pacifiste ait marqué un progrès en Europe dans les premières semaines de 1931.
Sous l'empire d'une crise économique d'une exceptionnelle violence, les peuples ont cherché de nouveaux contacts et tenu à réaffirmer leur attachement à l'esprit de solidarité internationale. J'énumérai plus haut les points névralgiques de l'Europe rapports franco-allemands, polono-allemands, franco-italiens, italo-yougoslaves et interbalkaniques. Or, il n'est pas un de ces malaises auquel la période écoulée depuis le 1er janvier n'ait apporté un adoucissement sinon un dénouement. C'est là une constatation réconfortante. On a vu tour à tour la France participer à une opération bancaire au profit du Reich, la Pologne ratifier le traité de « liquidation » avec l'Allemagne, la France conclure avec l'Italie un accord naval provisoire, accord dont les conséquences psychologiques devraient si elles se développent dans le sens escompté créer une nouvelle atmosphère méditerranéenne.
Et le travail de pacification générale s'est poursuivi avec méthode et persévérance la commission d'étude pour l'Union européenne a siégé à Genève le 16 janvier la soixante-deuxième session du Conseil de la Société des nations a liquidé le différend soulevé par les incidents électoraux de Silésie entre la Pologne et l'Allemagne elle a également fixé la date de la conférence du désarmement. Des efforts ont été tentés en diverses directions, à Genève, à Paris, dans les Balkans, pour remédier à la crise agricole et à l'anarchie des
échanges. Une volonté d'organisation commune s'emploie à parer au chômage, au déficit, au déséquilibre monétaire ou commercial. Dans un élan de foi mystique, qui rappelle celui du 4 août, les ministres des affaires étrangères d'Allemagne, de France, de GrandeBretagne et d'Italie font adopter par acclamation un manifeste par lequel ils s'engagent à exclure le recours à la force.
Les Balkans eux-mêmes où, par habitude plutôt que par réflexion, on se plaît à domicilier les germes de conflagration européenne donnent l'exemple de la compréhension des nécessités politiques et économiques. Tel le laboureur Trygée dégageant la paix enfouie sous un monceau de ruines, le paysan yougoslave, grec, bulgare se rend compte que, seule, « la paix soutient ceux qui usent leur vie à cultiver la terre ». Le mouvement panbalkanique sort de la période spéculative et tend à des formules concrètes. Sous le nom de « Conférence balkanique, » des sortes d'Etats généraux du sud-est européen siégeront désormais chaque automne.
On peut sans doute reprendre une par une ces manifestations de l'esprit de paix, souligner le manque de préparation de celle-ci, le caractère platonique ou l'imprécision de celle-là. Critique aisée nul ne doute qu'il faille désespérer vingt fois de la paix avant de tenir la formule qui nous l'assurera. Mais la plus massive incrédulité, les soupçons les plus ingénieux ne sauraient détruire l'effet produit par le synchronisme et la convergence de tant d'efforts. Anticipation intelligente chez les gouvernants, expression de volonté chez les peuples, l'amour de la paix puise dans la crise économique un tyrannique argument.
A. M.
Chronique Juridique
Le projet d'une fédération de l'Inde. La conférence angloindienne qui s'était ouverte à Londres le 12 novembre 1930 s'est ajournée le 19 janvier 1931. Quelle que soit l'incertitude de l'avenir, un résultat semble acquis. Jusqu'ici l'Inde britannique semblait tout à fait séparée des Etats vassaux, gouvernés par des Princes sous la suzeraineté de la Couronne britannique. Des traités ou actes spéciaux réglaient les relations entre la Couronne et chaque Etat. Or dès le début de la Conférence les Princes, par les déclarations de leurs deux principaux délégués, le Maharaja de Bikanir et le Maharaja de Bhopal, donnèrent leur adhésion à l'idée d'une fédération qui embrasserait l'Inde toute entière les provinces britanniques et les Etats.
Comme le disait récemment Lord Irwin, le Vice-Roi, peu de personnes prévoyaient, au moment où les délégués des Princes quittaient l'Inde, la déclaration « dramatique » qu'ils allaient faire en arrivant à Londres. On ne risque point d'exagérer la portée de cette décision. Portée immédiate d'abord « Ce dont l'Inde avait besoin, dit le Times, c'est d'une idée autour de laquelle puisse se mouvoir l'activité surabondante de son nationalisme naissant l'idée fédérale fournit au nationalisme indien cet aliment. » Portée lointaine surtout ̃ l'idée de l'unité de l'Inde fédérée apparaîtra dans toute sa grandeur, si l'on songe qu'il y a actullement 562 Etats, depuis les plus grands comme l'Hyderabad (12.5000.000 habitants), le Mysore, le Baroda jusqu'aux minuscules principautés, si l'on songe aussi que chacun de ces Etats a son régime propre, et qu'ils s'enchevêtrent parfois de la façon la plus compliquée avec les territoires des provinces de l'Inde Britannique.
L'idée d'une fédération de l'Inde semble tellement avantageuse à tous égards pour l'organisation de la police, des communications, de la vie économique que l'on comprend aisément l'adhésion unanime qu'elle reçut dès que les déclarations des Princes délégués la montrèrent réalisable le discours de M. Mac Donald à la séance
de cloture de la Conférence eut soin de souligner cet accord. Mais on ne doit point se dissimuler les difficultés d'exécution. La plupart des Etats vivent sous un régime autocratique. La fédération ne peut s'établir que si les Princes renoncent à une part de leurs prérogatives suffisante pour qu'il s'établisse dans l'Inde un minimum d'unité politique, juridique et sociale. Avec une franchise hardie Lord Irwin a indiqué, dans son discours récent à la séance d'ouverture de la session annuelle de la Chambre des Princes, certains des principaux problèmes à résoudre si l'Inde doit être une fédération fondée sur les principes dont vit l'Empire, il faudra instituer dans tous les Etats le règne du droit, le respect de la liberté individuelle et de l'égalité. Certains Etats sont administrés d'une façon qui ne laisse rien à désirer mais le Vice-Roi a osé dénoncer les « extravagances personnelles » de certains Princes, qui ont compromis la situation financière des pays sur lesquels ils règnent.
Ainsi bien des questions de droit auront à être tranchées, et sans doute bien des résistances brisées avant que les souverainetés locales puissent s'harmoniser dans une unité fédérale réelle et peutêtre le régime nouveau hâtera-t-il la modernisation de ces Cours de l'Inde dans lesquelles se perpétue, sous le règne du bon plaisir, le faste des vieux contes de l'Orient.
La procédure de la Commission d'études pour ]'Union européenne. Chose curieuse, la Commission n'a pas, dès sa première réunion, en janvier, fixé sa procédure elle a seulement nommé un Comité d'organisation, qui est convoqué à Paris pour le 24 mars mais elle a discuté et travaillé, abordant certaines questions de fond avant de préciser sa constitution.
Certains symptômes permettent déjà de caractériser les relations de l'organisme naissant avec la Société des Nations. On sait que la Commission est une commission de la Société dans le débat assez âpre auquel a donné lieu en son sein le projet d'invitation de l'Union soviétique et de la Turquie à ses travaux, cette subordination a été soulignée par M. Briand et par M. Motta, qui entendaient soumettre à certaines restrictions la collaboration d'Etats non-Membres de la Société, sans que le principe invoqué fut contesté par les partisans d'une invitation sans réserves ainsi M. Grandi, soutenant cette dernière thèse, l'appuyait de cet argument que la Commission était une simple commission d'études, dont les propositions auraient à être transmises aux organes de la Société, Conseil et Assemblée, qui se prononceraient sur elles.
En septembre 1930 il avait été décidé que sir Eric Drummond, Secrétaire général de la Société, ferait fonctions de secrétaire de la Commission. Au moment de la réunion de janvier sir Eric se trouvait encore en Amérique du Sud; la tâche qui lui avait été assignée passa à M. Avenol,Secrétaire général adjoint de la Société; et ce fait marque mieux que n'importe quel commentaire la signification du choix fait en septembre non en raison de la personne, mais en raison de la fonction.
Dans l'organisation rudimentaire et empirique que la Commission a eu à se donner en laissant de côté les principes, on la voit adopter les pratiques établies par le Conseil pour lui-même la session a commencé par une séance secrète, avant les séances publiques la Commission a décidé de se réunir trois fois par an, comme le Conseil, et, comme lui naturellement, de résoudre les questions par les moyens que met à sa disposition la Société des Nations. Ainsi s'affirment dans lesfaits les relations qui ont été annoncées dans les discours ainsi se trouvent en grande partie apaisées les craintes de ceux qui craignaient que la création de l'Union ne provoquât un dessaisissement partiel de la Société. Non seulement la subordination de l'Union à la Société devient plus claire mais l'adoption des usages de la Société est un hommage rendu à leur valeur; et l'utilisation des mêmes organes de préparation des décisions est la meilleure garantie d'une unité de vues et de politique.
L'échange de notes sur les droits des porteurs britanniques de rentes francaises et la conception de l'arbitrage. La note française du 17 janvier 1931 clôt l'échange de correspondances qui s'est produit depuis le 24 juillet dernier entre la Grande-Bretagne et la France au sujet de la situation des porteurs britanniques de titres des emprunts de guerre français dont une partie fut placée dans le royaume ces porteurs réclamaient le paiement en francs-or le gouvernement français souligne l'impossibilité de leur faire un sort distinct de celui des porteurs français. Dans sa note du 24 décembre 1930, le gouvernement britannique fit valoir des « considérations d'équité » plutôt que « de droit strict », et demanda en même temps que la question fut soumise à un arbitre. La note française du 17 janvier répond « Une demande d'arbitrage ayant pour objet de faire accroître, pour des raisons d'équité, le montant de ce qu'un pays est tenu de payer en droit constitue une véritable innovation. La détermination tant de la politique financière d'un Etat, alors que cette politique n'est pas contestée en droit, que des mesures d'équité qu'il peut être convenable de prendre à l'occasion de cette politique, est du
ressort exclusif de cet Etat ». La note se termine en expliquant que l'équité ne semble pas conseiller un traitement différenciel en faveur d'une catégorie de porteurs.
Traité de diplomatie et de droit diplomatique (Raoul Genet). M. Genet, ayant entrepris de mettre à jour le Cours de droit diplomatique de Pradier-Fodéré, a constaté qu'après trente ans écoulés et de si grands changements dans le monde il fallait faire œuvre nouvelle. Le tome 1 de son Traité vient de paraître (1) il comprend tout ce qui touche l'Agent diplomatique (Personnel diplomatique rang, honneurs, préséances privilèges et immunités). Trois autres volumes sont annoncés, qui étudieront 1'« Action diplomatique » (organisation des administrations centrales, protocole,), puis les « Actes diplomatiques » (Congrès conférences.) et se termineront par des renseignements annexés et des tables.
Cet ouvrage considérable répond à un besoin évident il est infiniment commode de trouver réunis les nombreux documents que l'auteur a pris la peine de rassembler. Nous signalerons à titre d'exemple le chapitre relatif au recrutement et à l'organisation du service diplomatique. Une des grandes difficultés, en cette matière, c'est que les documents, même publiés officiellement, sont d'accès malaisé. Quant aux précédents, la plupart restent secrets, sont inexactement rapportés dans la presse ou disparaissent avec les publications éphémères qui en portaient les traces. Aussi est-il arrivé trop souvent que les doctrines s'élaborent sur un nombre minime de cas anciens, que le hasard à transmis. On ne saurait être trop reconnaissant à M. Genet d'avoir recueilli, avec beaucoup de textes, un certain nombre de faits récents dont l'analyse pourra enrichir d'une substance concrète les discusssions de droit diplomatique. Sonlivre révèle, sur bien des points, un contact avec les réalités, trop rare chez les auteurs qui se risquent à parler de pays étrangers ainsi M. Genet a grandement raison de noter (p. 370) que « le titre de Mikado que l'on décerne parfois à l'Empereur du Japon est désuet et inopportun. En langage japonais ce souverain est appelé plus couramment Tennô. »
Dans une documentation abondante, il est presque inévitable que des erreurs matérielles se glissent. Sans doute le dernier volume contiendra-t-il une liste d'errata. Nous nous permettrons de signa(1) Raoul Genêt, Traité de Diplomatie et de Droit Diplomatique, t. I L'Agent diplomatique, 608 p. gr. in-8Q, Pedone, Paris, 1931.
1er, dans la liste des plénipotentiaires de Versailles (p. 195) « Saiouzi » au lieu de « Saïonzi », « Coauda » au lieu de «Coanda»,Prabaudhu » au lieu de « Prabandhu », « Alsna » au lieu de « Alsua », « Bouilla » au lieu de « Bonilla », <c Kuig » au lieu de « King ». Nous n'aimons pas beaucoup cette façon d'énumérer les membres de la délégation française à la Conférence du désarmement naval de Londres (n. 266) « MM. Tardieu, Leygues, Piétri, Ministres, M. Briand, des Affaires étrangères. »
Peut-être souhaiterait-on, sur certaines questions, un examen plus ample des principes ainsi nous sommes surpris de voir écarter un peu sommairement (p. 325), dans la discussion sur l'égalité des Etats, la formule présentée en 1921 par M. de Lapradelle à l'Institut de droit international « Sans distinction de race ou de religion, ni de puissance, les Etats sont, à parité de civilisation, c'est-à-dire de conscience de leurs devoirs internationaux, libres et égaux en droit. » Cette pensée a joué un rôle historique considérable, et nous ne concevons guère une société internationale dans laquelle elle ne serait pas, au moins tacitement, admise.
Mais nous n'insisterons pas. Même lorsqu'il se contente d'une courte allusion, le livre de M. Genet donne à penser et il constituera pour tous ceux qui s'intéressent à la vie diplomatique un instrument de travail très précieux.
Les canons du droit international (Thomas Baty). Le Dr Thomas Baty vient de publier à Londres (1) un ouvrage de haute portée, dans lequel il se propose de dégager un certain nombre de « canons », de notions générales permettant de prendre parti dans les controverses du droit international. Ces canons seraient la simplicité, la certitude, l'objectivité, l'élasticité. Sous chacune de ces rubriques, l'auteur étudie une série de problèmes concrets, dans la solution desquels l'idée qu'il veut illustrer lui paraît jouer le rôle décisif. Il passe ainsi en revue la plupart des questions essentielles. La force du livre tient à ce fait que des formules qui peuvent sembler à première vue trop vides pour fournir des solutions définies s'enrichissent et se précisent grâce à l'analyse pénétrante d'une multitude de faits et d'opinions.
Par exemple l'auteur, connu depuis longtemps pour ses travaux de droit maritime international, analyse (p. 145-170) les discussions (1) The Canons of International Law, by [T. Baty, D. C. L., L. L. D., XII-518 p. in-8°, John Mukray, London, 1930.
qui se sont élevées au sujet de la mer territoriale il montre comment on s'expose à d'insolubles difficultés dès que l'on abandonne ces règles simples est dans les eaux territoriales tout navire qui se trouve à moins de trois milles marins du rivage la nature du droit qui s'exerce sur la mer territoriale est analogue à la souveraineté qui s'exerce sur le territoire lui-même.
Nous avouons ne pas être absolument sûr que les notions abstraites jouent le rôle décisif que l'auteur leur reconnaît son adresse dialectique pourrait faire illusion le fait même qu'il juxtapose à la « certitude » 1* « élasticité » qui la corrige ne peut manquer de retenir l'attention.
L'auteur affirme dans sa préface une double méfiance à l'égard de deux formes d'arbitraire l'arbitraire qui tient à la façon subjective dont les commentateurs choisissent ou interprètent les précédents l'arbitraire qui s'affirme dans des décisions comparables à celles d'une législature, celles par exemple que l'auteur appelle sévèrement les « ukases de Genève ». Pour éviter l'un et l'autre risques, il tente une sorte de résurrection du droit naturel.
Peut-être la description d'un droit naturel, lorsqu'elle prend la rigueur et la précision que sait lui donner le Dr Baty, emprunte-t-elle réellement beaucoup aux traditions et à l'histoire s'il en est ainsi, la méthode suivie se rapproche, en dépit de son apparence rationnelle, de la méthode anglaise traditionnelle. Mais il faut ajouter que les passages abondent dans lesquels l'auteur donne la joie du contact avec un esprit foncièrement, courageusement libre et il se pourrait d'ailleurs qu'en cela aussi le Dr Baty représente une des plus hautes traditions de son pays. Avec de telles garanties de compétence et de droiture, son livre mérite d'être médité, tout particulièrement aux lendemains des jours où la tentative de codification du droit international s'est heurtée aux difficultés que l'on sait. Il faut ajouter qu'en dehors de son intérêt pratique de premier ordre le bel ouvrage du D1" Baty a une signification philosophique et intéressera tous ceux qui se demandent ce que peuvent être, en leur essence, la mentalité juridique et la structure du droit.
J. R.
L'Acte général d'arbitrage
La Chambre et le Sénat français viennent, par les votes quasiunanimes des 12 juin 1930 et 4 mars 1931, d'autoriser l'adhésion de la France « à l'Acte général pour le règlement pacifique des différends internationaux, adopté le 26 septembre 1928 par l'Assemblée des Nations ». Quelques jours après, à la suite d'un débat où Sir Austen Chamberlain a apporté la contradiction, le Gouvernement britanique obtenait de la majorité de la Chambre des Communes l'approbation de son projet d'adhésion. Cette décision de deux grandes nations constitue un événement considérable à plusieurs titres. En effet l'Acte d'arbitrage a vu le jour dans une atmosphère peu chaleureuse, bien différente de celle de l'Assemblée de 1924 qui a dressé le fameux Protocole. Il prit cependant corps le 16 août 1929 grâce à l'adhésion de la Suède, de la Norvège et de la Belgique encore celle-ci fut-elle seule à l'accepter dans ses trois parties, y compris celle relative à l'Arbitrage. En 1930 s'ajoutèrent les signatures des Pays-Bas, de la Finlande, du Danemark, du Luxembourg et de l'Espagne. Parmi les nations représentées en permanence au Conseil, la France est donc bien la première à donner l'exemple. M. A. Briand ne déposa-t-il pas son projet le jour même où la Chambre venait d'approuver le Pacte de renonciation à la guerre, portant son nom et celui de M. Kellogg ? L'élan venu d'Europe occidentale devant être certainement contagieux, auprès de l'Italie, des Etats membres de la Commonwealth britannique représentés à titre distinct à Genève et de maints autres Etats, on peut considérer l'Acte général, charte de « l'Union judiciaire des peuples civilisés », comme définitivement installé dans la vie internationale et il semble opportun d'en étudier le contenu exact (1).
(1) Consulter spécialement sur cet acte Société des Nations. Mémoranda du Comité d'arbitrage et de sécurité C. A. S. 10 février 1928 Rapport de M. Politis à la IX0 Assemblée, A. 86 (1), 1928 IX, 29 septembre 1928.
Parlement français. Chambre. Rapport Paul Bastide, ann. n° 2031. Séance du
Mais il serait vain de chercher, en quelques pages, tous les aspects juridiques du nouvel instrument. Il importe plutôt de montrer comment il se relie par ses origines et sa structure au grand mouvement d'organisation de la Paix, dont le Pacte de la Société des Nations constitue la première pierre angulaire. Il sera ainsi plus aisé de mesurer le progrès que l'Acte général consacre dans la substitution de la justice organisée à la force, la place qu'il est appelé à occuper parmi les chartes du droit international nouveau, les nouveaux pas en avant qu'il postule ou rend possible. L'opinion publique française se trompe-t-elle en voyant dans une adhésion générale à cet Acte, un des facteurs de succès pour la Conférence générale de désarmement de 1932 ?
Sans méconnaître la noblesse des efforts accomplis en Amérique et en Europe, avant la guerre, en faveur des modes de règlement pacifique des conflits, on constate à juste titre que la création de la Société des Nations a marqué une ère nouvelle.
Le Conseil de la S. D. N. n'a pas seulement exercé dans maints cas concrets les attributions conciliatrices et médiatrices qu'il tient des articles 11, 12 et 13 du Pacte. Dès 1920, il a fait adopter par la Première Assemblée le Statut de la Cour permanente de justice internationale de la Haye. A cette époque, il est vrai, les Etats signataires refusaient d'accepter, en bloc avec le statut, l'article 36 conférant compétence obligatoire à cette cour dans tous les litiges de nature juridique. Mais depuis la Cour a su conquérir la confiance des Nations 24 arrêts, 18 avis consultatifs sollicités spontanément parlent pour elle. Quarante-sept signatures, dont trente-cinq ratifiées figurent' maintenant au pied de l'article 36. Et il a fallu en 1929, retoucher le Statut de la Cour de manière à accentuer sa permanence, son caractère judiciaire, renforcer l'indépendance de ses juges et rendre possible l'adhésion définitive des Etats-Unis.
Comment ne rappellerait-on pas que c'est l'Assemblée de 1922 qui a adopté un projet-type de règlement bilatéral de conciliation 11 juillet 1929 Sénat, Rapport d'Henry de Jouvenel, ann. n°560, Séance du 25 novembre 1930.
Bibliographie. E. Borel, L'Acte général de Genève, Recueil des Cours de l'Académie de droit international de la Haye, 1929, t. II et les références Wehberg, Der Weltschiedsvertrag der Generalakte, Vulkerbund, juin-juillet 1929.
qui a exercé une influence stimulante sur les Etats, au cours des années suivantes ? Le nombre et la portée des traités bilatéraux d'arbitrage ou des clauses déférant à la Cour ou à des arbitres la connaissance de tels ou tels litiges, se sont accrus dans des proportions inconnues et ne sont pas même sans donner l'impression d'une floraison exubérante et anarchique.
Mais c'est le problème de la réduction des armements qui a exercé l'impulsion la plus décisive en faveur de l'extension de la justice internationale. De même en effet qu'en 1899 et 1907 les Conférences de la paix réunies à la Haye, impuissantes sur le désarmement, ont fourni un premier apport notable à la cause de l'arbitrage, de même après le rejet dans l'œuf de projets simplistes sur le désarmement et l'échec du Projet de Pacte d'assistance mutuelle de 1923, l'Assemblée de 1924 a, à l'appel de MM. Herriot et MacDonald, entendu souder l'Arbitrage au sens le plus large du mot, à la Sécurité et au Désarmement, dans un vaste instrument collectif, dénommé « le Protocole pour le réglement pacifique des différends internationaux ». On sait ce qu'il advint de cette tentative d'ensemble dont la rigidité, notamment en ce qui concerne le déclanchement des sanctions collectives contre l'agresseur, a effrayé l'Angleterre. Mais, revenus à pied-d'œuvre après avoir appliqué aux accords régionaux de Locarno la méthode du Protocole et réunis dans la Commission instituée en 1925 pour préparer le projet de convention, cadre à présenter à la future Conférence générale de désarmement, les hommes d'Etat se sont trouvés tenus, pour la troisième fois, de se rendre à l'évidence il n'est pas possible d'envisager une limitation, à plus forte raison, une réduction sérieuse des armements nationaux, en l'absence d'une organisation collective du règlement pacifique des litiges de toute nature, surtout politique. C'est pourquoi sur une initiative française, l'Assemblée de 1927 adjoignit à la Commission préparatoire du désarmement un « Comité d'arbitrage et de sécurité » qui, sous la présidence de M. Bénès, mit aussitôt à l'étude une proposition norvégienne tendant à créer une Union facultative entre tous les Etats consentant à adhérer à un instrument d'arbitrage obligatoire.
Au cours des travaux de ce comité, le gouvernement britannique, favorable au réglement judiciaire de litiges juridiques précis,recommanda pour les autres de s'en tenir, suivant les principes adoptés à Locarno, à la procédure de conciliation et, en cas d'échec, à l'examen du Conseil. Tout en admettant la nécessité de ne plus maintenir la réserve traditionnelle « des intérêts vitaux » ou de « l'honneur
national » qui enlève presque toute portée pratique aux conventions d'arbitrage d'Etat à Etat, antérieures à la guerre, il proclama l'impossibilité pour une nation ayant des intérêts mondiaux d'assumer des engagements ayant une étendue uniforme vis-à-vis de n'importe quelle autre ou même de signer des traites bilatéraux sans réserves. Le Comité tint compte de ce point de vue en présentant séparément une Recommandation d'adhésion à l'article 36 du Statut de la Cour, trois modèles A. B. C. de conventions générales de règlement pacifique allant de la simple conciliation aux procédures les plus complètes, trois modèles identiques (a. b. c.) de conventions bilatérales. Il usa du même procédé pour les modèles de traités collectifs ou bilatéraux, d'assistance mutuelle ou de non-agression (D. E. F.). Réunie quelques jours à peine après la signature du Pacte de renonciation à la guerre qui proclamait la nécessité de ne résoudre les différends internationaux que par des moyens pacifiques, sans essayer d'organiser ceux-ci, la IXe Assemblée ne pouvait pas refuser de lui donner un couronnement pratique et de tirer quelque chose de clair de la masse un peu touffue de documents qu'on lui apportait. Elle ne réussit pas sans peine. Les résistances britanniques et italiennes faillirent briser l'allant des délégations suédoise et belge qui proposaient de fondre en un seul acte d'ensemble les trois projets séparés d'acte collectif. L'attitude des délégués français et allemand fit pencher définitivement la balance tenue par le rapporteur, M. Politis, en faveur de l'Acte général. On donna aux partisans de la méthode des accords bilatéraux d'arbitrage une satisfaction de principe, en présentant à l'agrément des gouvernements des modèles de traités de ce genre, sur un pied d'égalité avec l'Acte général. Mais, une fois venu au jour, cet instrument n'allait pas tarder les faits l'ont prouvé à vivre d'une vie propre et à exercer une puissante attraction.
Si l'on veut caractériser l'Acte général en quelques traits, on peut dire qu'il a été élaboré pour constituer un Code universel de règlement pacifique des litiges entre Etats, c'est-à-dire un instrument de droit commun pouvant s'appliquer à tous les Etats, à toutes les procédures de règlement, à tous les litiges. Mais ce n'est pas une loi rigide à faire accepter en bloc il a été doté d'une souplesse extrême en vue de conquérir par une sorte d'infiltration continue ou par étapes, la place de premier rang qui lui est réservée.
I. L'Acte général tout d'abord est ouvert à l'adhésion de tous les Etats du monde, qu'ils soient membres de la Société des Nations ou non, signataires du Pacte Briand-Kellogg ou non, adhérents au Statut de la Cour de la Haye ou non.
C'est par ce souci de donner à l'Acte général un caractère universel, que s'explique le silence de l'Acte jugé regrettable par certains sur le rôle du Conseil et de l'Assemblée de la S. D. N. dans le règlement pacifique des litiges, alors au contraire qu'on avait reproché au Protocole de 1924 la prépondérance excessive accordée au Conseil. Ici, c'est dans le Préambule qu'on a rejeté la référence à la mission de sauvegarde de la paix du monde incombant à la S. D. N. et à son intervention en vertu des articles 15 et 17 du Pacte, lorsque le différend n'aura pu être soumis à la procédure arbitrale ou judiciaire ou n'aura pu être résolu par ces procédures ou lorsque la procédure de conciliation aura échoué.
II. La préoccupation de préparer un Code complet et de droit commun se révèle d'abord à la variété des procédures organisées Chapitre 1 Conciliation Chapitre II Règlement judiciaire Chapitre III Règlement arbitral Chapitre IV Dispositions générales.
Mais si l'Acte général entend suppléer à l'absence de procédure organisée, dans la mesure où elle se fait sentir, il ne porte pas atteinte aux accords en vigueur, établissant entre les intéressés telle procédure de conciliation, ou, en matière d'arbitrage et de règlement judiciaire, des engagements a.ssurant la solution du conflit. Mais si une lacune se révèle, si par exemple « les accords ne prévoient qu'une procédure de conciliation, après que cette procédure aura échoué », les dispositions de l'Acte général recevront application. C'est ainsi qu'entre nations adhérentes à la fois aux accords de Locarno et à la partie de l'Acte relative à l'arbitrage des litiges de nature politique, l'échec de la Commission de conciliation, même suivi de l'échec d'une médiaton du Conseil, doit trouver son remède dans une sentence arbitrale.
L'Acte général ménage, de même, l'application « des procédures prévues par d'autres conventions en vigueur entre les parties en litige ». Mais ses auteurs comptent à bon droit qu'à l'avenir, les Etats s'efforceront de mettre les dispositions de leurs accords bilatéraux en harmonie avec le Code de droit commun, jusqu'au jour où ils trouveront plus simple de donner une adhésion unique à un accord de portée universelle. Le souci de la conclusion et du renouvellement des deux mille et quelques centaines de traités particuliers,
nécessaires pour couvrir le monde d'un réseau complet d'arbitrage et le risque des contradictions possibles, en cas de litiges intéressant plus de deux Etats, ne seront-ils pas allégés considérablement ? III. Des trois procédures réglementées par l'Acte général, la conciliation est la seule, en principe, prévue pour tous les litiges elle n'est cependant, pour les litiges de nature juridique, qu'un préliminaire facultatif. Pout tous les cas; est prévue l'intervention de caractère amical d'une commission, permanente ou nommée ad hoc, composée de cinq membres. Trois d'entre eux seront choisis parmi les ressortissants de tierces puissances d'un commun accord ou, à défaut, suivant certaines garanties (1). En principe les travaux de la commission doivent être achevés dans un délai de six mois. Le chapitre concernant le Règlement judiciaire prévoit qu'il sera en principe confié à la Cour permanente de justice internationale, à moins que les parties ne tombent d'accord pour recourir^ un tribunal arbitral.
Il est surtout intéressant par la discrimination des litiges qui doivent y être soumis. Ce sont, dit l'article 7, « tous les différends au sujet desquels les parties se contesteraient réciproquement un droit ». Cette formule inspirée des accords de Locarno a été critiquée comme trop étroite et surtout comme ne couvrant pas exactement la liste des litiges de nature juridique, figurant à la fois à l'article 13 du Pacte de la S. D. N. et à l'article 36 du statut de la Cour, savoir tous les différends ayant pour objet a) l'interprétation d'un traité b) tout point de droit international c) la réalité de tout fait qui, s'il était établi, constituerait la rupture d'un engagement international d) l'étendue ou la nature de la réparation due pour une telle rupture. Aussi a-t-on paré à ces critiques en ajoutant dans l'Acte général que les différends visés par lui comprennent notamment ceux que mentionne l'article 36 du statut de la Cour. Mais alors une question se pose. L'adhésion donnée maintenant par la France au Protocole dudit article 36 ne fait-elle pas double emploi avec celle donnée au chapitre II de l'Acte général d'arbitrage ? Il faut répondre négativement. En effet tous les Etats signataires de Locarno acceptent à l'heure actuelle et c'est là un des signes les plus frappants de l'évolution accomplie depuis dix années la compétence obligatoire de la Cour dans les litiges juridiques. (1) M. Victor Béiard a fait au Sénat une intéressante remarque sur la lacune que présente l'article 6 al. 3, au cas de tirage au sort des noms des commissaires (J. Off. Débats 4 mars 1931).
Or seules la Belgique, la France et l'Angleterre sont adhérentes à l'Acte général.
Même si celui-ci récoltait un jour l'adhésion universelle, comme sa durée est de cinq années à compter de sa mise en vigueur, les adhésions à l'article 36 du statut de la Cour dont la durée est souvent portée à 10 ans par leurs signataires, conserveraient leur intérêt. La délimitation des litiges de nature juridique une fois faite, il fallait organiser le règlement pacifique des autres litiges supposés non résolus par la commission de conciliation. C'est ici qu'intervient la procédure du règlement arbitral qui constitue l'objet du chapitre III de l'Acte général et l'innovation la plus marquante, digne de donner son nom à cet Acte.
On sait que ce qui caractérise le recours à l'arbitrage par opposition au règlement par des juges permanents, ce n'est pas seulement l'obligation de rédiger un compromis pour fixer les limites du débat, mais surtout celle de s'entendre sur la désignation des arbitres. Le Tribunal arbitral est, à la différence de la Cour, un rouage d'occasion, de compétence exceptionnelle, conventionnelle. II est composé d'hommes de confiance, chargés d'une mission limitée à l'objet même du compromis, car c'est pour cela qu'est institué ce mode particulier de règlement des litiges.
Ici encore l'Acte s'est efforcé de tracer, pour la constitution du tribunal arbitral, des directions qui ne valent que sauf accord contraire des parties. Instruits par certains précédents célèbres qui ont laissé au seul arbitre appartenant à une tierce puissance la lourde responsabilité de départager les deux autres arbitres respectivement désignés par les parties, il dispose que « le tribunal arbitral comprendra cinq membres » dont trois choisis parmi les ressortissants de tierces puissances, soit d'un commun accord, soit, à défaut, dans des conditions donnant toute garantie aux Nations en litige. L'Acte général pourvoit aussi à toutes les difficultés pouvant résulter de décès, démission, vacance d'arbitres, de désaccords sur l'objet et la procédure du litige, refus de conclusion du compromis par une des parties.
Quant au droit à appliquer par le tribunal arbitral, les auteurs de l'Acte ne se sont pas bornés à affirmer dans le Préambule constitué par la Résolution de présentation aux nations « que le respect des droits établis par les traités ou résultant du droit des gens est obligatoire pour les tribunaux internationaux et. que les droits appartenant aux Etats ne sauraient être modifiés que de leur consentement ». Ils ont en outre, dans une disposition spéciale de l'article 28, précisé
que dans le silence du compromis ou à défaut de compromis, le tribunal arbitral appliquera les règles de fond énumérées dans l'article 38 du statut de la Cour permanente de justice internationale. Les arbitres sont donc tenus de statuer sur la base du respect des traités et du droit en vigueur. Ils ne statueront ex aequo et bono qu'en tant qu'il n'existe pas de pareiiles règles applicables au différend. Mais en ce cas, ils n'auront pas, à la différence des juges de la Cour, besoin du consentement spécial des parties.
Ces prescriptions ont fait l'objet (le vives critiques. On a dit que les conflits de nature politique ne pouvaient être résolus sur la base du droit, puisque par leur nature même ils sont en dehors du droit. Mais il n'est pas douteux que l'arbitre chargé de juger une question ne saurait se transformer en législateur et contrevenir au droit, sans un bouleversement profond des relations internationales. M. Von Simson, qui représentait l'Allemagne dans ces discussions délicates l'a reconnu après d'autres orateurs, en constatant « que des différends pourraient résulter précisément de l'existence d'un état de droit qui ne serait pas contesté comme tel. Ces différends ne pourraient pas trouver de solution par l'application de l'article 28 ». Le remède ne peut être cherché, sur ce terrain, que dans l'élargissement par le compromis de la mission des arbitres. En dehors de ce moyen, il n'y a plus que les procédés de conciliation prévus par le Pacte de la S. D. N., et enfin, dans les cas les plus graves, la solennelle procédure de révision des traités, prévue par l'article 19 du Pacte. Nous touchons ici à la limite extrême des litiges internationaux susceptibles d'être compris dans les procédures de l'Acte général. Les litiges d'intérêts soulevés en vue d'obtenir une modification du droit existant n'y figurent pas.
IV. Il est temps de montrer que cette limite n'est même pas toujours atteinte. C'est là précisément une des conséquences de l'extrême souplesse que ses auteurs ont voulu donner à l'Acte général en vue d'en faciliter l'accès et de dissiper graduellement les méfiances des Etats attachés à la formule des traités bilatéraux.
Souplesse d'abord, en ce qui concerne les conditions d'entrée en vigueur. Alors que le Protocole de 1924 devait pour prendre corps être ratifié par trois puissances membres permanents du Conseil, et par dix autres Etats, les auteurs de l'Acte général plus avisés se sont inspirés du système utilisé pour la mise en vigueur de l'article 36 du Statut de la Cour de la Haye. L'Acte général est un document qui s'est transformé en convention, aussitôt qu'il a été accepté en tout ou partie par deux Etats, et il reste indéfiniment ouvert à
l'adhésion de tous les autres Etats, décidée suivant les formes constitutionnelles propres à chacun. Cette modestie des débuts n'a pas, on l'a vu, empêché l'Acte de récolter dix adhésions en deux ans.
D'autre part, l'article 38 de l'Acte général confère aux Etats la possibilité de limiter leurs engagements, en adhérant à leur choix, soit à l'ensemble de l'Acte et c'est ce qu'ont fait par exemple la Belgique, la France et l'Angleterre soit seulement aux dispositions relatives à la conciliation et au règlement judiciaire ainsi qu'aux dispositions générales concernant ces procédures (tel est le cas de la Suède, des Pays-Bas par exemple), soit seulement aux dispositions relatives à la conciliation. Chaque nation adhérente ne peut, bien entendu, se prévaloir des adhésions d'autres parties que dans la mesure où elle-même aura souscrit aux mêmes engagements. En outre au moment de son adhésion, toute partie peut entourer son acceptation de réserves, pourvues qu'elles figurent dans la liste limitative, mais en réalité fort étendue des réserves permises par l'article 39, al. 2.
Mais il est permis à tout moment à une partie d'étendre les engagements pris ou de renoncer aux réserves formulées (art. 40). Il est permis également à une partie, six mois avant l'expiration de la durée de l'Acte prévue pour cinq ans à compter de sa mise en vigueur, d'envoyer une notification de dénonciation soit totale, soit partielle ou de nouvelles réserves, sous réserve de la continuation des procédures engagées à ce moment.
La faculté d'insérer des réserves est évidemment de nature à encourager les adhésions des hésitants, mais peut aussi vider les engagements assumés de toute portée efficace en les transformant en gestes générateurs d'illusions populaires. Aussi leur réglementation mérite-t-elle qu'on s'y arrête.
Il a été couramment fait usage par les Etats, quoiqu'avec des formules différentes (V. Belgique, France, Empire Britannique), de la première réserve permise, celle excluant des procédures de l'Acte « (a) les différends nés de faits antérieurs, soit à l'adhésion de la Partie qui formule la réserve, soit à l'adhésion d'une partie avec laquelle la première viendrait à avoir un différend ». De là découlera un retard certain dans la mise en pratique effective de l'Acte entre Etats adhérents et dans l'appréciation qu'on pourra porter sur sa solidité et ses mérites.
Une seconde réserve permise touche (b) « les différends portant sur des questions que le droit international laisse à la compétence
exclusive des Etats ». Elle consacre dans le domaine judiciaire la réserve bien connue relative à the domestic jurisdictlon, consacrée à la demande du Président Wilson par l'article 15, § 8 du Pacte de la S. D. N., dans le domaine de la médiation du Conseil. On peut se demander si. en son absence, un Etat serait déchu du droit d'opposer l'exception de compétence interne à une demande d'un autre Etat et il y a lieu de croire que non. Mais en prenant soin de formuler cette réserve, la France, l'Empire Britannique et d'autres nations ont écarté tout doute. Pour bien montrer notre volonté de ne pas méconnaître les progrès que le droit international est susceptible d'accomplir dans ce domaine délicat, la formule d'adhésion de notre pays laisse à la Cour permanente de justice internationale le soin de reconnaître si un litige porte ou non sur une question que le droit international laisse à la compétence exclusive de l'Etat. Le domaine réservé a donc lui-même ses limites contrôlées.
Les réserves permises placées sous la lettre (c) de l'art.icle/59 comprennent « les différends portant sur des affaires déterminées ou des matières spéciales nettement définies, telles que le statut territorial, ou rentrant dans des catégories bien déterminées ». Elles avaient jusqu'ici été conçues, dans les traités particuliers, en termes tout à fait généraux, laissant place aux appréciations les plus arbitraires. Aujourd'hui une évolution très heureuse s'est accomplie. Le Gouvernement français sur l'invitation de la Commission compétente de la Chambre, s'est décidé à supprimer les réserves projetées primitivement à l'égard de certaines questions graves mettant en jeu le régime politique et économique de l'Etat et sa défense nationale. Il n'a plus laissé subsister qu'une mesure extrêmement judicieuse: celle qui ménage la possibilité de déférer préalablement les différends au Conseil de la S. D. N. et de ne les soumettre aux procédures décrites par l'Acte général que si le Conseil n'était pas parvenu à statuer, par un rapport unanime, dans les conditions prévues par l'article 15, § 6 du Pacte.
Quant à la formule d'adhésion britannique, elle exclut complètement des procédures décrites par l'Acte général, ses différends soit avec les autres membres de la communauté britannique (ce qui avait déjà été fait pour l'article 36 du statut de la Cour), soit encore « avec toute partie à l'Acte général qui n'est pas membre de la Société des Nations ». Enfin elle ménage d'une manière encore plus circonstanciée que la nôtre le droit de soumettre au Conseil les différends de nature juridique ou non juridique, en établissant des délais propres à éviter la précipitation comme les chicanes. A la lecture de cette
formule d'adhésion, les critiques dirigées par Sir Austen Chamberlain, contre le dessaisissement du Conseil de la S. D. N. dans l'apaisement des litiges internationaux sous sa médiation et contre les excès « de la logique latine » ayant inspiré l'aménagement des procédures de l'Acte général, n'apparaissent pas comme fondées.
En l'absence de dispositions réglant les questions de litispendance entre les organes ou juridictions prévus par l'Acte d'arbitrage et le Conseil de la Société des Nations, un certain besoin d'harmonie se fait sentir (1). La formule anglaise a cherché à y pourvoir, à un degré plus élevé que la nôtre. Cela n'est pas indifférent, car l'article 33 de l'Acte général a conféré à la Cour Permanente ou au Tribunal arbitral, le pouvoir d'indiquer les mesures provisoires auxquelles les parties en litige seront tenues de se conformer. Celles-ci doivent en outre s'abstenir, durant la procédure, de tout acte susceptible d'aggraver ou étendre le différend et de toute mesure susceptible d'avoir une répercussion préjudiciable à l'exécution de la décision judiciaire ou arbitrale. Il ne faudrait pas qu'à la faveur d'un prétendu conflit positif de compétence avec le Conseil de la Société des Nations, une partie de mauvaise foi se dérobe à de tels engagements.
Un bref coup d'œil en arrière permet de mesurer maintenant le chemin parcouru depuis le moment où l'article 13 du Pacte laissait à l'appréciation des Etats la possibilité d'application d'un règlement arbitral ou judiciaire, sans en tracer directement la route. Désormais entre Nations lices entre elles soit par l'article 36 du Statut de la Cour soit par un traité bilatéral d'arbitrage, soit à plus forte raison par les trois chapitres de l'Acte général d'arbitrage, les voies vers le règlement pacifique sont franchement ouvertes, sans qu'une partie ait en principe à interroger l'adversaire sur ses préférences. Les chicanes sur le choix de la procédure qui se greffent ainsi trop souvent sur le litige principal et qui l'enveniment sont ainsi évitées ce n'est pas un des moindres bienfaits des engagements obligatoires. (1) L'Acte général a, au contraire, pris soin de régler le cas où un différend international a un objet relevant de la compétence des autorités judiciaires et administratives de l'une des parties il prescrit d'attendre pendant un délai raisonnable la décision définitive de ces autorités (art. 31). Il règle également les questions de litispendance entre les instances organisées par lui (art. 90). Il prévoit enfin le cas où le différend s'élèverait entre plus de deux parties ayant adhéré, ainsi que les conditions de l'intervention (art. 34 et 36).
L'Acte général de Genève est plus progressif que l'Acte correspondant élaboré à Washington par la Conférence panaméricaine de 1929, car celui-ci n'a rendu l'arbitrage obligatoire que pour les litiges juridiques. En ce qui concerne le règlement des différends de nature politique, et sous réserve de ce qui a été dit touchant l'obligation pour les arbitres de statuer conformément au droit, le progrès est également significatif par rapport aux accords de Locarno. Dans ce système, ainsi que cela a été dit, il n'y a rien si, après l'échec de la Commission de conciliation, le Conseil de la S. D. N. n'a pu parvenir à établir un rapport unanime. Sous le régime du seul Pacte de la S. D. N., une fissure est alors ouverte à la guerre légale du fait de la division du Conseil en deux camps (art. 15, § 7). Le Pacte de Paris, portant interdiction du recours à la guerre, n'a bouché cette fissure que théoriquement, mais tant que ne sera pas réalisée la mise en harmonie du Pacte de la S. D. N. avec celui de Paris, les sanctions générales du Pacte de la S. D. N. ne pourront jouer. Qu'au contraire les signataires de Locarno adhèrent aussi à l'Acte général et alors une chance supplémentaire de règlement pacifique des litiges de nature politique leur est offerte, mais aussi en cas de guerre engagée en violation de cet Acte, cette violation tombe, au titre des articles 12 et 13 du Pacte de la S. D. N.. sous le coup des sanctions collectives.
Ce n'est. pas tout encore. Eu égard au caractère éminent d'engagement international « qui appartient au Pacte de Paris et fait tomber les faits constitutifs de sa violation sous l'emprise de l'article 36 du statut de la Cour de la Haye, eu égard encore à l'article 41 de l'acte général d'arbitrage qui soumet à la même Cour les différends relatifs à l'interprétation ou à l'application de l'Acte général, y compris ceux relatifs à la qualification des litiges et à la portée des réserves éventuelles, la Cour de la Haye serait qualifiée pour, sur la requête unilatérale d'une nation victime, signataire de ces instruments. constater les faits d'agression ou d'hostilités commis par une autre en violation de ces instruments ou de l'un d'eux. Elle pourrait aussi ordonner le cas échéant, soit des, mesures provisoires, soit des réparations adéquates.
Une pareille éventualité n'offre pas évidemment les mêmes garanties immédiates de sécurité que le Protocole de 1924. La machinerie juridique actuellement en vigueur est plus complète. Mais, dans le Protocole, on s'était attaché à faciliter au maximum, non seulement la prévention des agressions par le Conseil, mais la détermination de l'agresseur par une série de présomptions aussi auto-
matiques que possible, et encore à organiser à l'avance et de la manière la plus prompte l'action collective contre l'Etat qui refuserait de soumettre un différend à l'arbitrage ou d'exécuter la sentence rendue.
Cependant en transportant vers une Cour de Justice, dotée d'autorité mondiale, le pouvoir suprême de définir éventuellement l'agression et désigner l'agresseur à l'opinion universelle, le Pacte de Paris et l'Acte d'arbitrage, loin de diminuer l'autorité du Conseil, dégagent d'autant plus clairement ses responsabilités dans une crise internationale. Une répartition plus exacte des compétences se dessine à la Cour de Justice de dire le droit, au Conseil d'en prévenir la violation et s'il le faut de maintenir le bon ordre, d'assurer la force exécutoire des arrêts de justice, par l'action collective des Membres de la Société.
Il reste beaucup à faire pour que l'arbitrage généralisé soit contrôlé comme il doit l'être dans une société internationale digne de ce nom. Mais tel qu'il est, avant même d'être complété par un Acte général de sécurité, l'Acte général d'arbitrage est dc nature à favoriser la réussite de la conférence de désarmement de 1932. Les nations seront d'autant plus disposées à accepter la limitation traditionnelle de leur souveraineté en matière d'armements, qu'elles seront en présence d'engagements plus précis de déférer au juge ou à l'arbitre les litiges jusqu'alors soumis à la force. Qui veut se réserver le recours à la force comme ultima ratio, ne peut inspirer la même confiance. Il ne peut réclamer la parité des armements, celui qui n'offre pas la parité des engagements d'arbitrage. La France a prouvé qu'elle prenait au sérieux les travaux du Comité d'arbitrage et de sécurité. Il serait souhaitable que l'Acte d'arbitrage et aussi les autres travaux relatifs à la sécurité deviennent, avec le concert unanime, la plateforme de l'organisation du monde. Le succès de la conférence de 1932 en serait mieux assuré. René Cassin
Professeur à la Faculté de Droit de Paris
Délégué de la France aux Assemblées de la S. D. N.
La Crise agraire
dans l'Europe orientale
i
Après avoir accusé les récentes et multiples barrières douanières nées du morcellement de l'Empire habsbourgeois d'être la cause du marasme commercial, va-t-on les justifier en obligeant les nouveaux Etats pour vivre à se grouper derrière un mur commun, à s'industrialiser artificiellement et rapidement sans l'Europe Occidentale, donc contre elle ? Dans son discours de Genève du 17 janvier, M. Marinkovitch, diplomate clairvoyant et précis, l'a nettement laissé entendre.
Il y a pour les vieux Etats bien assis de l'Ouest une hypothèse encore pire, c'est que cette nécessité de s'organiser en autarkie s'effectue non pas sous la direction des rois et des intellectuels, nourris à la sève humaniste romaine, parisienne, oxfordienne ou genévoise, mais que les perturbations nées de la misère bolchevisent en fait ces Etats, en attendant que la bolchevisation de droit vienne logiquement à sa suite.
Le Bolchevisme, réalisation moderne du rêve de Pierre le Grand forme contemporaine du Mercantilisme va-t-il couvrir l'Europe, la grignoter d'Est en Ouest ? Paresse, égoïsme, étroitesse de vues, enchaîneront-elles les filles aînées de l'Europe ?
Tel est à notre avis, par-dessus les sacs de blé et les taux des tarifs, le sens qu'il faut attacher aux demandes que progressivement, avec sûreté et continuité, les Etats ruraux de l'Est ont successivement adressées à la communauté européenne. Il faut en chercher les origines dans la transposition économique de la Petite Entente dont la dernière conférence importante, se tint à Illidjé (Yougoslavie), en juin 1929. L'opinion mondiale et les gouvernements furent alertés par la
conférence des huit (1) à Varsovie le 28 août 1930. Les résolutions en furent soumises et discutées devant la deuxième commission de la Société des Nations, qu'elles ont au vrai presque totalement absorbée. Précisées du 18 au 21 octobre par la conférence de Bucarest en ce qui concerne le crédit agricole, par la réunion à Varsovie, en novembre, d'un commission d'experts elles sont passées au premier plan des préoccupations de la commission d'études pour l'Union europénne qui, du 16 au 18 janvier 1931, dans sa première réunion à Genève et en liaison avec la commission d'experts présidée par M. Di Nola, convoqua pour le 23 février à Paris la conférence des représentants des pays importateurs et exportateurs de céréales (2), et pour le 26 une deuxième conférence chargée d'étudier la répartition future des excédents éventuels (3). Verrons-nous donc, à la Conférence internationale du blé pour 1931 à Rome, les agrariens de toute l'Europe présenter un front uni aux producteurs d'Outre-Mer ? (4).
L'opinion et la presse sont restées relativement insensibles, pour ne pas dire indifférentes, devant cette cascade de réunions aux titres longs et rébarbatifs et dont l'intérêt échappe à cause de la brièveté et de la discursivité des informations. Si les journaux y ont fait quelque allusion, ce fut plutôt pour traduire l'inquiétude a priori de quelques gros intérêts. Et pourtant la seule énumération suffit à en faire l'événement diplomatique pratiquement le plus riche de promesses, comme le plus significatif de l'année. L'Economiste pourrait-il dédaigner cet effort d'entente internationale agrarienne qui a l'originalité d'être la première tentative sérieuse en Europe de compromis entre les intérêts industriels et ruraux.
L'opposition Europe agricole de l'Est, Europe industrielle de ]'Ouest a soulevé de justes protestations et il ne peut y avoir qu'unanimité pour substituer à cette formule brutalement inexacte, celle (1) Roumanie, Yougoslavie, Bulgarie, Hongrie, Tchécoslovaquie, Pologne. Lettonie, Estonie.
(2) Toute l'Europe y était représentée sauf l'Albanie, le Portugal et la Norvège. (3) Celle-ci ayant un caractère plus commercial que la première ne groupait que 11 Etats Allemagne, Autriche, Belgique, Grande Bretagne, Estonie, France, Italie Norvège, Suisse, Tschécoslovaquie, Yougoslavie. Mais les puissances non représentées y avaient leurs observateurs.
(4) Ajoutons qu'au préalable depuis le 9 février une délégation étudie pour le comité financier de la Société des Nations la question du crédit agricole.
plus longue mais plus précise de Europe exportatrice de produits agricoles et Europe principalement exportatrice de produits industriels.
Le lecteur nous sera reconnaissant de lui présenter ces tableaux statistiques, dont les chiffres se passent de commentaires
TABLEAU 1
Pourcentage en 1929
a) de la population occupée àl'agriculture, à la pêche, aux mines, carrières.
b) des produits agricoles et d'animaux vivants matières premières dans les exportations.
c) des produits manufacturés dans les exportations et importations.
a b e
De la populo occupée d l'Agri- Des produits agri- Matières premi8- Des produits monufacturés ~tnre,FMe,Mine.,Carr~ ~-ulee eL animans res dans les exportckzionb importations vivants esportatione ~caportaüons im portat.ions Bulgarie 82,6 (1925) 28,9 63,1 7,9 67,6 Estonie 66 (1922) 38,7 30,1 31,2 42,6 Grèce. 53,9(1928) 34 64 2 37,5 Hongrie 59,3(1920) 66,3 3 13,1 20,2 47,2 2 Lettonie. 68,3(1925) 23,7 7 43,2 2 33,1 42 Lithuanie. 79,4 (1923) 41,5 5 51,5 6,9 54 Pologne. 76,6 (1921) 33,4 47 19,6 45,5 Yougoslavie., x (1930) Il 49,6 44,1 1 8,7(1929) 72,7 Roumaine 79,7 (1925) 49 a; II x )l 72 Les industries de bois contreplaqué et de papier expliquent pour la Lettonie et l'Estonie les chiffres qu'on lit dans la colonne 3.
U. R. S. S 92,8 (1926) II 24,6 64,2 2 11,2 35,6 L'opposition de structure avec les pays industrialisés de l'Europe occidentale ressort pleinement à la lecture des chiffres suivants.
Tchécoslova-
quie 43 (1921) 11,7 16,8 71,5 31,3 France. 42 (1921) 10,4 23,8 64,6 13,9 9 Allemagne 33,7 (1929) 5,2 18,5 69,2 16,2
Pour tous ces pays de l'Est européen, la vente des produits du sol et du sous-sol est directement la condition de toute aisance. L'agriculture y est en toute exclusivité, l'alma mater, et les chiffres de la colonne 4 permettent de mesurer d'un coup d'oeil tout l'intérêt que les industries de l'ouest ont à ce qu'elle soit prospère.
L'importance de la culture des céréales dans cette agriculture se dégage au premier coup d'œil sur le tableau II, auquel nous avons ajouté les pommes de terre qui, dans l'économie rurale de la partie nordique de l'Europe orientale, tiennent la place occupée par le maïs dans l'Europe méridionale.
TABLEAU II
a pourcentage de la surface arable ensemencée pour 1926.
b Excès des importations (-) ou des exportations (+) en milliers de quintaux.
Bulgarie Hongrie Pologne Roumanie Yougoslavie
Blé. a 30 27 6 27 28 b + 430 +5,050 –1,230 +2,340 +2,290
Seigle a b 5 5 13 26 190 -f 3 3 b +50 +1,870 + '1,330 + 190 + 70
Orge a 6 8 7 13 6 6+3,470 + 330 +1,220 +4,750 ?
Avoine a 4 5 14 9 6 b + 330 + 50 + 580
Maïs. a 17 19 33 33 b + 1,420 + 1,150 230 + 6,710 + 7,150
Pommes de terre a 5 13 2 4 b b + 600 + 1,530 + 10 + 30
Le tableau III nous permet de voir que l'absorption des excédents exportables de l'Europe orientale est une question d'organisation commerciale et de bonne volonté « politique ». Les seuls besoins des voisins y suffiraient et nous avons à dessein omis la Scandinavie, la Suisse, l'Italie et le Nord ouest européen.
TABLEAU III
Excès d'importations (-) sur les exportations (-)-) pour 1926 en milliers de quintaux.
Blé Seigle Orgo Avoine Mats po
da teae
Grèce. 5,520 270 70 200 140 Autriche. 6,320 1,080 770 860 1,430 690 Tchécoslovaquie. 5,640 1,920 + 690 260 2,880 210 Allemagne 17,180 1,930 10,630 1,790 5,480 2,300 France 10,050 48D 530 910 5,480 + 160 Finlande. 1,340 1,760 20 130 160 Estonie 2is0 470 60 120 +190 L ettonie. 480 610 30 80 10 Lithuanie. 10 50 + 30 + 60 + 10
en lei)
Blé 70,U(JO 31,000 Seigle 42,000 18,000 Orge 40,000 17,500 Maïs. 38,000 20,000 I-laricois 160,000 59,000 Colza 55,000 15,000
Il est aisé de comprendre pourquoi l'effondrement des cours des denrées agricoles et, malgré les prix de débacle, l'impossibilité de vendre ont mis les pays de l'Est européen dans une situation pour laquelle le qualificatif d'angoissante n'est que juste. En se prolongeant il est évident qu'elle tournerait en catastrophe.
L'abondance de la récolte avait dès 1929 abaissé les prix, mais de novembre 1929 à novembre 1930 la chute a été verticale. Voici le tableau que publiait récemment l'Union des Chambres de Commerce de Roumanie et où sont indiqués les prix par wagon des divers produits agricoles au premier novembre 1929 et au 1er novembre 1930.
Conclusion le prix du blé a baissé de 51,4 celui du seigle de 56, 4 celui de l'orge de 56,2 celui du maïs de 48 %,des haricots de 62 du colza de 80, 5
Tandis que le blé se payait en France 150 frcs grâce au droit véritablement protecteur de 16 frcs-or, en décembre 1930, il était à
Bucarest à 50 frcs et sans acheteur. Après relèvement, le quintal de blé valait en moyenne sur le marché mondial 62 frcs notre droit sur les blés pouvait donc être évalué alors à 125 (1). Les conséquences de cet effondrement des prix de vente et de l'engorgement du marché sont faciles à deviner. En Roumanie, où la crise est la plus aiguë, le revenu brut moyen annuel d'une exploitation paysanne est de 100 $, rémunération équivalente à celle de la quinzaine d'un ouvrier non qualifié aux Etats-Unis. Au point de vue de la capacité de consommation et d'achat, une unité consommatrice de l'Europe danubienne comparée à celle de l'Amérique est donc dans la proportion de 1 à 25. On devine tout ce que les industriels de l'Europe occidentale perdent à cet état de choses la Yougoslavie, ayant exporté pour un milliard de dinars en moins en 1930 par rapport à 1929, a naturellement diminué ses achats, dans lesquels l'industrie tchécoslovaque tient le premier rang, de 635 millions et, sans les crédits qui la soutiennent, le déclin de l'importation serait plus accusé. Encore était-elle de toutes la moins touchée 1
En Roumanie la moitié des commerçants ont suspendu leurs paiements et l'encombrement des carrières d'employés et de fonctionnaires constitue un danger social.
En Pologne, où le kilomètre carré de sol arable doit nourrir 57 habitants (2), la misère a arrêté net le bel essor des années 1927-1928.
Les causes sont triples la première, permanente et universelle dans sa portée, donc la plus importante, est sans conteste la concurrence des pays d'Outre mer. Si, alors que la population du globe n'a augmenté que de 15 de 1913 à 1928, l'indice de production du blé a augmenté de 22 sur l'avant-guerre et de 13 de 1926 à 1928, la raison doit en être cherchée moins dans les petites augmentations d'emblavures de l'Europe danubienne et dans les progrès techniques des cultivateurs français et italiens que dans l'accroissement rapide et presque disproportionné des surfaces cultivées au Canada, en Argentine, aux Etats-Unis, en Australie. Malgré la cherté de tout ce dont a besoin l'agriculteur dans ces pays de protectionnisme élevé, les facilités de la culture et l'usage intégral de la machine lui ont permis des rendements inférieurs à l'hectare certes, mais croissants en quan(1) L'ascension de notre droit vaut d'être notée de 5 Ires sous Méline à 7 frcs en 1913, à 16 frcs maintenant.
(2) France 39 Allemagne 36 Danemark 34.
tité. La dépression des prix n'a pas enrayé le mouvement car le « Pool canadien et le « farm-board » des Etats-Unis se sont prodigués en efforts difficiles et coûteux qui furent momentanément efficaces-mais que le Pool canadien a abandonnés le premier depuis quelques mois, pour se débarrasser de stocks dont la présence interdit, on s'en doute, tout espoir de reprise. On peut même affirmer que c'est cette politique d'arrêt de la vente devant la tendance à la baisse qui, déterminant l'accumulation continue des stocks, doit être rendue responsable de la transformation brutale de la baisse en chute verticale. Comme si on pouvait lutter contre la marchandise, comme si des mesures artificielles pouvaient avoir un effet durable contre la trop grande abondance en dehors des diminutions délibérées ou accidentelles de la production
La dépression accentuée des prix permet, à égalité de prix et de qualité, à ces blés exotiques de vaincre sur le marché européen les céréales danubiennes à cause de la cherté et de la relative lenteur des transports par fer et par eau en Europe.
La seconde cause -nouvelle celle-ci mais appelée à être durable et à portée universelle a plus particulièrement touché l'Europe Orientale a raison de sa situation géographique. L'afflux massif des produits soviétiques de bonne qualité, systématiquement offerts à des prix toujours plus bas (1) orientant le marché par des ventes à termes, a été le coup de grâce quia transformé la baisse en effondrement. Par Stamboul, sous pavillon britannique, grec, allemand, italien, de juillet à avril, le tonnage du blé russe transporté est passé de 65.200 tonnes à 354.600 et maintenant en septembre à 360.000, les 90 étaient à destination du Royaume-Uni. Cette invasion continue s'étend à tous les produits. Elle était déjà sensible au milieu de l'été 1930 pour le bois et ses dérivés, le lin, la colle etc.. En vain les délégués des pays de l'Est, les premiers touchés, ont-ils signalé le péril dès septembre devant la S. D. N. En vain la Commission permanente des associations agricoles près de l'Institut international d'Agriculture a-t-elle, dès octobre, unanimement protesté contre le dumping soviétique. Le seul gouvernement français, en la personne de M. Flandin, prit par le décret du 3 octobre 1930 des mesures, imposa des licences d'importation aux produits d'origine russe. Depuis les gouvernements roumain et canadien ont suivi notre exemple. Nous savons que le procédé est souvent inefficace et la France n'en restera certainement pas là. Mais que dire de l'indifférence de la (1) de 10 à 15 pour les blés type Manitoba de première qualité.
plupart des autres gouvernements ? Evidemment le seul port de Cardiff en septembre avait 24 vapeurs et 50 cargos loués pour le trafic du grain russe à raison de 3 shillings à 3,6 par tonne et par mois pour la Mer Noire et de 5 pour Arkhangel et la mer de Kara I
Mais accepter de bénéficier des procédés criminels par lesquels le gouvernement de l' U. R. S. S. peut ne pas se soucier du prix de revient, n'est-ce pas détruire toute raison d'être à la civilisation blanche ? N'est-ce pas démontrer que le christianisme a été complètement rasé par le « spiritus capitalicus » ? N'est-ce pas enlever par avance toute base aux sacrifices exigés par les luttes de l'avenir ? Les pays créanciers de la Russie ne pourraient-ils pas charger du commerce des matières qu'ils ne produisent pas un organisme seul autorisé à trafiquer avec la Russie ? Celui-ci vendrait les produits à des prix normaux et les bénéfices iraient aux porteurs de fonds russes Quoiqu'il en soit, la réapparition de l'U. R. S. S. sur les marchés d'exportation est un fait qui change toutes les données du commerce européen si on veut bien considérer les disponibilités déjà formidables de cet immense empire (1).
Ces causes de la crise sont plus sensibles aux nouveaux Etats de l'Est pour des raisons géographiques et particulières, mais elles intéressent tous les ruraux où qu'ils soient, en raison de leur permanence. Pour la France par exemple – et l'Italie, l'Espagne sont dans le même cas la distribution et la nature des terres comme la structure sociale de nos nations, obligent la culture à devenir de plus en plus intensive. Et le progrès technique n'est pas précisément générateur de bon marché. Le progrès mécanique et la culture extensive aujourd'huid'outre mer, demain de l'U. R. S. S. leur permettront d'écraser notre paysannerie. L'exemple anglais nous suffit l'union des agrariens d'Europe est nécessaire au salut de ces masses paysannes productrices d'hommes, conservatrices d'énergie et de santé. Passons aux causes locales les récentes réformes agraires, et l'inorganisation du Crédit agricole ceci procédant de cela -expliquent que les pays de l'Est européen aient offert moins de résistance, et aient les premiers porté devant l'opinion mondiale le contraste d'une consommation insuffisante, d'un travail misérablement rémunéré, au milieu des richesses réelles que la terre leur prodigue. (1) en 1929, l'U. R. S. S. couvrait 21.176.000 kilomètres carrés dont seulement 4 étaient cultivés en céréales et pommes de terre, soit 889.000 kilomètres carrés et pourtant déjà, malgré le niveau inférieur de l'ensemble de la culture,les 153.956.000 habitants disposaient de 201.000.000 quintaux de blé, de 202.200.000 de seigle, 73.500.000 d'orge, 166.100.000 d'avoine, 42.100.000 de mais, 400.000.000 de pommes de terre.
C'est que l'insuffisance de leur pouvoir d'achat ne serait pas dissipée par le seul écoulement d'une récolte excédentaire. L'obtention de prix rénumérateurs nerésoudrait pas la crise si elle n'était précédée d'une organisation du crédit agricole qui ne peut nécessairement être qu'internationale. Déjà en pleine année de prospérité, le 7 mai 1927, à la tribune de la Réformation devant la Conférence économique Internationale, M. Seeror, délégué yougo-slave, se plaignait que « Le crédit agricole revient très cher, spécialement dans l'Europe de l'est et du sud-est où il n'existe aucun établissement de crédit hypothécaire convenablement organisé qui puisse fournir des avances en quantité suffisante et où, par suite, la production agricole est obligée d'avoir recours à des crédits en banque à court terme avec taux d'intérêt élevé.
« C'est à cette forme de crédit que sont dus les frais très élevés de production, et, si l'on considère en outre le fardeau considérable que représentent les impôts dans les pays en question, on comprend aisément que la population agricole ne puisse réaliser aucun bénéfice net ou du moins que les rares bénéfices qu'il lui est possible d'obtenir soient minimes. Par suite, il est impossible à cette population agricole de créer au moyen de l'épargne le capital indispensable pour développer la production agricole ».
Est-il besoin de dire qu'il n'y a de changé, depuis, que la lourdeur du fléau ? Le paysan est tombé de la servitude du locataire dans celle du débiteur et pour des sommes qui dépassent le plus souvent la valeur de sa terre. En Roumanie, particulièrement atteinte, le taux ordinaire est de 18 et ceux de 25 à 40 ne sont pas exceptionnels. Il faut en chercher la cause dans ce fait que les emprunts ont été conclus au moment de l'inflation et que le paysan doit maintenant rembourser avec une monnaie stabilisée. Si on se rappelle que la plupart de ces paysans sont libres et propriétaires de fraîche date et artificiellement, donc sans avoir acquis la prudence et le capital d'exploitation nécessaire, on comprendra aisément qu'ils sont aujourd'hui l'image vivante du paysan romain retour des guerres. Par ailleurs et surtout l'Etat, récent lui aussi, sorti avec peine des difficultés financières et politiques, n'a pas encore eu le temps de lui venir en aideL'inorganisation du crédit à long terme aggrave cette situation. En Pologne par exemple le capital investi dans le sol par l'intermédiaire des banques et des associations de crédit foncier, atteint actuellement 67 millions de $, c'est-à-dire à peine 13 du capital placé avant la guerre. La variété des établissements qui émettent des obligations foncières leur enlève tout crédit à l'étranger, mais
l'unification des types de ces titres suppose un institut central qui est encore à créer.
En Roumanie les prêts en lei à court terme varient entre 14 et 16 et pour ceux en monnaie étrangère entre 9 et 12 Les prêteurs particuliers et les petites banques qui y sont innombrables vont jusqu'à percevoir 25 à 30, à raison de 2 ou 3 par mois. La Banque nationale prêtant à 9 les grandes banques chargées du personnel nombreux qu'exige le contrôle absolu et suivi de toutes les opérations, ainsi qu'il convient quand la situation de la place est mauvaise, se limitent à une clientèle de choix et demandent du 14 ou du 15. Les lois qui protègent le débiteur ne sont pas faites pour changer cet état de choses. Et dans nul pays du monde une affaire ne peut bien marcher si son capital est grevé de 30 d'intérêts.
L'étude des causes de la crise nous conduit donc à la même conclusion que celle que suggère l'exposé de ses manifestations, de son ampleur et de ses conséquences. Ce n'est pas une crise qui ne touche que ceux qui en souffrent elle est la manifestation la plus brûlante de la crise de l'agriculture mondiale, cause et origine de la crise tout court. Si elle est directement européenne par les virtualités politiques et sociales qui en peuvent dangereusement sortir, elle est mondiale par ses causes. La solution intéresse tous les ruraux, où qu'ils soient, même au Manitoba. Elle est la pierre de touche de la solidarité européenne. Il est heureux que le premier projet de sa concrétisation politique ait franchi les premières réactions de l'ironie, des railleries ou des égoïsmes dérangés, avant qu'une question précise vînt s'offrir aux délibérations. Les Conférences de ces derniers jours ont été réunies à temps.
L'opinion alertée comprendra-t-elle assez vite pour accepter les arrangements que les gouvernants doivent élaborer en conformité avec les rapports et protocoles des dernières assemblées ? Et surtout les adhésions de principe données avec lenteur mais enfin données par les représentants de gouvernements qui se sont toujours montrés peu pressés pour les réalisations pratiques proposées par les experts seront-elles respectées ? Les gouvernements resteront-ils fidèles aux déclarations de leurs délégués ?
La vision du danger est-elle assez précise pour que ne se renouvelle pas, à propos du blé danubien et du crédit agraire, la comédie à laquelle nous assistons depuis que la Société des Nations existe, qu'il s'agisse de statistique ou d'opium ? Sans quoi il faudra bien se résigner à ce que l'Europe devienne misérable ou cosaque, peut-être les deux à la fois. Jean Morini-Comby, Agrégé de l' Université.
LA VIE DIPLOMATIQUE
Ephémérides internationales
Janvier 1931 1
1er. Proclamation, par le président Hoover, de l'entrée en vigueur du traité naval de Londres, signé par les Etats-Unis, l'Empire britannique et le Japon.
Dénonciation de la convention ferroviaire roumano-hongroise. M. Vénizélos à Varsovie.
2. Mouvement révolutionnaire à Panama.
3. Mort du maréchal Joffre, à Paris.
Démission du président Chacon, au Guatemala, remplacé par le général Orellana.
Arrivée de M. Vénizélos- Vienne.
4. Arrivée de sir Eric Drummond à Santiago de Chili. Mort de la duchesse douairière de Fife, sœur du roi d'Angleterre. 5. Election du Dr Salamanca comme président de la République bolivienne.
7. Arrivée de M. Vénizélos à Rome.
Publication de l'Encyclique « Casti connubii» datée du 31 décembre 1930.
9. Société des Nations 14e session de la commission consultative de l'opium.
Signature, à Londres, d'un traité d'amitié et d'arbitrage et d'une convention commerciale entre la Perse et la Grèce.
Arrivée de M. Albert Thomas à Prague.
10. Manifeste des partis catholiques européens enfaveur de la paix.
11. Création d'une légation de Yougoslavie à Tokio.
Message du président de la République d'Autriche au peuple américain.
12. Mémorandum du Bureau International du Travail à la commission d'Etude pour l'Union européenne.
Arrivée de sir Eric Drummond à Lima.
15. Renouvellement, à Genève, du traité de garantie polonoroumain du 26 mai 1926.
Ouverture de la vingtième session de la Cour permanente de justice internationale.
16. Réunion, à Genève, de la commission d'Etude pour l'Union européenne.
17. Signature, à Ankara, de la convention commerciale turcotchécoslovaque.
18. Célébration, en Allemagne, du 60e anniversaire de la fondation de l'Empire.
19. Ouverture, à Genève, de la 62e session du Conseil de la Société des Nations.
Clôture de la Conférence panindienne.
Réunion, à Paris, du Conseil du Bureau international des Expositions internationales.
20. Signature, à Vienne, du traité de commerce austro-allemand. Arrivée de sir Eric Drummond à Panama.
21. Ouverture, à Berlin, de la Conférence internationale annuelle de navigation aérienne.
22. Démission du Cabinet Steeg à Paris.
24. Clôture de la 62e session du Conseil de la Société des Nations. Règlement du différend germano-polonais au sujet de la minorité allemande en Haute Silésie.
25. Arrivée du comte Bethlen à Vienne.
Visite des souverains yougoslaves à Zagreb.
26. Signature, à Vienne, du traité austro-hongrois d'amitié, de conciliation et d'arbitrage.
27. Constitution du Cabinet Laval à Paris.
28. Ratification, par la Diète polonaise, de divers accords avec l'Allemagne de la convention commerciale polono-française d'avril 1929 du traité de commerce et de navigation polono-letton. 31. Ouverture, à Salonique. de la session du Conseil de la Conférence balkanique.
Février 1931
2. Clôture de la session du Conseil de la Conférence balkanique.
4. Démission du Cabinet Strandmann à Tallinn.
Arbitrage du roi d'Italie dans le différend entre la France et le Mexique au sujet de l'attribution de l'île Clipperton (Pacifique). Arrivée de sir Eric Drummond à New-York.
5. Ouverture, à Genève, de la seconde session du Comité d'experts budgétaires.
7. Approbation par le Reichsrat (Berlin) de la convention commerciale de Genève.
Enregistrement des accords navals de Londres au secrétariat général de la Société des Nations.
Mort de M. Tittoni à Rome.
8. Vote populaire, en Suisse, du projet renforçant l'article de la Constitution fédérale qui interdit aux autorités, fonctionnaires, etc., d'accepter des pensions, traitements, titres ou décorations des gouvernements étrangers.
Fin des élections aux Soviets locaux en Russie.
9. Election du général Ubico comme président du Guatemala. Ouverture, à Plzen, de la Conférence polono-tchécoslovaque pour l'élaboration du statut frontalier.
11. Constitution, à Tallinn, du gouvernement présidé par M. Constantin Pats.
12. Inauguration de la station radiophonique du Vatican.
14. Démission du gouvernement présidé par le général Berenguer, à Madrid.
16. Ouverture, à Bucarest, de la première session du Comité permanent d'études économiques des Etats de l'Europe centrale et orientale.
Election de M. Svinhufvud comme président de la République de Finlande.
17. Séance 'plénière du Comité économique de la Société des Nations.
18. Constitution du Cabinet Aznar, à Madrid.
19. Accord général sur le règlement de le dette de l'ancienne monarchie austro-hongroise.
Clôture de la Conférence frontalière polono-tchécoslovaque. 20. Clôture des travaux du Comité économique de la Société des Nations.
Attentat, à Vienne, contre le roi d'Albanie, Zog Ier.
21. Prorogation de la convention commerciale provisoire germano-roumaine.
22. Arrivée du prince de Galles à Santiago de Chili.
Clôture de la vingtième session de la Cour permanente de Justice internationale.
23. Ouverture, à Paris, de la première Conférence des pays européens exportateurs et importateurs de céréales.
Ouverture, à Genève, de la deuxième session de la Conférence internationale pour l'unification du droit en matière de lettres de change.
Arrivée à Paris de MM. Henderson, Alexander, Craigie et Selby, en vue de poursuivre les négociations relatives au programme de constructions navales.
25. Arrivée à Rome de MM. Henderson, Alexander, Craigie et Selby.
Clôture de la première Conférence des céréales.
26. Ouverture, à Paris, de la seconde Conférence européenne des céréales.
27. Ouverture, à Moscou, de la session du XVe Congrès panrusse. 28. Conclusion d'un accord de principe entre les ministres anglais et italiens sur la question du désarmement naval.
Nominations
Allemagne. – Le conseiller intime von Moltke, ministre à Varsovie M. Trautmann, directeur des Affaires orientales au Ministère des Affaires étrangères, ministre à Pékin M. Horstmann, ministre à Lisbonne le comte von Ow-Wachendorff, ministre à Luxembourg M. Schwoerbel, ministre à Kaboul le conseiller de légation Ziemke, consul à Beyrouth.
Le ministre de Pologne à Berlin, M. Alfred Wysocki, a présenté le 13 février, ses lettres de créance au président Hindenbourg. Argentine. M. Angel Casares, ministre à Bruxelles le Dr Ghiraido, conseiller d'ambassade à Lima M. Alfredo Mendez, consul général à Paris M. Alejandro del Carril, consul général à Leipzig M. Carlos Laeser, vice-consul à Stettin Rafaël Caudel, vice-consul à Guayaquil M. André Zwoff, consul à Lwow.
Autriehe. M. Knaffl Lenz, ministre à Buenos-Aires et à Montevideo.
Belgique. M. Miltiade Deirmendjoglou, agent consulaire à Co-
motini (Grèce) M. Paul N. Zouliamis, agent consulaire à Xanthie (Grèce) M. Pierre, consul à Prague.
Brésil. Le Dr José Carlos de Macedo Soares, ambassadeur à Buenos-Aires M. Joao Ruiz Barbosa, secrétaire d'ambassade à Buenos-Aires M. Mario de Lima Barbosa, secrétaire à Paris. Colombie. -Le Dr Carlos Largacha Manrique, secrétaire à Caracas M. Victor Londono, consul général à Paris M. Luis Tamaya Alvarez, attaché à Bruxelles M. José Luis Araujo, chargé d'affaires à Bruxelles, est accrédité dans la même qualité aux Pays-Bas. Equateur. – Le Dr Rafaël Elizalde, ministre à Santiago de Chili. Espagne. – M. Fernando Gonzales Arnao, ministre à Quito M. Antonio Maria Aguirre y Gonzalo, secrétaire à Riga M. José Gonzales de Gregorio y Arribas, secrétaire à Santiago de Chili M. Joaquim de Pereira y Ferran, consul général à Salonique M. Felipe Campuzano y Calderon, secrétaire à Paris M. Manuel Viturro y Somoza, secrétaire à Constantinople M. Thomas Maycas y de Meer, secrétaire à Budapest le vicomte de Fefinanes, premier secrétaire à Paris M. Rafaël de Maguiro y Pierrad, secrétaire à Paris.
Estonie. M. Charles Tofer, ministre à Prague M. Schmidt, ministre à Rome.
Etats-Unis. -M. Tevis Huhn. vice-consul à Paris M. Alfred Jones, vice-consul à Berlin.
Finlande. M. Pontus Artti, ministre à Rome.
France. M. Charles-Arsène Henry, ministre à Ottawa le chef de bataillon d'aéronautique breveté Masnou, attaché militaire en Grèce et en Albanie.
Grande-Bretagne. M. Claud Russel, ambassadeur à Lisbonne sir Francis Lindley, ambassadeur à Tokio.
Grèce. M. Metaxas, ministre à Rome M. Xydakis, ministre à Prague M. Constantin Nicolaïdis, consul suppléant à Anvers. Guatemala. Le marquis Francisco de Campou Grimaldi, consul
à Marseille M. Axel Jonson, consul à Gothembourg M. Alberto Galindo, consul général en Roumanie avec résidence à Timisoara. Hongrie. M. Arita, ministre du Japon à Vienne et à Budapest, est reçu en audience par l'amiral Horthy, régent de Hongrie. Italie. – Le comte Durini, ambassadeur à Madrid M. Cora, ministre à Sofia M. Piacentini, ministre à Santiago de Chili le comte Viganotti, ministre à Mexico M. Galandi, ministre à Kaboul M. Sommonte, ministre à Buenos-Aires M. Meriano, consul général à Rabat M. Massimo, consul général à Buenos-Aires M. Guido Coli Bizzarrini, consul à Liège.
Paraguay. M. Marcelino Gallano, consul général à Montevideo. Pérou. Le Dr Emilio Barreda Laos, ministre à Buenos-Aires M. Emilio Ortiz de Zevallos, chargé d'affaires à Rome M. Augusto Dorca, secrétaire à Bruxelles.
Perse. M. Mirza Yadegli Khan, ambassadeur à Ankara M. Fathollah Khan Pakrevan, ambassadeur à Moscou.
Pologne. M. Alfred Wysocki, ministre à Berlin M. Xavier Zaleski, secrétaire à Bruxelles.
Portugal.-M. de Castro,ministrc à Rome; M. Alberto d'Oliveira, ministre à Bruxelles.
Roumanie. Le général de brigade Dumitrescu, attaché militaire à Paris, Madrid et Bruxelles.
Siam. M. Phya Abhibal, ministre à Madrid.
Suède. – M. Carl Gustaf Werner de Heidenstam, ministre à Sofia; M. Günther, ministre en Argentine, au Chili, au Paraguay et en Uruguay.
Tehécolovaquie. M. Maxa, ministre à Sofia M. Feitscher, ministre à Nankin M. Stanislav Velharticky, consul à Skoplie. Turquie. Djemal Husni Bey, ministre à Berne Ali Risa Bey, consul à Skoplie.
U. R. S. S.-M. Petrovski, ambassadeur à Téhéran; M. Levinson. représentant commercial en Italie.
Uruguay. M. Ricardo Hughes, attaché à Berne M. Paul Pereira Quintana, vice-consul à Salta (Argentine) M. Mario Jugurtha Couto, vice-consul à Victoria (Brésil) M. Manuel Ardito, vice-consul à SanAntonio (Chili) M. Carlos Wirth, vice-consul à Budapest M. Orosimbo Basigaluz Susviela, consul à Porto-Alègre.
Yougoslavie.- M. Milojevitch, ministre à Berne le général Pierre Péchitch, ministre à Bruxelles M. Albert Kramer, ministre à Prague M. Bochko Hristitch, ministre à Athènes M. Milorad Straznicki, ministre à la Haye M. Ivan Svegl, ministre à Buenos-Ayres M. Lazare Baïtch, conseiller à Prague.
NOTA Prière d'envoyer au Secrétariat de la Revue toutes les informations se rapportant à la vie diplomatique.
LES ÉTATS ET LEUR POLITIQUE ÉTRANGÈRE
Allemagne (1)
L'année 1930 avait apporté à l'Allemagne l'achèvement des négociations de la Haye, avec les conventions relatives au nouveau plan. Mais, depuis cet événement, la situation économique mondiale avait amené le gouvernement du Reich à exprimer des réserves sur la possibilité d'application de ce plan. Cette attitude se reflète dans les allocutions échangées le 1er janvier entre le général Groener, ministre de la Reichswehr, et le président Hindenbourg, et, sous une forme beaucoup plus appuyée, dans les consultations politiques recueillies à l'occasion du Nouvel An par le Bureau d'informations de l'Association des Editeurs de journaux allemands. « L'année 1931 écrivit Mgr Kaas sera, en politique extérieure, placée sous le signe de l'idée de révision et d'évolution ».
L'opinion publique mit au premier plan du programme de la 62e session du Conseil de la Société des Nations la plainte formulée par l'Allemagne contre la Pologne au sujet du traitement de la minorité allemande en Haute-Silésie, plainte qui donna lieu, dans les milieux nationalistes, à une recrudescence de la campagne en faveur d'une révision des frontières orientales, alors que les journaux de gauche à tendance pacifiste, considérant cette campagne comme intempestive, se demandaient si un compromis obtenu par voie de négociations directes avec la Pologne ne serait pas plus sage et plus opérant que le recours à Genève.
Néanmoins, les résultats obtenus à Genève le vote unanime (24 janvier) du rapport Yoshisawa constatant la réalité des infractions dénoncées et invitant le gouvernement polonais à les réparer avant la session de mai sont regardés comme un succès incontestable pour M. Curtius et pour l'Allemagne, dans presque toute (1) Les divers Etats alterneront chaque mois dans cette section de la revue.
la presse, à l'exception des journaux nationalistes. La situation du ministre des Affaires étrangères, ébranlée à la veille de la session, parut au lendemain de celle-ci solidement affermie.
Le débat sur les minorités s'était terminé à Genève sans que l'Allemagne eût produit une demande de revision des frontières orientales, et ce fut là la principale critique des journaux de droite. On souligna, à Berlin, comme un autre avantage retiré par l'Allemagne de cette session du Conseil, l'accord qui s'y était manifesté entre les représentants du Reich et ceux de l'Italie, encore que celle-ci se fût prononcée contre l'envoi d'une commission internationale en Haute-Silésie.
M. Curtius fit, le 10 février, un exposé de sa politique à l'occasion de la discussion du budget des Affaires étrangères. A la suite de cette discussion furent adoptées
Une motion des partis moyens demandant In constitution d'une commission d'enquête internationale sur les origines de la guerre une motion des mêmes partis invitant le gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour mettre un terme à « la situation menaçante pour la paix de l'Europe qui résulte de la non-exécution des engagements relatifs au désarmement » enfin, par 314 voix contre 56, une motion du groupe chrétien-social et des conservateurs populaires demandant au gouvernement d'engager le plus tôt possible des négociations en vue d'une revision du plan Young et de prendre toutes les mesures de politique intérieure nécessaires pour en assurer le succès.
Quant aux rapports avec la France, le fait le plus caractéristique fut l'intérêt éveillé en Allemagne par un projet sur les dettes et réparations exposé par M. Wladimir d'Ormesson, dans l'Europe Nouvelle du 7 février. Les organes modérés et démocrates y virent une manifestation importante pour l'évolution possible des rapports francoallemands et, si ce projet n'eut de conséquences que dans l'ordre psychologique, il n'en fournit pas moins, de part et d'autre, l'occasion de « faire le point ».
Peu après, avec l'assentiment des autorités politiques, les banques françaises participèrent pour environ 40 millions de marks à une avance sur les actions privilégiées des chemins de fer allemands cédées par le Reich à l'Office national allemand des assurances. Accueillie avec une satisfaction modérée à gauche, cette avance fut interprétée dans le secteur opposé comme rentrant dans la politique de placements extérieurs de la France, donc comme une opération impliquant une contre-partie.
France
L'année 1931 s'ouvre sur un deuil la mort du maréchal Joffre. Evocation pieuse de souvenirs de guerre et aussi des temps héroïques de la solidarité interalliée.
L'heure est maintenant à l'organisation de la paix. M. Aristide Briand, promoteur de l'idée de l'Union européenne, préside la commission d'études réunie le 16 janvier à Genève et s'efforce de traduire la notion morale de solidarité en décisions concrètes. Avec MM. Henderson, Curtius et Grandi il rédige (21 janvier) le « manifeste de la paix » ratifié d'enthousiasme par les délégués des vingt-sept Etats européens présents et dont voici la conclusion
« En notre qualité de ministres des Affaires Etrangères ou de représentants responsables des Etats européens, nous tenons à que nous sommes plus que jamais résolus à nous servir du mécanisme de la Société des Nations pour empêcher tout recours à la force ».
La politique extérieure de la France s'affirme et se développe à Genève en dépit de la crise ministérielle (22 janvier) qui substitue un Cabinet Laval au Cabinet Steeg, mais maintient M. Briand au Quai d'Orsay.
Les entretiens du ministre français des Affaires Etrangères avec son collègue polonais, M. Zaleski, ont préparé l'examen du différend germano-polonais par le Conseil de la Société des Nations et la décision conciliante mais efficace qui clôt cet examen.
En février les rapports avec l'Allemagne sont marqués par la participation d'un groupe de banques françaises à un escompte 'e d'annuités dues au Reich par des compagnies d'assurances allemandes, opération n'intéressant en rien les finances publiques françaises, mais qui n'en soulève pas moins quelque résistance dans certains journaux, tant d'un côté du Rhin que de l'autre.
M. Briand tient à déclarer que le gouvernement, consulté, a approuvé cette opération, considérant une politique d'aide financière à l'Allemagne comme conforme à l'attitude prise par la France à la Conférence de la Haye.
Le 23 février se réunit à Paris la Conférence convoquée en vue de mettre en train la liquidation des stocks de céréales. M. Briand ouvre la réunion en ces termes
« Le véritable enjeu de notre réussite, c'est bien la consolidation de la paix dans cette partie du continent qu'il s'agit de soustraire,
pour longtemps, aux répercussions politiques et sociales d'une crise économique. Aux gouvernements de faire aujourd'hui un véritable geste de solidarité, d'entreprendre effectivement une action dont la portée ne devra pas se mesurer seulement à ses résultats immédiats, mais à l'impulsion lointaine qui peut en résulter, dans l'orientation des esprits, pour le progrès général de la coopération européenne ».
Grande=Bretagne
Malgré la détente provoquée par l'heureuse solution de la question germano-polonaise et par l'organisation de la prochaine conférence du désarmement à la 62e session du Conseil de la Société des Nations, malgré la résolution pacifique votée à l'unanimité par les vingt-sept Etats représentés à la Commission d'études pour l'Union européenne, l'opinion britannique, à la fin de janvier 1931, reste inquiète. En rentrant à Londres le 26 janvier, M. Henderson, secrétaire d'Etat aux Affaires Etrangères, déclarait « Les nerfs ont été tendus. Les problèmes que nous a légués la guerre ne sont pas aussi complètement liquidés que d'aucuns étaient enclins à le penser il y a un an. » Il insistait sur la nécessité de « poursuivre, d'une manière prompte et efficace, l'oeuvre du désarmement. »
De fait, une grande part de l'inquiétude britannique était due certainement à l'impression que la question des armements navals restait en suspens tant que l'accord n'était pas fait entre la France et l'Italie. A plusieurs reprises le rédacteur naval du Daily Telegraph signale les programmes de constructions navales de la France et de l'Italie. Le 4 février, M. Alexander, premier lord de l'Amirauté, déclare que les constructions de l'Empire pendant l'année seront de 46.000 tonnes, alors que la France et l'Italie entreprendront chacune 100.000 tonnes de construction. Il conclut « Si nous ne réussissons pas à obtenir leur adhésion à notre politique de limitation, nous aurons à considérer de nouveau notre position. » Tels sont les sentiments qui expliquent quel qu'en ait été le motif immédiat le brusque départ de M. Henderson et de M. Alexander, le 23 février, pour Paris et Rome. Dès le 28, on annoncait que l'accord était fait entre la France et l'Italie, et la presse britannique considérait ce résultat comme un grand succès La presse conservatrice a continué sa campagne contre le dumping soviétique et le régime de travail forcé appliqué sur les chantiers de
bois en Russie. Interrogé à la Chambre des Communes, le premier ministre déclare qu'il est impossible de demander qu'un fonctionnaire britannique soit admis à faire une enquête sur place aucun Etat souverain n'admettrait pareille procédure. Quelques jours après, le 5 février, lord Ponsonby expose à la Chambre des Lords l'attitude générale du gouvernement à l'égard des Soviets « Le Gouvernement de Sa Majesté a toujours eu l'arrière-pensée d'amener la Russie à faire partie du groupe des nations civilisées. » Et c'est en application de cette doctrine qu'au sein de la Commission d'études pour l'Union européenne M. Henderson avait appuyé, avec seulement quelques réserves, la thèse de l'Italie et de l'Allemagne tendant à inviter l'Union soviétique sans réserves.
Italie
La tendance à une évolution des relations avec la France paraît avoir été le fait caractéristique des premières semaines de l'année. Au moment où celle-ci s'ouvre, la presse italienne (et notamment la Tribuna) mène une campagne assez vive au sujet de la politique thésaurisatrice de la Banque de France. Elle voit dans l'or accumulé par celle-ci un potentiel de guerre et réclame, au nom de l' « intérêt commun », une répartition « plus équitable » du métal précieux en Europe.
Pendant cette même période se poursuit la campagne en vue d'une revision des traités considérée, selon les journaux, non comme un but d'égoïsme national mais comme l'expression concrète d'une « revision des valeurs européennes ».
Le grief fondamental adressé à la France est toujours de faire une politique tendant non au désarmement mais à la cristallisation de l'état de choses actuel.
A la 62e session du Conseil de la Société des Nations, M. Grandi Exposa une fois de plus (20 janvier) la doctrine fasciste sur les rapports entre le désarmement et la sécurité. Combattant la thèse française, il déclara notamment
« La sécurité est un élément dont il faut tenir compte dans la détermination de la mesure du désarmement, mais ce n'est pas une condition préliminaire. Le fait d'avoir transformé cet élément en une condition préliminaire a été la cause des incertitudes et des oscillations qui se sont vérifiées quant aux principes et aux méthodes qui doivent servir de guide dans la solution du problème »
Le 16 janvier s'était réunie à Genève la Commission d'Etudes pour l'Union fédérale auropéenne. M. Grandi réclama dès le premier jour l'admission de la Russie soviétique et de la Turquie aux travaux de la Commission, considérant qu' « une union européenne n'était concevable que si elle était l'union de tous les Etats d'Europe ». L'accueil unanimement favorable que fit la Commission en séance plénière à cette motion appuyée par l'Allemagne fut regardé à Rome comme un succès.
Et la déclaration des quatre ministres des Affaires Etrangères affirmant le maintien de la politique de paix fut saluée par les journaux fascistes comme déjouant les manoeuvres étrangères qui prêtaient à l'Italie des arrière-pensées bellicistes.
La fin de février est marquée par une vive passe d'armes entre journaux français et journaux italiens sur le problème de la parité navale.
Mais déjà des voix s'élèvent pour une amélioration des rapports entre Rome et Paris. La Stampa déclare
« Si l'on tient compte du développement des forces mondiales (bloc anglo-saxon, slavisme et germanisme) il ressort clairement que les destinées de la France et de l'Italie sont indissolublement liées. Est-il donc vraiment si difficile pour ces deux nations latines de dissiper définitivement les malentendus qu'il y a entre elles ? « Il est nécessaire d'arriver à une sincère collaboration entre Rome, Paris et Berlin. »
La dernière semaine de février marquera l'illustration de cette pensée, en réalisant un accord franco-italien sur le terrain de la limitation provisoire des armements navals. La question restera de savoir si ce meilleur aménagement des rapports politiques entre les deux peuples entraînera une rénovation d'atmosphère et de contacts psychologiques sans laquelle les initiatives des gouvernants risquent d'être inopérantes.
Japon
Déclarations du Baron Shidehara, ministre
des affaires étrangères, devant la Diète
(22 janvier)
Le traité naval. – « L'événement qui a exercé l'influence la plus décisive sur nos relations extérieures au cours des douze derniers
mois est la conclusion du Traité naval de Londres. Les ratifications de ce traité ont été dûment déposées le 27 octobre dernier par le Japon, les Etats-Unis et tous les membres du Commonwealth britannique à l'exception de l'Etat libre d'Irlande. Le 31 décembre, l'Etat libre d'Irlande ayant à son tour accompli cette formalité, le traité est entré en vigueur entre le Japon, les Etats-Unis et l'Empire britannique. Son texte complet a été alors publié officiellement la valeur de ses dispositions diverses fut longuement discutée au cours de la dernière session de la Diète, de sorte qu'il est inutile que ces discussions soient rouvertes. Je veux pourtant dire quelques mots de l'effet moral produit par le nouvel accord. Il est vraiment impossible de surestimer la signification du rôle que le Traité de Londres a joué dans la stabilisation de la situation internationale. Il a mis fin à la possibilité d'une compétition entre ces trois grandes Puissances navales pour les forces auxiliaires, compétition que certains indices faisaient craindre depuis plusieurs années. Il a résolu une fois pour toutes un problème compliqué qui avait préoccupé les sphères dirigeantes depuis l'époque de la Conférence de Washington. Il a développé d'une façon notable un sentiment de confiance mutuelle et de collaboration entre les Puissances participantes dans toutes les phases de leurs relations, fait qui, sans aucun doute, ne manquera pas d'être apprécié par tous ceux qui sont en contact avec l'opinion publique dans le pays et à l'étranger. Ce résultat heureux ne peut manquer de faciliter la tâche de la prochaine Conférence navale, qui doit se réunir en 1935. C'est d'une diffusion générale de cette sorte de conscience morale dans l'humanité que doivent dépendre, en dernière analyse, la paix et le progrès du monde. La Chine et la guerre civile. « Au cours des mois de mai et de juin derniers, le théâtre de la guerre civile en Chine commença à s'étendre à la province de Shantoung les résidents japonais de Tsinan et du district situé à l'est le long du chemin de fer Kiao-tchéou- Tsinan se trouvèrent à mainte reprise en danger. Heureusement toutefois nos fonctionnaires consulaires et nos compatriotes se montrèrent au niveau des circonstances, et, grâce à leurs efforts combinés avec les mesures de protection efficace qui furent prises par les deux forces belligérantes, aucun sujet japonais n'a été tué ni blessé, aucun dommage important n'a été causé aux biens japonais. A peu près au même moment, les « bandits communistes », comme on les appelle. envahirent plusieurs régions de la Chine, spécialement les provinces du centre et du sud et leurs brigandages eurent leur point culminant dans l'incident de Changsha. Pendant une courte période, ces localités
furent plongées dans le chaos. En août cependant les événements tournèrent brusquement et une fois de plus ouvrirent la voie à l'établissement de la paix et de l'unité dans le pays. Ce changement était le bienvenu, à la fois dans l'intérêt de la Chine et du point de vue de la situation générale en Extrême-Orient.
L'effort constructif en Chine. « Nous ne nous dissimulons pas les multiples difficultés en face desquelles se trouve la Chine dans sa marche en avant. Nous pouvons aisément imaginer quelle patience et quel courage doivent avoir les hommes d'Etat chinois, et combien il leur est nécessaire de trouver une mesure généreuse de coopération amicale, dans les formidables efforts qu'ils font pour surmonter les obstacles placés sur le chemin de la Chine. Un élément encourageant de la situation est le fait que les dirigeants chinois ont récemment tenu à se solidariser, en termes clairs, avec l'œuvre constructive dans l'ordre administratif .Ainsi le Général Chiang, Président du Gouvernement et Commandant en Chef, lors de son retour triomphal à Nankin, émit une proclamation, dans laquelle il montrait la nécessité de supprimer le banditisme encore actif dans une grande partie du pays, et insistait particulièrement sur le rajustement des finances, l'amélioration de la discipline dans les services publics, l'encouragement aux capitaux étrangers, l'aménagement plus rapide des autonomies régionales. En outre les résolutions votées au IVe Congrès du Kouomintang prévoient la convocation d'une Assemblée nationale au début de mois de mai prochain et formulent, comme devant être les objets immédiats de l'activité administrative, la nécessité de stabiliser l'ordre et la sécurité publics, de développer les ressources nationales et de répandre l'éducation. Quant aux questions qui intéressent les relations extérieures, les résolutions expriment la volonté d'abolir les likin (douanes intérieures) et de rajuster les emprunts intérieurs et extérieurs.
Le statut international de la Chine. « A la lumière de ces déclarations répétées, on doit croire qu'avec la fin des troubles intérieurs le Gouvernement national a porté son attention sur une politique destinée à consolider les bases de la République par l'adoption de réformes administratives substantielles et constructives et à assurer ainsi à la Chine la place qui lui revient dans la famille des nations. Si cette inférence est justifiée, on peut dire que le Gouvernement national s'engage actuellement dans la voie suivie jadis parle Japon pour se dégager d'une situation d'inégalité internationale. Pour le plein succès de pareilles tentatives nous exprimons sincèrement tous nos vœux nous sommes prêts à donner notre concours, autant
que possible, pour la réalisation de cette fin. Il arrive de plus en plus fréquemment que diverses branches de l'administration chinoise nous demandent des renseignements, sur des matières qui touchent à l'éducation, à l'armée et à la marine, à l'organisation de la police, aux communications, aux administrations régionales et aux autres domaines de l'activité administrative. Dans tous ces cas nous avons donné aux Chinois toutes les facilités dont nous pouvons disposer pour satisfaire leurs désirs. Dès que la Chine aura sérieusement effectué une réforme constructive du gouvernement et, en particulier, quand elle assurera la protection efficace qui est due aux personnes, aux biens, aux entreprises économiques légitimes de la population indigène et étrangère sur son territoire, dès que ses obligations internationales seront remplies de façon satisfaisante, alors, en vérité, les traités que. l'nn nomme inégaux perdront la base sur laquelle ils reposent et il n'est pas douteux qu'en cette occurrence toutes les Puissances étrangères seront heureuses de renoncer au régime d'exception qui existe actuellement.
Le réglement des questions qui se posent entre le Japon et la Chine. –« Le Japon et la Chine ont construit leurs relations étroites et complexes de l'époque actuelle, dans les sphères politique et économique, avec un arrière-plan historique qui s'étend sur un nombre considérable d'années. Parmi les nombreux éléments qui constituent ces rapports, quels sont les facteurs essentiels pour notre existence nationale, ceux que l'on ne peut pas changer ? quels sont ceux qui peuvent être adaptés aux conditions changeantes du monde, et particulièrement en considération des faits nouveaux de nature à modifier la situation respective des deux pays ? Par quels procédés, par quelles méthodes peut-on effectuer au mieux cette adaptation ? Je suis persuadé que sur ces questions l'opinion de notre pays est, pour l'essentiel, unanime. Pour la solution de problèmes de cet ordre, tout recours à la propagande ou aux menaces par une des parties contre l'autre est destiné à ne donner aucun résultat utile, à ne conduire qu'à de nouvelles complications. C'est seulement en unissant à une coopération mutuelle en vue de découvrir les bases véritables de leur bien commun une compréhension généreuse et sympathique des points de vue respectifs que les deux nations peuvent résoudre de façon satisfaisante les problèmes qui se posent entre elles et servir leurs véritables intérêts. C'est cette ferme conviction qui nous guide dans nos relations avec la Chine. La question longtemps pendante des indemnités pour les deux incidents de Nankin et d'Hankéou a été virtuellement réglée. Au sujet des câbles Shanghaï-Nagasaki
et Tsingtao-Saseho, qui constituent deux lignes importantes de communication entre le Japon et la Chine, les négociations ardues qui se sont prolongées plusieurs mois en vue de la substitution d'un nouvel accord à l'ancien ont été également menées une heureuse conclusion.
La situation en Alandchourie. – « Pour les chemins de fer en Mandchourie, il y a plusieurs questions qui restent posées depuis plusieurs années. Nous sommes décidés à faire tous nos efforts pour les trancher selon les principes clairement indiqués. Il est inutile de répéter que nous n'avons pas la moindre intention de rechercher quoi que ce soit qui ressemble à un règlement injuste et égoïste, au mépris de la position légitime de la Chine. On ne peut pas penser non plus que la Chine, de son côté, voudrait réduire le chemin de fer Sud-Mandchourien à la ruine. Un tel dessein, même s'il pouvait jamais être formé, arriverait difficilement à se réaliser. En ce qui concerne la situation à Chientao, sur la frontière coréenne, cette localité a souvent dans le passé été transformée en un repaire d'aventuriers, et les méprises des autorités locales chinoises relativement à la nature désintéressée de nos motifs sont dans une large mesure responsables du désordre qui règne dans ce district et qui a donné lieu à de sérieuses inquiétudes dans notre pays. De ces désordres beaucoup de nos compatriotes coréens ont été à plusieurs reprises les victimes. Il est cependant agréable de noter que nos franches discussions avec les autorités chinoises ont sérieusement ouvert la voie à une entente des deux parties. Les autorités locales chinoises se rendent compte maintenant de l'urgente nécessité de la suppression du banditisme, et la situation générale s'est suffisamment améliorée pour donner un sentiment croissant de sécurité aux résidents coréens.
Les relations avec la Russie. « Pour en venir à nos relations avec l'Union soviétique, je suis heureux de remarquer que le volume des transactions entre les deux pays a montré, dans les années récentes, une tendance à un accroissement rapide. Il a déjà triplé depuis la reprise des relations diplomatiques en 1924. Si certaines questions restent encore en discussion entre les deux Gouvernements, nous sommes persuadés que le Gouvernement soviétique est disposé comme nous à les résoudre en songeant aux avantages d'une mutuelle amitié. Pour la solution de ces questions, il dépend des deux parties de trouver une base équitable d'accord, en tenant dûment compte de leurs points de vue respectifs. Les droits de pêche des Japonais dans les eaux russes d'Extrême-Orient ont leur origine dans le Traité de Portsmouth. Ce traité est encore en vigueur, comme le déclare
expressément le Traité fondamental conclu à Pékin en 1924. Il n'y a d'ailleurs aucune raison de croire que le Gouvernement des Soviets nourrisse quelque intention de rendre pratiquement impossible pour les Japonais l'exercice de ces droits. Nous attendons par conséquent avec confiance un règlement convenable de la question des pêcheries. Les relations avec l' Europe et V Amérique. « Nos relations amicales avec les nations d'Europe et d'Amérique sont pleinement satisfaisantes et continueront, j'en suis convaincu, à se fortifier. Quant à la Loi d'immigration des Etats-Unis, qui a depuis sept ans pesé lourdement sur le sentiment populaire dans ce pays, il n'y a plus aucun doute que notre position soit pleinement comprise, et jugée comme il se doit par la grande majorité des Américains. Nous attendrons les développements ultérieurs de la question avec un vif intérêt, mais sans passion. »
Pologne
Le problème de l'assainissement des rapports avec l'Allemagne s'est maintenu au premier plan de la politique extérieure polonaise pendant les mois de janvier et de février.
Aux notes adressées à Genève par le gouvernement du Reich à la suite des incidents électoraux de Haute Silésie est venu s'ajouter le 11 janvier une plainte du Volksbund de cette province. Quand l'affaire fut évoquée (21 janvier) par le Conseil de la Société des Nations, M. Zaleski, ministre des Affaires Etrangères de Pologne, réfuta les griefs articulés contre les autorités polonaises par M. Curtius. Il déclara que, si la population silésienne donnait des signes de nervosité, la faute en était aux propagandes qui présentent le rattachement de la Silésie à la Pologne comme offrant un caractère purement provisoire. Sans contester que des incidents fâcheux se fussent produits en Haute Silésie, il déclara que ces incidents avaient fait l'objet de sanctions, et, s'élevant au-dessus des litiges épisodiques, il s'attacha à montrer la situation sous son aspect moral et psychologique.
Le Conseil adopta à l'unanimité, le 24 janvier, les termes d'un rapport se ramenant aux points suivants
10 En divers endroits ont été commises des infractions aux articles 75 et 83 de la Convention relative à la Haute-Silésie.
2° Le Conseil attend, avant la session de mai, des informations détaillées du gouvernement polonais sur les enquêtes ouvertes, les sanctions et les dommages-intérêts accordés
3° Le Conseil désirerait voir le gouvernement polonais faire le nécessaire pour que cessent les relations entre les autorités et les associations exerçant une activité politique
4° Le Conseil désirerait connaître, avant mai, les mesures que le gouvernement polonais jugera convenable de prendre pour renforcer la confiance de la minorité allemande de Silésie vis-à-vis de l'Etat. La presse gouvernementale polonaise apprécia la modération de ce compromis et constata qu'il ne portait nulle atteinte à la souveraineté de l'Etat polonais. Mais la presse d'opposition déclara que la « bataille de Genève avait été perdue par la Pologne et que la résolution votée constituait la condamnation explicite et humiliante de la politique polonaise à l'égard des minorités ».
Pendant ce temps se poursuivaient à la Diète les débats autour de la ratification de l'arrangement de liquidation intervenu entre la Pologne et l'Allemagne le 31 cctobre 1929. L'opposition critiquait surtout, dans cet arrangement, la renonciation au droit de rachat des biens des colons allemands en Pologne. Le gouvernement faisait par contre valoir que, le problème de la liquidation étant étroitement lié au plan Young, ceux qui répudiaient l'accord du 30 octobre renonçaient par là même aux avantages des conventions de la Haye. Le 15 janvier fut renouvelé, à Genève, pour une période de cinq ans le traité de garantie polono-roumain de 1926, qui avait été substitué au traité d'alliance défensive de 1922 et venait à expiration le 26 mars de la présente anné.e. La presse officieuse démentit les rumeurs d'après lesquelles, au cours des négociations de renouvellement, la Roumanie aurait cherché à étendre les clauses de la convention à la défense de sa frontière du côté hongrois, tandis que la Pologne aurait formulé la même prétention pour sa frontière allemande. Avec la Lituanie, la Pologne avait repris le '16 janvier, à Genève, les négociations interrompues depuis le 18 décembre. Ces négociations prirent fin le 20 janvier sans résultat positif quant à la question essentielle celle des conflits frontaliers. Un rapport de M. Quinones de Léon au Conseil de la Société des Nations proposa le 23 janvier de renvoyer le problème des Communications polono-lituaniennes devant la Cour de la Haye. L'examen de cette affaire a été ajourné à la session de mai, à supposer que d'ici là un accord direct et amiable ne soit pas intervenu.
VARIÉTÉS
Les diplomates et le théâtre
Ces temps derniers, M. Jean Giraudoux fit une conférence qui demeurera pour notre époque une des plus remarquables défenses et, j'ose ajouter, illustrations du théâtre français.
L'auteur de Siegfried et à' Amphitryon 38, en déplorant l'état auquel les exigences du fisc et la lésinerie des pouvoirs intéressés réduisent la scène française, a parlé à la fois en diplomate et en écrivain. M. Jean Giraudoux n'a pas manqué de rappeler que le gouvernement de tel pays voisin, se montrant soucieux de la haute tenue de ses théâtres et de leur prospérité, ne ménage aux directeurs, aux grands artistes et à tous ceux qui touchent de près ou de loin à l'art dramatique, ni les encouragements ni les sympathies sous leurs formes les plus précises.
Et ce ne sera pas le moins curieux de cette étude que nous commençons sur les rapports de la diplomatie avec le théâtre, que deux des plus grands auteurs dramatiques d'aujourd'hui, deux de ceux qui, de générations différentes, se maintiennent à l'avant-garde des écrivains de théâtre, soient précisément des diplomates. Le premier en date, M. Paul Claudel s'est affirmé dès ses débuts comme un des maîtres d'un art nouveau dont le théatre pourrait bien tirer un jour des profits certains dans le domaine du dialogue, de la mise en scène, de l'action dramatique. En 1894, un jeune critique écrivant sur les premières œuvres de l'auteur de Tête d'or et de La ville disait « L'écriture en est d'une originalité exquise ne se rattachant à aucune vieille ou récente « école ». La phrase est quelquefois hachée, pittoresque, imprévue, les associations bien en relief. » Et un plus tard, Remy de Gourmont ajoutait « Relu, Tête d'or m'a enivré d'une violente sensation d'art et de poésie mais je l'avoue, c'est de l'eau de vie un peu forte pour les temps d'aujourd'hui. »
Depuis, avec l'Annonce laite à Marie, mystère en quatre actes, et un prologue avec l'Otage, drame en trois actes qui aurait pu entrer
au répertoire de la Comédie Française avec deux autres drames Le pain dur et Le Père humilié, et une farce pour un théâtre de marionnettes l'Ours et la lune, M. Paul Claudel a réalisé, sur diverses scènes et dans le livre, des conceptions dramatiques d'une indiscutable et robuste originalité. La représentation de l'œuvre que notre ambassadeur à Washington avait écrite à la gloire de Marcelin Berthelot pour la commémoration du centième anniversaire de la naissance de l'illustre chimiste, et qui fut jouée d'abord à l'Elysée, devant le Président de la République, obtint lors de sa présentation à une des matinées poétiques de la Comédie Française un fort beau succès.
M. Jean Giraudoux faisait, dès avant la guerre, figure de bel écrivain. Par le théâtre, avec Siegfried et Amphitryon 38, les deux oeuvres dont nous avons parlé, l'auteur de Bella devait bientôt, aux nombreux lecteurs de ses romans, larges et précises peintures de notre vie moderne, ajouter un public innombrable. Ayant connu à Paris la gloire des centièmes, M. Jean Giraudoux prolonge dans nos provinces et à l'étranger des succès qui font de ce diplomate l'un des plus applaudis de nos auteurs dramatiques.
Ce n'est pas d'aujourd'hui, disons-le, que l'art scénique trouve dans la diplomatie, en même temps qu'un appui, une sympathie agissante. Mais il faut dire aussi que le théâtre atoujours été à même de rendre ce qu'il avait pu recevoir une belle représentation peut, dans certains cas, devenir un persuasif élément de propagande.
Sans remonter aux temps anciens qui, sur ce point, nous fournissent de nombreux exemples, nous voyons, en un temps où la diplomatie française a reçu de Louis XI une force nouvelle et de nouveaux moyens d'action, Louis XII demander à Pierre Gringoire qui s'était lui-même proclamé Prince des sots, le spectacle qui allait préparer l'opinion publique à la guerre que le roi de France se croyait contraint de déclarer au Pape Jules II.
Le spectacle annoncé par le « Cry du prince des Sots » fut joué au jour dit devant le souverain, l'Université, le Parlement et un peuple nombreux
Sotz lunatiques, sotz estourdis, sotz sages,
Sotz de villes, de chasteauls, de villages,
Sotz rassotés, sotz nyais, sotz subtilz,
Sotz amoureux, sotz privez sotz sauvages,
Sotz vieux, nouveaux, et sotz de tous ages,
Sotz barbares, estranges et gentilz,
Sotz raisonnables, sotz pervers, sotz retifs,
Vostre Prince, sans nulles intervalles,
Le Mardy gras jouera ses jeux aux Halles.
Troits cents ans plus tard, le 27 septembre 1808, Napoléon donnera à Talma un parterre de rois et d'ambassadeurs, à Erfurt, au cours de ces fêtes qui illustrèrent ses négociations fameuses avec Alexandre 1er. Mais, entre temps la diplomatie ne s'était jamais désintéressée du théâtre. Dans l'histoire universelle de l'art dramatique le diplomate figure toujours en bonne place soit comme auteur, soit comme protecteur, soit comme personnage de tragédie, de comédie ou de drame.
Et même, si l'on regarde les choses de près, comme décorateur, Pierre Paul Rubens, grand peintre et ambassadeur fastueux, dessina les cartons de l'ensemble allégorique dont Charles Ter voulut orner la salle des banquets de White-Hall et donna des projets d'arc de triomphe et de chars de cavalcade pour les entrées principales. Au cours de ce xvne siècle où la diplomatie française trouva dans Richelieu, dans Mazarin, dans Lionne, dans Torcy et quelques autres de si remarquables représentants, le grand Richelieu, luimême, se présente à nous comme un des premiers protecteurs du théâtre. A l'hôtel que la marquise de Rambouillet n'habitait plus depuis 1606, il donnera, quand il voudra quitter son logis de la Place Royale, les proportions d'un palais. Et sur le terrain qu'il achètera en face du Louvre, dans la rue Saint-Honoré, il demandera à son architecte Jacques Lemercier de construire une salle de spectacle. De cette salle, Richelieu fut un des premiers auteurs avec une tragédie lVlirane, pour laquelle il avait, d'ailleurs, eu cinq collaborateurs, parmi lesquels le jeune Pierre Corneille, qui s'était déjà fait connaître par quelques comédies d'un tour nouveau. Corneille, il est vrai, ne collabora que peu de temps avec le fameux cardinal. Celui-ci, trouvant qu'il manquait d'esprit de suite, lui donna son congé. Le nouveau théêtre construit par Richelieu prit le nom de l'oeuvre qui avait la première affronté les feux de sa rampe et c'est dans la « Salle Mirane » que s'installa, vingt-sept ans plus tard, la troupe de Molière, chassée du Petit Bourbon qu'attaquait la pioche des entrepreneurs envoyés par M. Claude Perrault qui méditait d'élever sur son emplacement la fameuse colonnade. Ainsi naquit le Théâtre du Palais Royal, qui, avec l'Hôtel de Bourgogne et le théâtre du Marais, traçaient la voie que devait suivre seule à partir de 1680 la Comédie Française.
Corneille, en qui nous saluons aujourd'hui le père de la tragédie, avait eu un prédecesseur en la personne de Jean Mairet auquel la
protection du roi d'Espagne devait valoir un jour la place de résident de la Franche-Comté à la Cour de France.
En 1620, Mairet avait tiré une pièce d'un épisode de l'Astrée et, l'année suivante, sa Sylvie allait atteindre rapidement sa treizième édition. Mairet, dont le nom est inséparable des origines du théâtre français fut le premier, en France, à appliquer la règle des unités. Il n'eut que le tort, pour la postérité, de se poser en âpre adversaire du Cid. Ayant éveillé la méfiance de Mazarin, il connut un jour les rigueurs de l'exil et ne rentra en grâce qu'après le traité des Pyrénées en 1659.
Pierre du Rycr qui par des tragi-comédies a marqué sa place à ces heures où s'éveillait notre théâtre, fut secrétaire de César de Vendôme, fils naturel d'Henri IV et de Gabrielle d'Estrée, et se mêlait ainsi à la vie aventureuse d'un des hommes les plus curieux de la première moitié du xvne siècle.
En 1G43, des jeunes gens, dont quelques-uns appartenaient à la bonne bourgeoisie parisienne, fondère l' « Illustre Théâtre n. L'un d'eux, fils d'un maître tapissier du roi, s'appelait Jean-Baptiste Poquelin, et allait bientôt prendre le pseudonyme de Molière. Il succédait, dans le cœur de Madeleine Béjart, âme active et pratique de la jeune troupe, à certain M. Esprit de Raimond de Mormoron, baron de Modène, qui appartenait alors comme chambellan à la maison de Gaston d'Orléans et qui devait, en 1646, suivre le duc de Guise à Bruxelles et être le. second de celui-ci dans l'expédition de Naples. Mais en cette année 1.643, le baron de Modène, uni encore par de tendres souvenirs, sans oublier un enfant, à la sensible et positive Madeleine Béjart, montra quelque sympathie à la nouvelle compagnie de comédiens que des malheurs commerciaux allaient bientôt pousser vers les provinces.
Cependant la bonne entente du soldat diplomate et des comédiens ne devait pas être compromise par ces fâcheux événements, puisque vingt-deux ans après, quand l'auteur des Précieuses Ridicules, revenu à Paris, et ayant triomphé devant le roi, s'est installé au Palais-Royal, le baron de Modène tient sur les fonts baptismaux la fille de Molière.
Et au cours de ces pérégrinations provinciales, Molière n'avait-il pas trouvé auprès du prince de Conti, filleul de Richelieu, et neveu par alliance de Mazarin, et de plus son ancien condisciple au collège de Clermont, un protecteur avisé et sûr ?
Richelieu, grand protecteur du théâtre, avait déjà sinon un prédecesseur, du moins un imitateur dans le fameux duc d'Epernon
qui avait débuté en 1579 par une mission auprès du duc de Savoie dont le succès avait rapporté à son frère Bernard le gouvernement de Saluces, tandis qu'il devenait lui-même Colonel du régiment de Champagne. Sans doute, l'ancien mignon d'Henri III, qui ne devait mourir que sous Louis XIII, au lendemain de sa quatre-vingtdixième année, eût-il comme diplomate un rôle quelque peu douteux en ce qui touche les intérêts de la France, mais en 1646, le poète Marigot se hâtait de lui dédier sa tragédie Josaphat, et les termes de cette dédicace proclament, sur le mode lyrique, que le gouverneur du Guyenne portait un intérêt certain et toujours efficace à tout ce qui se rapportait au théâtre.
Vers ce même temps un autre diplomate se préparait à donner, par d'autres moyens, du travail aux dramaturges de l'avenir. Il s'appelait Georges Villiers, duc de Buckingham. Ambassadeur de Grande-Bretagne en France il mérita par son luxe, par son élégance, et aussi par son charme, d'être remarqué d'Anne d'Autriche que négligeait par trop le chaste et bigot Louis XIII. Mais ceci est déjà une autre histoire que, deux cents ans plus tard, Alexandre Dumas père assaisonnera à la sauce romantique pour la plus grande joie des spectateurs des théâtres du boulevard du Crime. Nous y reviendrons.
Quand en 1680 Louis XIV, qui avait déjà supprimé le théâtre du Marais, réunira les survivants de la troupe de l'Hôtel de Bourgogne aux sociétaires du Palais-Royal qui s'installeront, d'ailleurs. rue Mazarine, dans la salle de l'hôtel Guénégaud, créera enfin la Comédie Française telle que nous l'admirons aujourd'hui, les comédiens français, qui se transportaient parfois à domicile, iront, au cours de la saison, donner deux représentations, l'une chez l'ambassadeur d'Espagne, et l'autre chez l'ambassadeur de Venise. Ainsi, dès ses débuts. le Théâtre français trouve, dans le monde diplomatique, non seulement des personnages d'une humanité violente, sentimentale et dramatique, mais aussi des auteurs et des protecteurs qui ne cesseront de l'illustrer et de le soutenir. L'historien peut découvrir dans leurs aventures ou les œuvres qui les ont maintenus en contact avec la scène un vaste champ d'ohservations c'est ce champ que nous commençons à défricher aujourd'hui. J. VALMY BAYSSE.
Un livre de M. Robert de Billly, ambassadeur de France,
sur Marcel Proust
M. Robert de Billy a récemment publié aux Editions des Portiques un précieux volume sur Marcel Proust le sous-titre « Lettres etConversations » enferme un péché de modestie, car à côté des documents on trouve dons l'ouvrage, sous une forme discrète, des commentaires et des appéciations qui vont loin mais ce sous-titre n'en est pas moins fort instructif il exprime un des aspects de la formation intellectuelle de Proust. Proust, nous dit cet ami des livres qu'est M. de Billy, « ne lisait pas beaucoup. La conversation et la correspondance ont été pour lui des animatrices plus précieuses que les textes ». (p. 10). M. de Billy fut ami de Marcel depuis 1890, époque à laquelle ils étaient l'un artilleur, l'autre fantassin à Orléans. Il nous parle surtout de la période qui a précédé la seconde traduction de Ruskin par Proust, c'est-à-dire de la période de formation. Il nous fait saisir ce que fut ce lent travail d'incubation d'où l'œuvre devait sortir de notre temps une si patiente maturation est rare. « Les amis, les relations, les passants l'ont aidé sans toujours s'en douter. L'échange d'idées servait de pierre, chaux et ciment au monument qu'il avait conçu dans le secret de son cœur. Une maîtresse de maison arrivée en retard trouva Marcel assis sur le coffre à bois de l'antichambre et ayant entrepris de connaître les idées de son maître d'hôtel sur la politique tant intérieure qu'étrangère ». Mais « ceux qui ont souri parfois de la dispersion de sa pensée dans le monde des apparences doivent, pour être justes, se représenterles heures de solitude et de concentration où il passait ses impressions au crible de sa critique impitoyable, et sans réserve enseignait tout ce qu'il savait ». (p. 12 et 18).
Quelques exemples montrent comment Proust utilisait ses sources. Un jour M. de Billy se promenait au Louvre avec Proust devant le Duc de Richmond de Van Dyck, il lui dit « que toute cette belle jeunesse dont on voit les portraits en Angleterre, à Dresde, à l'Ermitage avait été fauchée par les Côtes de Fer de Cromwell. L'écho de notre pensée se retrouve dans ses vers charmants dont Reynaldo Hahn écrivit l'accompagnement sonore
Tu triomples, Van Dyck, prince des gestes calmes,
Dans tous les êtres beaux qui vont bientôt mourir. » (p. 30)
C'est M. de Billy qui fit connaître à Proust le premier des livres de M. Emile Mâle, et il reproduit (p. 111) plusieurs lettres adressées à l'auteur de l'Art religieux en France au treizième siècle. On y voit avec quelle insistance, avec quel minutieux souci Proust cherchait à s'informer.
« Si Marcel avait eu assez de santé, il se serait probablement présenté aux Affaires étrangères ». Son père, le Professeur Proust, avait été, depuis l'origine, le conseiller technique français des Conférences sanitaires « comme toute personne ayant participé au jeu de la force et de l'adresse, au duel des instructions et de la raison, à la lutte de la politique étrangère avec la politique intérieure, le Professeur Proust avait gardé une tendresse pour ce côté de son activité ». Lorsque Marcel a décrit la vie diplomatique, « c'est la conversation de la table de famille qu'il a transposée ». (p. 57-60). Il serait injuste de ne pas ajouter que ce fut aussi la conversation avec son ami et ancien condisciple de l'Ecole des Sciences politiques, Robert de Billy. Proust lisait peu mais, il y a quelques ouvrages importants qu'il a bien lus. La méditation de Ruskin a grandement contribué à la formation de la pensée proustienne, plusieurs extraits des préfaces et notes à ses traductions le montrent bien (p. 26, p. 129.). Proust s'est imprégné de philosophie bergsonienne commele dit M. de Billy, il était « métaphysicien d'instinct ». Cela les philosophes le sentent et j'en sais qui nourissent leurs cours de citations du Temps perdu, alors que tant d'auteurs à prétentions philosophiques ne leur fournissent pas le moindre aliment.
Ainsi voyons-nous quels éléments mondains, esthétiques, philosophiques sont entrés dans le cerveau de Proust. Mais tout cela eût été peu de choses sans l'accueil fait à ces données par la délicatesse et la fraîcheur d'une âme d'élite. «Les hommes dontla parole est entendue au loin savent qu'au delà des codes, des catégories, des collections, des parcs à la française de l'intellectualisme, il y a la région enchantée où l'on pénètre quand on a su garder avec des cheveux gris la résonnance de l'univers sur un cerveau d'enfant ». (p. 246).
L'ouvrage de M. de Billy n'apporte pas seulement à l'étude d'un homme de génie une contribution essentielle il donne une raison de plus de souhaiter que l'auteur suive un jour le conseil que lui donnait son ami Marcel, d'écrire ses souvenirs.
J. R.
La courtoisie Internationale
et le droit des gens
La question de la « courtoisie » qui n'avait pas été traitée jusqu'ici, au point de vue du droit international public, vient de faire le sujet d'une thèse de doctorat d'un Yougoslave, M. Vélimir Dimitch (1). M. Dimitch observe, qu'à côté d'un « protocole », des vieilles règles qui datent des époques préhistoriques et qui ont eu, peut-être, jusqu'à une époque toute récente, un sens plus précis et une utilité beaucoup plus certaine, il y a aussi le fond, qui consiste dans les besoins impérieux d'application de ces usages, correspondant à une meilleure compréhension de l'indépendance des peuples.
« Les usages de courtoisie ont eu cet avantage inappréciable de préserver les susceptibilités souvent absolues des souverains, de rendre possibles et viables quelques institutions pour assurer les relations en temps de paix, ou peut-être, surtout par leur caractère utilitaire, en temps de guerre. On se trompe lourdement si l'on croit que le vrai caractère de courtoisie ne trouve son fondement que dans le pur arbitraire des chefs d'État d'alors ce serait ne voir en cet usage que son côté formel.Ce caractère purement formaliste de la convenance a été tout d'abord présenté comme le synonyme de l'idée de solidarité ».
« Les règles de la politesse ne sont pas l'expression de la vanité d'une classe, mais s'imposent par leur nécessité. Le protocole même, qui est « unesorte de religion » pour le monde diplomatique, a souvent un sens très profond, malgré quelques-unes de ses « frivolités solennelles », et notamment celui d'impliquer l'idée d'égalité entre les Etats, petits et grands, vainqueurs et vaincus. Ce protocole signifie alors « le respect de la dignité et de l'indépendance des nations faibles, et cela n'est pas peu de chose. Tout le droit des gens s'y trouve inclus ». « La courtoisie a un autre aspect salutaire qu'on néglige le plus souvent: c'est le rôle bienfaisant que joue la politesse en général, pour jeter son manteau, comme s'exprime Schopenhauer, sur l'envie et (1) La Courtoisie Internationale et le Droit des Gens, Paris, librairie du Recueil Sirey, 1930.
cacher la généralité de ce sentiment, que l'on arrive môme parfois à étouffer tout à fait par ce procédé. Aussi, dans les négociations diplomatiques, la politesse est-elle indispensable en ce qu'elle rend la médiocrité même supportable, comme aurait dit Fonsegrive (1) les conventions sociales, en outre, préservent, en devenant, après une pratique constante, pour ainsi dire obligatoires. Les usages mondains également, dans ce qu'ils ont de moins superficiel en eux, protègent, d'après Georges Renard (2), « une certaine conception moyenne de la moralité, comme le conventionnel et le convenu protègent souvent le convenable ».
L'auteur fait un historique de la notion diplomatique de courtoisie, longtemps liée à l'idée du devoir de conservation ou d'indépendance comprise comme synonyme du concept de souveraineté. Il constate que depuis la fin du xvne sicle la plupart des frictions qui ont eu lieu entre les Etats ont eu pour cause la violation des immunités diplomatiques et le manquement aux honneurs dûs aux ambassadeurs. C'est dire que le champ d'application des règles de courtoisie a été des plus vastes des ruptures, voire des guerres ont suivi des querelles de préséance ou les contestations de privilèges entre Etats qui avaient jusqu'alors vécu en bonne intelligence. Ainsi la notion de courtoisie créait par son caractère tout formaliste une atmosphère propice aux froissements de susceptibilités.
Mais comme un droit injuste est contraire au but véritable du droit, une observation formelle des règles de courtoisie peut être contraire à son fondement même.
M. Dimitch parle des manquements au respect dû à un pays et évoque à ce propos l'incident Tisza en mai 1888 et l'incident SnowdenChéron en août 1929.
Il conclut
« Les usages de courtoisie remplissent plusieurs devoirs et sont utiles à de multiples titres. Ils comblent les imperfections et les lacunes et apportent ainsi dans les relations entre les Etats un peu plus d'humanité et de civilisation ».
A. M.
(1) Morale et Société, Paris 1908, p. 217. « C'est grâce à ces conventions, écrit le même auteur, et à ces usages, que le monde ne ressemble pas à une ménagerie, où à côté de quelques rares et beaux exemplaires de l'humanité, toutes les variétés d'animaux se presseraient sous des traits humains. »
(2) Le droit, la justice et la volonté, Paris 1924, p. 54 et 55. Ihering a insisté dans son ouvrage si instructif sur les mœurs sociales et les rapports entre la morale et la politesse et notamment sur le « caractère prophilactique » des manières courtoises (Der Zweck im Recht, 1898, t. II).
L'Art international à Paris
Danses hindoues
« Dans un palais soie et or, dans Ecbatane,
De beaux démons, des satans adolescents,
Aux sons d'une musique mahomélane.» »
Certain jour, voici quelque deux mille ans, tandis que Shiva ayant voulu s'abstraire de la vie terrestre dormait d'un sommeil inextinguible, Gajasur, le Démon-éléphant, s'éprit de Parvati, la femme du dieu, et la courtisa. Celle-ci feignit de ne pas comprendre les avances du séducteur mais, jetant le masque, Gajasur la poursuivit, la traqua, prêt à user de violence pour satisfaire son penchant. Seulement, dans les drames millénaires de la liturgie hindoue comme dans ceux, modernes, des cinéastes occidentaux, force demeure toujours à la vertu.
A l'instant critique où Parvati, la pauvrette, allait succomber, ses pleurs éveillèrent le dieu tout puissant qui terrassa, naturellement, le Malin, après une lutte épique, et, moins naturellement, se rendormit, aussitôt, au grand dam de la dolente épousée.
Telle fut mimée, en une série de fresques tour à tour naïves, héroïques, joyeuses ou nobles, une scène de la mythologie védique, sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées.
C'est ainsi que, pour le ravissement des spectateurs, M. Uday Shankar, jeune hindou au prestigieux talent, et Simkie sa charmante partenaire, dansèrent, avec une grâce incomparable, la Danse du Temple, la Danse de Radha et Krishna, la Danse Nuptiale, la Danse du Sabre et maintes autres, où la variété le disputait à la splendeur esthétique.
Uday Shankar exerce la danse comme un sacerdoce. Il ne danse pas, il officie. Il est le grand prêtre d'une religion, la plupart de ses danses étant d'origine religieuse, et il sert. de surcroît, le culte de la beauté.
Si l'on veut ajouter, à l'attrait de l'exotisme, à la science du chorégraphe, à la perfection plastique quasi-excessive de l'artiste et aux mérites très réels de la belle danseuse qui le seconde admira-
blement, l'envoûtement véritable dû à une orchestration de 65 instruments divers, dont la forme, le coloris, le son font rêver, on concevra aisément quel triomphe récompensa cette manifestation d'art. Certaines danses paysannes hindoues ressemblent à s'y méprendre à la différence près des costumes aux vieilles sauleries paysannes de tous les pays il n'en reste pas moins, qu'en général, la danse classique hindoue, procède d'un mode fort différent des figures auxquelles la classique ou la rythmique occidentales nous ont accoutumés.
Uday Shankar et Simkie dansent, si l'on peut dire, avec les bras. Leur jeu de jambes n'est jamais qu'accessoire. Le serpent a dû, à l'origine, inspirer cette danse reptiléenne qui fait onduler épaules, bras et cou à la manière d'une écharpe légère, alors que l'immobilité relative du tronc confère à ces gestes quelque chose de hiératique. Quant à la musique hindoue, musique sacrée, elle est aussi éloignée des stridences et des barbaries négroïdes que de la nazillarde monotonie orientale. Son étrangeté ne nuit en rien à son harmonie. Le décousu capricieux de ses arabesques s'adapte, sans cesse, à des contours mélodiques suaves, ténus, évanescents au point que l'on s'attend, sans surprise, à les voir mourir puis renaître sur une autre tonalité, et sur un rythme nouveau.
Les initiés y sentent, peut-être, comme il se doit, la représentation sonore et parfaite de chaque heure du jour ou de la nuit, de chaque saison, de chaque état d'âme. Pour les profanes, la musique hindoue, douce et plaintive, évoque surtout, dans une ambiance de volupté aiguë, le règne implacable d'un soleil de plomb, le bruissement des moustiques innombrables, la misère, la mélancolie, l'accablement et le fatalisme.
Seuls, les Hébreux ont pû faire entendre des lamentations aussi poignantes et désespérées seul, un Debussy atteignit à une pareille harmonie imitative, bien que, techniquement parlant, les Hindous ignorent l'harmonie.
Parmi la brillante pléiade d'instrumentistes qui contribuèrent à mettre en relief la richesse à la fois de leur musique et de lear danse nationales joueurs de tambours, flûtes, cymbales, cloches, tampura, cor, timbale, kartali, gopi, jantra, gubgubi, sankha, arc rrusical, tarang, etc., deux virtuoses, notamment, méritèrent une mention spéciale pour leurs improvisations ailées le sarodiste Timir Baran Bhattacharyya, de Calcutta, et le sitariste Vishnu Dass Shirali, de Bombay. F. II. Le Gérant DE PEYHALADE.
Saint-Amand (Cher). Imprimerie R. Bubbièrb. – 15-4-1931.
Affaires Etrangères, revue mensuelle de documentation internationale et diplomatique, offre à un public averti el déjà familiarisé avec les problèmes de la politique extérieure une présentation objective, pratique et vivante de ces problèmes.
Objecbive Par la qualificalion de ses éditeurs, par l'allure scienti fique des études publiées, par son recours systématique aux compétences étrangères, elle exclut tout objet de propagande politique, nationale ou autre.
Pratique Elle offre une interprélation périodique et rationnelle des principales manifestations de la vie internationale chroniques politique et juridique, documents concernant l'activité diplomatique de chaque Etal, éphémérides, bibliographie critique ou analytique des ouvrages el articles relatifs aux rapporls internationaux, compte-rendu des Congrès et Conférences, Expositions d'art, etc.
Vivante Elle reflète les aspect les plus variés de la vie diplomatique nominations et mutations, extraits de mémoires ou de thèses, activité exlraprofessionnelle des diplomates, pages inédites d'hisloire diplomatique d'après les documents d'archives, etc.
La Revue comporte trois sections
1° Questions politiques et juridiques
2° Vie diplomatique
3° Variétés.
La Revue Affaires Etrangères a un programme à la fois ambitieux el défini. S'inspirant de la revision de la table des valeurs depuis la guerre, elle doit être, sous une f orme réaliste et évocatrice
Un inslrumenl de travail indispensable au diplomate, à l'homme politique, au publicisle
Un organe d'initialion et d'information utile à l'amateur de questions étrangères et à fouI esprit cultivé.
SOMMAIRE
1. Questions politiques et juridiques Pages
CHRONIQUE POLITIQUE. L'Angleic7zung (A. M.). 67 CHRONIQUE JURIDIQUE. ––()[te~on.!<~<&'Ot!p<Me~pùM'fcM;CO)'t~OMŒrtMr austro-allemand les pourparlers navals anglo- f ranco-italiens et le traité de Londres protection des minorités (J. R.) 71 Jean ESCARRA. -La codification chinoise et l'exterritorialité. 76 Louis LE FuR. La Protection internationaLe des Droitsde ~07?:nM.. 85 André NicoLAS. La Révolz.ztinn espa,gnnln. 91 Yan D'ALMEIDA PRADO. Rivalité ang'o-anzéricaine au Brésil? 95 Il. La vie diplomatique
Ephémérides internationales. 101 Nominations 104 L'activité diplomatique des Etats 106 Autriche. 106 Brésil 108 l3ulgarie 109 Chine 111 Espagne. 111 Tchécoslovaquie 112 Yougoslavie 114 III. Variétés
Une page inédite d'histoire diplomatique le voyage à Dantzig d'un ambassadeur de Louis XIV et sa réception, par Pierre Charliat. 116 Prévost-Paradot, ministre de France à Washington (J. R.). 122 L'Art international à Paris: la peinture argentine (F. H.). 125 « Les Isles exposition des vieilles colonies françaises (J. R.). 128
QUESTIONS POLITIQUES ET
Chronique Politique
Les commentaires publiés par la presse germanique à l'occasion du voyage à Vienne (3-5 mars) du D1 Curtius, ministre allemand des Affaires étrangères, laissèrent assez nettement entendre que cette visite était en connexion avec un projet de rapprochement ou d'assimilation (Angleichung) économique entre les deux Etats. Mais ces commentaires furent surtout interprétés dans ce sens par la presse de l'Europe orientale l'opinion des États occidentaux leur porta une attention moins clairvoyante. Aussi n'accueillit-elle point sans une vive surprise la nouvelle qu'un protocole avait été signé à Vienne le 19 mars, aux termes duquel les gouvernements allemand et autrichien, se rendant compte que l'idée d'une collaboration européenne dans le domaine économique ne pouvait se réaliser par les méthodes habituelles de la politique commerciale, avaient décidé « d'entrer en négociations selon des directives précises et convenues, en vue de conclure un traité pour harmoniser la situation douanière et commerciale des deux pays ». Un communiqué publié le 22 mars énonçait ces directives, en soulignant que Berlin et Vienne étaient prêts à entrer en négociations pour un arrangement semblable avec tout autre État qui en exprimerait le désir. Il était en outre spécifié que l'indépendance des deux États demeurait intacte, cette assu-
JURIDIQUES
L' « ANGLEICHUNG »
rance tendant visiblement à écarter tout soupçon d'opération politique. Bien mieux, les journaux allemands des 21-22 mars faisaient observer qu'à la différence des traités économiques qui ont le caractère d'une union douanière, l'accord projeté maintenait l'autonomie de l'administration douanière de chacun des deux États. Chaque pays se réservait même le droit de conclure des traités de commerce, bien qu'il y eût lieu de mener, autant que possible, les négociations en commun.
L'effet produit en Europe par ce protocole fut considérable. En France et dans les pays de la Petite Entente, on envisagea le projet d'accord économique sous un triple aspect nouvelle étape vers l'« Anschluss », survenant après diverses mesures d'assimilation juridique, autrement dit progression graduelle et subtile vers le Mittel-Europa du pasteur Naumann rupture, au profit de Berlin, de l'équilibre général en Europe centrale et orientale altération des relations commerciales et des accords douaniers.
La France était la première à exprimer son avis, vu que les promoteurs de l'Angleichung présentaient celle-ci comme le point de départ et le modèle de l'action économique européenne préconisée par M. Aristide Briand. Le premier mouvement de l'opinion française fut de critiquer l'effet de surprise employé par les diplomates allemands et autrichiens, qui mettaient l'Europe en présence d'un fait accompli, après avoir conduit leurs tractations dans le secret. Ceux-ci d'ailleurs répliquaient qu'ils s'étaient décidés à brusquer les choses « parce que le moulin économique de la Paneurope tournait trop lentement » et qu'au surplus il ne s'agissait que d'une base d'accord, d'une déclaration de principe, et non d'un acte. Mais le grief fondamental formulé à Paris et ailleurs reposait sur l'incompatibilité entre le projet d'union douanière et les dispositions du protocole de Genève de 1922. Cette question sera traitée ailleurs ne retenons ici que la procédure adoptée sur l'intervention de M. Henderson, qui consiste à porter le litige devant le Conseil de la Société des Nations, et arrêtons-nous de préférence sur l'attitude respective des divers États.
La France voit avant tout dans l'Angleichung, non pas une « entente régionale », qu'exclut la disproportion entre les deux États contractants, mais un moyen détourné d'arriver à la constitution d'un bloc germanique qui manœuvrerait les commandes de la vie économique dans la majeure partie du continent et récupérerait par là la prépondérance politique que les traités ont eu pour objet de lui arracher. Ce qui n'exclut point la préoccupation d'une politique
QUESTIONS POLITIQUES ET JURIDIQUES 1 1 1
constructive, tendant à trouver un remède « européen » et non « austro-allemand » au chaos économique invoqué par l'Autriche pour s'unir à l'Allemagne. Alors que Vienne et Berlin voient dans leur accord une anticipation du projet Briand d'organisation européenne, Paris considère au contraire cet accord comme une pierre sur la route qui conduit à cette organisation.
L'idée du gouvernement français est donc de rechercher une formule permettant un groupement d'intérêts, non pas de peuple à peuple, mais entre un assez grand nombre de puissances. Par là pourraient être jetés les fondements d'une réelle coopération économique de l'Europe, coopération à laquelle l'Allemagne et l'Autriche participeraient tout naturellement.
Le Cabinet britannique est surtout attentif aux obligations contractées vis-à-vis de la Société des Nations. Il considère également le rapport existant, entre l'union douanière envisagée et la clause de la nation la plus favorisée figurant dans ses traités commerciaux avec l'Autriche et l'Allemagne. Sur le fond du problème, il se montre plus réservé. Il admet que le projet d'union douanière est inopportun, mais il ne se montre pas soupçonneux au même degré que la France, quant au processus d'unification politique dont l' Angleichung serait la préparation. En réalité, l'opinion britannique ne serait pas éloignée de considérer la nouvelle construction économique comme marquant un progrès sur le régime actuellement en vigueur dans l'Europe centrale et orientale.
Toute autre est la position de la Tchécoslovaquie, qui se défend énergiquement d'avoir privé l'Autriche des moyens de sauvegarder son indépendance économique et qui sent plus directement qu'aucun autre État la menace de pression émanant du bloc germanique. Sans doute Berlin et Vienne font-ils aux Tchécoslovaques, comme aux autres peuples, l'offre d'entrer dans l'union projetée. Mais, même avec les Yougoslaves, les Roumains et les Hongrois, ils ne formeraient qu'une minorité ce serait l'Allemagne qui déterminerait la politique commerciale de cet ensemble d'États, et la Tchécoslovaquie serait contrainte d'adapter toute la structure de sa vie économique à celle de l'Allemagne. Il en résulterait un handicap durable pour son commerce et sa production.
En outre, l'économie de l'Autriche est tributaire de celle des États danubiens. Elle leur achète des produits agricoles et leur vend ou leur réexporte des produits industriels. L'Angleichung agirait donc comme si l'Autriche procédait pour son compte à un relèvement de ses barrières douanières, relèvement portant sur ceux des pro-
duits qui lui sont fournis par ses voisins, lesquels sont en même temps ses meilleurs clients (1).
Parmi les Etats balkaniques, c'est la Yougoslavie qui a protesté le plus vivement contre le protocole de Vienne. On n'y éprouve nul désir de voir cette capitale devenir I'« Ausfallstor des marchés de la Péninsule. La réalisation de l'union aurait en effet pour conséquence de restreindre les exportations yougoslaves à destination de l'Autriche, et de donner à l'industrie allemande le dessus dans les importations. Or, dès maintenant, les échanges entre l'Allemagne et la Yougoslavie accusent un passif de 400 millions pour cette dernière. La Roumanie, bien que n'ayant pas de frontière avec l'Autriche, ne s'en tient pas moins dans une position analogue elle se place, dans cette question, aux côtés de ses deux alliés de la Petite Entente avec d'autant plus de fermeté qu'une adhésion de la Hongrie au bloc germanique est à envisager et que cette adhésion produirait dans le bassin du Danube un déséquilibre profond.
Pour Budapest en effet, la question de l'adhésion se poserait assez rapidement si Londres et Paris ne soulevaient pas de trop pressantes objections. Bien que les intérêts et la structure économique de la Hongrie portent plus naturellement ce pays vers une solidarité avec les États du sud-est européen, elle n'en serait pas moins orientée par des raisons de sentiment et de politique vers la coalition historique Berlin-Vienne, quitte à procéder à des reclassements dans son industrie, dont certaines branches (textile, notamment) seraient menacées, d'autres favorisées.
L'attitude de l'Italie est plus complexe. Bien que se trouvant, au regard de l'Anschluss, dans une position politique et économique assez comparable à celle de la Tchécoslovaquie, elle hésite à se départir de certains ménagements vis-à-vis des États à tendances revisionnist,es. Elle ne sous-évalue pas les dangers que l'Anschluss représenterait pour elle, mais elle les met en balance avec l'influence de la Petite Entente et surtout de la Yougoslavie, influence qu'elle se consolerait de voir paralysée par un puissant bloc germanique. Bref elle ne voudrait ni d'un système accentuant la poussée germanique par Trieste, ni d'une contre-manœuvre renforçant, dans la vallée du Danube, une solidarité qu'elle croit se développer à ses dépens. A. M.
(1) Cf. l'Europe Centrale, du 4 avril, pp. 292-293.
Chronique Juridique
Questions de droit posées par l'accord douanier austro-allemand. L'habile rédacteur du Protocole de Vienne a eu manifestement pour principal souci de juxtaposer aux bases d'une o assimilation » économique et douanière complète les formules juridiques susceptibles de lui donner l'apparence la plus innocente. Avant même que l'objet de la négociation ait été énoncé, l'article 1 réserve l'indépendance des deux Etats, les engagements pris à l'égard des tiers, et présente le traité comme le début d'une réglementation par voie d'accords régionaux. Les dispositions qui suivent obéissent à un rythme très marqué les deux administrations douanières doivent rester indépendantes, mais des mesures techniques seront prises pour assurer une application identique de la loi douanière et du tarif douanier, identiques pour les deux pays (art. 5) chacun des deux gouvernements conserve « en principe » le droit de conclure des traités de commerce avec des États tiers, mais ils doivent veiller à ce que ces traités ne soient pas en contradiction avec les buts de l'accord austro-allemand, et « pour autant que ce sera dans l'intérêt d'une réglementation simple, prompte et uniforme des relations commerciales avec des Etats tiers et que cela semblera approprié et possible, les gouvernements allemand et autrichien entreprendront des négociations communes en vue de conclure des traités de commerce avec ces États tiers » il est bien notable que le protocole éprouve le besoin d'ajouter « mais, dans ce cas également, l'Allemagne et l'Autriche signeront et ratifieront, chacun pour soi, un traité séparé » d'ailleurs l'unité d'action n'en sera pas moins assurée, car elles s'entendront « sur un échange simultané des instruments de ratification avec l'État tiers ».
Dès que l'accord austro-allemand fut connu, la question se posa de savoir s'il est compatible avec certains engagements des Puissances intéressées l'article 80 du traité de Versailles, par lequel l'Allemagne reconnaît et s'engage à respecter « strictement » l'indépendance de l'Autriche, qui est inaliénable, si ce n'est du consentement
du Conseil de la Société des Nations; l'article 88 du traité de SaintGermain qui énonce avec plus de fermeté encore le même principe et par lequel « l'Autriche s'engage à s'abstenir, sauf du consentement dudit Conseil, de tout acte de nature à compromettre son indépendance, directement ou indirectement et par quelque voie que ce soit » enfin et surtout le protocole de 1922, signé par l'Autriche lors de sa restauration financière sous les auspices de la Société des Nations aux termes de ce texte le gouvernement autrichien « s'engage à s'abstenir de toute négociation et de tout engagement économique ou financier qui serait de nature à compromettre directement ou indirectement l'indépendance du pays ».
C'est sur le terrain de ce dernier texte que le problème semble avoir été décidément posé par les démarches de M. Henderson. Mais il ne faut pas croire que c'est là abandonner la base de discussion qui se trouve dans les traités de paix car le protocole de 1922 commence par rappeler l'article 88 du traité de Saint-Germain dont il n'est qu'une application et il n'est pas douteux, par ailleurs, que l'article 80 du traité de Versailles est solidaire de l'article 88 du traité de Saint-Germain. C'est, dans les divers textes, le même principe qui s'exprime il a reçu seulement une expression plus ou moins développée.
Dans les premiers entretiens auxquels a donné lieu l'accord, les gouvernements allemand et autrichien ont eu le souci de concentrer la discussion future sur la question strictement juridique, en écartant le problème politique et cette prétention fait d'autant mieux comprendre le soin que l'on a mis à inscrire dans le Protocole de Vienne les formules relatives au maintien de l'indépendance des deux pays. Mais il est difficile de voir comment on pourrait dissocier le problème politique du problème juridique. La tâche du juge saisi sera inévitablement de chercher, à travers les formules, si la situation nouvelle qui est créée reste compatible avec les engagements pris dans les textes précités. Ce serait, à notre sens, fausser le problème que de le ramener, comme on a voulu le faire (Journal de Genève du 31 mars), à une question abstraite comme celle-ci « Le régime de l'union douanière laisse-t-il intacte l'indépendance économique d'un Etat ? » Ce qu'ont visé les textes de 1919 et de 1922, c'est une situation politique concrète. Le corps compétent pour autoriser sa modification est un corps politique le Conseil de la Société des Nations.
Il est apparu dès l'origine que la Société des Nations devait être saisie. Mais sur quelle base, et par quelle procédure ? On ne semble
pas avoir voulu poser brutalement la question de l'Anschluss en invoquant les textes de Versailles et de Saint-Germain.
On devait songer à l'article 11 du Pacte. Dans ses déclarations du 31 mars devant le Conseil d'Empire, le Dr Curtius, en acceptant que la question de la compatibilité de l'accord avec les engagements antérieurs fût portée devant la Société des Nations, a déclaré faire objection à ce que l'on mît en discussion l'accord « comme étant un danger pour la paix ». On a compris qu'il écartait ainsi l'application de l'article 11. Il faut cependant ne pas oublier que, sil'alinéa 1 de cet article vise une guerre ou une menace de guerre, l'article 2 est plus compréhensif et moins brutal, puisqu'il vise toute circonstance qui menace de troubler non seulement la paix, mais « la bonne entente entre nations, dont la paix dépend ».
II semble pourtant, d'après les déclarations faites jusqu'ici, que l'on songe plutôt à saisir le Conseil, en raison de cette circonstance spéciale que le protocole de 1922 a été conclu sous les auspices de la Société et qu'un protocole solidaire du premier institue expressément la compétence du Conseil. D'autre part, dans ses déclarations du 30 mars à la Chambre des Communes, M. Henderson, en formulant son intention de porter la question devant la prochaine session du Conseil, s'est montré favorable à une demande d'avis consultatif que celui-ci adresserait à la Cour. Etant donné les aspects juridiques du cas, cette procédure paraît s'imposer. Mais il convient de rappeler que, sur deux points essentiels, des difficultés sérieuses existent d'abord il n'est pas sûr que l'avis de la Cour puisse être demandé à la simple majorité d'autre part et surtout, si théoriquement l'avis ne lie pas le Conseil, la liberté de décision de ce dernier se trouve en fait à peu près paralysée par l'avis de la Cour. On sentira toute la gravité de cette conséquence dans une espèce où, quoi qu'on veuille prétendre, le politique est inséparable du juridique et l'on voit en même temps quelle importance prendra la rédaction des questions qui pourront être posées à la Cour.
Les pourparlers navals anglo-îianeo-italiens et le traité de Londres. – Les pourparlers qui se sont déroulés à la fin de février, à Paris, puis à Rome, et encore à Paris lors du voyage de MM. Henderson et Alexander n'ont abouti on l'a bien vu au cours du mois de mars qu'à un accord de principe entre la France et l'Italie: ils laissaient à préciser, semble-t-il, à la fois les décisions de fond et la forme juridique sous laquelle elles viendraient compléter le traité de Londres.
Il n'est peut-être pas superflu de rappeler ti quelle situation assez compliquée avait conduit l'impossibilité de réaliser au début de 1930 l'accord complet entre les cinq Puissances qui négociaient au sujet de la limitation de leurs armements navals.
Le traité signé à Londres le 22 avril 1930 comprend cinq parties, dont quatre seulement sont appelées à lier les cinq Puissances contractantes la première, relative aux bâtiments de ligne et porteaéronefs la seconde, relative aux sous-marins et aux bâtiments exempts de limitation ainsi qu'aux règles de remplacement la quatrième qui formule certaines règles de droit pour la protection des navires de commerce la cinquième, qui énonce les conditions de la mise en vigueur du Traité et de sa durée. Quant à la troisième, relative aux « forces auxiliaires », elle ne lie que les États-Unis, la Communauté de Nations britannique et le Japon.
La cinquième partie tire les conséquences de cette situation 1° dès que les ratifications des trois Puissances qui adhèrent à toutes les stipulations du traité auront été déposées, le traité entrera en vigueur à l'égard de ces Puissances cette situation s'est réalisée le 31 décembre 1930. 2° Passée cette date les parties I, II, IV, V entreront en vigueur à l'égard de chacune des deux autres Puissances (France, Italie) par le dépôt de sa ratification. 3° Enfin et c'est là le texte capital (art. 24-4) dans l'état actuel des choses «les II. P.C. détermineront d'un commun accord la date à partir de laquelle les modalités selon lesquelles les obligations que les [EtatsUnis, la Grande-Bretagne, le Japon] ont assumées en vertu de la partie III les lieront vis-à-vis de la France et de l'Italie le susdit accord déterminera en même temps les obligations correspondantes de la France et de l'Italie vis-à-vis des autres II. P. C. ».
Ce texte indique bien nettement que, le jour où la France et l'Italie se trouveraient en situation d'adhérer aux principes de la partie III, un accord complémentaire aurait à intervenir entre les cinq Puissances intéressées. Mais ici apparaît une grave difficulté pratique. La procédure de ratification, aux États-Unis comme au Japon, est pour les Gouvernements une chose très délicate il n'est pas besoin de rappeler qu'ici le Sénat, là le Conseil Privé usent très sévèrement des droits que textes et usages constitutionnels leur confèrent. A Tokio en particulier le traité naval a été très âprement discuté. On comprend que les gouvernements américain et japonais désirent que l'accès de la France et de l'Italie aux principes du traité de Londres se produise sous une forme qui laisse intact ce traité et les dispense de conclure un nouveau traité en forme, soumis à la formalité de ratification.
Ces préoccupations semblaient, pendant les premières semaines de mars, les plus importantes. Il est apparu ensuite qu'aux difficultés de présentation juridique se juxtaposaient certains problèmes d'interprétation des formules sur lesquelles l'accord semblait fait. Protection des minorités (Mandelstam). La question des minorités est à l'ordre du jour de la session de 1931 de l'Institut de droit international. Aussi est-il particulièrement opportun d'avoir sur le sujet un travail d'ensemble d'un jurisconsulte qui a tenu dans les discussions antérieures un rôle de premier plan. M. Mandelstam a professé en 19'O3, à l'Académie de droit international de La Haye, un cours sur les minorités il a fait rapport sur le même sujet à l'Institut de droit international, en 1925 et en 1928, et a présenté en 1927 un mémoire a V Académie diplomatique internationale. Il met à jour ses idées dans un précieux ouvrage, dont la première partie vient de paraître (1) ce volume est descriptif, le suivant traitera le problème du point de vue théorique.
Dans ce premier volume, aux textes importants relatifs à la protection des minorités (articles de traités, avis et arrêts de la Cour permanente de justice internationale, résolutions du Conseil de la Société des Nations, ) l'auteur a eu soin de joindre de nombreuses citations, empruntées surtout aux débats de Genève, et qui reconstituent très heureusement l'atmosphère politique et morale dans laquelle se posent les questions. La procédure devant le Conseil est analysée avec une précision remarquable, et sur chaque point les précédents sont rapportés avec une ampleur suffisante pour que l'attitude des Puissances et des organes internationaux soit pleinement intelligible. En définitive l'ouvrage fournit, selon l'intention de l'auteur, la base concrète nécessaire à toute discussion théorique. J. R.
(1) André N. MANDELSTAM, La protection internationale des minorités, Ire partie La protection des minorités en droit international positif, 223 p. in-8°, Paris, Sirey, 1931. Cf. sur une question connexe Robert Redsi.ob, Le principe des nationalités, 276 p., gr. 8°, Paris, Sirey, 1930. Après avoir étudié la réaction sur les rapports entre Etats et Nations des facteurs géographiques, stratégiques, économiques, M. Hedslob passe en revue les solutions possibles annexion, cession, sécession migration décentralisation régionale, protection des minorités. Il conclut en soulignant l'importance de la fonction d'équité, qui revient surtout, en l'espèce, à la Société des Nations ce qui compte le plus, « ce n'est pas une loi, c'est le jugement d'une cause ». Nos lecteurs trouveront ci-après l'opinion, sur cette question délicate, du Prof. Le Fur.
La codification chinoise et l'exterritorialité
Le 5 septembre 1902, l'Angleterre et la Chine signaient un traite Ô dont l'article 12 est ainsi rédigé « La Chine ayant exprimé un vif désir de réformer son système judiciaire et de le mettre en harmonie avec celui des nations occidentales, la Grande-Bretagne convient de donner toute son assistance à cette réforme, et elle sera disposée également à abandonner ses droits d'exterritorialité lorsqu'elle se sera assurée que l'état des lois chinoises, les dispositions pour leur application et autres conditions lui donneront garantie pour agir ainsi ». Une clause semblable figure dans les traités sino-américain, article 15, et sino-japonais, article 11, conclus le 8 octobre 1903. A cette époque, dix-huit Puissances jouissaient en Chine de l'exterritorialité juridictionnelle.
On assistait alors aux premiers essais de codification. La Chine impériale possédait à la vérité un immense corps de lois et de réglements, mais sa conception du droit demeurait fort étrangère aux Occidentaux. Ceux-ci n'étaient sensibles qu'aux inconvénients pratiques de cette conception, dont bien peu sentaient la grandeur. Leurs prétentions à contraindre la Chine à adopter une politique juridique européenne sont la cause immédiate de la réforme législative, réforme qui, entamée vers la fin de l'Empire, reçut successivement l'impulsion des deux révolutions de 1911 et de 1928. Actuellement, sur vingt-cinq Puissances ayant des traités avec la Chine, dix n'ont pas ou n'ont plus le bénéfice de l'exterritorialité, six v ont renoncé conditionnellement. Les traités de trois autres ont expiré et six seulement possèdent ce privilège, dont les traités n'ont plus que quelques années à courir. La situation, on le voit, est singulièrement différente de celle de 1902. En vérité, l'exterritorialité aura disparu avant dix ans et tous les étrangers seront justiciables
des tribunaux chinois. Il leur sera de même fait application des lois chinoises, conformément aux principes généraux du droit international privé. C'est déjà chose faite en matière de juridiction mixte, c'est-à-dire lorsqu'un étranger ayant des droits d'exterritorialité poursuit un Chinois, à titre de demandeur ou de plaignant. Depuis le 1er avril 1930, la Cour mixte de la concession internationale de Chang-Haï est supprimée et remplacée par deux tribunaux chinois de première instance et d'appel, les recours en dernier ressort étant de la compétence de la Cour Suprême de Nankin.
Il ne s'agit pas ici d'apprécier cet état de choses. Il faut l'envisager tel quel et marquer le rapport existant entre l'abolition graduelle de l'exterritorialité et la codification chinoise. Sauf un nombre infime d'initiés, bien peu de gens se doutent de l'effort accompli par la Chine en matière de réformes législatives. C'est sur cet effort que je voudrais très brièvement attirer l'attention.
Toute la réglementation en vigueur est contenue dans une publication chinoise remarquablement présentée et d'une consultation très commode, intitulée Kouo min tcheng fou s.seu fa li kernel, c'està-dire lois et règlements du Conseil de justice du Gouvernement National. Elle comporte deux gros volumes publiés à Nankin le 28 février 1930 et ne comptant pas moins de 1.750 pages. Y figurent l'ensemble des textes promulgués, depuis le 1er juillet 1925, en matière de droit public et de droit privé, ainsi que ceux des textes antérieurs maintenus en vigueur par le Gouvernement National. Le tout est à jour au 1er février 1930. A partir de cette date, les documents législatifs et réglementaires paraissent dans le Sseu ja kong pao, journal officiel du Conseil de Justice, publication hebdomadaire. Ainsi unifiée, la documentation est fort simple en notre matière.
D'autre part, l'article 1er du nouveau Code civil indique expressément qu'en l'absence de textes législatifs, on doit appliquer les coutumes, la Cour Suprême ayant du reste depuis plusieurs années édifié une théorie de la coutume et de sa valeur en tant que source du droit. C'est là un point sur lequel se sont maintes fois expliqué les jurisconsultes et hommes politiques chinois, entre autres M. Hu Han-min, président du Conseil législatif, et le Er Wang Ch'ung-hui, président du Conseil de justice et juge à la Cour permanente de justice internationale. Sur ces coutumes, l'on trouve les informations les plus abondantes dans un autre recueil officiel, le Mm chang che si, lan t'iao tch'a kao pao lou, 2 volumes parus, août 1930. Cet ouvrage contient le rapport d'ensemble rédigé à la suite d'une enquête faite
dans les provinces, il y a plusieurs années, sur les coutumes en vigueur en matière civile et commerciale. A condition d'être utilisé avec prudence, il peut rendre d'inappréciables services pour l'étude du droit positif chinois.
Si nous consultons la table des matières du Kouo min tcheng fou sseu ta li kouei, nous trouvons en tête l'abondante réglementation concernant l'organisation et les attributions du parti Kouo mm, ou nationaliste. On sait en effet que l'actuel gouvernement de la Chine, rappelant à ce point de vue les conceptions fascistes et soviétiques, comporte une interdépendance absolue des organes de parti et des institutions de gouvernement. En matière législative, c'est le parti qui, par l'intermédiaire d'un de ses organes, le Conseil politique central, délibère sur les directives à donner aux conseils techniques chargés d'élaborer les lois nouvelles. Il ne faut pas oublier, en effet, que toute la législation moderne est conforme au programme tracé par Sun Yat-sen dans son ouvrage sur les « Trois principes du Peuple », San min tchou yi. Le contrôle constant du parti permet seul d'assurer cette conformité.
La deuxième partie du recueil est consacrée à l'organisation générale du gouvernement et des cinq Yuan ou conseils qui en constituent le cadre. Le texte fondamental est ici la loi organique du Gouvernement national, du 8 octobre 1928, revisée en novembre 1930. Un chapitre spécial est consacré à l'organisation judiciaire. Une troisième partie fort développée (plus de 200 pages), contient tous les textes relatifs au statut général des fonctionnaires.
L'administration de la justice, les règles générales de compétence et de procédure font l'objet d'un grand nombre de documents rassemblés dans la quatrième partie.
La cinquième contient les textes concernant le droit civil et le droit commercial et comporte plus de 350 pages.
La sixième, presqu'aussi développée, renferme les textes de droit pénal. Les matières de droit administratif occupent la septième partie, tandis que celles qui se rapportent au judiciaire, telles que le régime des prisons, le statut des avocats, etc., figurent dans une huitième partie.
La neuvième, fort courte, ne contient que des documents intéressant les affaires étrangères. La dixième est réservée à des réglementations diverses.
Un supplément, établi d'après les mêmes divisions que le corps de l'ouvrage, termine le deuxième volume.
On voit, par cette sèche énumération, que la Chine possède actuelle-
ment un corps à peu près complet de législation sur l'ensemble des institutions que l'on rencontre dans toute société civilisée. Cette législation a été établie avec beaucoup de soin et de compétence. Faisant état sans servilité des progrès juridiques de l'Occident, elle ne constitue pas en général une répudiation brutale du passé. A la considérer en elle-même, et sans parler quant à présent de son application, elle est assurément satisfaisante et de nature à suggérer l'impression que les conditions énoncées dans le traité sino-britannique de 1903 ont été remplies.
Il ne saurait être question, dans cette courte notice, de donner des détails sur les documents législatifs chinois. Je signale seulement les points culminants de l'œuvre de codification.
Le code civil vient d'être achevé tout récemment. Il se compose de cinq livres, comprenant 1.225 articles. Le livre 1 (Principes généraux), promulgué le 23 mai 1929, est entré en vigueur le 10 octobre. Le livre II (Obligations), promulgué le 22 novembre 1929 et le livre III (Droits réels), promulgué le 30 novembre 1929, sont entrés en vigueur le 5 mai 1930. Le livre IV (Famille) et le livre V (Successions) ont été promulgués le 26 décembre 1930 et entreront en vigueur le 5 mai 1931. Des lois d'application, au nombre de cinq, complètent ces dispositions. La promulgation du code civil, en gestation depuis plus d'un quart de siècle, est un événement dont on ne saurait exagérer l'importance.
Ce code, dans son livre second, est un code des obligations sur le modèle du code suisse, c'est-à-dire qu'il embrasse l'ensemble du droit des affaires, civiles ou commerciales. Sans doute la distinction entre les commerçants et les non-commerçants est-elle très nette en Chine à de multiples points de vue. Mais c'est une distinction essentiellement subjective, c'est-à-dire faite par rapport aux personnes, et bien moins marquée en ce qui concerne les actes. La tradition chinoise rejoint sur ce point les traditions de l'ancien droit européen, d'après lesquelles le droit commercial était, non pas le droit des actes de commerce, mais le droit des commerçants, de la profession commerciale.
Aussi les institutions propres aux commerçants font-elles l'objet de lois séparées, et non pas d'un code de commerce parallèle au code civil. Parmi ces lois, les plus importantes concernent les effets de commerce (30 octobre 1929), les Sociétés commerciales (26 décembre 1929), les Assurances (30 décembre 1929), le Commerce maritime (30 décembre 1929). Une réglementation très abondante est relative aux organes de représentation commerciale, qui jouent un rôle
capital dans l'organisation sociale et politique chinoise. Aussi bien les associations de toute nature font-elles l'objet de nombreuses dispositions.
La législation pénale comprend tout d'abord le remarquable code pénal du 10 mars 1928, en vigueur le 1er septembre. Il est complété par une législation spéciale, dans laquelle il convient surtout de remarquer la Loi sur la répression des contraventions de police, du 21 juillet 1928, et le code pénal pour l'armée de terre, de mer et de l'air, du 25 septembre 1929.
Enfin, dans le domaine de la procédure, sans parler d'une réglementation de détail fort copieuse, on doit signaler un code de procédure pénale, du 28 juillet 1928, entré en vigueur le 1er septembre 1928, et un code de procédure civile dont une grande partie (534 articles) a été promulguée le 26 décembre 1930.
Il est donc permis de dire que la Chine est désormais en possession d'une codification moderne à peu près complète. Près de trente ans y auront été employés, car c'est au début de la 28e année Kouang-siu (1902) que, pour la première fois, de hauts fonctionnaires impériaux soumirent au Trône un mémoire exposant que la Chine ne pouvait demeurer plus longtemps étrangère au mouvement de codification qui se généralisait dans le monde entier.
Même les étrangers les moins bien disposés à l'égard de la Chine admettent assez volontiers que sa législation moderne offre toutes les garanties désirables. Mais ils se retranchent derrière l'affirmation, maintes fois répétée, qu'il s'agit là seulement de codes sur le papier, pratiquement inapplicables et inappliqués, et que les magistrats chinois ont conservé les tares qui avaient rendu l'ancien régime tristement célèbre. Ce second grief, s'il était établi, ne reposerait jamais que sur des faits isolés ne se prêtant pas à la généralisation. Il convient en revanche d'examiner si le premier est fondé. Il est d'abord exact que les Chinois ne connaissent pas encore, dans leur masse, notre conception de la loi, c'est-à-dire d'une règle inflexible devant laquelle doivent céder toutes considérations, règle à laquelle, latins que nous sommes, nous portons une vénération qui touche au fétichisme. Mais il ne faut pas voir dans ce fait la conséquence d'un moindre sens moral. Ceci tient en premier lieu à ce que les procédés généraux de la connaissance s'établissent, pour un Chinois, sur un autre plan que pour un Occidental. Le Chinois possède insuffisamment l'esprit de synthèse et d'abstraction. Il voit surtout des séries de cas concrets difficilement ramenables à l'unité. Son esprit se représente une tasse bleue, une tasse verte, une tasse
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rouge, mais bien plus malaisément le concept abstrait de tasse. Aptitude à la généralisation, croyance au principe d'identité, ces pièces essentielles du raisonnement occidental font défaut au raisonnement chinois. Or, une loi, c'est avant tout une règle abstraite établie à l'aide de concepts, c'est-à-dire de raisonnements dégagés de cas concrets.
En outre, la notion de gouvernement, c'est-à-dire d'un pouvoir chargé et capable de légiférer, est peu familière à la conscience chinoise. Il n'y a pas de peuple qui ait su, mieux que les Chinois, s'adapter à la carence du gouvernement, à l'absence totale, même, de gouvernement. Ce qui n'a pas empêché ses philosophes, presque tous doublés d'hommes politiques, de s'user à la recherche des meilleures méthodes de gouvernement. La Chine, à ce point de vue, a subi tout entière l'emprise de la conception confucéenne de l'ordre naturel, que le prince se borne à faire respecter en en donnant luimême l'exemple dans sa conduite, ce qui exclut la notion de contrainte qui est à la base de toute législation. Confucius, dit l'histoire, soupire quand il apprend que le ministre d'un Etat voisin a promulgué un code Et les vues opposées, si modernes, si proches de nos conceptions gréco-romaines, que professeront les philosophes de l'école dite des lois, Fa kia, se révèleront toujours en antinomie avec la conscience nationale chinoise.
Aux diverses époques, les Chinois eux-mêmes remarqueront, sans en être le moins du monde incommodés, cette indifférence de leur race à l'égard des lois. Dans son « Etude des idées juridiques de l'antiquité chinoise », Tchong kouo hou taifa II hio, 1925, Introduction, M. Wang Tchen-sien s'exprime ainsi: «Les dispositions légales contenues dans les codes sont le plus souvent nominales, on ne les applique pas. Bien des dispositions sont purement idéales, et quoique des réglementations anciennes ne cadrent plus avec les institutions actuelles, on les maintient dans le Code. On garde les règles des ancêtres par respect, et on conserve les listes d'infractions et de peines pour servir de modèle. Mais ce qui est dans le Code n'est pas forcément en vigueur. » Et l'auteur cite dans le même sens un passage d'un juriste chinois du xvie siècle. De même, tout récemment, le président du Conseil législatif, M. Hu Han-min, rappelait que la notion du «gouvernement par la loi » était encore peu répandue en Chine. Enfin, dans l'introduction à la traduction française, en cours d'impression à Nankin, des livres du Code civil relatifs à la Famille et aux Successions, livres qui consacrent, de par la volonté du Gouvernement national, des modifications radicales dans l'ancienne
organisation sociale du pays, on relève ces déclarations significatives « Alors que les dispositions du nouveau régime seront accueillies avec faveur et facilement observées par les groupes ouverts pénétrés du courant des idées modernes, en particulier par les jeunes générations des ports ouverts, il faudra sans doute attendre des années pour qu'elles soient comprises et acceptées des populations de l'intérieur. A ces populations, les livres IV et V du Code proposent plutôt un modèle vers la réalisation duquel elles doivent tendre qu'une norme impérative à observer. » Ainsi, l'antique conception chinoise sur la valeur toute relative de la loi subsiste toujours au fond des esprits les plus ouverts aux conceptions occidentales.
Mais ces constatations faites, ce serait une erreur de les généraliser et de les déformer. D'abord parce que la mentalité ancienne est en train d'évoluer lentement. La connaissance du droit, le goût des choses du droit, la discussion juridique, tout ceci commence à se répandre chez les hommes instruits, ceux qui eussent appartenu, sous l'ancien régime, à la classe des lettrés, façonnés par une discipline littéraire unique. Le juriste est un produit de la Chine nouvelle, j'entends le juriste théoricien. Et je n'en veux pour preuve que l'extraordinaire floraison d'ouvrages et de publications juridiques, notamment de revues consacrées à la science du droit dans son ensemble, ou à une branche spéciale. Il y a vingt ans, on aurait, je crois, vainement cherché une publication de ce genre dans tout l'empire. Ou du moins, les publications consacrées à l'ancien droit, fort peu nombreuses dans cet océan qu'est la littérature chinoise, ne répondaient en rien à ce que nous avons coutume d'attendre d'un ouvrage qualifié de « juridique ».
Mais, ce qui, à mon sens, suffit pour affirmer que la nouvelle législation chinoise n'est nullement destinée à n'être qu'une législation de parade, une œuvre sur le papier, c'est de constater le nombre très élevé des décisions de justice qui en font l'application. A ce point de vue et ceci est à mes yeux de la plus haute importance les tribunaux chinois jouent un rôle essentiel en adaptant ces lois modernes aux conditions sociales actuelles, en comblant peu à peu le fossé qui semblerait séparer, au premier abord, la loi et les mœurs, et ceci, qu'il s'agisse de rajeunir des textes anciens, ou qu'il s'agisse d'atténuer les contours trop rigides des textes modernes, de les vieillir artificiellement, en quelque sorte, pour leur enlever ce que leur aspect trop neuf pourrait avoir d'agressif. Ce travail des tribunaux s'effectue par deux procédés techniques distincts. L'un est le procédé normal des décisions rendues dans des
espèces concrètes. Nous le connaissons surtout par la publication des décisions de la juridiction la plus importante, celles de la Cour Suprême. A cet égard, l'œuvre accomplie à Pékin, de 1912 à 1927, et à Nankin, depuis 1928, est digne de la plus haute estime. Mais il existe un autre procédé fort original consistant dans l'unification de l'interprétation du droit par des décisions formulées d'une manière abstraite, et qu'on appelle décisions d'interprétation, kiai che li. Elles ont été d'abord l'œuvre du président de la Cour Suprême, et sont actuellement rendues par le Sseu fa yuan, ou Conseil de Justice, assisté des présidents de la Cour. L'institution est régie par des textes des 20 octobre et 17 novembre 1928, complétés par un règlement du 3 janvier 1929. Ces décisions « disent le droit » d'une manière obligatoire pour tous les tribunaux. Leurs solutions, formulées en termes lapidaires, sont destinées à prendre place à la suite des codes et des lois objet de l'interprétation, et à avoir pratiquement même force obligatoire que le texte, méthode dont les précédents remontent en Chine à une haute antiquité. Celles de la Cour Suprême de Pékin, au nombre de 2012, ont été récemment rassemblées dans une magnifique publication privée due à M. Kouo Wei, Ta II yuan kiai che li ts'iuan wen, septembre 1930. Les 245 décisions suivantes, émanées de la Cour Suprême réorganisée à Nankin, ont paru dans le recueil législatif mentionné au début de cette notice, à la suite des textes législatifs ou réglementaires. Enfin, celles qui émanent du Conseil de justice, depuis le 16 février 1929, sont publiées dans le Sseu fa kong pao. A titre d'indication, je noterai que la décision n° 438 est datée du 10 février 1931. La moyenne atteint 200 par an. Egalement pour information, je noterai que la Cour Suprême a rendu, en 1929, près de sept mille décisions contenticuses. Il convient d'observer que les demandes qui ont motivé les décisions d'interprétation, ou les recours devant la Cour Suprême, concernent presque toutes les branches du droit, le droit pénal ayant d'ailleurs une évidente suprématie, et, ce qui est digne de remarque, que ces demandes et ces recours proviennent de toutes les régions de la Chine.
Je ne puis développer ces considérations sous peine d'allonger une notice que je désirais très brève. J'ai seulement voulu, par quelques faits, montrer que non seulement la Chine possède désormais une codification à peu près complète et hautement estimable, mais encore, qu'en dépit de la survivance d'antiques conceptions relatives à la valeur de la loi, la « chose juridique » suscite un intérêt croissant dans la classe des lettrés, tandis que les textes font l'objet
d'un grand nombre d'applications jurisprudentielles. Dans ces conditions, tout en faisant la part aux incidents isolés susceptibles de surgir dans les relations sino-étrangères lorsque les étrangers auront perdu définitivement l'exterritorialité, j'estime que ces faits sont de nature à calmer certaines appréhensions. Aussi bien, l'abolition de l'exterritorialité étant un événement proche et inévitable fait accompli, au reste, pour la moitié environ des étrangers qui vivent en Chine mieux vaut chercher à connaître et à comprendre la situation actuelle que se répandre en plaintes et en protestations. A cet égard, l'exemple des Allemands, revenus en Chine en grand nombre, fort bien vus des Chinois, et qui, en dépit de la perte de leurs privilèges, sont en train de reconquérir à grande allure leurs positions commerciales, est un sujet d'utile méditation.
Jean EscARRA.
Professeur agrégé à la Faculté de Droit de Paris,
Chargé de cours à l'Institut des Hautes- Etudes Chinoises
Conseiller du Gouvernement Chinois.
La protection internationale des droits de l'homme
En présence des difficultés auxquelles donne lieu la protection des minorités, l'Académie diplomatique internationale et l'Institut de Droit international, sur l'initiative du grand spécialiste du droit des minorités, M. A. Mandelstam, ont tenté récemment une sorte de mouvement tournant qui permettrait, en reconnaissant une protection internationale des droits de l'homme en général, de se placer sur un terrain moins dangereux.
Cette conception d'une protection internationale des droits individuels, qui transpose le problème politique de la protection des minorités sur le plan juridique de la reconnaissance générale des droits de l'homme, est évidemment très intéressante. Elle permet d'écarter la grave objection tirée de la violation de l'égalité juridique des Etats, qu'invoquent aujourd'hui les Etats seuls soumis à une protection des minorités. Elle a de plus le grand avantage de ne pas modifier la conception traditionnelle de l'Etat. Les partisans du LI droit absolu des minorités présentent volontiers une conception nouvelle de l'Etat ils déclarent qu'il faut le « désolidariser » d'avec la nationalité, une sphère de compétence distincte étant désormais attribuée à chacune de ces deux institutions, à l'image de ce qui existe déjà aujourd'hui pour la religion sauf en ce qui concerne la religion orthodoxe, qui a encore une tendance marquée, dans l'est de l'Europe, à rester une religion nationale (et c'est précisément pour cette raison que ces pays, en y ajoutant la Pologne catholique qui, elle, lutte contre les uniates catholiques de rite grec sont à peu près les seuls aujourd'hui où se pose la question des minorités religieuses), la religion est aujourd'hui distincte de l'Etat et tend à devenir inter-étatique.
La Grande-Bretagne, à raison des multiples nationalités dont se compose l'immense Empire britannique, paraît accepter déjà cette
idée d'une « dénationalisation » de l'Etat; mais il ne faut pas oublier que jusqu'ici la conception latine associe toujours étroitement Etat et nation et voit dans l'Etat national la solution parfaite, la seule qui ne coure pas risque de faire surgir un grave conflit de loyalisme dans la conscience de l'individu en dehors d'elle, ce dernier ne sait où trouver sa véritable patrie, il hésite entre l'Etat et la nation (1). ). Mais si, à ce point de vue, la conception nouvelle d'une protection générale des droits de l'homme apparaît comme très avantageuse, peut-on dire qu'elle mette fin à toute difficulté ? Malheureusement non aussi bien, ses auteurs même la présentent-ils comme une mesure d'attente, à compléter plus tard par une véritable protection des minorités. D'abord cette mesure laisse de côté la question du contrôle international existant aujourd'hui à l'égard des seuls Etats dits à minorités pour que l'égalité juridique existe ici, il faudrait, ou supprimer ce contrôle au détriment des minorités actuellement protégées, ou au contraire l'étendre à tous les Etats qui violeraient les droits individuels désormais internationalement reconnus. C'est sans doute cette seconde solution qui sera celle de l'avenir mais aujourd'hui encore les Etats qui en sont dispensés consentiraient-ils plus volontiers à admettre ce contrôle international pour tous leurs ressortissants en général que pour leurs minorités de race, de langue ou de religion ?
Enfin est-il exact d'affirmer, comme on l'a fait, que la revendication des droits de l'homme ne présente pas de danger pour l'Etat, par là même qu'elle est limitée à des fins purement temporaires, alors que les intérêts de groupe offrent un caractère permanent ? Non, car partout aujourd'hui on fait rentrer dans les droits individuels ces libertés publiques par lesquelles l'homme prétend exercer une action sur ses semblables droit de réunion et d'association, droit d'enseignement, liberté de la presse. Or, ce sont précisément ces droits qui vont permettre aux minorités de se constituer comme corps, investis d'une personnalité au moins nationale, et de défendre ainsi leurs intérêts de groupes.
On voit combien, plus on creuse la question, plus elle apparaît délicate aussi était-il nécessaire de l'examiner avec tout le soin que mérite la place qu'elle occupe dans la vie internationale contemporaine. Essayons de voir s'il est possible de lui trouver une solution qui donne satisfaction aux besoins en présence, dans la mesure où (1) Cf. mon article, Patriotisme et internationalisme, dans la Revue politique et parlementaire d'août 1930, p. 185.
ils sont légitimes et ne se refusent pas à tenir compte des intérêts en jeu.
M. Ch. de Visscher a dit que le vrai problème des minorités est un problème, non pas seulement de justice et de droit (les droits respectifs de l'Etat et des minorités), mais aussi un problème de haute politique gouvernementale qui exige une vue réaliste des choses ce problème, d'après lui, se formule ainsi « Les garanties d'équitable traitement assurées aux minorités doivent-elles être organisées de manière à faciliter la fusion graduelle des éléments minoritaires dans la collectivité nationale ? Ou cette organisation doit-elle s'inspirer avant tout d'un droit du groupe minoritaire à maintenir au sein de l'Etat son individualité et sa cohésion, à se développer, tout au moins dans l'ordre culturel, comme une entité séparée, prète même, s'il le faut, à poursuivre ses revendications collectives jusqu'à celle d'une véritable autonomie ? »
Le problème est posé exactement, mais la seule réponse susceptible d'atténuer la gravité de l'opposition irréductible qu'il révèle consiste précisément à éliminer les deux solutions extrêmes. Toute solution pacifique est impossible s'il faut nécessairement opter entre les deux termes de l'alternative une assimilation forcée énergiquement rejetée par les intéressés dont la conscience nationale est assez forte aujourd'hui en Europe (et ailleurs, aux Indes par exemple) pour primer toute autre considération politique ou même économique, ou au contraire une cristallisation définitive de ces minorités luttant contre tout rapprochement, même volontaire, avec le reste du pays, utilisant tout gain acquis en vue de la préparation d'un gain nouveau, et allant ainsi de conquête en conquête jusqu'à revendiquer le droit de sécession. Ces deux solutions extrêmes sont à la fois juridiquement inexactes, car dans les deux cas on se heurte au droit de l'autre partie, et dangereuses politiquement la première est contraire à l'intérêt même de l'Etat (tous les Etats nouveaux qui ont voulu l'appliquer se sont heurtés à une résistance opiniâtre qui compromet l'unité nationale) la seconde est contraire à l'intérêt bien compris des minorités, car les craintes que soulève une action trop vigoureuse sont précisément le plus grand obstacle à toute amélioration.
Une solution à la fois satisfaisante du point de vue juridique (1) et politiquement réalisable parce que son application est de nature à servir les intérêts bien compris de l'Etat comme de la minorité devrait tenir compte de ces trois points essentiels, qui sont presque toujours ceux qui ont été des occasions de conflit
a) Au point de vue religieux, il doit y avoir liberté complète, non seulement de conscience, ce qui va de soi, mais aussi de culte, sous la seule réserve de l'ordre public des pays civilisés. Pas d'exclusion des fonctions publiques pour cause religieuse, pas de traitement inégal en matière de propriété, d'association, d'enseignement, pour un motif d'ordre religieux.
b) Pour tous les droits par lesquels on prétend exercer une action sur ses semblables, droit de réunion et d'association, liberté de la presse, aujourd'hui considérés comme des « libertés nécessaires » (A. Thiers) dans les pays d'ancienne civilisation, le droit à ces libertés doit être reconnu dans les limites du droit commun (sauf, dans les pays en retard à ce point de vue, à le mettre en harmonie avec le droit des autres pays civilisés) du côté de l'Etat donc, pas de loi volontairement imprécise, pas de délits de tendance frappant les seuls minoritaires du côté de ces derniers, comme contre-partie nécessaire, un minimum de loyalisme, la renonciation à utiliser, en vue d'intensifier leur lutte contre l'Etat et de mieux travailler à son affaiblissement, les droits que ce dernier leur a reconnus en vue du développement de leur culture propre.
c) En ce qui concerne la liberté d'enseignement (point particulièrement délicat, car il vise directement le maintien de la culture nationale et la question de la langue maternelle), la liberté des écoles qui donnent l'enseignement ne doit pas être dirigée contre l'Etat (les maîtres minoritaires peuvent retracer les mérites de la petite patrie, non attaquer la grande); la langue majoritaire doit être également enseignée, sinon c'est la rupture voulue avec le reste du pays, pour le plus grand mal des minoritaires eux-mêmes.
La minorité n'a pas le droit de rester étrangère dans l'Etat, sinon elle ne peut s'en prendre qu'à elle si elle en souffre, si par exemple elle est exclue des fonctions publiques pour ignorance de la langue (1) Il y a lieu d'ajouter à ce point de vue que le conflit entre Etat et minorités ne doit pas faire oublier les droits des individus, sujets derniers de tout droit et qui peuvent être opprimés aussi bien par les minorités elles-mêmes que par l'Etat il y a partout des minoritaires modérés, partisans d'un accord raisonnable avec l'Etat qui sont brimés par leur propre parti comme suspects de tiédeur à son égard.
commune ou si elle s'attire des représailles. Donc, liberté complète de l'usage de la langue préférée dans la famille et entre minoritaires (notamment pour l'enseignement de la religion), mais non pas méconnaissance en faveur de la minorité du droit d'imposer sa langue à tous les fonctionnaires de l'Etat, administratifs ou judiciaires, sauf toutefois le cas d'une proportion très forte de minoritaires dans une ville ou une province, le tiers ou la moitié de la population par exemple. Ici encore on ne peut parler de droit absolu des minoritaires, la fixation d'un minimum est évidemment nécessaire il ne peut dépendre de quelques familles d'imposer leur langue aux autorités d'une population beaucoup plus nombreuse et ne doivent être comptés parmi ces minoritaires que les ressortissants résidents, non les minoritaires de passage comme les ouvriers saisonniers venant pour le temps de la moisson. Ce n'est que par l'application de l'idée de liberté qu'on peut espérer, sinon vaincre toutes les difficultés, du moins venir à bout des plus graves, chacun pouvant user librement de sa langue sans prétendre l'imposer à ceux qui veulent garder la leur.
Tous les droits ou libertés ainsi reconnus doivent bien entendu ètre garantis juridictionnellement. De droit commun aujourd'hui, dans tous les Etats civilisés, il existe un recours juridictionnel contre les décisions des administrateurs et parfoistaême contre celles dulégislateur là où fonctionne le contrôle de la constitutionnalité des lois. Dans les limites des traités actuels, il existe déjà en outre un contrôle international à l'égard de certains Etats, et ce contrôle pourra dans l'avenir être précisé et généralisé.
Il ne faut d'ailleurs pas s'exagérer l'importance de ce contrôle international une collaboration loyale des majorités et des minorités, partout où on pourra l'obtenir, est bien supérieure, dans leur intérêt à toutes deux, à un régime de lutte, même judiciaire, de constants recours à la Cour permanente ou au Conseil de la Société des Nations. Des recours de ce genre devront toujours être réservés aux cas graves ils ne représentent pas le mode de fonctionnement normal des rapports entre majorités et minorités ceci a été parfaitement mis en lumière par l'Assemblée de la Société des Nations de 1931 elle a voté en ce sens des résolutions très sages que les Etats auront tout profit à mettre en pratique.
En résumé, et ce sera la conclusion de ces longs développements,
il ne faut pas hésiter dans cette question de protection des minorités à rejeter les deux théories extrêmes la justice oblige à reconnaître les droits propres des deux parties, inajoriLés et minorités pour résoudre les conflits entre elles, il faut faire intervenir la notion de bien commun, but du droit, qui implique le respect réciproque des deux groupes en présence ce respect réciproque est considérablement facilité par une sage conception de la liberté. On se trouve ici en présence d'un problème moral et social autant que politique et juridique ici comme partout dans les rapports entre individus ou collectivités, la grande règle consiste à ne pas faire à autrui ce qu'on ne voudrait pas qu'il vous fît aussi longtemps que ce devoir ne sera pas compris, il sera difficile de concilier les prétentions rivales et aujourd'hui, malheureusement, il arrive trop souvent qu'il est assez mal compris d'un côté ou de l'autre, quand ce n'est pas des deux à la fois. Tout progrès en cette matière comme en ce qui concerne la suppression de la guerre entre Etats sera beaucoup une question d'éducation, de formation des esprits. Mais, pour tous ceux qui ont le sens des réalités, mieux vaut Ctre modéré dans ses exigences et obtenir la mise en pratique des règles admises, que de poser des principes excessifs ou trop théoriques qui en fait ne seront jamais appliqués c'est déjà trop souvent le cas aujourd'hui en matière de protection des minorités et ce n'est pas ainsi qu'on forme les consciences au respect de la règle de droit.
Louis Lefur,
Professeur de droit international à l' Université, de Paris.
La révolution espagnole
Le règne d'Alphonse XIII a pris fin. Il s'agit de savoir si le départ du souverain, dont le règne personnel durait depuis vingt-neuf ans, ne marquera pas plutôt le début que le terme d'une ère de difficultés. Quelles qu'aient pu être les erreurs ou les faiblesses du roi, il est indiscutable que son règne a assuré à l'Espagne une longue période de paix et de prospérité. Il laisse son pays plus fort qu'il ne l'a pris et quitte le pouvoir après avoir en même temps relevé le prestige extérieur de la nation et amélioré ses relations avec tous les Etats. Tout le monde sait notamment combien sa politique chevaleresque contribua à substituer une profonde amitié aux vieilles rancunes qui séparaient jadis la France de l'Espagne.
L'habileté qu'a déployée Alphonse XIII dans son activité diplomatique permet même de s'étonner de son échec en politique intérieure. Il faut avoir suivi l'évolution des événements au cours de ces dernières années, pour se rendre compte qu'au contraire les qualités de souplesse, qui servaient le roi dans ses rapports avec l'étranger, l'ont beaucoup desservi à l'intérieur, où il eut le tort de vouloir à la fois mener les affaires de l'Etat et se donner l'apparence de suivre sans réserve les fluctuations de l'opinion. Cette double attitude eut, dans ces derniers temps surtout, où elle fut habilement exploitée par les opposants, un effet déplorable sur l'opinion.
C'est à la discontinuité de la politique suivie depuis quinze mois, bien plus qu'à la difficulté de liquider la dictature, qu'est dû l'effondrement de la monarchie. Sans doute peut-on regretter que le général Primo de Rivera n'ait pas procédé à une consultation populaire en 1926, après la victoire du Maroc à ce moment, il eût facilement obtenu une imposante majorité et n'aurait pas eu de peine à avoir le concours du Parlement pour l'achèvement de son œuvre. Quatre ans plus tard, l'usure fatale à tous les gouvernements avait fortifié l'opposition qui devait entraver par tous les moyens possibles la « normalisation ». Toutefois, on oublie trop souvent que ce fut le veto royal qui empêcha le général Primo de Rivera de promulguer la ré-
forme constitutionnelle qu'avait élaborée « l'Assemblée Nationale ». Quelques mois plus tard la démission du dictateur ne fut pas imposée non plus par un mouvement populaire, mais par la menace d'un pronunciamiento contre lequel le roi refusa de soutenir son gouvernement.
A partir de ce moment, l'opposition, qui avait eu jusque-là un caractère purement intellectuel (les syndicats ouvriers même socialistes collaboraient plus ou moins ouvertement avec la dictature) fit de grands progrès dans le peuple. Le général Berenguer commit, en effet, la faute capitale d'arrêter l'œuvre entreprise par son prédécesseur, sans la remplacer par aucun autre programme. A dire vrai, son ministère ne prétendait pas à plus qu'à jouer le rôle de transition entre la dictature et le régime constitutionnel, mais, dans ces conditions, c'était folie de vouloir en prolonger l'existence pendant plus d'un an. De plus, ses tendances, très hostiles à celles de Primo de Rivera, l'amenèrent, dans les premiers temps tout au moins, à rapporter de nombreuses mesures de la dictature et à mettre en honneur les principaux adversaires de celle-ci. Il en résulta une situation très fausse pour la Couronne, dont le second cabinet dictatorial déjugeait ainsi toute l'œuvre du premier. En outre, les concessions, qui étaient faites aux opposants, loin de les rallier au régime, leur donnèrent plus d'audace pour l'attaquer.
On sait comment ils se proclamèrent abstentionnistes pour empêcher les élections législatives prévues pour le 1er mars. Le cabinet se trouva tout à fait désemparé quand le comte de Romanones se décida à soutenir cette manoeuvre. Malgré la loyauté du général Berenguer, en dépit de son intention sincère de procéder aux élections, son ministère devenu très impopulaire fut renversé par une coalition de forces de gauche, libérales, constitutionnalistes, républicaines et socialistes. Les événements qui suivirent sont présents à toutes les mémoires et on se rappelle l'effroi que causa, parmi les monarchistes, la démarche de M. Sanchez Guerra à la prison modèle, où il avait. été chercher des ministres parmi les chefs du mouvement républicain, emprisonnés à la suite de la révolte de Jaca.
La gravité de la situation apparut alors brusquement aux monarchistes, dont l'activité s'était bornée jusque-là à des rivalités de personnes et de clochers. Les chefs des principaux partis dynastiques comprirent la nécessité de s'unir et d'adopter un plan d'action immédiate. Un instant, on crut que le ministère de coalition présidé par l'amiral Aznar réussirait à redresser la situation, grâce à l'esprit nouveau et actif avec lequel il gouvernait. Mais il ne fut formé que
deux mois avant les élections et ce laps de temps était trop bref pour modifier l'état d'esprit d'une opinion surexcitée par les campagnes révolutionnaires. De plus, les hommes politiques d'ancien régime, qui constituaient le ministère, n'avaient jamais été populaires et, malgré le prestige dont certains d'entre eux jouissaient, ils étaient incapables de soulever un mouvement d'opinion.
Malgré ces faits, avérés longtemps avant les élections municipales, personne ne croyait, même parmi les républicains, que cellesci prouveraient l'existence d'une opposition aussi nombreuse que celle qui s'est révélée le 12 avril. En conséquence, la publication des premiers résulta Ls faisant connaître le triomphe des républicains dans 47 capitales de province sur 52 provoqua à Madrid une réelle stupeur. Pendant quelques heures, les dirigeants monarchistes, comme les républicains, se concertèrent pour décider l'attitude qu'ils allaient adopter en face d'une situation qu'ils n'avaient pas prévue. A ce moment, il aurait peut-être été possible au roi de constituer un ministère d'autorité, avant que les chefs de l'opposition n'aient pu fomenter une insurrection.
Si dangereuse fût-elle, cette carte était la seule qui, jouée à temps, lui eût peut-être permis de sauver son trône. Mais, agir de la sorte au lendemain des élections eût été défier une immense partie de l'opinion, et on sait que cette attitude n'est guère conforme au caractère d'Alphonse XIII. Un autre fait lui rendait difficile le recours à une nouvelle dictature c'est qu'il était loin d'être assuré du concours des hommes susceptibles d'assumer en un moment pareil une semblable mission. A force de soutenir tour à tour les solutions les plus opposées le roi avait, en se croyant très habile, lassé tous les dévouements. Il ne faut pas se faire d'illusion à cet égard pas plus parmi les éléments de droite que parmi ceux de gauche, les hommes politiques ne gardaient un attachement personnel à leur souverain. C'est ainsi que l'un des généraux dont le nom fut le plus souvent prononcé pour une nouvelle dictature, l'ancien ministre de l'Intérieur de Primo de Rivera, le général Martinez Anido, fut, paraît-il, appelé par le roi dans le courant de l'été dernier. Mais il répondit qu'il ne voulait plus se mêler à la politique active sans doute parce qu'il craignait que la confiance royale ne fût pas de longue durée 1
Ainsi, le roi s'était mis dans une impasse et le caractère hétéro
clite de la coalition qui l'a renversé montre que le « plébiscite » du 12 avril s'est bien plus fait contre lui qu'en faveur de la république. C'est précisément la raison pour laquelle la nouvelle république aura de la peine à sortir d'une confusion qui risque de tourner bientôt à l'anarchie. Dans l'opposition, les signataires du manifeste de décembre dernier se sont bien mis d'accord pour adopter un programme de réforme conciliant leurs aspirations réciproques. Mais, au pouvoir, il semble difficile que puissent s'entendre longtemps les cléricaux et anti-cléricaux, socialistes et conservateurs-sociaux, patriotes et séparatistes, que la révolution triomphante a portés ensemble au pouvoir.
Il sera d'autant plus difficile au gouvernement provisoire de sortir sans troubles d'une situation aussi embrouillée que le bolchévisme n'est pas inactif.
Enfin, si l'armée n'a joué aucun rôle dans la crise actuelle, on peut être certain qu'en cas de révoltes graves, elle interviendrait certainement et transformerait complètement, par cette intervention, l'actuel panorama politique.
André Nicolas.
Rivalité politique anglo=américaine au Brésil ?
Les récents troubles de l'Amérique du Sud ont suscité, un peu partout dans la presse européenne, des allusions à un antagonisme politique et financier, sur cette partie du continent américain. entre les Etats-Unis et l'Angleterre. Ces rumeurs circulent non seulement dans les grands quotidiens mais encore dans les feuilles boursières qui passent pour les mieux renseignées sur la politique mondiale. L'origine de ces informations est assez malaisée à préciser. Bruits d'abord vagues, elles prennent peu à peu la consistance d'une vérité acquise. Les expéditions yankees contre les petits États de l'Amérique Centrale, ou le voyage du prince de Galles dans les pays néo-latins, tout devient prétexte à confirmer ces fantaisies. Le sujet se prêterait à une parodie de « Donogoo », où le public, à force de croire à la légende, finit par la réaliser. La vérité est bien différente. Dans des pays où l'esprit d'indépendance est aussi développé que ceux de l'Amérique latine, il ne peut exister de pénétration politique de la part des anglo-saxons. Ils sont trop lointains de la psychologie sud-américaine.
Mais sur le terrain économique, la question demande à être examinée sous un autre aspect. La compétition entre les Etats-Unis et l'Angleterre peut exister au Brésil, par exemple, comme partout ailleurs toutefois avec un caractère très différent de celui qu'on lui suppose en Europe. Cela tiendrait plutôt à ce que ces deux pays sont momentanément seuls dans l'arène, du fait que leur plus grand rival d'autrefois, l'Allemagne, est handicapé par les suites de la guerre. Ce concurrent est dans la situation de Venise au xvie siècle après la lutte contre les Turcs (qui profita aux Portugais), ou du Portugal au xvne siècle, après ses interminables démêlés avec l'Espagne (qui profitèrent à la Hollande), ou des Pays-Bas au xvine siècle, épuisés par de longues campagnes qui enrichirent l'Angleterre.
En comparant, également, les marchandises exportées par certains pays, l'on constate de curieuses répétitions à travers le temps. Ainsi, l'Angleterre après les traités d'Utrecht et de Methuen, devint grande exportatrice de lainages, charbons, produits manufacturés en fer, acier, étain, plomb, etc., et se plaça parmi les premières nations détenant le trafic maritime.
La France exportait déjà, en 1658, soieries, rubans, dentelles, caudebecs, plumes, coiffes, ameublements, spiritueux, vinaigres, produits de luxe et alimentaires fins. Les Allemands du xvne siècle produisaient des « camelotes » et de la quincaillerie de Nuremberg et villes voisines. Aujourd'hui encore ces marchandises figurent parmi les plus importantes de leurs exportations.
Les Etats-Unis, nation moderne par excellence, présentent des produits entièrement nouveaux. Les Américains viennent en tête dans le commerce mondial avec les machines à coudre, à écrire, à calculer, à mesurer, à frigorifier, à linotyper, avec les automobiles, les moteurs divers, les appareils photographiques, phonographiques, cinématographiques, etc.
L'Angleterre et les Etats-Unis ont de plus investi de nombreux capitaux en Amérique du Sud, tandis que la France employait ses économics en Russie, et que l'Allemagne éparpillait les siennes en Italie, au Maroc et en Turquie.
L'Angleterre fut la première à placer de gros capitaux au Brésil, n'hésitant pas à lancer des rails de chemin de fer, là où le sol était encore vierge. Le résultat fut une des plus belles réussites financières d'entreprises internationales, dont la « S. Paulo Railway Co » offre un exemple impressionnant. Il nous faut ouvrir une parenthèse à propos de cet extraordinaire chemin de fer. Elle nous servira, d'ailleurs, à situer quelque peu un des champs clos les plus considérables où se rencontrent, en ce moment, Anglais et Américains.
Le Brésil colonial, avant 1822, s'était développé spécialement dans les régions du nord, les plus proches de la métropole portugaise. Après cette date, la civilisation descendit au long de l'immense côte brésilienne, vers les zones où le sol et le climat étaient les plus propices à l'immigrant européen. La province de Sao Paulo, séparée du littoral par une haute et étroite chaîne de montagnes, commença à se faire favorablement connaître. Ses plantations de canne à sucre prirent une continuelle extension jusqu'au moment où la guerre de Sécession vint ajouter à cette culture celle du coton. La province s'organisa rapidement pour le travail. L'essor
coïncidait avec la décadence des provinces équatoriales de l'empire, qui lui cédèrent alors leurs nègres esclaves.
Au moment de la longue et difficile guerre du Paraguay (1865-70) un groupement anglais prit la suite du baron de Maua, financier brésilien concessionnaire d'une voie ferrée entre le port de Santos et la ville de S. Paulo. C'étaient 67 kilomètres de rails à travers la montagne, d'un parcours dispendieux à établir mais que la crise financière fit passer à bon compte dans les mains de la société anglaise. Aussitôt après fut pratiquée la culture intensive du café, si bien qu'en peu de temps, elle devint prépondérante au Brésil. L'abolition de l'esclavage aidant (qui ruina les vieilles « fazendas » de la province de Rio de Janeiro), l'esprit d'initiative des planteurs paulistes reçut sa récompense. L'avènement de la République (1889) ne fit qu'augmenter la prospérité de Sao Paulo, devenu un des vingt Etats de la nouvelle confédération, et qui en 1930 contribuait pour 23 aux recettes du budget brésilien.
Tout le produit de cette activité s'écoule par le Sao Paulo Railway. Quoique ce chemin de fer soit de peu d'étendue, sa position, commandant le débouché vers la mer, en fait l'aboutissement des voies ferrées de l'intérieur. Il obtient ainsi avec un minimum de dépense un maximum de bénéfices, représentant, en somme, l'idéal économique des compagnies de transport.
Toutefois, la crise actuelle du café affecte fortement l'Etat de Sao Paulo. Deux facteurs, contribuèrent à la provoquer. D'abord, la surproduction générale au Brésil, ensuite les nouvelles plantations de l'Amérique Centrale. Heureusement, la surproduction ne tardera pas à décroître, allégeant ainsi les stocks actuels.
Les événements d'octobre 1930 ne pesèrent pas beaucoup sur la situation déjà mauvaise du café. L'actuelle direction de l'Etat de Sao Paulo est confiée à un groupe de techniciens compétents, jouissant du meilleur crédit et qui ne s'occupent point de politique. Il en était tout autrement au temps de l'ancien président de la République, Washington Luis, qui tomba par son obstination à soutenir une candidature impopulaire. On ne saurait donc voir de machiavéliques intrigues étrangères dans le mouvement d'opinion publique qui a rétabli l'ordre et la moralité au Brésil.
Cependant, la légende a pu se raviver encore dernièrement à l'annonce des récents troubles sud-auiéfiçafrîST..v Dans la presse européenne, on interpréta les nouvelles venant dëy.Tîio de Janeiro en ce sens. Une des versions les plus paractéristique's; arce qu'elle
émanait d'un journal officieux, parut à Rome sous l'aspect d'une grande caricature en première page. Elle représentait une maison en flammes où, sous chaque fenêtre, il y avait le nom d'une république sud-américaine. Devant l'incendie, IV Oncle Sam fort satisfait, dans un accoutrement de pompier, arrosait la fenêtre « Brésil » avec du pétrole. Cela va un peu plus loin que la simple verve d'un caricaturiste.
En général, la politique étrangère yankee s'est montrée pour les pays du même continent bien plus accommodante que celle des puissances européennes. Il suffit d'ailleurs de voir avec quelle âprcté ces dernières cherchent à se nuire mutuellement, malgré les efforts de la France à Genève, pour constater que leur « record » est imbattable. Quant aux fameuses expéditions d'Amérique du Nord dans certaines petites républiques de l'Amérique Centrale, il faudrait les considérer plutôt comme de simples reflets de la mentalité réformatrice des « Puritains » d'Amérique. En tout cas ces expéditions n'ont pas l'aspect de conquêtes, car elles n'ont rapporté que le gaspillage, en pur perte, de nombreux dollars.
C'est tout dernièrement, après la guerre, que les Etats-Unis ont commencé à intensifier leur politique de prêts et à investir de grosses sommes dans les entreprises commerciales de l'Amérique du Sud. Jusqu'alors, ce rôle semblait réservé à l'Angleterre. En ce moment les relations de celle-ci avec le Brésil se trouvent singulièrement développées par l'apport d'une colonie et d'un dominion. Les Indes exportent pour plusieurs millions de contos de jute par an au Brésil, et le Canada a organisé la formidable « Light and Power de S. Paulo et Rio, qui est une des plus importantes compagnies de ces villes. Actuellement, cette entreprise compte une forte proportion de capitaux yankees. Sa direction technique au Brésil est également confiée à des Yankees et à des Brésiliens.
D'autres compagnies l'ont suivie. La « Bond and Share », de NewYork, s'est présentée à Sao Paulo nantie de puissants capitaux, tentant même d'absorber la « Light and Power ». Les grands frigorifiques « Armour » et « Swift », à leur tour, relèguent au second plan l'« Anglo ». Les compagnies de pétrole « Standard » et « Texas » prennent l'avantage sur l'« Anglo-Mexicau ». Mais le plus grand atout des Américains (plus important que celui que leur donnent les usines établies à Sao Paulo de la Victor Talking, de la Columbia, de la Général Motors, de la Ford, de la Général Electric, de la Brunswick, etc.), consiste dans le fait qu'ils peuvent à eux seuls consommer tout le café de Sao Paulo, tandis que l'Angleterre n'en
prend pas du tout, et est même devenue exportatrice à son tour, avec le café de Kenya.
Pour être bon vendeur, il faut être bon acheteur. Or l'importation de marchandises anglaises au Brésil a atteint en 1930 20 environ du total réalisé par tous les pays. La proportion des Etats-Unis est de 35 Les exportations du Brésil en Angleterre atteignent 8 du total général. Elles se chiffrent, pour les Etats-Unis, à 55 Par contre, l'Angleterre est la principale consommatrice de la quantité croissante de viande exportée par Sao Paulo, production qui fait une victorieuse concurrence aux éleveurs de La Plata. Elle l'est également de la récente exportation de fruits paulistes. C'est sur ces deux produits, ainsi que sur le tabac, que les « fazendeiros) » de Sao Paulo comptent pour vaincre la crise provenant de la mévente du café. On croit, généralement, que les effets du rétablissement de la balance commerciale de cet Etat se feront sentir vers le mois de septembre 1931.
La situation de l'Angleterre, vis-à-vis du Brésil, est donc nettement transitoire. L'on ne peut encore prévoir ce qu'elle sera exactement à l'avenir. Les Anglais continuent à être les grands fournisseurs de charbon de Cardiff, de l'industrie lourde (produits d'acier, etc..) ils détiennent encore la priorité des transports maritimes, mais sont serrés de près par les Américains. L'industrie anglaise doit surtout lutter contre les hauts prix de sa production, alourdie par le change et par la pénible situation créée par le chômage en Angleterre. Ces infériorités deviennent très sensibles dans la concurrence de produits comme les automobiles, motos, phonos, radios, etc. Heureusement pour les Anglais, ils trouvent une compensation dans la plus value de leurs entreprises au Brésil. Il n'y a pas longtemps encore, le groupe de Lord Lovat a investi de forts capitaux, en plantations et constructions de chemins de fer, à la limite des Etats de Sao-Paulo et de Parana. C'est une démonstration de l'excellence de cette orientation financière. On ne peut guère croire en effet que des gens pratiques comme les Anglais y persisteraient s'ils n'obtenaient de bons résultats. La « Bond and Share » américaine arrivée à peu près en même temps représente des capitaux très supérieurs à ceux du groupe Lovat. Mais il ne faut pas croire à une rivalité d'influences politiques déclanchée par ces nouvelles entreprises. Leur activité est éminemment pacifique à tous les points de vue, et le terrain que présente aujourd'hui le Brésil est tellement considérable qu'il y a de la place pour une infinité de groupes, consortiums et syndicats, beaucoup plus puissants encore.
Le Brésil, avec ses 46 millions d'habitants, n'arrive qu'au 13e rang sur la liste de ce que paient les nations « per capita ». Donc la capacité de ses contribuables est loin d'être atteinte comme elle l'est en Nouvelle-Zélande, en Australie et en Argentine, pays qui viennent au premier rang. Son territoire, presque aussi grand que l'Europe, conserve intacte une masse énorme de richesses encore inexploitées. Les montagnes de manganèse, de marbre, de minerai où l'on trouve 80 et 90 de fer sont nombreuses dans plusieurs Etats. Ses ressources minières sont formidables, mais sa richesse en houille blanche les surpasse encore.
Il n'y a pas la moindre exagération dans ce tableau. Le Brésil possède une vingtaine de chutes d'eau de plus de 100.000 H. P. chacune. Les quatre plus importantes totalisent, à elles seules, plus de 7 millions de H. P. Ses réserves forestières sont encore plus considérables. Les Indiens, perdus au nord de Matto-Grosso, Goyaz ou dans l'Amazonie, ont l'habitude de mettre le feu à la forêt quand ils désirent faire quelque petite culture. Pendant plusieurs jours, l'incendie dévaste des milliers d'hectares de bois précieux. L'étendue anéantie est immense et, cependant, la superficie boisée du pays est si grande que cette destruction paraît infime.
L'ensemble de tant de possibilités présente un terrain aussi varié qu'étendu pour tous les financiers du monde qui veulent y appliquer leur activité. Il ne faut donc pas accueillir à la légère les bruits d'un prétendu choc d'appétits anglo-américains au Brésil. Les derniers ont bien d'autres soucis avec la crise agricole, industrielle et politique qui les absorbe. Quant à l'Angleterre, elle sent son empire colonial vaciller et cherche instinctivement d'autres marchés de remplacement. Les Etats-Unis ont toujours eu la plus grande cordialité envers le Brésil, et cela depuis l'indépendance des deux nations. On en peut dire autant de l'attitude de l'Angleterre, après la chute de D. Pedro II. Et, si lord d'Abcrnon y a fait un tour récemment, si le prince de Galles l'y a suivi, transformé en commis-voyageur de l'empire britannique, la cause en fut, surtout, dans la carence des colonies anglaises. Or, qui a assez de complications n'en cherche pas de nouvelles. Les Etats-Unis, aussi bien que l'Angleterre, ont abandonné, depuis longtemps, toute politique d'aventures pour des préoccupations plus terre à terre. Ils cherchent avant tout à diminuer, par une amélioration économique, la marée rouge de leurs chômeurs.
Yan d'AiMEiDA Prado
(du « Diar o Narional » de Sao-Paulo, Brésil).
LA VIE DIPLOMATIQUE
Ephémérides Internationa les
Mars 1931 1
1. Confirmation, à Paris, de l'accord entre la France, la GrandeBretagne et l'Italie sur les armements navals.
3. Visite, à Vienne, du Dr Curtius, ministre des Affaires étrangères d'Allemagne.
Démission de M. Sanchez Cerro, président du Pérou.
Constitution du nouveau Cabinet australien, présidé par M. Scullin. Conclusion, à New Delhi, d'un accord entre sir George Schuster, ministre des Finances, et Gandhi au sujet de la gabelle.
4. Conclusion, à New Delhi, d'une trêve entre lord Irwin, vice-roi de l'Inde, et Gandhi.
Vote, par la Chambre des représentants à Washington, du projet de loi restreignant pendant deux ans l'immigration à 10 des pourcentages actuels.
Démission du Cabinet finlandais.
Démission du Cabinet letton.
5. Dissolution du Parlement turc.
Réunion, à Londres, de la 32e Conférence internationale de l'aéronautique.
Le « Star Stangled Banner » devient l'hymne officiel des EtatsUnis.
6. Ouverture, à Vienne, de négociations entre l'Allemagne et la Roumanie en vue de la conclusion d'un traité de commerce.
7. L'Impératrice du Japon donne naissance à une fille.
La ville de Nidaros (Norvège) prend le nom de Trondheim.
8. Adoption, par le Reichstag, de l'accord complémentaire au traité de commerce franco-allemand.
Prorogation pour deux ans de l'accord charbonnier germanotchécoslovaque.
9. Vote, par la Chambre des Communes, de la motion portant adhésion de la Grande-Bretagne à l'acte général d'arbitrage. 10. Conférence catholique franco-allemande à Paris.
Création, par le Brésil, de sept postes d'attaché commercial à Buenos-Aires, Cuba, Washington, Londres, Paris, Berlin et Rome. 11. Publication, à Paris, Londres, Washington et Tokio, du texte de l'accord anglo-franco-italien.
Signature, à La Haye, d'un traité d'arbitrage entre les Pays-Bas et la Yougoslavie.
12. Ouverture, à Paris, de la 25e session de l'Association internationale du trafic aérien.
Ratification, par la Diète polonaise, de l'accord de liquidation et du traité de commerce avec l'Allemagne.
13. Adoption, par la Diète polonaise, en troisième lecture, des projets de loi portant ratification de nombreux accords multi et bilatéraux protocole additionnel à la convention de commerce polono-française, convention sur la simplification des formalités douanières, protocole sur les clauses d'arbitrage, accord international sur l'exportation des peaux et des os, convention sur les statistiques économiques, convention de Paris sur la protection de la propriété industrielle, convention internationale sur l'embauchage et le rapatriement des marins, adhésion au traité relatif au Spitzberg, accord avec l'Allemagne relatif à l'aviation civile, etc.
Négociations entre le gouvernement chinois et les représentants de l'Angleterre, de la France et des Etats-Unis sur le droit des étrangers en Chine.
15. Le Roi d'Espagne à Paris.
16. Le Roi d'Espagne à Londres.
Ouverture, à Genève, de la deuxième session de la deuxième Conférence pour une action économique concertée.
Ouverture, à Genève, de la Conférence européenne pour le règlement de la circulation routière.
Signature, à Moscou, d'un traité soviéto-turc de commerce et de navigation.
Echange, à Paris, des instruments de ratification de la convention commerciale signée à Berne le 8 juillet 1929 entre la France et la Suisse.
M. Anikeief, conseiller de l'Ambassade des Soviets à Tokio, est blessé de trois coups de revolver tirés par un sujet japonais. 17. Echange de notes, à Bangkok, mettant en vigueur l'accord franco-siamois pour la navigation aérienne.
Ratification, par le Sénat polonais, de l'accord de liquidation et du traité de commerce avec l'Allemagne.
18. Signature, à Ankara, d'une convention turco-tchécoslovaque d'assistance judiciaire.
Ouverture, à Vienne, de la Conférence économique pour l'Europe centrale.
Echange de notes réglant le régime d'importation des vins entre la France et l'Italie.
Echange, à Varsovie, des instruments de ratification du traité polono-letton de commerce et de navigation.
Clôture, à Genève, de la Conférence pour une action économique concertée.
19. – Signature, ù Vienne, d'un protocole douanier préparant une union économique austro-allemande.
Clôture, à Genève, de la Conférence internationale pour l'unification d droit en matière de lettres de change, billets à ordre et chèques. 20. Le Roi d'Espagne quitte Londres pour Madrid.
Mort, à Berlin, de Hermann Müller, ancien chancelier du Reich. Clôture, à Vienne, de la Conférence économique pour l'Europe centrale.
Ouverture, à Bratislava, du Congrès de la Fédération de l'Europe centrale des Associations universitaires pour la Société des Nations.
Prorogation de l'accord commercial anglo-égyptien.
21. Publication, à Berlin et à Vienne, d'un communiqué sur les préliminaires d'un accord économique austro-allemand. Visite, à Rome, du comte Karolyi, ministre des Affaires étrangères de Hongrie.
Réunion, à Paris, de la Commission pour l'étude du désarmement, constituée par l'Union internationale des associations pour la Société des Nations.
23. Reprise, à Madrid, des négociations commerciales francoespagnoles.
Réunion, à Berlin, du Comité européen de la Chambre internationale de commerce.
Réunion, à Genève, du Comité d'experts en matière de statistique.
24. Réunion, à Paris, du Comité d'organisation de la Commission d'études pour l'Union européenne.
Ratification, par l'Assemblée nationale turque, du traité d'amitié turco-lituanien.
Constitution du nouveau Cabinet finlandais sous la présidence de M. J. E. Sunila.
Constitution du nouveau Cabinet letton sous la présidence de M. Ulmanis.
25. Entrevue, à Paris, de MM. Briand et Henderson.
Clôture des travaux du Comité d'organisation pour l'Union européenne.
Echange, à Varsovie, des instruments de ratification du traité polono-estonien de commerce et de navigation.
26. Ouverture, à Rome, de la Conférence internationale du blé.
Conférence de la sécurité internationale à Londres.
Le Roi des Belges à Paris.
29. M. Moh Tch Hui, plénipotentiaire chinois, retourne à Moscou pour la reprise des pourparlers sino-soviétiques.
30. Ouverture, à Bordeaux, du 7e Congrès international de la tuberculose.
Signature, à Prague, d'un additif douanier à l'accord commercial tchéco-yougoslave du 14 novembre 1928.
31. Dénonciation, par l'Autriche, des traités de commerce austro-yougoslave et austro-hongrois.
Echange, à Budapest, des instruments de ratification du pacte de conciliation et d'arbitrage helléno-hongrois.
Nominations
Abyssinie.-M. N. Politis remet ses lettres de créance à l'Empereur.
Allemagne. Le comte Lerchenfeld, ambassadeur à Bruxelles le Dr Kurt Rieth, ambassadeur à Vienne le comte von Eisenlohr, ministre à Bucarest le Dr Kiet, consul général à New-York. Argentine. MM. Carlos Estrada, ambassadeur au Vatican Ricardo Oliveira, ministre à Bucarest le capitaine de vaisseau
Dalmiro Saenz, attaché naval à Londres le capitaine de frégate Pedro Quihillat, attaché naval à Santiago de Chili MM. Edouard Lezica, consul à Strasbourg Antonio Segard, vice-consul à Tourcoing.
Belgique. M. Egbert Graeffe, conseiller à la légation de Chine. Bolivie» M. M. J. Guerra, consul général à Anvers.
Brésil. MM. Alcibiades Pecanha, ambassadeur au Quirinal Peixoto de Magalhaes, consul général à Buenos-Aires.
Chine. MM. Wu Kai Sheng, ministre à Berne Wei Tsu Ching, ministre à Lima Henri Chang, consul général à New-York Yu Chin Chi, consul général à San-Francisco.
Colombie. M. J. Macia, consul général à Anvers.
Dominicaine (République). Le Dr Elias Brache, ministre à Madrid M. Agustin Acevedo, ministre à Buenos-Aires le Dr Conrado Licairac, chargé d'affaires à Londres MM. Rafael Damiron, chargé d'affaires à Mexico René Lluberes, consul général à San Juan de Puerto Rico le Dr Vicente Grisolia, consul à Naples le Dr Rafael O. Roca, consul à Bordeaux M. Carlos Knuesli, viceconsul à Livourne (Italie).
Egypte. M. Mohamed Moharram, attaché à Prague.
Espagne. M. Ricardo Gomez Navarro, conseiller commercial auprès des gouvernements d'Allemagne, d'Autriche, de Hongrie, de Pologne et de Tchécoslovaquie.
États-Unis. MM. Nathan Mac Chesney, ministre à La Haye Theodore Marriner, conseiller d'ambassade à Paris Willys Ruggles Peck, consul général à Nankin (poste récemment créé) Robert L. Buell, consul à Tientsin Lucien Memminger, consul à Belfast. Grande-Bretagne. MM. Archibald Clark Kerr, ministre à Stockholm John Helier le Rougetel, secrétaire à Ottawa Robert Hadow, secrétaire à Vienne lieutenant-colonel G. G. Waterhouse, attaché militaire à Paris lieutenant-colonel H. R. G. Stevens,
attaché militaire à Rome major M. M. Parry Jones, attaché militaire à Madrid et à Lisbonne captain Leonard H. G. Andrews, attaché militaire à Santiago de Chili et à Rio de Janeiro lieutenant-colonel F. N. Mason Mac Farlane, Jattaché militaire à Budapest, à Berne et à Vienne MM. G. Bullock, consul à Loanda R. T. Smallbones, consul à Zagreb.
Grèce. M. Teodoro Santarosa, consul général honoraire à Turin.
Guatémala. M. Manuel de Orellana, consul général à Barcelone le colonel R. Arturo Ramirez, consul général à la NouvelleOrléans MM. Manrique Rios, consul général à Paris Miguel Angel Herrera, vice-consul à Santiago de Chili José A. Nieves, consul à Vera Cruz.
Hongrie. M. Jeno de Ghyczy, conseiller de légation à Prague. Japon. MM. Yoshida, ambassadeur à Ankara Hotta, ministre à Prague.
Mexique. M. Salvador Banos Contreras, consul à Séville.
Roumanie. MM. Bilciuresco, ministre à Varsovie Emmanuel Schachman, attaché de presse à Prague.
Société des Nations. M. René Charron, commissaire de la Société des Nations à Sofia, est affecté à un nouveau poste.
Tchécoslovaquie. ̃ MM. Fischer, ministre en Chine (poste récemment créé) Jaromir Smutny, conseiller de légation à Varsovie. Turquie. Savfet bey, ambassadeur à Moscou.
Uruguay. MM. Lionel Aguirre. ambassadeur à Buenos-Aires Ubaldo Ramon Guerra, ministre à Rome le capitaine de frégate Carlos Carbajal, attaché naval à Rome MM. Alberto F. Giudice, attaché à Madrid Alexandre Casciani, attaché à Rome Amadeo Geille Castro, attaché à Berne Augusto de Ramon Correa, viceconsul à Antofagasta Juan Pradelles, vice-consul à Malaga Alberto Lopez Doriga, vice-consul à Santander A. G. Ivanovitch, vice-consul honoraire à Souchak.
Yougoslavie. Suppression du consulat général de Gênes création de consulats à Lille, Metz et Liège.
L'activité diplomatique des Etats
Autriche
Le voyage à Vienne du Dr Curtius et du secrétaire d'F.tat Pünder, remplaçant le chancelier Brüning, n'a pas été seulement l'occasion de poser les fondements d'une « Angleichung » économique. Il a aussi donné à l'Autriche un renouveau d'activité politique internationale. On n'a pas été sans remarquer que les toasts prononcés le 3 mars au Ballplatz ont souligné le complet accord de Vienne et de Berlin sur les grandes questions soulevées par les traités. Le mot répété de « paix » semblait faire écho aux paroles que prononçait presque en même temps M. Briand à Paris, mais peut-être le timbre de ces affirmations était-il différent, car elles sous-entendaient apparemment une pensée revisionniste. Il est vrai qu'il s'agit là de manifestations et non d'actes. Mais M. Schober a lui-même dégagé la portée de ces manifestations en déclarant à un journaliste viennois
« Une communauté plusieurs fois séculaire de leur sort a établi entre les Allemands d'Autriche et ceux du Reich des milliers et des milliers de liens que la guerre et l'issue de la guerre ont encore multipliés et consolidés. Lors de ma visite h Berlin, en février 1930, j'ai pu constater la parfaite et naturelle identité de nos vues sur toutes les grandes questions de la politique européenne. Les mêmes conditions de leur existence, les mêmes conditions de leur rétablissement matériel et intellectuel, doivent mener l'Allemagne et l'Autriche aux mêmes conclusions et aux mêmes opinions sur leur état présent et leur avenir, parce qu'elles ne peuvent pas se perdre dans une politique qui serait loin de la réalité et des besoins de la réalité. »
Ceci dit, c'est sous le signe d'une nouvelle orientation des échanges que le mois de mars 1931 restera dans l'histoire diplomatique du pays.
Tandis que M. Schober annonçait un prochain voyage en Tchéco-
slovaquie pour hâter les négociations économiques en cours, les pourparlers avec la Hongrie étaient interrompus le 21 mars et les traités de commerce austro-yougoslave et austro-hongrois dénoncés par le gouvernement fédéral le 31 mars. L'Autriche motivait cette dénonciation, prévue depuis quelque temps, par la nécessité d'un nouvel aménagement des relations économiques dans le cadre des pourparlers que Vienne poursuit présentement.
Hormis ces initiatives, la politique autrichienne a été surtout caractérisée par les efforts de M. Schober pour dissiper l'émotion produite dans certains pays par l'annonce de l'alliance douanière austro-allemande.
Brésil
Au Brésil, comme dans les autres Etats de l'Amérique latine, politique extérieure et politique intérieure sont présentement conditionnées par la politique économique et financière.
Durement touchée par la crise qui aboutit à la récente révolution, la grande République sud-américaine tente, actuellement, un énergique redressement financier, basé, d'une part, sur la pratique d'économies dans tous les domaines, d'autre part, sur la compression maxima des importations.
Le Président Vargas verra-t-il couronner de succès les efforts qu'il a si délibérément amorcés ?
Le Ministère des Affaires Etrangères du Brésil a reçu, des Ambassades et Légations à l'extérieur, des nouvelles rapportant l'excellente impression produite par l'interview que le Ministre des finances du Brésil a donnée au journal américain New-York Times, sur la situation du pays et, surtout, en ce qui concerne la protection du capital étranger investi au Brésil et la liquidation des dettes arriérées.
Le Ministre des finances a rappelé que le Brésil paie, avec la plus grande ponctualité, les intérêts de la dette extérieure et intérieure, et qu'il a réussi à assurer son équilibre budgétaire. II signale, aussi, que son Gouvernement n'a pas eu recours à l'émission de papier-monnaie.
Quant à l'assainissement de la devise nationale, à la stabilité du change, à la réorganisation du système bancaire avec création d'un Crédit agricole, tout cela affirme le Ministre des finances fait
partie d'un plan général qui va être exécuté. Ce programme de reconstruction financière se trouve en ce moment à l'étude, en collaboration avec sir Otto Niemeyer.
Le Ministre a ajouté que, ce programme arrêté, tout serait mis en œuvre pour qu'il fût suivi, point par point, avec la plus grande fermeté.
De son côté, Sir Otto Niemeyer, dans un discours prononcé à l'Association Commerciale, a déclaré que les problèmes brésiliens ne sont pas simples, mais que la situation présente, loin d'être particulière au Brésil, est commune au monde tout entier. Bulgarie
Le mois de mars a été marqué par une orientation pratique des négociations qui se poursuivent entre les Cabinets d'Athènes et de Sofia en vue de liquider une série de différends dont le poids se fait sentir depuis des années sur les rapports bulgaro-helléniques. Ces différends sont les suivants
10 Liberté d'émigration des minorités réciproques. Les deux pays ont signé, lors du traité de Neuilly, une convention à part pour faciliter l'échange des populations. Certaines divergences d'interprétation ayant ultérieurement surgi, deux autres arrangements (Politis-Kalfov et Mollov-Kafandaris) furent conclus. Ils ont été ratifiées par la Bulgarie, mais non par la Grèce. On ne peut donc encore les appliquer. Le gouvernement bulgare a demandé une indemnisation pour 6.000 familles slaves-bulgarisantes de Macédoine hellénique passées en Bulgarie par voie d'émigration ou d'expulsion. L'accord Mollov-Kafandaris avait prévu les modalités de paiement de ces indemnités, mais les familles intéressées présentèrent leurs demandes de dédommagements immobiliers après écoulement du délai fixé. Un certain nombre de Grecs introduisirent alors des contre-revendications à la Bulgarie l'une d'entre elles se référait à des événements datant de 1906 bref on eut à Sofia l'impression qu'on cherchait, du côté adverse, à « enfler la note ». 2° I ndernnisation des ressortissants helléniques. Il s'agit de sujets grecs ayant pâti en Bulgarie durant la guerre. Le gouvernement de Sofia prétend que cette indemnisation est incluse dans le montant global des sommes allouées au titre des réparations mais la Grèce refuse de souscrire à cette thèse.
3° Af faire des sinistrés d'Anchialos. Peu de gens se rappellent aujourd'hui qu'il y a eu, en 1906, un incendie dans la ville d'Anchialos (Bulgarie orientale), peuplée de Grecs en majeure partie, et que ceux-ci ont vu dans cet événement un pogrom anti-hellénique. Depuis la guerre mondiale, le gouvernement d'Athènes a ressuscité cette affaire qu'à Sofia on considère comme prescrite ou liquidée. La Commission d'arbitrage siégeant à Paris a, en tout cas, refusé d'intervenir.
4° Litige des forêts de Dospad. – Ici le conflit porte sur une question de compétence. Les Bulgares veulent voir trancher la question par leurs tribunaux, les Grecs exigent qu'elle soit reconnue comme ayant un caractère international et tranchée par voie d'arbitrage. 5° Question des biens des communautés ecclésiastiques scolaires sur le territoire des deux pays. -La Bulgarie considère que la solution de cette question est impliquée dans la convention Kalfov-Politis la Grèce soutient qu'elle est encore à régler.
La Bulgarie soutient qu'il faut avoir recours tout d'abord à une procédure préliminaire en vue d'une diiïérencialion des questions dont une partie seulement devaient être soumises à l'arbitrage, tandis que la thèse grecque réclame un arbitrage obligatoire pour toutes ces questions sans distinction.
M. Henderson a pris, il y a trois mois, l'initiative d'une médiation pour le règlement de ces différends. Le ministre bulgare des Affaires étrangères, M. Athanase Bourov, a exposé au Sobranié, le 4 mars, en ces termes, son sentiment sur cette intervention « La Bulgarie ne s'oppose pas à l'arbitrage et elle ne veut pas s'y soustraire. Mais elle ne peut ne pas soutenir que des questions qui ont déjà trouvé une solution par la voie de l'arbitrage ne doivent pas à nouveau être soumises à cette procédure. Autrement, ce serait saper l'autorité des Instituts d'arbitrage. Le gouvernement bulgare accepte l'arbitrage sous la réserve qu'on en exclue les questions déjà tranchées par cette voie. C'est une base de principe qui est juste et elle ne peut ne pas trouver l'approbation du Parlement. Grâce à l'intervention précieuse de M. Henderson, la distance entre les points de vue bulgare et grec diminue peu à peu et il y a lieu d'augurer qu'avec de la bonne volonté de part et d'autre et grâce à l'attitude impartiale des Grandes Puissances, on arrivera bientôt à un arrangement complet. Et une fois les questions litigieuses tranchées, des pourparlers seront entamés en vue de la conclusion de conventions consulaire, commerciale et autres entre les deux pays. »
Chine
Les négociations relatives à l'exterritorialité ont été pendant le mois de mars au premier plan de l'activité du ministère chinois des Affaires étrangères le 4, sir Miles Lampson, ministre de GrandeBretagne, reprenait à Nankin les pourparlers avec le Dr Wang. En même temps les négociations se poursuivaient avec le Japon, sans que celui-ci renonce à exiger certaines garanties pendant une période de transition. Le 21, M. Wilden, ministre de France, arrivait à son tour à Nankin pour discuter la question de l'exterritorialité. Mais en même temps les préoccupations du gouvernement chinois se portent sur la baisse du métal argent. Le ministre des Finances, M. T. V. Soong, en publiant son rapport sur l'année fiscale qui s'est terminée au 30 juin 1930, a déclaré que le gouvernement chinois était prêt à coopérer avec les autres pays toutes mesures pratiques tendant à rétablir la valeur de l'argent. Quelques jours après, le Président Chiang Kaï Shek, parlant de l'arrivée en Chine de Sir Arthur Salter, directeur de la Section économique et financière de la Société des Nations, appelé à donner ses conseils à la Chine, insistait sur le fait que sir Arthur arrivait de l'Inde, et exprimait l'espoir que l'Inde s'abstienne de vendre ses stocks de métal blanc.
En présentant leurs diplômes aux pilotes de l'Académie militaire nationale. le 19 mars, le 'Président Chiang, pensant à la défaite des forces mandchouriennes par les Russes, a montré le rôle que devrait jouer l'aviation dans la défense des lignes de communication des provinces du Nord-Est cet avertissement prend sa valeur au moment où les négociations sino-soviétiqnes, interrompues depuis des mois, reprennent à Moscou.
Espagne
Le voyage du roi à Londres (16-20 mars) n'a eu, selon les milieux officiels, aucun caractère politique. Les journaux dynastiques y ont vu une preuve de plus que la tranquillité publique se trouve assurée dans tout le pays, et le Debate a souligné que ce déplacement n'avait d'autre objet que de dissiper, à l'étranger, les faux bruits répandus sur la situation du pays et de procurer au souverain quelques jours de repos.
Hormis ce voyage, le principal événement de la politique extérieure a été la reprise (23 mars) des négociations commerciales avec la France.
En vue de créer une atmosphère plus favorable, la direction générale des douanes a publié une note rappelant que l'Espagne en 1930 a importé de France 265 millions de pesetas-or de marchandises contre une exportation de 471 millions, dont 282 pour les seuls articles d'alimentation. Ces constatations sont ratifiées par la statistique française, encore qu'avec des évaluations inférieures selon la note officieuse, elles démontrent le grand intérêt que le marché français offre pour la production espagnole.
Une certaine émotion fut soulevée en Espagne et à l'étranger par un article donné à la Nacion de Buenos-Aires par M. Santiago Alba, article dans lequel il était fait allusion à un traité secret conclu entre la dictature du général Primo de Rivera et l'Italie. Ce traité aurait permis à l'Italie, dans le cas d'une conflagration européenne, de disposer pour ses flottes, maritimes et aériennes, des bases des Baléares et surtout de Mahon.
Le comte de Romanones démentit formellement cette information et donna l'assurance que le traité conclu entre le Quirinal en 1928 par le gouvernement dictatorial ne portait que sur des clauses commerciales. Ces clauses furent d'ailleurs modifiées en vertu d'un décret de juillet 1930 édicté par le Cabinet Berenguer, et leur modification a provoqué une réclamation de l'Italie sur laquelle des échanges de vues se poursuivent actuellement. Mais l'impression produite par les « révélations » de M. Alba ont contribué à accroître le malaise politique en apportant aux éléments républicains un nouvel et redoutable argument pour leur campagne contre le régime. Tchécoslovaquie
Le 81e anniversaire du président Masaryk a été fêté le 7 mars avec une solennité exceptionnelle. Les journaux ont célébré à cette occasion l'esprit de justice du président, qui lui a acquis l'estime des autres peuples, y compris les ci-devant adversaires de l'indépendance tchèque.
Ici aussi, l'activité du mois se concentre sur le problème posé à l'Europe par l'annonce d'une union économique austro-allemande,
problème qui touche à la fois à l'équilibre politique continental et aux intérêts matériels de la Tchécoslovaquie.
Dans une conférence à l'Ecole des Sciences politiques, M. Bénès a défini la politique étrangère tchécoslovaque en fonction de la situation géographique de l'Etat. Dans le passé, a-t-il dit, cette politique était surtout orientée vers le sud, tendance qui n'a fait que s'affirmer. Le ministre a souligné l'importance de la France comme contre-poids à l'influence de l'Allemagne en Europe centrale. Prague est un centre nerveux et un poste d'observation de l'Europe. Une autre constante de la politique extérieure tchèque est fournie par la tradition historique et le sentiment national. Enfin les relations économiques constituent un autre facteur primordial. La Tchécoslovaquie a besoin d'une orientation politique européenne et mondiale. L'évolution des événements la force à faire cause commune avec la Société des Nations. M. Bénès parla également de deux autres possibilités théoriques politique slave ou politique de neutralité. La première lui paraît réalisable sous certaines conditions. La seconde est extrêmement difficile, sinon impossible au surplus, on tâche aujourd'hui de neutraliser non des Etats mais des groupes entiers d'Etats. Le 30 mars a été signé à Prague la convention douanière complétant le traité de commerce et de navigation conclu entre la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie le 14 novembre 1928. Par cet accord la Tchécoslovaquie consent à la Yougoslavie des facilités douanières sur plusieurs sortes de légumes, les fruits (surtout les prunes et raisins frais et secs), la marmelade, les porcs lourds, la volaille, le vin; l'eau-de-vie de prune (slivovUsa), les saucissons, quelques catégories de fromages, les poissons d'eau douce et d'eau de mer, les conserves de poissons, le thon, etc. Il a été signé en outre une convention vétérinaire réglant les importations en Tchécoslovaquie du bétail, des matières premières animales, de la viande et produits à base de viande originaires de la Yougoslavie. De son côté celle-ci accorde à la Tchécoslovaquie des facilités douanières pour les importations en Yougoslavie des produits tchécoslovaques suivants cornichons en conserve, bière, chicorée, quelques catégories de filets de jute, divers tissus de coton, de lin et de laine, divers textiles, quelques catégories de cuir, articles de bois, de céramique et de porcelaine, produits de verrerie, récipients en fer, articles de Paris, instruments de musique. En outre la dénomination « bière de Plzen » sera dorénavant protégée en Yougoslavie.
Pour la première fois dans l'histoire des relations économiques entre la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie, les modalités juridiques,
économiques, douanières et vétérinaires se trouvent groupées en un pacte complet, type du traité de commerce intégral dont les experts et les économistes devront s'appliquer à développer toutes les possibilités.
Yougoslavie
Le Roi Alexandre a fait, le 11 mars, au correspondant de l'Agence Reuter, des déclarations reproduites par toute la presse yougoslave, qui définissent ainsi la politique étrangère du Cabinet de Belgrade
« La Yougoslavie désire la paix et sa politique extérieure est au service de la paix internationale. En notre qualité d'Etat balkanique et par notre politique traditionnelle, nous désirons surtout aujourd'hui la paix dans les Balkans libres pour l'organisation de leur liberté et de leur progrès. Personne plus que nous ne désire plus sincèrement le développement paisible dans l'indépendance totale et intégrale de notre voisin le plus jeune, le royaume d'Albanie. Ce ne sont pas seulement nos désirs mais aussi les directives de notre politique résolue de sécurité et de paix. »
Au mois de mars un incident a réagi sur les rapports italo-yougoslaves et, par répercussion, sur les relations entre le Vatican et le fascisme. Une lettre pastorale de l'archevêque de Zagreb, Mgr Bauer, datée du 30 janvier et publiée le 26 février par l'organe de l'archevêché, le Katolitchki List, a en effet soulevé un certain émoi dans le royaume et au delà des frontières. Dans cette lettre, Mgr Bauer, parlant au nom de tout l'épiscopat yougoslave, s'élevait « contre les entraves apportées à l'cxercie normal du culte catholique au sein des populations slaves annexées à l'Italie par le traité de SaintGermain ». Cette pastorale fut lue le 19 mars dans toutes les églises et chapelles catholiques du royaume, où des prières publiques furent récitées par le clergé et les assistants « en vue d'obtenir que la liberté religieuse fût rendue à leurs co-nationaux ». Cette démonstration religieuse souleva d'assez vives protestations dans la presse italienne. M. Galli, ministre d'Italie à Belgrade, fit à ce sujet une démarche auprès du ministère des Affaires étrangères, s'élevant particulièrement contre la présence de personnalités officielles aux cérémonies du 19 mars.
Les milieux romains annoncèrent, d'autre part, la prochaine arrivée
du nonce apostolique à Belgrade, Mgr Peregrinetti, pour présenter au Pape un exposé sur la portée de la lettre pastorale.
Le 30 mars le Roi a signé et promulgué la loi financière pour 19311932. Le projet de budget des Affaires étrangères aux termes de cette loi est inférieur de 3.395.000 dinars au budget en cours (budget en cours d'exécution, 159.511.470 dinars projet de nouveau budget 156.015.620 dinars). Cette diminution a été réalisée surtout sur les dépenses personnelles. On a proposé d'autre part aussi quelques nouveaux crédits annuités de l'emprunt pour achat de terrain et construction de l'immeuble de la Légation à Ankara (1.540.000 dinars) réparations de l'immmeuble du Consulat de Yougoslavie à Fiume (500.000 dinars) classement et impression des dossiers se rapportant à l'origine de la guerre mondiale (836.000 dinars).
VARIÉTÉS
Une page inédite d'histoire diplomatique Le voyage à Dantzig d'un ambassadeur de Louis XIV et sa réception
Lorsque le vidame d'Esneval, ambassadeur de Louis XIV à la Cour de Portugal, apprit qu'il devait quitter les rives du Tage pour celles de la Vistule, et cela au sortir de l'hiver de mi] six cent quatre vingt douze, le représentant français dut songer avec humeur aux imprévues de la carrière (1).
Le plus court chemin eût été de traverser l'Espagne, d'aller débarquer dans un port au-delà des Alpes, de faire route sur Vienne et, par les voitures d'Allemagne, de gagner Varsovie pour y présenter ses lettres de créance. Mais la France était en guerre avec les Espagnols, les Impériaux, l'Angleterre et la Hollande. Pour traverser l'Espagne et l'Empire il eût fallu des passeports et payer ce service d'un service réciproque.
En Méditerranée, rien n'était plus habituel qu'une mauvaise rencontre vaisseau ennemi, corsaires de Flessingue, pirates barbaresques et autres, mettant à profit les manœuvres stratégiques des escadres pour exercer leur métier. Partir en ambassade et finir esclave à Alger, telle était la triste perspective qui s'offrait sur la route de la Méditerranée.
Il ne restait qu'une voie libre le périple de l'Europe, au besoin le tour des Iles Britanniques pour éviter le passage difficile de la (1) Robert le Roux, vidame d'Esneval, était ambassadeur à Lisbonne depuis 1688. Les instructions pour la Pologne sont datées de Versailles 12 avril 1692. Ministère français des Affaires Etrangères, Instructions, Pologne, I, fol. 194 à 206 Journal de Dangeau, III, p. 447.
Manche, la traversée de la Mer du Nord, au péril de se trouver un jour au milieu d'une armée navale portant les couleurs des Etats Généraux des Pays-Bas, des rois d'Espagne ou d'Angleterre. Puis la navigation en vue des côtes de Norvège, en toute sûreté, dans les eaux territoriales danoises et suédoises, enfin l'entrée dans la Baltique sous la protection de la forteresse de Krenborg, une traversée tranquille par les temps de demoiselle qui font le charme du Nord à la fin du printemps. On jetterait l'ancre à Dantzig et de là, en quelques étapes, l'ambassadeur et sa suite, ses bagages, ses coffres, ses chevaux et ses carrosses atteindraient Varsovie. La grande difficulté de cette entreprise était le passage de Lisbonne aux côtes scandinaves. Il y avait heureusement dans le port de Sétubal, grand marché de sel, de gros navires du Nord venant recueillir en masse cette précieuse denrée destinée à assurer la conservation des vivres et des produits de la pêche.
Sur la route des salines ibériques, les Suédois et les Dano-Norvégiens employaient de très beaux bâtiments, les defensionsskibe. C'étaient des vaisseaux à trois mâts, fortement membrés et voilés, qui, à la façon des vaisseaux de la Compagnie des Indes, pouvaient être armés en guerre et en marchandises. Ils avaient deux ponts et une cale énorme, faite pour embarquer, à l'aller, d'encombrants matériaux de construction navale, des bois du Nord au retour du sel et des barriques de vin. L'équipage était installé dans la batterie armée de 12, 24 ou 36 canons. Les hOtes de marque étaient logés à l'arrière (1), dans des pièces aux formes carrées, bien éclairées par de larges fenêtres s'ouvrant sur l'espèce de façade adornée et historiée que dessinait la poupe des vaisseaux d'autrefois.
Les defensîonsskibe constituaient en temps de guerre une flotte auxiliaire capable de se mettre en ligne en temps de paix c'étaient de paisibles marchands, mais en mesure de tenir tête aux pirates et servant de bateaux-écoles. C'est sur un vaisseau de ce genre, portant le pavillon de la Suède, alors neutre, que le vidame d'Esneval quitta Lisbonne (2).
Le vaisseau cingla vers le Nord et jeta l'ancre dans le Cattégat, à Gothembourg, arsenal et place de commerce suédoise, à la fin de mai 1692 (3).
Les côtes de Scandinavie étaient alors très fréquentées par les di(1) Boissonnade et Charliat Colbert et la Compagnie de Commerce dit Nord, Paris, 1930, in-8°.
(2) Instructions, I, p. 274, fol. 269 à 273.
(3) Af faires Etrangères (France), Correspondance Politique, Supplément n° 3.
plomates français. En 1685, Colbert de Torcy était venu y faire un voyage touristique. En 1691, le marquis de Gravel et le premier commis Adam, attendant le vent favorable, passèrent plusieurs mois dans la petite ville de Christiansand, alors très animée. En 1692, Jean Bart vint y débarquer deux ambassadeurs le comte d'Avaux, allant en Suède, et Bonrepaus, allant à Copenhague.
A Gothembourg. d'Esneval trouva une population très favorable aux Français. Les marchands et l'opinion étaient mal disposés envers la Hollande et l'Angleterre qui voulaient s'opposer à toute communication avec la France, ce qui eût ruiné leur commerce. Les gens d'affaires offraient même d'armer en course, invitant l'ambassadeur à réclamer du roi de Suède le libre accès de Gothembourg aux escadrilles de Jean Bart et des corsaires français (I).
Un peu plus de cent plus tard, la même politique d'entrave aux relations économiques et au commerce des neutres, le Blocus continental, ruinera Gothembourg et jettera la Suède dans l'alliance anglaise. D'Esneval quitta à Gothembourg son vaisseau et affréta un grand yacht danois. Le yacht au xvne siècle était un bâtiment gros et court, ne portant généralement qu'un mât, et grâce à ses formes amples, très propre au service des passagers.
En arrivant sur rade, en vue de Dantzig, en août, l'ambassadeur eut la surprise de rencontrer un vaisseau français, la flûte le Profond dont le capitaine Jean Doublet, envoyé par ordre du Roi charger des mâts pour les escadres françaises, était souvent venu à Lisbonne, en marchand, pendant la paix (2).
Le capitaine Doublet de Honfleur a laissé dans ses mémoires (3) un piquant récit du séjour de l'ambassadeur à Dantzig, récit dont nous respectons le style
« Je me trouvai prêt, ayant levé toutes mes expéditions pour partir en France. Il y eut plusieurs dames chez lesquelles j'avais fréquenté à Dantzig qui me témoignèrent avoir envie de voir un vaisseau du Roi de France et je ne peux me dispenser de les convier d'y venir dîner avec Mrs leurs maris. Je retournai à mon bord pour faire préparer le repas et renvoyai M. Durand, mon capitaine en second, dans ma chaloupe et le fils de M. Alvarès, garde de la marine, mon enseigne, (1) Ibid. fol. 274.
(2) Instructions, I p. 278.
(3) Journal du corsaire Jean Doublet Cn. BkÉabd, Paris, Charavay, 1883, in-8°. Cette savante édition, reproduction in extenso du manuscrit original, est d'une lecture un peu pénible elle est, en outre, devenue d'une extrême rareté. Nous en donnons une nouvelle édition, ornée de bois du temps, chez Paneel.
r amener ofit.tfi p.nmnflcmifi nnp
dans mon canot pour amener cette compagnie, que j'attendais à dîner. « Un peu après que mes chaloupes furent parties, il arriva en cette rade un grand yacht du Roi de Danemarck et duquel sa chaloupe vint à mon bord, où était M. de Rancey, que j'avais connu à Lisbonne, lequel m'apprit que M. le vidame d'Enneval chez qui je l'avais vu lors de son ambassade au Portugal, était avec madame son épouse et M. le chevalier son fils dedans le dit yacht et venait de débarquer à Dantzig pour se rendre ambassadeur à Varsovie, cour de Pologne.
« Je marquai mon ressentiment à M. de Rancey de ce que je n'avais mon canot ni ma chaloupe pour aller rendre mes respects à Son Excellence, mais que, s'il le voulait bien, j'y allais aller dans le canot du Danois. Il me marqua que je ferais plaisir à Son Excellence. Je fis arborer les pavillons et tirer treize coups de canon avant de m'embarquer pour saluer la venue de M. l'Ambassadeur, et fus le saluer, Il me reconnut et j'en reçus beaucoup d'honnêtetés et de Madame. Après quoi, il me dit « Vous voudrez bien, sur le soir, me prêter vos chaloupes pour aider à nous débarquer ». Et je lui dis « N'y pensez pas, Monsieur vous recevriez un affront de n'être pas salué des forteresses et de la ville ». Il me dit « Pourquoi donc ? » « C'est qu'ils n'en ont pas reçu nouvelles de la Cour de France et ils le savent par voies indirectes, comme je l'ai pu apprendre et, si vous débarquez, vous ne trouverez votre logement préparé, ni salut, ni le Sénat à vous recevoir et il faut que vous envoyiez votre secrétaire ou votre écuyer leur annoncer votre venue pour que l'on se dispose à vous recevoir dans les dispositions dues à votre rang et dignité. Vos chaloupes reviendront et pourront, demain, vous servir, suivant vos réponses que vous recevrez ».
« Sur quoi, il m'embrassa et dit. « Parbleu, je suis heureux de vous avoir trouvé ici », et envoya M. de Rancey au Sénat de Dantzig dans le canot du yacht.
« Je lui dis « Monsieur je vais m'embarquer avec lui, pour qu'il me remette à mon bord, n'ayant d'autre bateau, car les miens sont à la recherche d'une compagnie d'hommes et de dames qui viendront dîner à mon bord et je ne puis y manquer pour rester avec vous. » Il me dit « Je m'en vais avec vous ». Sur quoi je répondis qu'il me ferait beaucoup d'honneur et Madame si elle le voulait bien. Il en parla à Madame, qui dit n'aimer à aller dans les chaloupes. « Nous nous fimes porter à notre bord et il envoya M. de Rancey, et mes deux chaloupes sur le midi m'amenèrent la compagnie que j'attendais et dont M. l'ambassadeur fut fort aise de s'informer de
ce que je l'avais prévenu. Et lorsqu'il vit les préparatifs de ma table, il dit « Hé, mordié, quelle bonne chère 1 Madame et moi avons pâti, n'ayant que des viandes salées et fumées au bord de ces mesquins Danois ». Je lui dis avant de faire servir « Choisissez tout ce qui peut être du goût de Madame, et je lui vais envoyer ». Il fit un peu de difficultés, disant qu'il ne fallait qu'une ou deux assiettes, et j'en envoyai de huit sortes de différents mets.
« M. Durand, second, nous raconta que, amenant notre compagnie. on apprit la nouvelle que notre armée navale avait été battue et défaite à la Hougue et que, au bas de la rivière de Dantzig, il avait rencontré un moyen navire de six canons qui leur dit mille insolences, criant « Chiens de Français, votre armée est défaite », et montrant leur derrière à nu à toutes ces dames qu'ils appelaient p. Cela nous diminua de beaucoup les dispositions que nous nous étions proposées, et M. l'ambassadeur, par une prudence achevée, remit un peu la compagnie en disant « II peut y avoir quelque disgrâce, événements de guerre, mais jamais si grands que les ennemis les publient il ne faut pas paraître déconcertés ».
« L'on dîna bien, et sur les six heures il fallut reporter à terre notre compagnie. M. Durand avait eu la prévoyance d'embarquer plusieurs menues armes dans ma grande chaloupe, sans le faire paraître. Et, entrant dans la rivière, il ne put éviter de passer proche le navire anglais qui avait insulté, lequel ne manqua pas de recommencer, et il pacifia tout autant qu'il fut occupé. Mais, lorsqu'il eut tout débarqué. et revenant pour se rendre à bord et passant proche le dit Anglais qui récidiva en lui jetant des pierres dans sa chaloupe, il prit les armes et fit sauter nos hommes avec lui à l'abordage. L'Anglais tira un coup de canon qui passa par dessus nos gens, lesquels, de toc et de taille, à coups de sabre, ruaient sur ce qu'ils rencontraient, puis, en ayant mis huit à dix sur le carreau, se rembarquèrent et, étant à bord, firent le récit à M. l'ambassadeur, qui y était encore surles neuf heures et nous dit qu'on avait bien fait de réprimer cette insolence et que nous eussions à ne nous pas embarrasser.
« Le dit navire anglais échoua en côte, mais il échappa le lendemain. «M. de Rancey revint rendre compte à Son Excellence de sa négociation et comme le Sénat fit assemblée, où il fut délibéré pour le recevoir, mais que l'on priait Son Excellence de différer au lendemain pour se débarquer, pour donner loisir de préparer son logement. M. l'ambassadeur, pour se désennuyer, vint à mon bord avec Madame et y pasèrent la journée jusqu'au soir, étant bien content des avis que je lui avais donnés. J'étais tout prêt à partir et il me pria de lui
prêter mon canot et ma chaloupe pour lui aider à le débarquer et son meuble, et je m'embarquai dans mon canot pour recevoir Leurs Excellences et les conduire, ayant mon trompette qui jouait des fanfares. Et, lorsque nous débordâmes du yacht danois, il tira dix coups de canons et, en dépassant notre vaisseau, en tira treize coups et nous fûmes au Heels, à l'entrée de la rivière de Dansik, où est la première forteresse, d'où l'on tira neuf coups. Nous y trouvâmes une demie galère couverte d'un damas rouge avec des franges d'or, où il y avait deux députés du Sénat qui prièrent Leurs Excellences de s'embarquer puis on monta devant la ville, où toutes les forteresses tirèrent.
« Et, à cause de l'affaire de l'Anglais, je quittai Leurs Excellences après en avoir reçu bien des honnêtetés et marques de leur amitié sitôt que je fus à mon bord et que ma chaloupe fut venue, je mis sous les voiles pour me rendre à Copenhague. »
Doublet avait été prudent de se munir de témoignages, car en passant à Copenhague, il fut invité à comparaître devant un tribunal présidé par le grand amiral danois. Au nom de la souveraineté du Roi de Danemark sur la Mer Baltique et sur la plainte des ambassadeurs d'Angleterre et des Pays-Bas, Doublet avait à se justifier de l'affaire de l'Anglais. Il fut acquitté, et rentra à Brest au mois d'août.
Le célèbre Duguay-Trouin prit le commandement du Profond, et Doublet quitta le service du Roi pour se livrer à la course. Quant au vidame d'Esneval, après avoir mené à bien sa négociation, il mourut subitement à Grodno en 1693. Il devait être remplacé par le célèbre cardinal de Polignac et, cinq années après la visite de Doublet, son ancien commandant, Jean Bart, arrivait avec une escadre dans la rade de Dantzig, ayant à son bord un roi pour les Polonais, le prince de Conti (1).
Pierre Charliat.
(1) Instructions, Pologne, I, page 210. Journal de Dangeau, IV, p. 243 Charliat, Jean Bart, à Elseneur dans Revue Maritime, 1929.
Prévost=Paradol ministre de France à Washington
M. Alfred Aubert retrace, dans un livre d'une élégante sobriété qui paraît chez Fasquelle (1), la brillante et émouvante carrière de Prévost-Paradol. En 1869, le polémiste qui avait si vivement attaqué l'« Empire autoritaire » se rallia à la tentative d' « Empire libéral ». Napoléon III, après avoir appelé au pouvoir Emile Ollivier, le représentant des libéraux constitutionnels, désigna comme ministre à Washington l'écrivain qui l'avait, avec tant d'âpreté parfois, combattu.
Cette nomination n'alla point sans surprendre. Un des journaux indépendants, l'Opinion nationale, écrivait « Un homme de l'intelligence de Prévost-Paradol n'a pas besoin de grand temps pour s'initier à sa tâche. D'ailleurs il trouvera, en arrivant à la légation de France, un personnel expérimenté de secrétaires d'ambassade, déjà anciens dans le pays, qui l'auront bientôt mis au fait des hommes et des choses. Voilà ce que nous nous disions, et que tout le monde se serait dit comme nous, lorsque, suivant la lecture du Journal Officiel, nous trouvons à la suite des nominations des chefs d'emploi tout un mouvement dans le personnel des secrétaires d'ambassade. D'où il résuite qu'en même temps qu'on envoie à Washington un nouveau ministre, aussi inexpérimenté qu'intelligent, on en retire le premier secrétaire, qui eût pu venir en aide à son inexpérience, et même le second qui, à défaut du premier, eût pu être encore de quelque ressource au jeune ministre dans l'embarras. » D'autre part, la Gazette de France persiflait: « L'Empereur n'a visé dans le décret concernant Prévost-Paradol que le titre d'académicien de celui qui va représenter Napoléon III à Washington. La qualité de rédacteur du Journal des Débats n'y figure pas. C'est en combattant (1) Alfred Aubeoi, Un grand libéral Prévost-Paradol, 192 p., in-8°, Paris, Fasquelle, 1931.
les dieux qu'il va servir qu'il a conquis, quoique très jeune, un des quarante fauteuils. »
Prévost-Paradol s'embarqua le 30 juin 1870 à Brest, et le 16 juillet il remettait ses lettres de créance au Président des EtatsUnis. Dans la note qu'il adressa à ce sujet au duc de Gramont, ministre des Affaires étrangères, il explique pourquoi il s'abstint de faire allusion à l'imminence d'une guerre entre la France et la Prusse « 11 n'eût pas été prudent de donner au Président une occasion de manifester une opinion quelconque sur la guerre. Le grand nombre d'Allemands établis en Amérique, la nécessité pour les chefs de partis de se ménager leur suffrage, le souvenir des dissentiments qu'avait créés l'affaire du Mexique donnent ici au parti anti-français une grande audace et assez d'influence. » Il ajoutait, le lendemain, en post-scriptum s J'ai fait ce matin visite au Secrétaire d'Etat. M. Fish, tout en protestant que la neutralité des Etats-Unis serait complète, m'a fait remarquer que les lois américaines n'interdisent pas le commerce des armes. »
Dans la journée du 19, le Comte d'Hérisson, chargé de mission par le ministère du Commerce, était reçu par le ministre, qu'il trouvait vieilli, triste. « et comme écrasé par le sentiment d'une faute irréparable ». Prévost-Paradol lui déclarait « Rien ne s'arrangera, et pour deux raisons. La première, c'est que la Prusse veut nous faire la guerre. Elle s'y prépare, indirectement depuis soixante ans, et directement depuis quatre ans. Son armée a besoin de se battre, comme les locomotives ont besoin de rouler, sous peine de devenir du vieux fer. Et la seconde raison, non moins absolue, est que l'Empire lui aussi a besoin de la guerre il la veut il la fera. Il y a eu 1 .500.000 non au plébiscite. »
Dans la nuit suivante, Prévost-Paradol se tuait d'un coup de pistolet en pleine poitrine. Ernest Renan pensa que ce suicide « n'eut aucune signification politique ni morale ce fut un accident matériel amené par les grandes chaleurs de Washington et par la surprise que lui causa le régime américain des boissons alcooliques glacées ». Mais on sait qu'il prépara sa fin avec le plus grand calme. « Mes amis croiront, disait-il, que je connaissais les intentions belliqueuses de l'Empereur, et ils m'accuseront de mauvaise foi. » Gustave Gcffroy admet que c'est cette crainte qui l'a tué, et il ajoute « Sa mémoire n'en sera pas amoindrie. On ne saurait incriminer celui qui annonce qu'il s'est trompé, qui affirme son honneur en litige, et qui termine le débat en prononçant la disparition de sa forme périssable. » Emile Faguet a laissé entendre, dans la Revue de Paris
du 1er octobre 1912, sans donner ni noms ni sources, que Prévost aurait eu, avant le départ pour Washington, une déception d'amour. Une amie, « très jolie, un peu triste, et qui était une intellectuelle » n'avait point voulu lui céder et il serait parti pour « sortir d'une situation sans issue ».
Il reste bien du mystère autour de cette mort. Le meilleur commentaire est peut-être encore celui que donnait par avance PrévostParadol lui-même parlant de la vie parisienne à cette époque de plaisirs, il s'attendrit sur les « victimes de ce grand festin intellectuel, qui disparaissent de temps à autre, souvent sans bruit, quelquefois avec éclat, comme ces fusées de feu d'artifice, qui font dans le ciel une courbe lumineuse, pour aller tomber éteintes dans la rivière. Cette fête brillante n'a pas de fin, mais elle use bien des acteurs. La mort prématurée, le suicide, la folie sont à la porte du salon, qui réclament leur part, ou plutôt qui la prennent, et non pas, certes, dans les derniers rangs des convives ».
Avant de quitter Paris pour Washington, Prévost avait' écrit, dans une mélancolique lettre d'adieu à Borély « Mon cher ami, vous êtes ému plus qu'il ne faut des niaiseries qui se disent ou s'écrivent contre moi. Ces choses-là ont bien peu d'importance. Le temps est un galant homme qui rend justice à tout le monde. » Le temps ne s'est peut-être pas conduit, dans cette circonstance, en parfait galant homme. M. Aubert fait remarquer que Prévost, dont la notoriété fut inouïe, « n'est guère qu'un nom à l'oreille des générations nouvelles » le livre qui vient de paraître contribuera certainement à le faire retentir de nouveau.
J. R.
L'Art international à Paris
La peinture Argentine
Et penchés à l'avant des blanches caravelles,
Ils regardaient monter en un ciel ignoré,
Du fond de l'océan, des étoiles nouvelles.
Le Musée du Jeu de Paume a abrité, en mars, deux douzaines d'importantes toiles de M. C. Bernaldo de Quiros, peintre argentin de grand talent.
Exposition intéressante et originale s'il en fut, tant par la technique de l'artiste que par la nature du sujet traité
Visions de la vie du « Gaucho » argentin de la Province de Entre Rios (1850-1870).
Classique hispanisant. Bernaldo de Quiros s'est laissé cependant influencer par l'impressionnisme.
Parfois, il lire de ses brosses un effet particulier masses et traits donnent l'illusion d'être tissés l'on dirait d'une admirable tapisserie. Le plus souvent, il plaque, ou mieux maçonne à la truelle une peinture rugueuse qui rend à merveille le cuir tanné, crevassé, des bruns visages de ses gauchos, encore qu'il daigne adoucir ses touches magistrales pour donner toute leur pureté aux minois ambres des aguichantes senoras.
Portraitiste, il a le sens inné de la composition. Rien de « léché » ni d'affecté dans son œuvre, où la sincérité éclate.
Son œuvre, symphonie mi-pastorale, mi-héroïque, dont le rouge une fanfare de rouges constitue la dominante, campe, à tous les premiers plans, des personnages dont aucun n'est indifférent. Il ne s'avère un riche coloriste que par le détail, jamais négligé, ou en déployant, au dessus des types remarquables qu'il a ressuscités, des ciels bigarrés et brûlants comme des châles andalous.
Par dessus tout, ce grand artiste fait figure de psychologue. Né dans l'Entre Rios, voici 50 ans, il y est revenu, après avoir étudié
la peinture en Espagne et en Italie, pour s'y consacrer, avec passion, à l'unique observation des types curieux qui s'y pouvaient encore rencontrer.
Et, tel un entomologiste collectionnant des coléoptères, de Quiros collectionna les « Gauchos », se constitua un musée « Gaucho », et n'eut de cesse qu'il ne fût parvenu à les faire ressurgir vivants sur ses toiles.
D'abord, qui sont et qui furent les « Gauchos « ? L'ex-ambassadeur d'Espagne Merry del Val, doyen du corps diplomatique en GrandeBretagne, a défini leur personnalité dans une conférence faite en janvier 1931 à la « National Gallery » de Londres, où triompha alors l'exposition de Bernaldo de Quiros.
« Gaucho », ce mot à la racine indienne, au suffixe espagnol, s'applique aux descendants des premiers colons des « pobladores » des Pampas du territoire aujourd'hui connu sous le nom de République Argentine. La dénomination de « Pampa « a son origine dans le nom d'une féroce tribu d'Indiens habitant les grandes plaines autour du Rio de la Plata elle passa avec le temps à ces vastes herbages plus tard connus entre les éleveurs britanniques locaux comme le « camp », corruption de l'espagnol « el campo », équivalent du « rus » des latins. Les premières chroniques de l' « Intendencia de Buenos-Aires sont remplies de narrations de la lutte sans merci entre les indigènes têtus et cruels, et les Espagnols non moins obstinés. Les blancs l'emportèrent. Mais la victoire fut lente et coûteuse. En effet les adversaires destinés à engendrer une race nouvelle s'équilibraient par leur courage et leur force physique. Peu à peu, cependant, l'Espagnol poussa l'Indien toujours plus loin dans le désert, et finalement l'extermina.
A mesure qu'il avança, il s'établit sur la terre conquise, principalement comme éleveur. Or les femmes de race espagnole étaient rares dans la colonie. L'envahisseur, dans les commencements au moins, dut se contenter souvent, sinon toujours, d'une épouse indienne. En général, néanmoins, le sang espagnol domina, comme la race qui avait matériellement maîtrisé l'autre. Et ici surgit une caractéristique d'ordre à la fois ethnologique et historique du plus haut intérêt pour l'étude de l'Espagne et du peuple espagnol. De quelle souche, de quelle classe sortaient les colonisateurs des Pampas ? Aux premiers temps, c'étaient les soldats des garnisons, des aventuriers à qui l'Espagne et l'Europe paraissaient trop étroites et de rudes guerriers se morfondant dans l'ennui des camps derrière les palissades. Ils venaient pour la plupart des fameux « tercios «
d'Espagne. Pour ces gens, trente ans de service et plus n'étaient rien. Ils faisaient leurs premières armes en Flandres ou en Italie, puis s'en allaient se battre contre les Turcs ou les Maures de Barbarie, ou encore dans les îles de la Méditerranée et finissaient au monastère, tel Tiburcio de Redin, ou bien dans les luttes sur le sol nouveau de la découverte d'Outremer. Souvent c'étaient des gens instruits, d'anciens étudiants de Salamanque ou d'Alcala de Henares. Ainsi voyons-nous parmi eux Ercilla et Grijalba le premier fut un des pages du roi Philippe II et dans la suite le grand poète épique de 1' « Araucana )> le second, dominateur de la Californie, nom qu'il trouva dans un roman de chevalerie. D'autres étaient simplement de rudes mais beaux sabreurs à la façon du fameux porcheron Pizarro, génial conquérant du Pérou. Durs à cuire ou gars ambitieux, ils personnifient un type de l'Espagne des xvie et xvne siècles. Audacieux et indomptables jusqu'à la témérité, ils sont un des plus remarquables produits de l'orgueil humain. Ils ne craignaient ni Dieu, ni les hommes, ni l'ennemi, fût-il innombrable. « A mas enemigos, mayor ganancia » (plus nombreux l'ennemi, plus grand le butin) est leur devise. Ils se rient des dangers, des flots, de la forêt, de la mer et de la montagne, car ils se croient invincibles en portant la bannière de Castille. Sous l'aiguillon de cette vertu, qualité héroïque, ils explorent et soumettent l'Amérique du sud, les Antilles et plus d'un tiers de l'Amérique du Nord depuis la Floride à l'Est, jusqu'à l'Alaska au Nord et à l'Ouest. Ces types foisonnent dans les romans et le théâtre de l'Espagne de leur temps chez Lope de Vega, Calderon et Cervantes, qui en était lui-même. Souvent, ne supportant plus l'autorité, ils en brisaient les liens et partaient pour l'établir de nouveau par delà de vagues horizons. Souvent aussi ils devenaient intolérables dans leur superbe et leur rébellion au point que le gouverneur de mainte colonie était bien aise de s'en défaire en les chargeant d'organiser quelque folle expédition ou plus simplement en les mettant hors la loi.
Bernaldo de Quiros a eu la fortune de trouver les fils de ces hommes au fond d'une lointaine province de son pays. Dans son mâle talent il a su les faire revivre sur la toile, à la veille de leur complète disparition sous la vague niveleuse de la civilisation cosmopolite. F. H.
« Les Isles ».
Exposition des -vieilles colonies françaises
à la Bibliothèque Nationale
Avant l'ouverture de l'Exposition coloniale, la Bibliothèque Nationale a présenté aux curieux un ensemble impressionnant de souvenirs des vieilles colonies françaises.
Cartes et tapisseries ornaient les murs. Non point les cartes austères d'aujourd'hui, qui ne sont que schémas et nomenclatures, mais les cartes d'autrefois dont les illustrations forment à elles seules comme un récit de voyage on y voit revivre les populations indigènes, les palmiers, les cocotiers, les animaux sauvages, et les monstres sortis de l'imagination des marins et des explorateurs. Ainsi se nourrissaient et s'exaltaient les vocations, tandis que l'art des tisseurs offrait aux grands de ce monde, ennobli en de vastes compositions décoratives, le rêve exotique. Aux grandes tapisseries du xvme siècle, les races diverses figurent en beauté à l'ombre des palmes les oiseaux aux vives couleurs peuplent les paradis lointains les fruits et les coquillages que l'Europe ignorait témoignent des générosités de la nature tropicale.
Dans les vitrines, livres illustrés et séries de planches fournissent des documents plus précis. Nous voyons une image d'Alger « l'année où la France en demanda le protectorat » (1572). On nous rappelle que Champlain forma, dès l'an 1600, le projet de percer l'isthme de Panama.
De nombreuses gravures représentent, telles que les virent les premiers voyageurs, les anciennes cérémonies des populations de l'Amérique du Nord, telle cette « conduite de la reine au roi », en quelque Floride la reine, qui n'est parée que de ses bijoux, est portée sur un pavois, cependant qu'autour d'elle se pressent ses suivantes. J. R.
(A suivre).
Le Gérant DE PEYRALADE.
SOMMAIRE
I. Questi~ns politiques et juridiques Pages
CHRONIQUE POLITIQUE. La République espagnole vue de l'étranger
(A. M.). 132 CIIBONIQUE JURIDIQUE. Le changement de régime en Espagne.
L'insurrection de Madère et le droit d'asile.-L'affaire Moulin(J.R.) 135 Jean MoRiNi Cosrsy. La solidarité européenne en action l'organisa-
tion internationale du crédit <!g7'MO~ 140 Étienne DENNERY. –Le Problème des migrations de peuples depuis la
gME7'M 154 II. La vie diplomatique
Éphémérides internationales. 166 Nominations 170 L'activité diplomatique des États. 173 Chili 173 États-Unis. 174 Grèce. 175 Hongrie 177 Roumanie 178 Turquie. 180 111. Variétés
Une page inédite d'histoire diplomatique les Présents de Louis XIV
et de Louis XV aux diplomates, par Pierre Charliat. 182 Bismarcli inconnu (IVI. 0.). 185 Le généra] Nogi ses rapports avec les étrangers ses missions diploma-
tiques(J. R.). 188 Les Isles exposition des vieilles colonies françaises à la Bibliothèque
nationale (fin). 190 Dante à Paris, par Fernand Huré. 191
QUESTIONS POLITIQUES ET
JURIDIQUES
Chronique Politique
LA RÉPUBLIQUE ESPAGNOLE VUE DE L'ÉTRANGER L'avènement du régime républicain en Espagne a été accueilli par l'opinion étrangère non d'après sa signification propre mais à travers le prisme de préoccupations éminemment subjectives crainte d'une extension du bolcliévisme, d'une incidence fâcheuse sur la crise économique, d'un déplacement de forces dans le bassin occidental de la Méditerranée, etc. Il n'y a guère eu que les républiques sud-américaines pour saluer ce changement de régime avec une cordialité exempte de toute arrière-pensée. Le fait mérite d'être noté, car si la chute de la dynastie des Bourbon-Habsbourg s'était produite avant la guerre, elle eût été accueillie par des manifestations de sympathie dans les Etats démocratiques (France et Etats-Unis notamment) et par des regrets dans les pays monarchiques. Ces réactions, fondées sur les affinités politiques, ne se sont point produites cette fois symptôme de la prédominance actuelle des facteurs économiques et sociaux sur l'idéologie politique.
Naturellement, il y a aussi lieu de faire la part du romantisme traditionnel dans lequel verse tout reportage consacré aux affaires d'Espagne et des exagérations alarmistes avec lesquelles sont transmises d'abord, interprétées ensuite les nouvelles de la Péninsule.
Vieille habitude à laquelle n'échappe la presse d'aucun pays de l'ancien ou du nouveau monde.
La question qui intéresse avant tout les Etats étrangers, c'est évidemment celle de l'orientation extérieure de la République. Il est de notoriété que beaucoup des hommes amenés au pouvoir par la chute de la monarchie ont été formés à l'école de la tradition républicaine française. Il est également connu que plusieurs d'entre eux ont professé, au cours de la grande guerre, une opinion nettement favorable aux Alliés, et plus particulièrement à la France. Le moins qu'on puisse dire du nouveau Cabinet, c'est donc qu'il est composé d'hommes politiques dont la plupart ont une connaissance directe et une compréhension certaine des affaires de la république voisine, où d'ailleurs certains ont vécu.
Du côté français, toutefois, une partie de la presse a manifesté une telle froideur à l'égard du nouvel état de choses que certains milieux espagnols s'en sont montrés surpris et que des manifestations hostiles ont éclaté le 23 avril à Barcelone. Les raisons de cette hésitation en France sont d'ordres assez divers chez les journaux modérés désaffection à l'endroit des institutions démocratiques ;chez les autres, crainte d' « expériences » politiques ou sociales Ira os montes chez laplupart, incertitude quant à la politique marocaine du nouveau régime, encore que celui-ci paraisse bien disposé à maintenir le statu quo en Afrique.
En Italie, l'opinion fasciste s'est exprimée avec une certaine appréhension sur l'avenir du nouveau régime. Une allusion de M. Indalecio Prieto à l'éventualité d'un conflit franco Italien fut interprétée dans un sens désobligeant. Une rectification mit les choses au point, mais il restait que l'avènement de la république témoignait d'une persistance. en Espagne, des idées de démocratie et de libéralisme tenues pour périmées par le fascisme, et cette constatation ne prédisposait guère la presse italienne en faveur de M. Alcala Zamora et de ses amis. En annonçant que « l'Espagne maintiendra des relations correctes avec les pays dont le régime est le plus opposé au sien », le Ministre des Affaires étrangères, VI. Lerroux, a dit peut-être plus de choses qu'il n'en voulait dire.
On attendait avec une curiosité toute particulière une définition de l'attitude du gouvernement républicain vis-à-vis de l'Union soviétique. Le 29 avril, M. Lerroux fit à la presse des déclarations fort nettes « Mon opinion personnelle est que la reconnaissance de la Russie a ses dangers, mais quel contrat n'en a pas ? Et si nous ne leur faisons pas face, si nous ne rompons pas avec les errements anté-
rieurs, je ne vois pas ce que nous sommes venus faire au pouvoir. Il est impossible de changer d'opinion en passant d'un côté à l'autre de la barricade. » A ces raisons sentimentales, la républicaine Libertad en ajouta d'autres l'Espagne ignore, jusqu'ici, tout de la Russie tandis que la Russie étudie et connaît l'Espagne,comme le prouvent le fonctionnement de la section espagnole du bureau « Voks » à Moscou et l'existence, à Lenïngrade, d'une « société d'hispanistes », dont un membre, Constantin Dcrjavinc, Vient de traduire le Lazarillo de Tonnes. Ces arguments un peu spéculatifs paraissent avoir été ébranlés par les incidents du 1er mai, à la suite desquels le gouvernement s'est vu obligé de sévir contre les communistes. Il se peut que la question de la reconnaissance des Soviets soit un peu différée pour le moment. D'ailleurs, bien que la presse républicaine tienne le péril bolchéviste pour inexistant dans la Péninsule, il n'en est pas moins évident que celle-ci est, aux yeux des agents soviétiques, dans un état « prérévolutionnaire s, donc offrant un puissant intérêt pour une action de propagande.
L'Angleterre avait pour le régime déchu des sympathies d'ordre dynastique. Mais le gouvernement travailliste ne peut voir d'un mauvais œil les socialistes partager, à Madrid, le pouvoir avec les républicains. Tout au plus craindrait-il de voir l'influence de la France s'intensifier en Espagne et celle de l'Espagne croître en Portugal, au détriment de l'Angleterre, grâce à une similitude de régime. Mais c'est là une éventualité bien problématique.
Les rapports hispano-portugais ont d'ailleurs plus d'actualité dans la presse que dans la politique, vu la situation particulière créée par les incidents de Funchal. On reparle de l'ibérisme, bien que le Portugal, hier à la gauche de l'Espagne, soit aujourd'hui à sa droite, du fait de la dictature. A dire vrai, il n'y a pas d'idéologie plus rebattue dans la Péninsule que celle du rapprochement lusoespagnol et il n'y en pas pas non plus qui ait, à l'expérience, donné plus de mécomptes. Il existe entre les deux Etats une loi d'asynchronisme historique qui a toujours fait obstacle aux tentatives d'entente. Aujourd'hui plus que jamais, l'ibérisme apparaît comme une notion dépourvue de base pratique. Si même la formule fédérale triomphait dans la nouvelle constitution espagnole, l'accession du Portugal se heurterait encore au choix de la capitale fédérale: Lisbonne, Madrid ou Barcelone ?
Le gouvernement provisoire a tenu à souligner ses sentiments d'attachement à l'égard des républiques hispano-américaines. M. AIcala Zamora a adressé par T. S. F., le 29 avril, un vibrant discours en
espagnol et en anglais à l'Amérique latine et, un peu aussi, aux Etats-Unis. Il s'y est appliqua à démontrer que la « politique » et les « préoccupations » de son gouvernement étaient américaines. Il a rappelé que ce gouvernement avait déjà atténué les différences maintenues par la loi espagnole entre nationaux et hispano-américains, puis renforcé la représentation diplomatique de la Péninsule dans le Nouveau Monde. Et, au cours d'une récente interview, il a manifesté son intention de faire aux républiques sœurs la visite qu'Alphonse XIII a toujours projetée et toujours différée.
Cependant, si l'Amérique latine a fait à la République naissante un chaleureux accueil, il semble que les Etats-Unis se soient montrés plutôt distants. Ils ont attendu l'exemple des autres grandes puissances pour reconnaître le nouveau gouvernement et ils ont en même temps engagé des négociations avec celui-ci en vue du remboursement de vieilles dettes de guerre, qui représenteraient aujourd'hui plus de cinq millions de dollars, geste qui n'a pas été sans soulever à Madrid divers commentaires.
Il est encore malaisé de déduire, de toutes ces indications, un symptôme de changement d'orientation. Comme tous les régimes qui s'instaurent, la république, gouvernée par des politiciens de conviction et non de profession, aura tendance à se tourner plus volontiers vers les pays avec lesquels elle se trouve en affinités d'idées. Puis il y aura lieu tenir compte de la structure définitive de l'Etat. Une fédération offrirait aux influences étrangères des tentations, sinon des moyens de pénétration.
Enfin la Société des Nations est aujourd'hui (comme le fut longtemps la question marocaine) la meilleure carte d'introduction de l'Espagne dans la politique mondiale. Elle en jouera plus encore que par le passé et trouvera à Genève, par surcroît, de nouvelles occasions de contact avec l'Amérique du Sud.
Le Saint-Siège, qui a d'importants intérêts à ménager dans la Péninsule, s'est attaché à ne pas donner au Gouvernement provisoire de motifs concrets de mécontentement. Sans doute a-t-il protesté avec énergie contre les assauts donnés aux couvents les 11 et 12 mai. Cependant il évite d'adopter une attitude qui dresserait en bloc le clergé espagnol contre le nouveau régime, et la lettre pastorale dans laquelle le cardinal Segura, archevêque de Tolède et primat d'Espagne, manifeste un sentiment d'opposition, ne semble refléter ni les vues prudentes de la nonciature ni peut-être celles de la majorité du clergé, qui déplore les violences anticléricales mais espère encore que le pouvoir saura y couper court.
Je voudrais toucher, en passant, une question fort débattue le roi Alphonse XIII a-t-il été francophile ou germanophile ? A lire les journaux de nuance modérée en France et en Allemagne, on risque de tomber dans la perplexité, car les uns comme les autres remercient le monarque d'avoir su résister pendant la guerre aux « pressions » de l'adversaire. En France, beaucoup de gens confondent le tour d'esprit français d'Alphonse XIII avec la francophilie, qui est tout autre chose. En Allemagne, on sait d'autant plus de gré au roi d'être resté neutre pendant la guerre qu'on s'imagine que son intervention fut sollicitée par les Alliés ce qui est à coup sûr inexact en ce qui concerne la France.
On lit dans les Mémoires du baron de Schoen (page 195) qu'au moment des discussions sur le Congo, l'Espagne proposa à l'Allemagne de participer aux négociations à ses côtés. « Notre refus dit M. de Schoen lui fut d'autant plus sensible qu'elle avait le désir de se joindre. à la Triplice, désir depuis longtemps exprimé à Vienne, où il avait été fraîchement accueilli ».
Pourtant nous savons par ailleurs qu'Alphonse XIII rompit les liens noués avec l'Allemagne par son père et par la Régence, pour entrer résolument dans l'orbe des puissances occidentales, stabilisant sa politique extérieure sur l'entente franco-anglaise le jour où celleci devint un fait accompli.
Pendant la guerre, les Alliés n'eurent pas à se plaindre du roi et les concessions qu'il leur fit ne soulevèrent pas trop de protestations du côté adverse, où l'on avait craint une intervention armée. Alphonse XIII déconseilla l'entrée en guerre de l'Italie, mais facilita aux Alliés certains moyens de surveillance côtière. Que conclure, sinon que le roi fut toujours espagnol et que, s'il lui arriva de faire pencher la balance d'un côté, il s'y prit toujours de manière à rester dans les limites de la correction et de l'habileté diplomatiques ?
A. M.
Chronique Juridique
Le changement de régime en Espagne. 11 est très remarquable que le Gouvernement provisoire ait eu le souci, dès le premier instant, de se donner une base non seulement politique, mais juridique. Le statut provisoire publié dans la matinée du 15 avril porte même, dans son exposé de motifs, la trace de préoccupations doctrinales le gouvernement provisoire accepte « la haute et délicate mission d'agir comme gouvernement ayant plein pouvoir; » mais il estime que « la situation de plein pouvoir n'a pas à entraîner l'exercice arbitraire de l'activité du gouvernement » il affirme donc « solennellement qu'il soumet son activité à des règles juridiques qui, en la limitant, pourront servir à ce que l'Espagne et les organismes d'autorité connaissent les principes directeurs dont s'inspireront les décrets qui seront pris ultérieurement. » On sait que beaucoup de constitutionnalistes invoquent comme base d'un régime normal cette idée de l'auto-lirnitation des pouvoirs de l'Etat, qui leur permet de concilier l'idée d'une souveraineté absolue et les nécessités de la règle. Il est curieux que cette doctrine, naguère invoquée pour la justification des régimes d'autorité, serve aujourd'hui à exprimer le noble scrupule d'un gouvernement libéral.
Cette limitation volontaire de l'autorité n'est d'ailleurs pas la seule à laquelle le Gouvernement provisoire se soumette dans l'article 1er du Statut, affirmant l'origine démocratique de son pouvoir et le principe de la responsabilité, le gouvernement déclare qu'il soumettra son activité au jugement des Cortès constituantes.
Le texte du Statut est bref. C'est aux Cortès qu'il appartiendra de déterminer les droits des citoyens. Cependant, dès l'origine, le Gouvernement provisoire affirme sa volonté de respecter pleinement la liberté de croyance et de culte, ainsi que la liberté individuelle. Il reconnaît la personnalité syndicale et corporative, considérée comme « la base du nouveau droit social ». Il déclare la propriété privée garantie par la loi et soumet l'expropriation, selon la formule classique, à une préalable indemnité. Mais en même temps « le Gouver-
nement provisoire, sensible à l'abandon absolu dans lequel ont été laissées jusqu'ici l'immense masse des cultivateurs espagnols et l'économie agricole du pays, adopte comme principe de son activité que le droit agricole doit avoir une importance en rapport avec la fonction sociale de la terre. »
Les conditions pacifiques dans lesquelles se réalisa la révolution, la transmission quasi régulière des pouvoirs expliquent que le Gouvernement nouveau ait très rapidement obtenu sa reconnaissance par les Puissances étrangères. En annonçant que son Gouvernement reconnaissait le nouveau Gouvernement espagnol, le représentant du Mexique aurait déclaré que les relations diplomatiques n'avaient pas été interrompues et il y avait peut-être là un peu plus qu'une formule aimable, puisque, dans certains milieux allemands, on alla jusqu'à insinuer que la formalité de reconnaissance était peut-être inutile, le nouveau Gouvernement ayant tiré ses pouvoirs du régime précédent.
L'insurrection de Madère et le droit d'asile.- Pendant l'insurrection de Madère, des navires de guerre britanniques furent envoyés à Funchal. Le 2 mai les chefs insurgés télégraphièrent au commandant du corps expéditionnaire portugais qu'ils étaient prêts à se rendre. Un certain nombre d'entre eux se réfugièrent dans les consulats d'Angleterre et du Brésil. La plupart des officiers et quelques civils cherchèrent asile à bord du bateau de guerre britannique London. Des pourparlers furent engagés aussitôt entre le commandant du bateau et le ministre portugais de la marine, qui était à Funchal En même temps la question était traitée à Lisbonne et le 4 mai, à la Chambre des Communes, M. Henderson, secrétaire d'Etat aux Affaires Etrangères, pouvait annoncer que l'ambassadeur britannique à Lisbonne avait reçu du ministre des Affaires Etrangères l'assurance que les insurgés auraient la vie sauve, s'ils se rendaient. Les nouvelles de presse ont en outre permis de se rendre compte qu'au moment délicat de la reddition, lorsqu'on pouvait craindre certaines violences, le débarquement de quelques marins anglais permit de faire d'un quartier de la ville une sorte de zone neutralisée dans laquelle trouvèrent abri, avec les étrangers, un certain nombre de ressortissants portugais.
L'affaire Moulin. L'arrestation en Italie d'un sujet belge accusé d'avoir participé à des menées subversives, et renvoyé devant le « tribunal spécial », ramène l'attention sur un ensemble de problèmes graves, au sujet desquels l'opinion se passionne aisément.
Les déclarations devant la Chambre belge de M. Hymans, ministre des Affaires Etrangères, dégagent avec une loyauté parfaite des 'principes incontestables. Il est hors de doute que les lois pénales, destinées à assurer l'ordre et la sécurité dans un pays, s'appliquent aux étrangers comme aux nationaux.
« Les lois de police et de sûreté, dit l'article 3 du Code civil belge comme du Code civil français, obligent tous ceux qui habitent le territoire. » Il est certain qu'un pays est libre d'organiser à sou gré ses juridictions et sa procédure. Mais d'autre part, le droit des gens reconnaît, dans le cas qui nous occupe, aux représentants d'un pays étranger, un certain droit, un certain devoir de protection à l'égard de leurs nationaux. Le consul général de Belgique à Milan, puis l'ambassadeur de Belgique en Italie ont été autorisés à voir M. Moulin dans sa prison, le premier en présence du juge d'instruction, le second en présence d'un agent de la sûreté le Gouvernement belge insiste pour que l'accusé puisse assurer au mieux sa défense, au cours d'un procès public, que suivrait un représentant de l'Ambassade. Ces démarches sont conformes à l'usage. La garantie essentielle que les étrangers puissent obtenir, c'est la publicité de la procédure il y a des atteintes au droit qui ne seront pas commises, si l'on sait qu'elles seraient connues de l'opinion internationale. Malheureusement il se peut que, précisément dans des affaires qui intéressent la sûreté de l'Etat, on ait peine à obtenir une publicité complète. Mais il faut dire en outre que des incidents de cet ordre posent une question plus fondamentale, à laquelle se rapportent justement certaines des manifestations auxquelles a donné lieu en Belgique la perspective de voir le professeur Moulin soumis à la juridiction du «tribunal spécial ».
En dehors d'un régime spécial conférant aux étrangers des privilèges de juridiction, il est bien vrai que la seule exigence soutenable, c'est que l'étranger soit traité comme le serait un national. Seulement la base morale et politique de cette règle est un certain degré d'uniformité entre les institutions. C'est pour cela qu'avant d'être admis dans la communauté des nations, certains pays ont dû mettre leur droit et leur organisation judiciaire en harmonie avec la pratique des autres pays. Le jour où un pays se laisserait entraîner à une démarche inverse, le jour pour formuler une hypothèse extrême où ses institutions pénales se dégraderaient et viendraient à accuser un désaccord profond avec celles des autres membres de la communauté internationale, l'assimilation des étrangers aux nationaux cesserait d'être une garantie suffisante. C'est bien au nom d'une sorte de
droit commun international que l'on demande actuellement la liberté de la défense, la régularité du procès, la publicité. Ces démarches ne prendraient peut-être pas aisément la forme de la revendication rigoureuse d'un droit. Mais elles apparaissent d'autant plus fondées que le développement des relations entre les peuples assure de plus en plus l'existence d'une norme communément admise par les nations civilisées.
Les Annuaires de l'Institut international de droit public. Fondé en 1927, l'Institut international de droit public, qui groupe les meilleurs constitutionnalistes du monde, a publiéen 1929 son premier Annuaire qui contenait les lois de droit public des principales Puissances en 1928. Le second Annuaire vient de paraître, sous la direction de M. Jèze, par les soins de M. Mirkine-Guetzévitch il comprend, dans sa partie documentaire, tous les changements constitutionnels, les lois de droit public, les principales décisions de jurisprudence de 1929, pour quarante-cinq pays. Les textes législatifs sont donnés in-extenso, en traduction française, avec notes et commentaires. L'ouvrage contient en outre un certain nombre d'études théoriques, parmi lesquelles nous signalerons N. Politis et W. Schucking La portée des règles de droit constitutionnel pour la conclusion et la ratification des traités internationaux.
Lors de la dernière session annuelle de l'Institut, son président. M. Jèze, a annoncé la préparation d'une publication nouvelle, un Annuaire Intel -parlementaire, sous la direction de M. Léopold Boissier, secrétaire général adjoint de l'Union Interparlementaire, et de M. Mirkints Guetzévitch, secrétaire général de l'Institut de droit public. Cet ouvrage contient les renseignements relatifs à la vie politique dans le monde entier.
Cahiers de droit étranger. La collection qui commence à paraître en français sous ce nom se publiera en même temps en anglais, à Londres et à New-York, sous la rubrique « Foreign Law Séries » et en allemand, à Berlin, sous le titre « Aufsatze über auslandisches Privatrecht » (Librairie Sirey).
Le premier volume est consacré aux « Sociétés étrangères devant le fisc » aux Etats-Unis (par E. Angell), en Grande-Bretagne (par W. H. Chantrey), en Allemagne (par Friedrich Kempner) et en France (par P. G. E. Gide et G. Lesimple). Chacune de ces notices, dont la traduction présente le maximum de garanties, est riche de substance et ce premier volume fait pressentir les services que rendra la collec-
tion à tous ceux qui ont besoin, sur des questions de droit étranger, d'une documentation précise et d'accès facile. Il faut souhaiter que les divers collaborateurs de cette collection se fassent, comme la plupart des auteurs des premiers articles, une règle d'accompagner leurs exposés des références jurisprudentielles qui leur confèrent une pleine valeur pratique.
Dans les prochaines livraisons doivent être étudiés les sujets suivants les trusts et coalitions industrielles et commerciales le régime fiscal des valeurs mobilières étrangères l'administration des biens de succession situés à l'étranger la responsabilité des administrateurs dans les sociétés anonymes la protection des marques la concurrence déloyale, etc.
J. R.
La Solidarité européenne en action l'organisation internationale
du crédit agricole
1
Le déficit alimentaire de l'Europe, que le Statesman's Yearbook chiffre à 3.638.869.000 $, aboutissait avant la guerre à une importation de blé de 134 millions de quintaux, aujourd'hui de 172 millions (moyenne 1909-1913 et 1927-28). Sur ces 134 millions de quintaux, les onze Etats de l'Europe qui exportent surtout des produits manufacturés, en recevaient 61 des pays danubiens et de la Russie, 73 des pays d'outre-mer. La carence de la Russie et la réforme agraire firent momentanément des pays d'outre-mer les fournisseurs presque exclusifs de l'Europe 162 sur 172 dont seulement 5,6 des pays de l'Europe Orientale. Un excédent de 15 millions de quintaux pour une importation dix fois supérieure n'est-il pas facilement plaçable ? (1).
On conçoit aisément que les pays si fortement secoués par la crise agraire se soient retournés, au nom de la solidarité européenne, vers l'Europe de l'Ouest, et fassent bloc non pas contre elle mais pour mieux lui permettre de s'intéresser à ses besoins, de lui porter efficacement et durablement secours. L'extrême diminution du pouvoir d'achat de ces pays n'est-elle pas une cause primordiale de la langueur et du chômage de l'industrie européenne ? P
« Le déplacement des marchés agricoles coïncidant avec le développement de l'industrie américaine a fait perdre à l'industrie européenne une quantité de commandes qui, tout compris, peut être de l'ordre de un milliard par an », écrit M. Delaisi.
(1) Nous empruntons ces derniers chiffres à l'étude de M. Dei-aisi, Redite d'Economie Politique septembre-octobre '1930.
QUESTIONS POLITIQUES ET JUBIDIQUES m.. l l 1 l 1
Et, en effet, l'étude des balances des comptes montre que, par le jeu des paiements triangulaires, les achats européens de céréales servent à régler les commandes des pays fournisseurs à l'industrie américaine c'est ce qui explique que l'équilibre économique de l'Europe industrielle ne soit conditionné que pour 28 par l'Europe agrarienne, alors que l'Amérique représente 38 et les pays tropicaux 33
Ceux qui ont suivi les laborieux mais captivants débats de la conférence primitivement convoquée pour instaurer une trêve douanière, purent deviner sans peine que la méconnaissance des conditions particulières de l'Europe Orientale entraînerait l'échec de tout projet de cet ordre, que sur ce point la solidarité européenne trouverait sa pierre de touche qu'après s'y être heurté, on saurait si elle est une figure de rhétorique ou la grande réalité de demain. Aucune nation industrielle de l'Europe ne pouvant affirmer que le relèvement du pouvoir d'achat de l'Est européen ne lui serait d'aucun profit, aucune ne doit se dérober à l'effort qui lui sera demandé. Le 19 février 1930, le clairvoyant et énergique ministre roumain Virgile Madgearu ne disait-il pas déjà « Si les Etats agricoles de l'Est ne peuvent valoriser leurs produits dans des conditions normales sur les marchés de l'Europe Occidentale et Centrale, l'Europe industrielle ne pourra se créer un large marché, même si la trêve douanière est conclue.
« D'une manière générale nous estimons que la trêve douanière ne peut être désirable que s'il existe des garanties permettant de formuler un programme commun qui assure la coopération réelle et effective entre les peuples ». Et il qualifiait l'accord régional de ces pays de « première étape dans la voie de l'établissement de l'unité économique européenne ».
M. Alfred de Nickl, délégué hongrois, proposait tout aussi nette ment le lendemain « Placez au centre de l'action collective le pro blème de l'écoulement des excédents. »
A ces demandes précises, M. Serruys prêta certes une oreille attentive, un regard bienveillant, mais prudent « encore faut-il que la preuve en soit faite et que les modalités surtout en soient bien précisées» (1er mars). L'année qui vient de s'écouler ne permet plus cette attitude réservée. Les Etats agrariens ont posé dans toute son ampleur, avec une clairvoyance qui ne surprend pas quand on connaît la valeur doctrinale d'un Manoliesco, l'esprit combattit d'un Madgearu et d'un Gliwic mais aussi avec une volonté d'aboutir et un sens de l'action collective que les Occidentaux ne
s'attendaient pas à trouver à un si haut degré dans l'Orient européen. – Des résolutions de Varsovie, révisées et précisées à Bucarest, il est en effet sorti une réalisation le bloc agraire de l'Europe Orientale, et une politique d'action économique concertée. Une réalisation disons-nous. Le « Comité permanent d'études économiques des Etats de l'Europe Centrale et Orientale » a terminé, sous les espèces d'une conférence d'experts, ses premiers travaux à Bucarest le 18 février et a tenu sa seconde session le 24 avril à Belgrade. Le Protocole fut signé par sept Etats. La création d'un service de renseignements et de statistiques a été confiée à la Pologne, et les économistes des deux mondes ont pu déjà admirer comment de tous les Etats nouveaux, celle-ci avait à l'avance réalisé la convention internationale de 1928 sur les statistiques.
Dans le domaine de l'action, ce bloc agraire, ainsi muni d'un organe et de lunettes éprouvées, porte son effort méthodique sur trois points, dont le dernier, celui qui a trait à la clause préférentielle, a seul retenu l'attention des diplomates et des journalistes. C'était fatal mais injuste.
En effet, n'est-ce pas un grand événement économique que la création d'institutions spéciales dans les pays exportateurs pour rationaliser le commerce des céréales, c'est-à-dire concerter et contrôler l'exportation, au point de vue de l'adaptation des quantités aux besoins des marchés acheteurs ? Ces organismes, demain, vont porter leur attention sur la qualité, et ce sont ceux-là même qui seront qualifiés pour conclure les accords avec les pays acheteurs. La Yougoslavie et la Pologne ont été ici les pionniers, ce qui ne signifie pas que le travail de rationalisation n'y soit pas encore perfectible.
Le protectionnisme administratif et indirect, que M. Flandin a si brillamment fustigé et en février et en septembre 1930, recevra de la part du bloc agraire un coup que nous espérons décisif le comité permanent d'études saisira cette année la Société des Nations d'un projet précis de convention internationale pour l'abolition des primes directes ou indirectes à l'exportation des produits agricoles.
Réuni à Belgrade, le 26 avril, le Comité a décidé d'adopter lors des prochaines conférences de Londres et de Prague un point de vue commun et réaffirmé son attachement au principe des tarifs préférentiels.
Les problèmes de crédit agricole et en particulier le crédit à moyen terme ont fait déjà l'objet en novembre à Varsovie des déli-
bérations d'une commission d'experts. Ici la question est plus avancée, le projet commun des pays intéressés est sur le chantier européen, et l'Union européenne comme le conseil de la Société des Nations n'auront sans doute qu'à mettre un point final.
Enfin et surtout malgré le scepticisme des uns, l'hostilité déclarée des autres, les agrariens de l'Est n'ont pas cessé de réclamer pour leurs céréales un traitement préférentiel, qui serait en somme le pendant des avantages que les cartels internationaux assurent aux producteurs industriels par-dessus les barrières douanières, et la clause inconditionnelle et illimitée de la nation la plus favorisée.
Ici il faut citer le texte de la Xe résolution de Bucarest
«. Réclament des mesures exceptionnelles pour assurer l'écoulement de leurs produits agricoles dans de meilleures conditions, même sous le régime actuel de la clause de la nation la plus favorisée sont d'avis de soumettre aux gouvernements la proposition que le comité permanent soit chargé de mettre immédiatement à l'étude la mise en application de ces mesures exceptionnelles.
« Parmi ces moyens paraît indiqué en premier lieu l'examen des possibilités d'une réglementation de l'importation de certains produits industriels.
« Il est entendu que ces mesures doivent être prises de façon à porter le moins de préjudice possible aux échanges internationaux et ne seront maintenues qu'autant que le régime de réglementation de l'importation des produits agricoles subsistera dans les pays importateurs.
« En même temps ces mesures doivent assurer aux pays agricoles exportateurs, ainsi qu'aux importateurs qui ne font pas de difficultés à l'importation des produits agricoles, la garantie que leurs intérêts ne seront aucunement lésés ».
Ainsi, aux restrictions que certains pays industriels (Allemagne en tête) venaient d'apporter à l'importation de produits agricoles, les exportateurs de ces produits répondaient par des restrictions à l'importation des produits industriels. Des exemples d'application n'ont pas tardé à suivre c'est ainsi qu'à la fin de janvier dernier un groupe de fabricants allemands de machines agricoles, auquel appartient la manufacture d'appareils d'arrosage « Hudor » contrôlée par les « Vereinigte Stahlwcrkc », a engagé avec le gouvernement roumain des pourparlers pour la fourniture de matériel. La contre-valeur aurait été fournie par l'expédition en Allemagne d'une quantité de maïs roumain qui serait au moins de 50.000 tonnes
elle serait livrée sans paiement de droits de douane au Ministère de l'Agriculture du Reich.
Seulement, sur ce dernier point, le bloc présente des fissures si la Roumanie, la Yougoslavie et la Hongrie, appartenant au même ensemble structural et climatique, ont mêmes cultures et mêmes intérêts, la Pologne, grande productrice de seigle, la Bulgarie, de tabac, peuvent avoir des positions différentes. Aussi bien à Bucarest les délégués bulgares demandèrent un délai pour se décider, et à la première et dernière réunion du comité permanent dont l'Estonie était absente, Lettonie et Tchécoslovaquie n'ont pas signé la recommandation relative à la clause. LaTchécolovaquie, dont le déficit est de 6 millions d'hectolitres de blé, c'est-à-dire un tout petit peu plus que l'excédent normal de la Yougoslavie et la Roumanie réunies, ne croit pas que les achats de ces deux alliés suffiraient à sauver son industrie de représailles proches ou lointaines. Et en effet, il faut que la clause joue sur de grands ensembles pour qu'elle soit efficace et que chacun y trouve son compte.
Les travaux de la IIe commission de la Société des Nations furent dominés en septembre de haut par la résolution de Varsovie et le premier terrain sur lequel s'est engagée l'Union européenne a naturellement été celui sur lequel l'a attirée le bloc agrarien. Par là, concrètement, les relations intereuropéennes et intercontinentales ont été posées sur un plan neuf, sur un plan xxe siècle, pour lequel il est visible que les doctrines et les habitudes du dernier siècle éclatent de vétusté. Est-il si étonnant que ce soit du fait des Etats neufs ? P Leur vie n'est-elle pas la pierre de touche de l'équilibre construit à Versailles ? Ce sera pour nous le second bienfait de leur création, le premier ayant été d'avoir servi de marche protectrice pour l'Occident en face du bolchevisme. Laissera-t-on envahir la marche ? II
La « voix de la misère » (1) a été entendue, puisque, en dépit des réactions vives et des contre-propositions qui accueillirent devant la XIe Assemblée les résolutions de Varsovie, la première réunion de la commission d'études pour l'Union européenne inscrivit à son programme l'aide à accorder aux agriculteurs de l'Est européen puisqu'aux déclarations égoïstes ou au mauvais vouloir qui composaient l'atmosphère en 1930, les conférences de Paris sur les céréales et celle (1) L'expression est de M. Madgearu.
de Rome sur le blé ont fait succéder un concours de bonne volonté et de compréhension englobant jusqu'aux pays d'Outre-mer. II est maintenant permis d'espérer que la conférence réunie à Londres sous la présidence d'un Canadien et avec la collaboration des EtatsUnis donnera des résultats précis et pratiques, conformes aux résolutions de principe votées à Rome. Nos lecteurs nous excuseront donc d'attendre ces résultats pour étudier les réactions qui ont accueilli la demande de clause préférentielle, puisqu'il est un domaine où les résultats pratiques de la collaboration internationale sont connus et appréciables et que la phase des réalisations y commencera avant même que les dernières consécrations, promulgations et ratifications en aient saisi l'opinion publique. Nous voulons parler de l'organisation du crédit agricole par la collaboration internationale sous les espèces d'une « société internationale de crédit hypothécaire agricole ;>, dont la naissance date de la session du 15 mai courant, pour l'Union européenne, de la soixante-troisième session du conseil de la S. D. N. ouverte ce même mois. Le baptême sera vraisemblablement en septembre devant la XIIe Assemblée des Nations et l'expérience de dix années de collaboration plurinationale a permis aux auteurs de prévoir une activité bienfaisante de cet organisme dès l'hiver prochain, avant même que l'enfant n'ait quitté ses langes nous voulons dire n'ait reçu les dernières acceptations de parrainage.
La Conférence économique internationale de 1027 comme les résolutions de Varsovie d'avril 1.930 avaient à peine attiré l'attention sur l'opportunité d'une action en la matière que, grâce à la documentation réunie à l'Institut international d'Agriculture de Rome, il était possible de travailler sur un terrain déblayé. L'honneur de la conception qui est à la base du projet en cours doit revenir à son président, M. de Michelis, sénateur du royaume d'Italie. Saisies, grâce à lui, d'une proposition pratique dès la fin de l'année dernière, la Société des Nations et, en janvier, la commission d'études pour l'Union Européenne ont fait merveille de rapidité. Une délégation du comité financier composée d'experts éminents (1) se mettait en janvier (1) Cette délégation comprenait M. C.-E. Ter Meulen, de la maison Hope et Clc, d'Amsterdam le professeur Mlynarski, ancien vice-gouverneur de la Banque de Pologne, le docteur Vilem Pospisil, gouverneur de la Banque nationale de Tchécoslovaquie sir Henry Strakosch, président de la Union Corporation Ltd, de Londres, remplacé, pour la session, par M. Budley Ward, de la British Overseas Bank de Londres, membres du comité financier M. di Nola, directeur général de ITstituto Italiano di Credito M. Fandiaris, représentant du comité économique M. de
d'accord sur les possibilités et les principes. Elle confiait à un souscomité l'établissement des textes (février-mars). Composé de MM. Ter Meulen, V. Pospisil et E. Regard, il parvint en six semaines au bout de sa tâche.
Le 29 mars, à Genève, la délégation adoptait l'avant-projet qui, soumis le 20 avril et toujours à Genève à la sous-commission désignée par le comité d'études pour l'Union Européenne, lui revint le ler mai pour être mis au point, envoyé au comité financier le 4 et retourné par celui-ci à la commission d'études, puis au Conseil afin qu'ils en fissent leur chose devant la XIIe Assemblée de la Société des Nations en septembre .1931. Bonne volonté et compétence sont les conditions nécessaires à une action rapide et efficace. Il sied de souligner que, dans ce domaine comme dans les négociations relatives au blé, M. A.-François Poncet a utilement mis en valeur les qualités qu'on se plaît à lui reconnaître.
Les lenteurs que les gouvernements apportent à ratifier les conventions internationales ont été sagement prévues et, pour que la souscription du capital initial du nouvel organisme puisse avoir lieu avant l'automne prochain, le plan comporte des mesures à prendre dans l'intervalle, de manière à réduire au minimum le temps perdu. Le comité d'organisation créé par le conseil de la Société des Nations, ayant fait toutes les études préliminaires indispensables dans les différents pays qui auront à bénéficier de la création de la société, celle-ci pourrait ainsi commencer ses activités dès l'entrée en vigueur de la convention. Le comité prendra, de même, toutes mesures utiles pour la première émission des actions et l'organisation de la société.
Déjà assuré du concours actif de la France, de la Suisse, de la Hollande, de la Suède, de la Belgique – très vraisemblablement de l'Italie, le nouvel organisme pourra attendre avec calme, et sans dépendre d'elles, les adhésions de la dernière heure. Peut-on espérer méthode plus rapide, et cela dans une Europe hérissée de divisions et où la prédominance de la forme démocratique et parlementaire ne vient pas simplifier le travail La preuve est donc faite, et sur un sol gros de moissons futures, que la commission d'études pour Michelis, président de l'Institut international d'agriculture de Rome, remplacé, pour la session, par M. Van Rijn, délégué des Pays-Bas et des Indes néerlandaises à l'Institut international d'agriculture, représentant cet Institut le docteur Kissler, directeur de la Deutsche Ilentenbank Kreditonstalt, de Berlin M. E. Regard, sous-gouverneur du Crédit Foncier de France, à Paris.
l'Union Européenne peut, dans le cadre de la Société des Nations, aboutir à des résultats positifs.
Nos lecteurs ont pu voir, à la fin de notre dernière étude sur la crise agraire (1), la part qui revient dans cette crise à l'inorganisation du crédit agricole. Les réponses des gouvernements bulgare, estonien, hongrois, letton, polonais, roumain et yougoslave au questionnaire établi par la conférence de Varsovie (2) montrent la diversité des régimes juridiques et fiscaux concernant les hypothèques rurales et celle des situations concernant l'institution du gage sur biens meubles.
Pour apprécier l'utilité du nouvel organisme, nos lecteurs devront avoir présent à la mémoire que l'endettement des agriculteurs dans ces différents pays est évalué comme suit en millions de dollars Bulgarie 11 Estonie 23 Hongrie 245 Lettonie 49 Pologne 251 Roumanie 240 Yougoslavie 733. Pour l'ensemble de ces pays, on arrive ainsi à un total de 1.582.000.000 de dollars de dettes à terme variable, grevées, sauf exception, d'intérêts extrêmement élevés. L'endettement par hectare de terrain cultivé est évalué à 10 dollars, 97 en Bulgarie, à 8,12 en Estonie, à 33, 24 en Hongrie. à 14, 79 en Lettonie, à 10, 24 en Pologne, à 14, 02 en Roumanie et à 59 en Yougoslavie.
Si les banques officielles et les coopératives agricoles prêtent à des taux d'intérêt relativement modérés, mais qui peuvent aller comme en Bulgarie jusqu'à 10 il en est autrement pour les banques privées dont les taux sont de 11 en Pologne, de 12 à 15 en Roumanie et en Yougoslavie. Quant aux prêts effectués par les particuliers, ils atteignent des taux trop souvent usuraires, comme en Pologne et en Bulgarie jusqu'à 20 et même davantage. En Roumanie, d'après le gouvernement roumain, les cas d'intérêt usuraire dépassant 30 sont encore nombreux. En Yougoslavie la pratique de l'usure n'est pas rare.
Quelles menaces de bolchevisme agraire ne peut-on pas lire dans ces chiffres 1 Aussi bien la dernière assemblée générale du bureau (1) Affaires Etrangères, mars 1931 a La Crise Agraire dans l'Europe Orientale ». (2) Publications du Secrétariat 1931 II A. L. F. 866.
international agraire dans sa réunion de Prague du 31 octobre a-t-elle consacré sa cinquième résolution à cette question (1).
Or, à l'endettement, accablant des uns correspond la surcapitalisation des autres. La manifestation la plus générale de la crise n'estelle pas cette abondance de l'argent bon marché pour le court terme et son lover surélevé pour tout ce qui suppose un minimum de confiance dans l'avenir ? L'agriculture en souffre plus particulièrement, puisqu'en temps normal les capitaux préfèrent les placements industriels et les emplois en titres publics.
Comment rétablir la confiance ? La conférence de Rome vota, en mars dernier, à l'unanimité (2) la résolution suivante
« La conférence préparatoire de la deuxième conférence mondiale du blé a examiné d'une façon toute spéciale le rôle qu'une organisation méthodique du crédit agricole peut jouer pour améliorer la situation générale de l'agriculture et remédier en particulier à la crise des céréales.
« Elle es Lime qu'il est plus que jamais nécessaire de pouvoir procurer, (1) « Pour diminuer les frais de production dans l'agriculture et pour soulager les agriculteurs, mis en danger par la crise, il faut posséder une bonne organisation du crédit agricole.
« Pour faciliter les crédits d'exploitation à court terme, il faut élargir, le plus possible, le réseau des coopératives de crédit et leur rendre accessibles les sources publiques de crédit, surtout les sources de fonds qui se trouvent sous le contrôle des autorités, et les réserves des institutions d'assurance de droit public. Il faut encore leur accorder certains avantages particuliers.
« On pourrait établir, côté des coopératives de crédit, s'il le faut, des établissements financiers de droit public et d'une étendue moyenne qui ne feraient pas de bénéfices et qui jouiraient également des encouragements de la part de l'Etat, comme les coopératives susdites.
« Pour les crédits à long terme, il faut que l'agriculture puisse se procurer des crédits bon marché, amortissables,qui ne peuvent pas être dénoncés, en se servant de Crédits Fonciers qui ne font pas de bénéfices, et établis, autant que possible, sur une base commune, d'après un modèle commun, de sorte qu'ils pourraient établir entre eux des rapports internationaux. Pour donner une base juridique aux opérations de ces Crédits Fonciers, il faut introduire dans tous les Etats des livres fonciers d'après unmodèle commun. L'Etat devrait concéder également à ces Crédits Fonciers de larges avantages.
« Quand il y a des symptômes de crise ou de malaise en agriculture, le crédit paysan à long terme doit être accordé de la façon la plus simple possible, vite et à bon marché. En des cas pareils, l'Etat doit intervenir, en accordant des prêts ou des secours pour le payement des intérêts, ou en garantissant ces mêmes intérêts. » (2) Moins l'U. R. S. S. Réserve de forme d'ailleurs, à cause de la mention de l'œuvre du comité financier, organisme de la S. D. N. que les Soviets persistent à ne pas vouloir connaître.
à bon marché, aux agriculteurs et en particulier aux producteurs de blé, les capitaux dont ils ont besoin et qu'il est utile, pour cela, d'examiner, sur un plan international, la question du crédit à l'agriculture, différent du crédit commercial par ses modalités particulières résultant des conditions spéciales de la production agricole. « En ce qui concerne le crédit moyen et à long terme, qui peut permettre notamment aux agriculteurs d'acheter du matériel et du cheptel, d'acquérir ou d'accroître une propriété, d'effectuer des améliorations foncières et de transformer les systèmes de culture, afin de restreindre, lorsqu'il est utile et possible, les surfaces emblavées en céréales et de développer les cultures pouvant économiquement les remplacer, la conférence est heureuse d'apprendre que le comité financier de la S. D. N., tenant compte des études faites par l'Institut international d'agriculture, envisage actuellement la création d'une institution internationale de crédit hypothécaire.
« Elle souhaite que cet organisme soit le plus rapidement possible en état de fournir, aux taux le plus avantageux, du crédit à moyen terme et à long terme aux agriculteurs de tous les pays. »
Le délégué de l'U. R. S. S. avait au préalable déclaré que son gouvernement ne se désinteressait pas de la question « La possibilité d'échelonner et de contingenter des ventes à l'exportation pour les mieux adapter à la demande saisonnière dépend en effet d'un financement satisfaisant. L'U. il. S. S. est donc prête à coopérer avec les autres pays en vue d'établir des facilités internationales de crédit». Et cette collaboration éventuelle ne sera pas la moindre bizarrerie dans les relations entre le monde capitaliste et le bloc soviétique. Pour examiner les projets proposés et apprécier les résultats acquis, il faut distinguer entre le crédit à court terme et les autres. La conférence de Rome lui a porté toute sa sollicitude. Des voix nombreuses se sont élevées au sein de la deuxième commission de la conférence, pour faire valoir l'intérêt capital qu'ont les agriculteurs à pouvoir jouir aussi de cette forme de financement des entreprises agricoles qui, seule, est apte à discipliner la vente des produits du sol, de façon à les soustraire aux soubresauts de la spéculation. La conférence, avec une extrême sensibilité, a perçu cette exigence commune des agriculteurs dans tous les pays et a invité l'Institut international d'agriculture à poursuivre son action en vue de généraliser l'organisation du crédit à court terme. Ce faisant, elle a, d'une part. marqué un point d'orientation pour la prochaine conférence mondiale, qui se proposera de pousser la rationalisation de la production et du commerce du blé et qui trouvera dans le crédit à court terme,
tel que l'aura organisé l'institut de Rome, un élément des plus efficaces pour cette rationalisation permanente elle a, d'autre part, tenant compte des exigences immédiates, indiqué un facteur de normalisation au regard de la crise actuelle.
Les discussions ont permis de voir que le warrantage, l'escompte et le paiement des traites pour lesquelles certaines places financières sont spécialisées pourraient être largement facilités et les exportateurs bénéficier d'avances de 30 à 50 de la valeur des céréales à l'embarquement si la confiance régnait dans la qualité et l'uniformité de la marchandise.
Des bureaux de contrôle fonctionnant à l'arrivée seraient chargés de recevoir celle-ci et de remettre aux exportateurs le solde qui leur revient. Les commerçants d'Anvers sont disposés à s'engager dans cette voie.
Une des besognes de 1932 sera de faire accepter par les compagnies de chemins de fer la négociation des lettres de voiture, ce qui suppose la révision de la convention de Berne, modifiable l'année prochaine. Mais aucun programme précis n'a pu encore être établi. C'est sur le crédit à long terme que l'action internationale a fait ses preuves.
La « Société internationale de crédit hypothécaire » naîtra d'une convention internationale enrichie d'une charte constitutive. Elle ne saurait ressembler à rien elle crée un précédent et, pour une fois, c'est l'agriculture qui servira de modèle, au lieu d'être la dernière servie juste rançon de cet abandon dans lequel il faut voir la cause principale de la crise mondiale. L'organisation internationale du crédit pour l'industrie et le commerce, nécessairement différente de l'organisation prévue pour l'agriculture, suivra celle-ci.
Fait unique, croyons-nous, dans l'histoire du capitalisme, mais que nous tenons à saluer comme le signe d'un tournant majeur. Il s'agit, dans un monde où l'épargne et le placement sont libres donc ne peuvent reposer que sur la confiance de fournir aux agriculteurs des fonds à des intérêts aussi réduits que possible, de créer un courant de capitaux et à de bonnes conditions pour l'emprunteur. II faut par conséquent que le nouvel institut, par sa structure même, accumule les garanties pour obtenir ce courant et avec un abaissement notable du taux de l'intérêt. Ceci suppose à la fois l'indépendance d'un organisme constitué en société anonyme sur le type et avec les avantages de l'entreprise capitaliste et, en même temps. sa liaison intime et harmonique avec les gouvernements, sans l'appui législatif et financier desquels il ne pourrait réaliser ses fins, mais
sous les auspices de la Société des Nations, afin qu'en aucun cas le capitalisme privé ne puisse servir de manteau à l'emprise d'un Etat sur un autre.
La première garantie pour la sécurité des capitaux investis, n'estelle pas la base financière rationnelle que constitue une gestion selon les principes d'administration des affaires privées ? Pour qu'elle soit soustraite aux influences et aux variations de la politique, il faut la participation effective des capitalistes privés à la souscription des actions et à l'administration de l'Institut, afin d'équilibrer le contrôle que les gouvernements ne manqueront pas de revendiquer et d'exercer, en raison même des privilèges qui leur sont demandés.
En effet, on attend d'eux des avantages spéciaux, en particulier des immunités fiscales, leur concours financier, leurs bons offices pour les relations avec les banques de crédit agricole de leur pays respectif, sans compter l'obligation de modifier dans un sens uniforme ou de créer suivant les cas cadastre, registre foncier, garanties hypothécaires, etc. Aucune distinction n'est d'ailleurs faite entre prêteurs et emprunteurs tout Etat, partie à la Convention, pourra prendre telle figure que le besoin lui imposera mais ceux dont la législation hypothécaire serait insuffisante devront donner leur garantie aux prêts consentis à leurs sociétés nationales et modifier leur législation dans le sens que leur indiquera la direction de la Société.
La contre-partie, le contrôle nécessaire des Etats ne saurait se concevoir que dans le cadre et par l'intermédiaire de la Société des Nations, sous les auspices de laquelle l'Institut sera placé. Certaines nominations seront donc faites par le conseil et par le comité permanent de l'Institut international d'agriculture, les autres administrateurs devant être naturellement nommés par l'assemblée générale des actionnaires, mais sous la double condition d'être de nationalités différentes et dirigeants d'organismes de crédit hypothécaire ou bancaire.
Le pays où siégera l'Institut devra consentir des privilèges analogues a ceux qui ont été accordés à la Banque des Règlements internationaux de Bâle. Nous espérons et supposons que Genève sera la siège choisi le passé bancaire, la situation la désignent tout naturellement. Enfin, la concentration des organismes internationaux permet des économies de temps et d'argent inappréciables, des contacts irremplaçables.
La constitution de l'Institut a été conçue de manière telle que le caractère international en soit assuré, ainsi que son indépendance de fait. En effet, si le capital autorisé est fixé à 50 millions de dol-
lars (1) un privilège est accordé aux détenteurs des actions nominatives de la première tranche qui sera de 5 millions, émise dès l'entrée en vigueur de la convention, mais d'un type différent des émissions ultérieures. Elle sera répartie équitablement dans les divers pays contractants, souscrite par des organismes qui n'auront pas intérêt à se défaire de leurs actions. Or, ce sont ces actions de la première tranche qui auront la majorité aux assemblées générales. Le concours financier des gouvernements est limité à de simples avances, remboursables et productives d'intérêt, qui permettront à la société de prendre dès le début un plus grand essor. Cette réserve spéciale sera constituée d'un montant égal à la tranche productive d'émission. Les pays industriels qui bénéficieront de plus larges débouchés contribueront donc par cette avance à l'œuvre commune.
Les activités constitutionnellement prévues sont
1° Le prêt de sommes remboursables à long ou moyen terme à des instituts nationaux de crédit hypothécaire prêtant sur première hypothèque d'immeubles à destination rurale sis sur le territoire de l'un des pays parties à la Convention
2° La création et la négociation à cette fin d'obligations pour un montant correspondant à celui de ses créances sur les instituts nationaux créances garanties par de premières hypothèques L'argent des prêts aura comme origine les capitaux réunis par l'émission d'obligations, ce qui est le principe des sociétés hypothécaires. Leur montant total ne devra pas dépasser une somme égale à dix fois le capital émis, augmenté de la réserve spéciale. Elles seront placées suivant les besoins et selon les conditions les plus avantageuses qu'offriront les marchés financiers.
Les conditions d'emprunt de la société dictent nécessairement les conditions des prêts.
Il nous paraît évident qu'une telle accumulation de garanties, possible seulement par la méthode internationale, assurera la viabilité de l'organisme, et, dès le début, dès les premières années, permettra de trouver de l'argent à un taux bas. L'accroissement du volume des affaires de la société sera vraisemblablement suffisant pour que son influence se fasse profondément sentir sur le marché hypothécaire des divers pays. Par là, l'Est européen sera soulagé des (1) Le capital sera libellé dans la monnaie du pays où siégera la Société.
charges excessives qui l'accablent aujourd'hui, et l'amélioration de son existence, avec sa contre-partie commerciale, permettra d'éloigner le cauchemar de la bolchévisation de l'Europe.
Mais, par dessus le but propre de l'organisme, il faut souligner la méthode et les promesses qui se fondent sur cette réalisation. C'est la première pierre de la rationalisation de l'agriculture, qui ne saurait se concevoir sans de larges appuis de capitaux.
Dans son discours d'ouverture au Comité chargé en janvier par la commission européenne de préparer les conférences sur les céréales, M. Briand fut heureusement inspiré quand il vit dans le futur institut, non pas seulement un distributeur de crédit, mais un pédagogue actif « incitant les pays agricoles qui sollicitent des crédits à améliorer leur organisme économique et leur variété de production », à servir d'organe d'information, à faciliter la vente et le transport. Le nouvel institut manquerait profondément son but s'il ne visait qu'à soutenir artificiellement les prix. Mais nous espérons qu'en faisant rentrer dans son conseil des représentants qualifiés de la propriété foncière, il donnera à l'agriculture européenne le rouage qui lui manque pour résister à l'exploitation du commerce. La fonction naturelle de celui-ci, et qui justifie ses bénéfices dans l'ordre d'une économie libre, n'est-elle pas de prévoir les écarts pour les amortir ? Et s'il s'amuse à augmenter davantage le déséquilibre, rançonnant à tour de rôle et équitablement producteur et consommateur, ne faut-il pas le remettre à sa place ?
Jean Morini-Comby,
Agrégé de P Université,
Docteur en droit.
Le Problème des Migrations de Peuples depuis la Guerre
Les migrations humaines ont été l'un des faits les plus importants du xixe siècle, mais ce fait a d'ordinaire passé inaperçu, car les mouvements de peuples sont des phénomènes lents, réguliers, continus, dont les effets ne peuvent se percevoir qui'à la longue.
Au xixe siècle et au début du xxe, les migrations de peuples ont dû surtout leur importance à leur densité. Les émigrants ont joué un rôle primordial, non seulement du point de vue économique, mais encore du point de vue politique. Ce sont eux qui ont fait la puissance des Etats-Unis d'Amérique, des Dominions Britanniques, des principaux pays de l'Amérique du Sud. De 1850 à la grande guerre, près de cinquante millions d'hommes sont partis d'Europe pour l'Amérique.
Or, depuis la guerre, le problème de l'émigration mondiale est devenu peut-être plus important encore. C'est ce problème qui a dirigé, au lendemain de la guerre, la politique extérieure de pays comme l'Amérique, l'Italie, le Japon. C'est ce problème qui est à l'arrière fonds des relations entre l'Amérique et le Japon, entre la France et l'Italie. Mais s'il est davantage question de l'émigration, le mouvement migratoire lui-même est devenu moins dense. Avant la guerre, l'émigration était importante par le nombre des émigrants. Aujourd'hui, elle est surtout importante par les difficultés qu'elle rencontre, par les complications diplomatiques qu'elle fait naître. Il existe depuis la guerre un paradoxe de l'émigration. L'émigration, dans le monde, est devenue de plus en plus utile elle est devenue aussi de moins en moins dense. Quelle est la nature de ce paradoxe ? Quelles en sont les causes ? Quels sont les remèdes internationaux qui ont été appliqués ? Tels sont les trois points que nous étudieron<?^toiir à tour.
Le paradoxe de l'émigration.
Les malaises économiques dus à une mauvaise répartition des hommes sont, depuis la guerre, plus nombreux qu'avant 1914. Parmi les pays qui se sont plaints de manquer d'hommes, il faut d'abord citer ceux où la population ne croit que lentement, mais dont le développement des ressources nécessite une main d'oeuvre plus abondante. La France d'après-guerre a été dans cette situation. Elle a perdu un million et demi d'hommes pendant la guerre, et sa population augmente à peine. En outre, elle est devenue un grand pays industriel. Elle a eu besoin d'hommes pour aider au développement récent de certaines industries, notamment de ses mines de fer de Lorraine et de sa métallurgie. Elle a eu besoin d'hommes également pour combler les vides dans certaines branches de l'activil.é partiellement délaissées par ses propres nationaux, notamment dans les mines de charbon et surtout dans l'agriculture. Et puis, il est une autre catégorie de pays qui ont encore besoin d'hommes les pays neufs, partiellement inexploités, d'au-delà des mers, les pays de l'Amérique du Sud, les Dominions Britanniques, l'Australie et le Canada. La guerre, en ralentissant pendant cinq ans le peuplement de ces pays, a rendu l'immigration plus nécessaire encore que par le passé. Les hommes n'y sont plus seulement utiles pour développer les ressources existantes ou pour les maintenir à leur niveau antérieur, mais pour les créer. Sans doute, il arrive que le chômage sévisse, très durement même, sur ces terres. Mais il frappe les villes, tandis que les terres en friche attendent encore les bras qui les exploiteront.
A côté de ces terres qui manquent d'hommes, plus nombreuses qu'avant la guerre, sont les terres où les hommes manquent de ressources. Il faut d'abord citer les pays où les ressources ont perdu de leur valeur passée, où la valeur de la production ne s'accroît plus au rythme d'avant la guerre. Le chômage y est devenu un mal chronique. L'Angleterre, avec ses deux millions et demi de chômeurs, l'Allemagne, avec ses cinq millions de sans-travail, sont des exemples saisissants de ce déclin. Puis, il y a des pays agricoles dont la population s'accroît très rapidement, plus rapidement que les ressources du sol. et où l'absence de matières premières fait obstacle au développement des industries l'Italie est peut-être le plus caractéristique de ces pays. Et enfin, il faut mettre à part les pays d'Asie, où le problème de la population se pose avec plus d'acuité que partout
ailleurs: des pays comme la Chine, comme les Indes, comme le Japon surtout, où la mortalité est encore très forte, mais où la natalité ne cesse de s'accroître. La sensibilité occidentale, la crainte de la souffrance n'ont pas toujours pénétré la femme asiatique. Elle est beaucoup plus féconde que la femme européenne. L'Europe et l'Amérique, qui ont déversé sur l'Asie leurs systèmes politiques et leurs cotonnades, leurs produits de luxe et leurs philosophies, n'y ont pas encore répandu le taux très bas de leur natalité, ce taux qui devient, à l'heure actuelle, une caractéristique des nations occidentales. Dans un pays comme le Japon, où la population s'accroît d'un million d'habitants par an, la surpopulation se traduit par des effets inquiétants la balance commerciale nippone est lourdement grevée par les achats de vivres à l'étranger. Et dans les campagnes japonaises, sur les champs trop morcelés, règne un malaise chronique, accompagné de conflits sociaux.
Entre les pays qui se plaignent de la surpopulation et ceux qui manquent d'hommes, des courants migratoires semblent nécessaires. Sans doute, l'importance économique des migrations a-t-elle été souvent niée. D'après un certain nombre d'économistes (américains surtout) le rôle de l'émigration dans la répartition de la population dans le monde serait à peu près nul. Lorsque des émigrants, disent ces économistes, partent d'un pays surpeuplé, leur départ accroît, momentanément, la prospérité de ce pays cet accroissement de la prospérité est accompagné d'une hausse de la natalité et par conséquent les effets de l'émigration sont contrebalancés par une hausse de la natalité. De même, l'immigration dans un pays est compensée par une baisse de la natalité. Cette argumentation, en fait, n'est pas exacte. Elle repose sur la croyance que le taux de la natalité est mathématiquement lié aux variations de la prospérité d'un pays, croyance contraire à la plupart des constatations démographiques. Elle est démentie par de nombreux exemples historiques c'est du fait de l'émigration que la population de l'Irlande (pour prendre le cas le plus typique) a, en cinquante ans, diminué de près de moitié.
L'émigration n'est sans doute pas le seul remède au déséquilibre actuel de la population. Il en est d'autres, qui concernent la production, et notamment une meilleure répartition des matières premières. Mais elle n'en est pas moins l'un des remèdes les plus efficaces. Or, à mesure que le remède est devenu plus utile, il est devenu plus difficile à appliquer.
Il y avait, avant la guerre, plusieurs grands courants migratoires.
Le plus important allait d'Europe vers l'Amérique. Un autre, très réduit, allait d'Asie vers l'Amérique. Un troisième, qu'il faut considérer à part, réunissait la Grande-Bretagne avec les Dominions. Et puis, il y avait les courants continentaux, ceux d'Asie en Asie, d'Europe en Europe, d'Amérique en Amérique. Or, le courant migratoire d'Europe en Amérique a diminué considérablement. Les Etats-Unis ont reçu sept fois moins d'émigrants en 1929 qu'en 1913, l'Argentine deux fois et demie moins, le Brésil deux fois moins, le Canada deux fois moins. L'exode d'Asie en Amérique est tombé presque à néant. T/émigration britannique a diminuée de plus de moitié. Seules les émigrations continentales ont augmenté. A l'exception de la Chine, tous les grands pays d'émigration envoient maintenant moins d'émigrants qu'avant la guerre.
Voilà le double fait qui paraît à première vue paradoxal. Dans un monde où les mouvements des hommes semblent de plus en plus nécessaires, il est paradoxal et même dangereux de voir se produire une véritable crise de l'émigration.
Les causes de la crise de l'émigration.
Quelles sont donc les causes de cette crise ? Elles sont d'une part économiques et sociales, d'autre part politiques.
Causes économiques et sociales. Les causes économiques et sociales ont agi avec beaucoup de force depuis la guerre pour réduire les courants migratoires. L'état de malaise économique général du monde a rendu d'abord les migrations plus difficiles. Les époques de dépression économique sont des époques où les mouvements humains ont une tendance à se ralentir. Le Bureau des Recherches économiques de New-York a fait entreprendre sur ce sujet une fort intéressante enquête. Les pays d'immigration reçoivent moins d'immigrants lorsque leur situation économique est défavorable et qu'ils ont eux-mêmes moins de capital et d'emplois disponibles. Mais, même lorsque la crise sévit dans le pays d'origine des émigrants, l'émigration marque une tendance au déclin. Les années de chômage, dans un pays, sont d'ordinaire des années de faible émigration d'abord parce que les dépressions économiques sont d'ordinaire mondiales et qu'il y a souvent coïncidence entre une crise au pays d'émigration et des crises dans les pays d'immigration ensuite, parce que la misère enlève fréquemment aux hommes les moyens même de partir. Le chômage est souvent un obstacle à l'émigration
plus qu'il n'enc onstitue une cause. Les raisons qui rendent l'exode plus nécessaire le font aussi plus difficile.
Puis, la mobilité sociale de l'homme (de l'homme d'Occident du moins) diminue. La race des pionniers, des aventuriers, est, dans les pays les plus civilisés, sur le point de disparaître. L' Angleterre, qui a fourni par le passé tant d'hommes de cette espèce, en est un exemple saisissant. Le travailleur moderne s'adapte moins facilement aux épreuves des migrations lointaines. Il a plus d'attaches que celui de jadis avec son milieu. Il est membre dans son pays d'un syndicat qui le soutient. Et il n'est pas sûr d'en trouver de semblables dans les pays au-delà des mers. Etant, dans son propre pays; à l'abri des aventures, il les redoute et les évite. Il a des assurances de toutes espèces. En cas de chômage, il touche une indemnité. Il acquiert, plus que jadis, la mentalité d'un fonctionnaire; il craint davantage l'imprévu et le hasard. En outre, il a besoin d'un niveau de vie plus élevé. Le confort relatif du pays natal rend plus dures les difficultés de l'exode. La vie dans les pays neufs est souvent, au début, pénible. Il faut supporter le climat, le soleil de l'Australie, de l'Argentine, du Brésil, les froids du Canada. Il faut surtout supporter la solitude. Solitude de la brousse tropicale ou des longs hivers canadiens. L'homme moderne, même le paysan, est de moins en moins habitué à cette solitude. Enfin, le nombre même des paysans a, dans beaucoup de pays d'émigration, rapidement diminué le nombre des ouvriers des villes a crû et ce sont les agriculteurs que recherchent surtout les pays neufs d'au-delà des mers.
L'évolution du travailleur moderne l'a rendu, en un moi. souvent inapte aux migrations lointaines. Les pays neufs qui ont besoin de main-d'œuvre se méfient souvent de celle qui leur est destinée. Les autorités des Dominions font par exemple passer, en Angleterre, de véritables examens, non seulement physiques, mais encore moraux, aux candidats colons. Beaucoup de nations ont essayé de préparer leurs habitants à l'émigration, de créer des écoles d'éniigranls. L'Italie avait commencé bien avant 1914. La Pologne, la Tchécoslovaquie, le Japon même l'ont imitée depuis. L'Angleterre a tenté, depuis la guerre, de former des agriculteurs, de préparer, dans des centres spéciaux, des citadins sans travail à la vie rurale d'au-delà des mers. Mais de semblables efforts ne peuvent être que sporadiques. Il n'est pas possible de transformer en quelques mois la mentalité, les goûts, les habitudes de ceux qui doivent partir.
Causes politiques. Mais, plus importantes encore que les causes
économiques sont les causes politiques. Depuis la guerre, la liberté des mouvements humains est devenue de plus en plus rare. Les barrières entre les pays sont de plus en plus nombreuses, et limitent la circulation des hommes comme celle des marchandises. La guerre a excité les nationalismes. Elle a renforcé presque partout l'emprise des Etats sur les individus. Les pays cherchent de plus en plus à mettre leurs habitants à l'abri des populations extérieures. Les réglementations sont de deux sortes celles à l'entrée et celles à la sortie, celles à l'immigration et celles à l'émigration.
Certains pays sont entièrement fermés à l'entrée des travailleurs étrangers c'est le cas, par exemple, de l'Angleterre. D'autres refusent l'entrée à certaines catégories de travailleurs c'est le cas des Dominions Britanniques.
Certains restreignent quantitativement l'entrée des étrangers c'est le cas du principal pays d'immigration d'avant-guerre, des Etats-Unis. La plupart des causes générales qui ont amené les différents pays à restreindre l'immigration se retrouvent très nettement à l'origine des lois américaines. Comme l'a montré très clairement M. André Siegfried, les restrictions américaines sont à la fois l'aboutissement de doctrines, l'expression d'intérêts, le résultat de craintes. La doctrine, c'est l'eugénisme, l'idée qu'il faut garder la pureté des races supérieures, nordiques, l'améliorer si possible, la défendre en tout cas contre l'envahissement des races présumées inférieures. Les intérèts à défendre, ce sont ceux des travailleurs américains dont les salaires doivent être maintenus à un niveau suffisant le danger de l'immigration était devenu, de ce point de vue, d'autant plus grand que la proportion des habitants de l'Europe méridionale et de l'Europe orientale, au niveau de vie très bas, était de plus en plus forte parmi les nouveaux venus, et que, les terres -vacantes de l'Ouest américain devenant de plus en plus rares, les immigrants refluaient en plus grand nombre dans les villes de l'Est. Enfin, toutes sortes de bruits inquiétants s'étaient répandus aux Etats-Unis après la guerre beaucoup d'Américains redoutaient un afflux massif dans leur pays des nationaux des États vaincus, ou encore une invasion lente par des éléments bolcheviques. Actuellement, en vertu des lois de 1921 et de 1924. le territoire américain est entièrement fermé aux Asiatiques nouveaux venus. Pour les peuples d'Europe, une quota est, comme on sait, établie. Un contingent de 2 du nombre des personnes nées dans chaque pays et établies aux Etats-Unis en 1890 est seulement autorisé.
Mais il n'y a pas seulement des limitations à l'entrée des étrangers.
Des pays ont mis des entraves à la sortie de leurs nationaux l'Italie est le plus caractéristique de ces pays.
L'Italie a été, depuis la fin du xixe siècle, l'un des précurseurs en matière de politique migratoire. Depuis cette époque, la politique italienne d'émigration a passé par trois stades principaux celui de la valorisation de l'émigrant, celui de l'expansion nationale par l'émigration, celui de la restriction de l'émigration. Durant la première période, il s'agissait avant tout, pour le gouvernement italien, de faire des individus capables à la fois de représenter dignement leur pays à l'étranger et d'acquérir un niveau de vie relativement élevé. Politique de prestige national et de sauvegarde de l'individu. Durant vingt-cinq ans, l'Italie a employé tous les moyens pour « valoriser » ses émigrants dans le monde par l'éducation professionnelle avant le départ, le gouvernement italien s'efforçait de former les futurs émigrants aux métiers les plus demandés au-delà des frontières par la création de banques spéciales, il facilitait la subvention des émigrants par la surveillance des contrats de travail à l'étranger, il obtenait pour ceux-ci des conditions de traitement et des salaires plus favorables.
Mais ces émigrants, devenus pour le pays une source de plus en plus grande de revenu, pouvaient, s'ils se naturalisaient étrangers, faire perdre à l'Italie un capital de plus en plus lourd. Il s'agissait donc d'empêcher, par un patronage de plus en plus actif des Italiens à l'étranger, le déclin du sentiment national chez les émigrants. Il fallait rendre le plus étroit possible le lien entre l'Italie et les Italiens du dehors. Cette seconde politique a surtout été pratiquée ait lendemain de la guerre et dans les premiers temps du régime fasciste. De nombreuses circulaires ont rappelé aux consuls italiens la nécessité de grouper les Italiens à l'étranger pour les empêcher de perdre le sentiment national. Des écoles, des bibliothèques, des sociétés sportives, des centres d'informations et de propagande, des œuvres d'assistance, des organismes financiers ont été créés à cette fin dans les principaux pays d'immigration.
Mais forcément, cette politique s'est heurtée à la politique des pays d'immigration, et notamment de la France. La France, en effet, n'a pas seulement besoin de travailleurs elle a besoin d'hommes qui se fixent et contribuent à l'accroissement de sa population. Une loi, comme celle d'août 1927, déclarant Français tout fils d'étranger né sur le sol français, devait heurter violemment les tendances du gouvernement italien. Entre le pays qui pratiquait une politique de patronage de ses nationaux à l'étranger, et celui qui désirait l'assimi-
lation des étrangers installés sur son sol, une entente était difficile. Plutôt que de perdre des citoyens, le gouvernement fasciste a préféré pratiquer une nouvelle politique et fermer la soupape de l'émigration. « Ayons le courage de reconnaître », disait en mars 1927 M. Grandi, Sous-Secrétaire d'Etat aux Affaires Etrangères, « que l'émigration est un mal; elle se fait dans un pays de souveraineté étrangère. Il faut émigrer, oui mais sur des terres et dans des pays qui soient italiens ». Et lI. Mussolini, dans un discours célèbre, s'est plaint de la saignée qui a fait perdre à l'Italie plus de dix millions d'habitants. Actuellement, ne sont admis à sortir d'Italie que deux catégories d'émigrants ceux qui ont des lettres d'appel et ceux qui ont des contrats de travail. Sans doute, la gravité de la situation économique italienne a obligé le gouvernement italien à relâcher en fait les restrictions à l'émigration depuis l'été 1930. Mais ces restrictions n'en réduisent pas moins fortement, aujourd'hui encore, le courant migratoire.
Qu'elles soient à l'entrée des étrangers ou à la sortie des nationaux, les lois restrictives ont été la principale cause de la crise des mouvements migratoires. Or, ces lois ne sont pas seulement inquiétantes parce qu'elles font obstacle à une répartition meilleure de la population dans le monde. Elles contiennent en elles-mêmes des éléments de conflits. Elles ne sont pas seulement incommodes elles sont blessantes pour l'amour-propre des peuples visés.
Les limitations américaines à l'immigration ont notamment produit, en Asie, une indignàtion extraordinaire. Au Japon, la colère du peuple fut particulièrement violente. En 1924, lorsque la nouvelle de la promulgation de la loi fut connue à Tokio, la police fut obligée de faire afficher des placards dans les rues pour inviter les habitants au calme. Un Japonais, dit-on, fit le harakiri devant l'ambassade des Etats-Unis. En Chine même, l'indignation, quoique moins manifeste, fut très grande. Aux Indes, ce sont surtout les restrictions des Dominions Britanniques qui causent un vif ressentiment. Sujets de l'Empire, les Indiens s'indignent de ne pas être traités en égaux avec les autres sujets de l'Empereur. Les lois restrictives à l'immigration ont beaucoup fait pour affermir, par réaction, le sentiment national des divers pays d'Asie. Plus même elles ont créé une certaine solidarité des peuples de couleur, la solidarité des races dites inférieures. Les remèdes internationaux.
A une crise internationale, il faut, semble-t-il, tenter de parer par
urne actittn internationale. Etes .tentatives :d'acoords internationaiiax .ont donc »éié .faites depuis la guerre. Mais il faut tout de suite insister SiUir un point il est difficile .de dasKu<t.er dans les lassemMées intBrnationales de questions d'émigration .et d'iûronigratioin., .car le pnofolème ̃des /migration b iest, dans ses aspects ^essentiels, mu prablième national. 'La idét.erHiinatiiO;n du nambne des étrangers qn'uii pays veut recevoir, le régime depoliee, d'impôts, de natuTHlisaiticm deioes étrangers sont 'des :prai>Jèiine£ ittationaux. De .même, .da:rus le ja-ays d'exode, l'octroi du passeport au départ .est wa rproblèiiae natioinal. CJiaque fois gue, .dans une ^asBemhlé.e iBitarnationale. une ,de ces qwestioais est posée, il se tnouv.e des .>gouyernem.eirts po.ur en écarter la .discussion au nojii'de la •s;ou.'V!er.aMieté des Etats. Pieul-iêtireJa (crainte devoir ces sujelts ab.ordés ̃à Geniève :a- t->elle «té une 'des iraisodas ;pemr jlesqneU.es les Etats-Unis .se sont lâétiotïrnés de la Société des Nations. «Quand ils sont entrés à la Cour d:e JiU&tice ïntBMintionale .de la Haye, ils ont fait, sur le problème des migrations, des réserves formelles.
.Cette diiflieulté a fait échouer en iait toutes les grandes confénenoes ;initerjiationales i.c.OJiic.erJiairt rle problème .des migratioais. -Coinfér.en.ces pré^pasatoir-es d'abord, qui ont .groupé sépaTénnent 1res pays d'EKnigraition .et les pays d'immigratiom.. DomEâp ea'c.es gé'n.érales ••eiasuite, comme celle >de Rome eaa 1.924 ie-t celle de la Havane en 1927. ̃ Ces conféraiLces, en réalité, ont fait Éaillite.
Pourtant, les migrations dans Je inonde .coinnieneent :à :s'.oi;ganiiser.. Mais selles s'organisent mon pas sut ;le plan palilàqojie, mais sur le plan technique et, éoomoiîïniqne. Ces (tentatives d'orgaraisatisn xmt été .s»rto.uit de deux ordres. Ou bien 'elles ont perte sar les 'Principes, 'et'Orait'&ié.géiiéa'ales. Oitiibien elles :soait parliiculièreB., il'riut rnl'iin accord .spécial «ntr.e 'deux paye, les deux .pays que r.elie ûhaque cauramt migraitaire, celui d'origie:e .et .eeluii de destination.
Les :a:c.col'ds gé>néJ:a ux IDnt 'é.ùé suriJ.0l!1itcQua1us gl:ù.ce au: '0rganismes Les:aacords gémésaux; ont été surLoioit conakis grâce aHX'organisnies de Genève, à la Société des Nations '.eit au iBureaœi •International du Travail. Très prudemment, la Société .des Natiotas et le.Bumean fntermabionaj du Travail ont r-eaionoé,, 'dès iWigine, à:s'.t)Boujper deJ^speet politique du problème des migrations., camane relevant de la souvsraimeté nationale.
La Socâélié 'des Nations ne B'o.ccufpe iqu'inidir.e»temeirt (du iproblènie de l'émigcation dans certaines -de ses -sectioais •ooiiniïie oelles idn Transit ou des Mandats, ou dans la Commission de l'Enfance. Elle s'est pourtant intéressée plus spécialement à une catégorie de migrations internationales, celle des réfugiés politiques. Elle a, depuis ̃la guerre, aidé à déplacer et à :établiïr sur des teiires nouvelles rp.rès de
cteux millions de réfugiés,, Bulgares, Russes, 'Grecs de Turquie. Elle a montré, dans ce rôle, :sa capacité à organiser, 'financièrement et ̃techniquement, de 'grands mouvements ̃migratoires.
Mais l'organisme spécialement chargé des questions de migrations est le Bureau International du Travail. >I1 's'occupe avant tant de la iproteotion de 'l'iémigraat. Il a déjà iait 'voter 'de nombreuses .conventions .concernant la 'protection des ̃émiguants pendant lie voyage et à [l'étEauger, notamment sur l'inspection ides érnigrants 'à bord des navires, et surtout sut la réciprocité de traitement on matière d'assurance-chômage et d'accidents du travail. En outre, il est un grand .centre d'information ret d'enquête sur toutes les questions concernant les migrations.
Mais les modalités mêmes de l'émigration peuvent être 'difficilement irésoki'es par des conviemtiojQS générales. :L'exode 'des Gbinois en Malaisie et celui des Italiens en France ne 'sauraient guère être réglés rsolen des .principes identiques. La différence des conditions exige 'une différonoe •̃d'ocgamisatinïn. Àdes soluftioins empuiques, particulières, sont plus satisfaisairt^s que des solutions géiTérales. 'Ces solutions, les accords bilatéraux les donnent le plus auvent. :Um accord :entre deux 'nations, celle .d'-où partent les 'émigrants et 'ce&e ̃où ils s'installent, 'permet plus aisément les concessions Bécij)roqaes et les 'Coni'pro.mis.
'La France, surtout, a .montre la voie dans cette réglementation nouvelle. La main-d'œuvre dont elle a eu 'besoin dans ses villes et ses canipagiiaes, elle l'a fait veair :à la suibe de 'teaités conclus ainsi avec la Pologne, l'Italie, l'Autriche, la Tchéco Slovaquie, la Belgicpue, le Luxembourg. Près de deux millions d'étrangers sont -ainsi ven-us en France depuis la guerre, à la suite ide ces traités, dans lesquels étaient prévus leur mode de recrutement, leur statut en 'France et leurs conditions de travail.
•Ces migrations qui '.résultent de traités bilatéraux sont :d'un type particulier. Collectives la plupart du temps, temporaires aussi, elles aboutissent à une vérita-ble ration alisation des déiplacemezi'ts de main-d'œuvre. Elles ne laissent plus rien au hasard. Les besoins du pays d'immigration fixent le mouvement humain. Le 'chiffre de la main-d'œuvre étrangère qui pénètre :en Fraince correspond désormais aux demandes adressées par les industriels français au Min-is'tère idu Travail. ;Ce .mo.de d'éaaiigration Produit moins :de idéchets, moins d'échecs. Mais il nécessite aussi 'moins d'esprit :d' aventure, inoins d'initiative individuelle. La France a été imitée par la plupart des pays européens d'immigration, et même par certains Etats de l'Amérique du Sud.
Peut-être même, ces traités bilatéraux qui ont été conclus empiriquement depuis la guerre, selon les besoins du moment, pourront-ils être élargis, et être conclus entre plusieurs nations voisines. Peut-être arrivera-t-on un jour à des accords régionaux, continentaux. De plus en plus, les courants migratoires se réduisent à des cercles fermés. L'Empire Britannique devient l'orbite des migrations britanniques; l'Asie celui des Asiatiques, l'Europe celui des Européens. Plus des trois quarts des émigrants de Grande-Bretagne ne quittent pas l'Empire. Les principaux pays d'émigration de l'Europe continentale envoyaient avant la guerre plus d'émigrants en Amérique qu'en Europe même c'est le contraire qui se produit maintenant. L'émigration chinoise qui, depuis la guerre, est devenue le mouvement de peuple le plus massif du monde, ne dépasse guère, dans son ensemble, le continent dont elle part. Le problème des migrations peut être plus aisément discuté par les nations qui appartiennent à des groupes régionaux ou continentaux. Ils ont déjà été discutés, en fait, dans des assemblées régionales existantes assemblées très différentes par leur composition, par leurs attributions et leurs pouvoirs, puisque les unes sont formées d'hommes d'Etat responsables, et les autres de simples experts et observateurs. Il y a des conférences panaméricaines, dans lesquelles les Etats américains ont commencé à étudier en commun leurs problèmes d'immigration. Il y a des conférences impériales britanniques au cours desquelles sont exposés les intérêts de la métropole et ceux des Dominions. Il y a l'Institut des Relations Pacifiques, qui s'occupe des problèmes de population dans la région du monde où ils risquent d'entraîner les plus sérieux conflits. Enfin, le Comité d'Etudes pour l'Union Européenne a placé, dans son programme, l'étude du problème des migrations.
Les symptômes d'une évolution des migrations dans le sens d'une réglementation rationnelle se sont donc nettement manifestés. Sans doute, de tous les faits internationaux, les mouvements de peuples sont peut-être les plus difficiles à régler, ceux dans l'organisation desquels les efforts ont été jusqu'à présent les moins couronnés de succès. Mais l'évolution est certaine. D'une part, grâce à des accords bilatéraux, régionaux, peut-être un jour continentaux, l'offre et la demande de travail entre les différents pays doivent être mieux équilibrées. D'autre part, grâce au Bureau International du Travail, l'émigrant sera de plus en plus protégé. Peut-être même (la proposition a déjà été envisagée) sera-t-il un jour aidé, subventionné par les organismes internationaux, comme l'ont été les réfugiés.
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LA VIE DIPLOMATIQUE
Ephémérides IiîtemationaFes
Avril 193Î
1. Dénonciation, par la ville libre de Dantzig, de l'accord provisoire avec la Pologne sur le stationnement des bâtiments de guerre polonais.
2. Promulgation, à Paris, de la. loi portant approbation des accords intervenus dans cette ville le 28 avril 1930 en vue du règlement complet et définitif des obligations résultant du traité de Trianon.
Approbation,. par le Congrès national de Colombie, des propositions d'amendements au pacte de la. Société, des Nations en vue de le mettre, en harmonie avec le pacte Kellog.
Clôture, à Rome, de la Conférence internationale du blé.
Clôture, à Paris,. du 11e Congrès.- international des langues vir van.tes.
4. – Démission, à Bucarest, du Cabinet Mironesco.
6. – Ouverture, à. Athènes,, du Congrès international des partis radicaux, et des. partis démocratiques- similaires.
7. Note du gouvernement allemand au secrétariat de la Société des Nations demandant l'établissement d'un questionnaire relatif aux armements..
5. Le Conseil suprême exécutif en Chine fixe à 12 milles la limite des eaux territoriales chinoises.
Signature, à Sofia, de la Convention aérienne bulgaro-polonaise. 9. Seconde session, à Zurich, de la Commission permanente de l'Association internationale pour la construction des ponts.
10: Oirvcerburev ai Puague^ de la session! d'une commission- économique de la Fédération internationale des Comités- dfe' coopération1 euir.Gfp.éennei.
Note dîa Forei'gn (Office1 britannique au Secrétârrali d'e- la Société des Nations demandant l'ins^ripliion- du projet austro-allemand d'union douanière à l'ordre du jour de la' ®3B session du Eonseil. 11. Ratification, parPe R'rksd'ag; à Stockrïolm, d'e la convention signée à Oslo le 22 décembre 1930 et visant un rapprochement ëconomique entre la Belgique, le Danemark. la Norvège, les- Pays-Bas et la' Suède.
Démission, à Tirana, du Cabinet Pandeli Evanguelï.
Reprise, à Moscou, de la Conférence sino- soviétique.
12. Elections municipales en Espagne les. républicains obtiennent la majorité dans la plupart des villes.
13. Démission, à Tokio, du Cabinet Hamaguchi, par suite de l'état de santé du président.
Ouverture, à Paris, d'une Conférence franco-suisse pour l'application de l'arrêt de la Cour de La Haye dans l'affaire des zones franches.
Session,. à Genève. du Conseil de l'Union interparlementair.e.» 14. Le roi Alphonse XIII résigne, tenupcmaiiiemeat ses pouvoirs, qui sont transmis, au. gouvernement provisoire présidé par: M. Alcala Zamora. La république. es.t, proclaonée à. If ELôtaL de Ville, de. Madrid», Constitution, à Tokio, du Cabinet. Wa-ka-tsu-kL Le baron Shidehara reste ministre des Affaires.. étnangèie^
Conclusion d'un acc.ox'd Gommeiicial gcEHiano-russ.e. pour la, fourniture de 300 millions de marks de marchandises.
Dénonciation, par rAutidche,k de l'avenan-t de '1922 au traité de commerce austro-tchécoslovaque.
Signature.. à la. M.ec.q,ue,. d'un traité, d'amitié et d'un paotoBole d'arbitrage entre les gouvernements wahabite. et irakien.
Ouverture, à Alger, du Congrès international, de la, lecture publique Réunion, annuelle, à, Genève. du Comité, directeur- de If Union, internatio.nale. des officiens e.t fonctionnaires aie: l'Etat civil. 15. Première séance publique, à La Haye, de. la 21:e siesaian de la Cour permanente de Jkisitiefl inttetna-tionale.
Adoption, par le; Coais-eili des mimistoes d'ttaliie,. diu pnojiet de loi autorisant l'adhésion à l'acte général du 26 septembre 1928: poum le règlement des conflits internatioiiauei»
Araiivée Au roi dses Suède à. BnuxeMes.
Célébration, à Budapest, du dixième anniversaire de la présidence du comte Bethlen.
Signature, à Paris, entre les gouvernements français, d'une part, belge et luxembourgeois, de l'autre, d'un avenant aux accords commerciaux de 1928 et 1929 réglant les échanges entre la France et l'Union économique belge-luxembourgeoise.
16. Arrivée à Marseille du roi Alphonse XIII.
Le roi de Suède à Strasbourg.
Le nouveau vice-roi des Indes, lord Willingdon, arrive à Bombay. Le gouvernement espagnol notifie le changement de régime aux Cabinets étrangers.
17. Publication d'une note officieuse viennoise annonçant l'ajournement des négociations sur le plan douanier austro-allemand jusqu'à l'examen de la question à Genève.
Dénonciation de la Convention commerciale franco-hellénique du 11 mars 1929.
Reconnaissance du gouvernement espagnol par le Chili, la France, le Mexique et l'Uruguay.
18. Arrivée du roi de Suède à Fribourg-en-Brisgau.
Arrivée de sir Eric Drummond à Rome.
Ouverture, à Genève, de la 52e session du Conseil d'administration du Bureau international du Travail.
Reconnaissance du gouvernement espagnol par la Bulgarie, le Guatemala, le Portugal, la Tchécoslovaquie. la Yougoslavie. 19. Le roi de Suède à Berlin.
Constitution, à Bucarest, du Cabinet Jorga.
Le gouvernement péruvien publie un décret-loi stabilisant la monnaie.
20. Réunion, à Genève, de la sous-commission chargée par la Commission d'étude pour l'Union européenne, en liaison avec le Comité financier de la Société des Nations, de présenter au Conseil de la Société un plan complet d'organisation d'une société internationale de crédit agricole.
Reconnaissance du nouveau gouvernement espagnol par la République Argentine, la Belgique l'Equateur, la Grèce, la Norvège, Panama, le Salvador.
Démission, à Sofia, du Cabinet Liaptchev.
Constitution, à Tirana, du nouveau Cabinet présidé par M. Pandeli Evangueli.
Sir Eric Drummond est reçu en audience par le Souverain Pontife. 21. Reconnaissance du Gouvernement espagnol par les Gou-
vernements du Royaume Uni, du Canada, de l'Australie, de NouvelleZélande, de l'Afrique du Sud, de l'Etat libre d'Irlande, de la Suisse, de la Suède, du Danemark, du Pérou, de Costa Rica et de la Chine. 22. Envoi aux Cabinets de Londres et de Rome d'une note française concernant l'accord naval anglo-franco-italien.
Arrivée de sir Eric Drummond à Berlin.
Reconnaissance du Gouvernement espagnol par l'Italie.
Signature, au Caire, d'un traité entre l'Egypte et l'Irak.
Clôture de la 52e session du Conseil d'administration du Bureau international du Travail.
24. Signature d'un accord sino-norvégien relatif à l'exterritorialité.
Ouverture, à Belgrade, de la deuxième session du Comité permanent d'études économiques des Etats agricoles.
Reconnaissance du Gouvernement espagnol par le Saint-Siège, la Hongrie, la Finlande, le Vénézuéla.
Elections législatives en Turquie.
25. Ouverture, à Istamboul. du Congrès de la Fédération balkanique de tourisme organisé par l'Union balkanique.
26. Clôture de la deuxième session du Comité permanent d'études économiques des Etats agricoles.
27. Conclusion, à Tokio, d'un accord provisoire entre le Japon et l'U. R. S. S. concernant les pêcheries.
Signature, à Rome, d'un accord italo-soviétique concernant l'importation des produits italiens en Russie.
Ouverture, à Belgrade, des négociations commerciales austroyougoslaves.
Ouverture, à Bucarest, de la Conférence de la presse de la Petite Entente.
Décret du gouvernement provisoire espagnol fixant les couleurs du nouveau drapeau.
Reconnaissance du Gouvernement espagnol par l'Albanie.
Le prince Ghika prête serment, à Bucarest, comme ministre des Affaires étrangères dans le Cabinet Jorga.
29. Promulgation, à Belgrade, d'une loi homologuant les accords de Paris, du 28 avril 1930, en vue du "règlement des obligations résultant du traité de Trianon.
Clôture de la Conférence de la presse de la Petite Entente.
30. Dissolution du Parlement roumain.
Visite de M. Albert Thomas à Belgrade.
Nominations
Afghanistan. Ahmed Khan, ambassadeur à Ankara.
Argentine. M'M. José Cantilo', ambassadeur à Montevideo le Dr Alva-r© Saralegui, ministre à; Asuncion J. Martinez, consul général à Anvers F. Francisco Dato Tessitore, consul à Lwovv Carlos A. Galarce, consul ai Hambourg; Alberto de Oliveira, consul à Milan H. Cadin, consul à Stockholm Greening Rosas, consul à CMoago Ern«s:to Urii>,uru;, consul k< Philadelphie. Franck Hould'e, vice-consul à ManchestgE..
Autriche. MM. Rudolf Seemann, conseille*' à Prague Joseph Kripp, secrétaire à Budapest. Fermeture temporaiTe du consulat de Split.
Belgique., – M. Lcjeunc de Munsh&cli, ministre à Berne.
Bi'ésil., MM., José Carlos de Macedo Soares, ambassadeur à Bruxelles Assis Brasil, ambassadeur à Bluenos-Aires Helio Lobo, ministne: à. Lac Flaye: José B'olierto de- M^cedo1 Seares^ secrétaire à Lisbonne Mario da Costa Guïmaraes, secrétaire à Washington Manoel Vicente- Cantuaria Guimaraes, secrétaire- à- Madrid Roberto Mendes Gonçalves, secrétaire à Caracas A. de Azevedo, consul génécal à Aimsterdam.,
Chili. – M. &. MararSotomayor, consul général à Anvers.
Colombie. – Le Dr, Gabniel" Turbay, ministre à Bruxelles.
Cuba. Le Dr Martinez Ortiz y Berengu^er, secrétaire à Bruxelles. Danemark. – M.,Eiiik Andueas MauHias Bieribg, ministre S Sofia-. Dominicains (KépTublique). – Le: capitaine Hector1 B. Trujillo Molina, attaché militaire à Paris et à Madrid MM'. JoséB. Peynado, consul général au Hâvre Emmanuel; JiusHefedn, consul à Fort-d'eFrance.
EqBateui. – M. $.. RarnuQîi-Bblana, consul' général à' Anvers.
Espagne. MM. Ramon Perez Ayala, ambassadeur à Londres le professeur Amémca £as*r.o, ambassadeur » Berlin ;• Gonzalo'FfgTi-eroa O'Nell, ambassadeur à Rome Salvador de Madariaga, ambassadeur à Washington José Rocha Garcia, ambassadeur à Lisbonne Salvador Albert,. amBassadbur. à Bruxelles' RicardoBaeza, ministre à Santiago Buenaventuia (Cai'o, chargé d'alfoires;â Prague Carlos Badia, conseiller commercial à Paris.
Etats-Unis. Colonel Jacob W. S. Wuest, attaché militaire à Berlin commandant, Ejjh«b Yeager,, a.tta-Ghé militaire pour la TenéGaslovaquie et la Pologne avec résidence à Varsovie.
Ethiopie. M. Badcherond Zeleka Agedo, ministre' à- Paris> Londres et Rome, délégué permanent près la Société des Nations. France-. – MMî-.Bruève,. miiustoe ^Tallinn Mïeïra'ult du Ghaffaultv conseiller à. Ri©àe-Janeiro ;̃̃ Dolleij, consul géné-pal à Mifen- D*ele- lande, consul adjoint à Bruxelles-; Joufoer, eonsuli à' Auck-fend» Boidevezi, consul à Prague. Le mandat de M. Gabriel Hanotaux, eiL qualité de;ni!eiQbr.isde.la. Coair peraïauente ̃ d'arbitrage- de ILa Haye, est: renouvelle paun une- période die six années:, à compter du' 28 mai. 193(k
Grèce. MM. Daliétos, conseiller d'ambassade à Kohi« Papadakis, consul à Istamboul Dem. Serbos, vice-consul honoraire à Tananarive.
Haïti; – M.. C. J?ouci.a<rd,.CQnaulgéné.ral!à AumsUejuda-m..
M-OB^vie, – M'. Arimim Hann. voeu HaninienJieim,. consul; général honoraire à Florence (posta îmurveUenienij eréo.) le: coiMite Artur Bel-' choit, vice-consul à Florence Edward George Arrigo, consul honoraire. à Laval cbt.e (poste nouvellement créé:) Hadislaus Palnauer, consul général honoraire à Alexandrie.
Italie. Le comte Martin Franklin, ambassadeur à Bruxelles M. Luigi Vannutelli-Rey, ambassadeur à Varsovie.
Japon. MM. T. Obata, ambassadeur à Berlin S. Nakayama,
premier secrétaire à Pékin Chuichi Ohashi, consul général à Kharbin.
Lettonie. M. Alexandre Birznieks, consul général à Dantzig et à Gdynia.
Mexique. Le Dr Rafael Cabrera, ambassadeur à Bucnos-Aires M. Victor-Fernandez Manero, attaché à Paris.
Paraguay. Le Dr Isidro Ramirez, ministre à Buenos-Aires.
Perse. -Mohammed Sadek Khan, ambassadeur à Ankara.
Pologne. MM. Sokolowski, conseiller à Washington Brzezinski, consul à Leipzig.
Suisse. Le consulat de Sydney est élevé au rang de consulat général le consulat général de Melbourne devient un consulat. M. Eugène Bloch est nommé consul général à Sydney et M. Hans George Heddinger, vice-consul dans la même ville.
Tchécoslovaquie. MM. Oscar Butter, consul général à Paris Rodolphe Hejna, consul à Kharbin J. Sieber, consul à Trieste Vladimir Padovets, consul à Salonique Joseph Chousta, consul à Lille Vladimir Svarovsky, consul honoraire à Kwasilowo-Czeski. Suppression du consulat de Graz.
Turquie. M. Tewfik Kemal bey, ministre à Sofia.
U. R. S. S. M. Basile Bogowoï, attaché militaire à Varsovie.
Uruguay. MM. Juan Carlos Risso Sienra, secrétaire à Berne M. C. de Tezanos, consul général à Bruxelles.
Yougoslavie. M. Vassilije Protitch, consul général à Salonique.
LES ÉTATS ET LEUR POLITIQUE ÉTRANGÈRE
Chili
Le Chili est si l'on excepte le Vénézuela, qui jouit d'une situation financière privilégiée le seul pays de l'Amérique latine que son régime industriel spécial ait mis à l'abri de certaines fluctuations dangereuses dans les prix de matières premières.
C'est dire qu'échappant, en partie, à la crise mondiale, la République « des Andes », mieux que ses voisines, peut continuer à travailler en paix, sans ressentir trop vivement les malaises politiques dont souffrent toutes les autres nations Centre et Sud-Américaines. Au moment des « révolutions coordonnées » pour employer le terme du mexicain Estrada qui déferlèrent de Mexico à Lima, via La Paz, Quito, Rio de Janeiro et Buenos-Aires, quelques flammèches atteignirent le Chili attentats contre la personne du Président, agitation universitaire, etc., mais ces tentatives échouèrent aussitôt. Le feu s'éteignit, faute d'aliment.
La gestion du général Ibanez s'applique, en effet, à faire marcher de pair saine politique et bonnes finances.
Du point de vue extérieur, le Chili n'a qu'une politique, celle des exportations et importations. Le vieux litige qui, longtemps, l'avait séparé du Pérou, sur la question de Tacna-Arica, ayant été réglé à la satisfaction des deux parties, le Gouvernement de Santiago n'envisage aucune difficulté dans ses rapports avec l'Amérique latine ou avec les Etats-Unis. L'angle économique, seul, l'intéresse. Or, aux sources de prospérité qu'il possédait déjà nitrates, vignobles, cheptel, le Chili vient de voir s'ajouter une perspective nouvelle. Des gisements de platine ont été découverts récemment dans l'île de Chiloe, qui passent pour rivaliser avec les plus riches du monde.
En ce qui concerne l'Europe, et, plus spécialement la Société des Nations, on sait que le Chili, comme le Brésil et l'Argentine (A. B. C.), attend de l'institution de Genève qu'elle modifie son attitude touchant la doctrine de Monroe pour y envoyer son représentant. États-Unis
Les désordres qui se sont produits au Nicaragua ont montré que la politique des Etats-Unis en Amérique centrale n'est plus ce qu'elle était sous le Président Coolidge et le Secrétaire d'Etat Kellogg. L'intervention de 1926 avait été rattachée expressément par le Président lui-même à cette doctrine «que « la personne et les biens d'un citoyen font partie du domaine général de la nation, même lorsqu'ils se trouvent à l'étranger» et l'Amérique latine avait été alors très émue.
Dès le début des troubles de 1931, JH fut 'manifeste que le Président Hûover ji'tentejadait pas suivre cette politique. Lorsque Puerto Cabezas, où sont installées .d'importantes sociétés américaines,, fut menacée pairies insurgés, les marins delà canonnière Jishe,i>itte-déh&rquèrent seulement pour quelques heures. Et la ferme intention >d'e Tadministratioin d'éviter une véritable intervention .s'est .exprimée dans les instructions envoyées .dans la soirée du 16 avril .par le Secrétaire d'Etat au .ministre des Etats-.Unis.au Nicaragua, ainsi qu'au. consul à Bluefields c( Vous infoTmraez les citoyens américains que le G.©U'vern.emen,t.ne peut assurer la .protection [générale des Américains dans le pays p.ar .des forces américaines. Gela entraînerait des 'difficultés .et .des re-spons.a,bilités (commïtments) auxquelles .il n'entend .pas s'exposer. Le Département recommande donc à teros les Américains qui ne se sentent pas ien sécurité sous la protection du 'Gouvernement et de la garde nationale du Nicaragua de quitter le pays, ou rtout au moins de se réfugier dans les parts de la côte, où ils peuvent être .protégés et .d'où ils peuvent être évacués en cas ..de nécessité. Ceux .qui restent le font .à leurs risques et ;périk et. ne doivent pas s'attendre à .ce que des forces .américaines soient envoyées :à leur secours -k l'intérieur du pays. » Le 18 avril., ,une ^déclaration 'du Secrétaire d'Etat justifiait cette attitude en '.expliquant que depuis 1926 da situation a chanjgé, spécialement du fait que le gouvernement du Nicaragua a constitué une .farce de police imp optante awee le ooncours d'officiers mis à son service par le gouvernement .des EtatsUnis.
La réunion, ;à Washington, 'du congres de la Chambre de Commerce internationale est l'ioccasiom de déclarations importantes. Une campagne s'est :ouverte :en faveur d'une revision générale des dettes de guerre et l'opmion 'a été 'de nouveau exprimée, 'tant par des personnalités du monde des afffaires que par des représentants des milieux ouvriers, qu'une telle révision était la ctmdiition d'une améliojation écononaiq'tte générale .et profiterait en définitive aux Etats-Unis. En présence de ces déclarations, l'administration a'laissé entendre que sa j>olitifne en oe qui concerne les dettes reste inchangée. Le discours prononcé 'paT le Président Hooverà la séance d'ouverture du Congrus des Glïamiir.es de commerce a marqué quelles sont ses [préoccupations essentielles..
(Le Président a déclaré que, dans la pensée de son administration, la surproduction et les cojïïpétitio'tts qu'elle entraîne, la sous-consom•niaîtioa, le nationalisme ô.conoiinqcie ne sont que des causes secondaires de Ha crise économique, il n'y a pas de raison pour qu'elles entraînent uns modification de la politique internationale tra•ditittnnelle du iparti républicain. Ce qui importe, le véritable remède ,à l'excès '.des iimpôifîs, à 'l'instabilité politique, au manque de confiance, c'ie-slle désiacrmement.
Depuis la guerre les dépenses m Hit-air es se sont beaucoup accrues et de toutes les propositions faites en vue de la restauration économique du mande., il n'y en a pas, a 'd-éclarë le Président, qui soit, .plus importante que la fatuxeCeiïféreaice du désarmement. »
Ces déclarations du Président ont été soulignées par la presse, qui en a conclu que tout projet de revision des dettes était subordonné, dans sa p,ensée, au succès de la politique de réduction des armements. ̃Grèce
Les négocia dons avec la France en vue de la conclusion du nouveau traité de commerce avaient été suspendues à la fin de mars, la France ne semblant pas disposée à faire des concessions sur l'importation des vins grecs avant le terme des pourparlers en cours avec l'Espagne. La convention de commerce existante, antérieurement dénoncée, cessa d'être en vigueur le 17 'avril Mais des échanges de notes suivis de conversations entre le ministre de Grèce à Paris, M. Politis, et -le Quai d'Orsay, permirent d'envisager une formule réglant la question de l'importation des vins, et la signature de la nouvelle convention put, dès lors, être considérée comme prochaine.
Cependant, des négociations s'ouvraient à Athènes pour l'élaboration d'une convention de commerce helléno-tchécoslovaque, et la mise au point d'un accord analogue avec la Roumanie se poursuivait dans les conditions les plus satisfaisantes. Par ce dernier accord, la Grèce obtenait, à côté d'avantages économiques, un règlement favorable des questions d'établissement et de reconnaissance des ressortissants hellènes et des communautés grecques en Roumanie, ainsi que de leurs écoles.
Par contre, le différend gréco-bulgare n'a guère évolué (1). La médiation britannique entre Athènes et Sofia s'est poursuivie sans résultat décisif. Le gouvernement bulgare a démenti s'être engagé à retirer après les élections toutes ses réserves en ce qui concerne la proposition d'arbitrage de M. IIenderson. L'affaire est donc au point mort. L'attitude d'un des représentants bulgares au Congrès des partis radicaux à Athènes, M. Ivan Pattev, qui a fait allusion à la question macédonienne, a donné lieu à d'assez vifs commentaires de la presse hellénique.
L'atmosphère s'est un peu rassérénée à l'occasion de la « Semaine balkanique n, qui s'est ouverte le 26 avril à Salonique et aux fêtes de laquelle ont participé les représentants de la Roumanie, de la Yougoslavie, de la Bulgarie, de la Turquie et de l'Albanie.
Vers la même époque l'organe du parti démocrate de M. Malinov, le Znamé de Sofia, plaidait un rapprochement gréco-bulgare et demandait aux Bulgares de sacrifier à l'intérêt économique les ressentiments du passé
« Les marchés turc et égyptien sont perdus pour la Bulgarie. Il ne peut être nullement question des marchés roumain et yougoslave. Il ne reste donc que la Grèce avec laquelle nous devons régler nos rapports économiques. Heureusement, au point de vue économique, les deux pays se complètent mutuellement. La Grèce importe de l'étranger des produits que la Bulgarie pourrait lui procurer exclusivement animaux, céréales, bois de construction, houille, etc. et vice versa. »
L'auteur concluait en relevant la nécessité d'une collaboration économique très étroite entre la Bulgarie et la Grèce, notamment en ce qui concerne le tabac.
Dans le courant d'avril a été également mis à l'étude, sur la proposition du Cabinet de Varsovie, un projet de pacte d'amitié et d'arbitrage entre la Grèce et la Pologne.
(1) Voir le numéro d'avril de la revue, page 109.
Hongrie
Les dernières semaines ont été marquées par des voyages de notabilités étrangères auxquels la presse a attribué une certaine portée internationale. Ce fut d'abord un groupe de députés français, membres de la Commission de législation civile et criminelle de la Chambre, invité à Budapest par la très active Société hongroise pour les Affaires étangères. Puis vinrent des groupes allemands membres du Berliner Zentralinstitut fur Erziehung and, Unterrieht élèves des écoles supérieures de Munich délégation de la Breslauer Volksbiïhne, de la Gorlitzer Bühnenvereinigung, etc. La venue du Zeppelin LZ 127 fut regardée comme une démonstration de propagande allemande des journalistes hongrois avaient fait le voyage de Friedrichshafen à Budapest en compagnie du fils de l'amiral Horthy. Le ministre de la Guerre, M. Gombos, et d'autres personnalités prirent à leur tour place dans l'aéronef et survolèrent les principales villes de Hongrie. Le 24 avril une délégation des combattants du front autrichien répondant à une invitation de leurs camarades du front hongrois fut reçue à Budapest avec beaucoup de cordialité.
L'événement important du mois d'avril a été la célébration du dixième anniversaire du gouvernement Bethlen, le doyen des Cabinets européens. C'est, en effet, le 14 avril 1921 que l'amiral Horthy, régent de Hongrie, a chargé le comte Bethlen de former le ministère* A cette occasion, le président du Conseil (qui, comme on le sait, a la haute main sur la politique extérieure) a résumé la situation internationale de la Hongrie en ces termes
« Je suis, dans mon for intérieur, optimiste et persuadé que le pays marche à grands pas vers un avenir meilleur. Plus nous nous éloignons de l'époque des traités de paix de Paris, plus nous nous élevons vers une position qui nous permettra de prendre place entre les puissances qui sont destinées à conduire l'Europe. Si nous réussissons à garder notre sang-froid, notre volonté et notre union, nous réussirons à sauver le pays du marasme dans lequel l'a plongé la défaite de la grande guerre.
« Le résultat ne peut plus se faire attendre longtemps et une amélioration se fera sentir d'ici peu. Les conférences qui se sont tenues à Bucarest, à Varsovie, à Belgrade, à Paris, à Genève et à Rome nous permettent finalement de nous rendre maître des maux européens.
En même temps que ces conférences internationales, les efforts faits par les pays pour l'amélioration des relations d'Etat à Etat, ceux qu'a faits la Hongrie dans ses rapports avec l'Autriche, avec l'Allemagne et avec l'Italie ne sont pas à dédaigner. Le projet d'union douanière germano-autrichienne est également un signe que ces pays veulent lutter contre la crise économique. »
Quant à l'attitude du gouvernement hongrois en face de ce projet d'union douanière, elle est restée expectante.
Le budget pour l'année fiscale 1931-1932 comporte 1.364.893.000 pengoes de dépenses et 1.365.893.000 pengoes de recettes les Affaires étrangères figurent aux dépenses pour 10.729.700 pengoes. Il convient de signaler la création d'une nouvelle décoration hongroise, l'Ordre de Mathias Corvin, dont les chaînes et les palmes seront destinées à récompenser les mérites littéraires, artistiques et scientifiques. Le président du nouvel ordre est le baron Jules Wlassics. Roumanie
L'événement saillant du mois a été le changemenL de gouvernement. A la suite de divergences entre les dirigeants du parti national et ceux du parti paysan (dont le chef était le ministre de l'Agriculture, M. Mihalake'l, divergences se rapportant surtout à l'équilibre budgétaire et à la loi sur la presse, le Cabinet Mironesco qui était au pouvoir depuis le 10 octobre a donné, le 4 avril, sa démission pour éclaircir la situ ,tion. Le roi a alors confié (9 avril) à M. Titulesco le soin de former un Cabinet d'Union nationale. M. Titulesco échoua dans cette entreprise. Il ne réussit pas davantage à mettre sur pied un ministère de coalition restreinte et envisageait un Cabinet de fonctionnaireslorsquele souverain chargea (1S avril) M. Jorga, recteur de l'Université de Bucarest, plus connu jusqu'ici comme historien que comme homme politique, de constituer un gouvernement avec diverses personnalités peu inféodées à la politique, mais jouissant dela confiance particulière de la Couronne. Dans la déclaration ministérielle du 1er mai, le nouveau Cabinet a annoncé qu'il entendait conserver « les rapports chers à la Roumanie avec les pays dont rien ne pourra jamais séparer le cœur de la nation roumaine. »
« Nous maintiendrons énergiquement les frontières qui nous ont été tracées et pour lesquelles nous avons sacrifié la fleur d'une génération. Nous entendons approfondir les alliances et les amitiés, afin que
les nouveaux rapports internationaux aboutissent à une véritable ère de paix, et avant tout contribuer à l'établissement de meilleures relations avec tous les Etats voisins ».
C'est dire que la politique étrangère, dirigée par le prince Ghika, ne subira pas de modification sensible.
Il y a toutefois lieu de s'arrêter sur deux points l'attitude du gouvernement vis-à-vis des minorités et dans la question du projet austroallemand d'entente douanière. Une des premières initiatives de M. Jorga a été de nommer un député allemand, M. Brandsch, soussecrétaire des minorités auprès de la présidence du Conseil. Bien accueillie, comme on le pense, par tous les partis minoritaires du royaume, cette nomination a été vivement critiquée par des journaux comme VUniversul qui y voient une diminution de la souveraineté de l'Etat et une menace pour l'unité nationale.
En ce qui concerne le projet économique de rapprochement austroallemand, avec la faculté d'adhésion ouverte aux Etats agraires de l'Europe orientale, on sait que l'opinion roumaine s'est d'abord montrée hésitante ou divisée. Certains journaux ( Viitorul, Indépendance, Lupla) ont vu clans le projet une tentative allemande de retour à l'hégémonie politique et une manœuvre tendant à la revision des traités. Tandis que V Adeverul formulait un jugement défavorable mais plus nuancé, d'autres journaux [Cureniul et la presse allemande de Transylvanie) invitaient le gouvernement à répondre aux avances qui lui étaient faites de Berlin et de Vienne. Pour cette raison, les négociations commerciales qui se poursuivaient à Vienne entre les délégations roumaine et allemande prirent un aspect nouveau, l'Allemagne acceptant de fonder son traité de commerce avec la Roumanie sur le régime préférentiel. Ainsi cet accord était éventuellement susceptible de s'intégrer dans le plan d'entente économique régionale dont l'union austro-allemande devait constituer la base. Mais s'il y avait flottement sur l'appréciation de la valeur économique de cette proposition, il n'y en avait guère quant à ses dérivations politiques. Le Cabinet de Bucarest entendait garder sur ce terrain le coude à coude avec ses alliés de la Petite Entente. D'où l'intérêt particulier porté par l'opinion européenne à la Conférence de la Petite Entente qui s'est tenue le 4 mai à Bucarest, conférence qui avait mis en tète de son ordre du jour la détermination d'une ligne de conduite commune aux trois alliés en face du projet austro-allemand.
Or, la Petite Entente a pris à Bucarest une position nette sur cette question. Elle a repoussé le projet tant pour des considérations poli-
tiques qu'en raison de ses conséquences économiques. Elle s'est déclarée, par contre, favorable à un système groupant tous les petits pays du bassin danubien qui sont sensiblement égaux en étendue, en ressources et en puissance. Elle incline à partager les vues du projet français soumis à la discussion de la Société des Nations, cherchant la solution de la crise actuelle dans une entente qui serve les intérêts de tous les Etats de la communauté européenne.
Une des conséquences de cette décision concertée a été l'ajournement des négociations commerciales roumano-allemandes, dont la conclusion devait précisément coïncider avec la session de la Petite Entente.
Turquie
La signature, à Ankara (7 mars), d'un protocole limitant les armements navals de la Turquie et de l'U. R. S. S. dans la Mer Noire, tout en enlevant de sérieuses préoccupations à l'opinion turque, n'a pas éclairci complètement les relations entre Moscou et Ankara. Reste en effet la menace du dumping soviétique, sur le danger duquel la presse est revenue avec insistance au cours des dernières semaines. Le président de la Chambre de commerce de Constantinople a déclaré que le dumping exercé sur les tabacs et le blé russe a causé des pertes sensibles à l'agriculture turque. On redoute de même l'exportation de tissus, vu l'existence à Constantinople d'importants stocks d'étoffes invendues.
Hormis ce souci, la politique étrangère n'a accusé aucun indice d'évolution. Les élections législatives du 24 avril, qui ont donné 287 députés du parti populaire contre 20 députés indépendants, n'ont enrien modifié la situation politique: à la réunion de l'Assemblée nationale (5 mai) Mustapha Kemal, député d'Ankara, a été réélu à l'unanimité président de la République. Démissionnaire et chargé de constituer le nouveau gouvernement, Ismet pacha a repris les mêmes collaborateurs.
La politique balkanique du gouvernement paraît s'affermir et sedévelopper progressivement. Tandis que les mandataires des milieux bancaires des Balkans se réunissaient à Salonique et ceux des municipalités à Tirana, Constantinople réunissait, pour la semaine balkanique, les représentants du tourisme (25-28 avril). Le président du Touring et Automobile club de Turquie, Réchid Saffet bey, rappela
que les Balkans, carrefour de géants, renfermaient ce les populations les plus héroïquement vagabondes de l'univers ». Il souligna les affinités de ces populations et leur relative unité
« Le riche folklore des Balkans est pour nous un héritage indivis. Nos vieilles coutumes, nos arts décoratifs, nos chants, notre mentalité même émanent de traditions presque identiques, de goûts et de sentiments similaires. C'est que, tout en nous disputant ou en nous embrassant tour à tour, nous vivons ensemble depuis près de trente siècles. A visiter nos pays, on finit par découvrir leur ressemblance intime, par dégager les liens qui survivent à leurs querelles dramatiques. En recherchant l'élément d'harmonie entre les différentes civilisations qui s'y sont succédé sans se détruire, on reconnaît qu'il subiste encore un trésor familial commun, un précieux patrimoine historique, une même civilisation, faite de nos efforts respectifs. » Bien que dénué de tout caractère officiel, ce langage n'en exprime pas moins avec justesse la patiente orientation de la Turquie vers une conception nouvelle de la solidarité interbalkanique.
On peut rapprocher de cet ordre de manifestation l'échange de vues entre M. Michalakopoulos et le ministre de Turquie à Athènes, Enis bey, au sujet du projet d'organisation internationale du crédit agricole et l'annonce d'une collaboration étroite à Genève, au cours des travaux de la commission d'études, entre le ministre hellénique des Affaires étrangères et Tewfik Ruchdi bey.
Le fait à retenir c'est que la Turquie, orientée dans le passé vers les Grandes puissances de bon ou de mauvais gré semble vouloir tourner aujourd'hui vars les Balkans toute sa politique européenne.
VARIÉTÉS
Les présents de Louis XIV et de Louis XV aux diplomates
Il existe, dans les archives des Affaires Etrangères françaises, deux registres fort précieux pour l'histoire de l'art et, aussi, de la politique internationale. Ce sont les volumes intitulés Recueil des Présens faits par le Roy en pierres, argent, meubles et atttres depuis 1662, première année,'iz&sques et compris Vannée 1721. L'un d'eux porte une reliure en veau datant du début du xvne siècle c'est un registre original, tenu à jour après sa confection l'autre est une copie faite au cours du siècle de Louis XV (1).
Les souverains d'autrefois étaient magnifiques. Ce n'était pas le temps où l'on donnait une photographie, dont la banalité sans art ne se rachète pas par l'ingéniosité de l'encadrement. Le roi de France faisait envoyer un portrait de maître, ou bien encore une boîte d'or, avec sa miniature sur le couvercle, dans un cercle de diamants, à moins qu'il ne se contentât d'une médaille à son effigie, placée dans un écrin de maroquin ou suspendue à une chaîne d'or massif. Au lieu d'un vase de porcelaine, symbole de la fragilité de l'amitié des grands, Louis XIV, conseillé peut-être par Colbert, offrait des ameublements, de l'orfèvrerie, des tapisseries provenant des manufactures royales, contribuant ainsi à la diffusion du goût français. Le château de Versailles et les résidences royales n'étaient-ils pas alors eux-mêmes une vaste exposition permanente ? La manufacture de Saint-Gobain a-t-elle jamais réalisé, dans une exposition internationale, un stand d'un effet plus « énorme » que la Galerie des Glaces, à une époque où quelques pieds carrés de miroir prenaient place, dans (1) Archives du Ministère français des Affaires étrangères, Mémoires et Documents, France 2037 et 2038.
es inventaires familiaux, parmi les objets précieux ? MiroiXers d'autrefois, dont les cadres dorés et sculptés, enrichis de coquilles, de rinceaux et de trophées, ont été bien souvent séparés de leur glace ternie par d'artificieux spéculateurs pour sertir de leur galbe aristocratique des crudités picturales, et les faire, au prix de ce sacrifice, passer pour objets de valeur.
Les présents de Sa Majesté n'étaient point des politesses sans retour; chaque souverain se faisait un honneur d'offrir quelque produit de son cru. Les Orientaux adressaient des pierres précieuses, le Grand Turc, des tapis; le roi de Danemark, des faucons d'Islande; le Grand Electeur des objets façonnés dans l'ambre de la Baltique les Flamands, des tapisseries. Au temps de Colbert, le roi de Suède offrit même un cadeau plus utilitaire plusieurs cargaisons de matériaux de marine. Le Roi l'en remercia par l'envoi de plusieurs navires chargés de sel (1).
Lorsqu'on parcourt le livre des présents, on est étonné de la variété de nature des cadeaux et de leur répartition.
La Moscovie fut un des pays qui bénéficièrent le plus des libéralités de Louis XIV, tandis que des pays comme la Suède, le Danemark et la Pologne, avec lesquels les relations de la France présentaient un certain caractère d'intimité, ont reçu relativement peu. En 1668, l'ambassadeur russe et son fils se virent gratifiés d'un assortiment complet de produits de l'industrie française: cinq panneaux de tapisserie des Gobelins, des portraits (à l'huile) du Roi et de la Reine, six montres, des habits d'étoffes précieuses, un fusil à quatre coups, un fusil à deux canons, des pistolets. En 1681, l'ambassadeur Potemkin retourna dans son pays avec six panneaux des Gobelins, figurant des bacchanales d'après Jules Romain, parmi de nombreux dons. En 1687 les moindres personnages de l'ambassade furent gratifiés aussi de médailles d'or et d'argent.
La médaille revient souvent dans la liste des présents il s'agit de pièces appartenant à l'admirable collection dont le volume intitulé Histoire des Principaux Evénements du Règne entier de Louis XIV (2) constitue le somptueux catalogue. Chaque médaille est figurée en gravure avec une légende explicative. Toutes les médailles de cette collection sont aujourd'hui bien connues. Par contre, les médailles avec chaîne d'or sont d'une extrême rareté, et nous ne les connaissons (1) Boissonnade et Charliat, Colbert et la Compagnie de commerce du nord.
(2) Paris, 1723, in fol. Confer Charliat, Le Médaillier de la Marine de commerée dans Revue Maritime de 1931 (1er semestre).
guère que par les représentations qui en ont été faites sur des portraits. La valeur en était souvent considérable.
En 1674, un charpentier de vaisseau reçoit une chaîne de 400 livres. Plus tard, un corsaire, une de 1.200 livres. Le matelot qui enleva le pavillon amiral au combat du Texel en obtint une de 117 livres et M. Arouet de Voltaire, à l'occasion de la représentation de la comédie d'Œdipe, fut gratifié d'une médaille de 6.075 livres 10 sols. Un artiste suédois, « en considération de ce qu'il a fait un portrait de Sa Majesté, en émail, d'une grandeur extraordinaire », reçoit, en 1715, une chaîne d'or avec sa médaille revenant à 1.275 livres 7 sols 11 deniers.
Les portraits des souverains étaient des répliques d'oeuvres de peintres officiels et sortaient de l'atelier de ceux-ci. Le prix en était fort variable, suivant la part prise par le maître à la confection de la copie, dont il se réservait l'exécution de parties importantes lorsque la commande en valait la peine. Rien de plus instructif à cet égard que le livre de comptes d'Hyacinthe Rigaud (1) et les carnets de La Tour.
Un article qui revient souvent dans les listes de cadeaux, c'est le fusil de chasse à deux coups, alors dans sa nouveauté, car il avait été inventé, dit-on, pour le grand chasseur à tir qu'était Louis XIV. De tels fusils furent offerts au roi Charles XII, qui remercia mais n'accepta point, ayant conservé, comme les chasseurs de l'Allemagne et du Nord, l'habitude de tirer le gibier à balle, avec une grosse carabine rayée à rouet (2).
Un autre objet qui prenait place parmi les innovations, c'était la pendule ou horloge, article essentiellement français, « disputant le marché » aux productions de Nuremberg et des Pays-Bas.
Bien avant l'ère des expositions universelles, les Présents du Roi ont travaillé à la diffusion des objets d'art et d'ameublement sortis des ateliers et des manufactures de l'Etat. Pour être séduisant, cet aspect de la politique diplomatique française n'en fut pas le moins efficace. Aujourd'hui encore, dans maintes collections et galeries étrangères, ces présents affirment, après des siècles, le rayonnement du goût français.
Pierre Charliat.
(1) Publié par Paul Eudel, Paris, 1910, in-8°.
(2) CnARLiAT, Les Oiseaux du Nord à la Cour de France, Revue Historique de Versailles, 1929.
Bismarck inconnu
« Un nouveau Bismarck », tel est le titre donné par un journal autrichien, le Neues Wiener Journal, à la publication de souvenirs sur le chancelier de fer par M. Max Martell Treutler.
Celui-ci raconte qu'il alla voir le vieil homme d'Etat en disgrâce dans son domaine de Friedrichsruh.
A la gare, il trouve le Dr Chrysander, secrétaire de Bismarck, qui lui fait diverses recommandations, dont celle-ci
« Ayez soin de ne pas prononcer devant la princesse de Bismarck les noms de Caprivi et de Boetticher. »
Et comme le secrétaire ajoutait que Son Altesse venait d'apprendre la mort de son frère, M. Treutler fait mine de s'en retourner. Au contraire, repartit Chrysander la Princesse a connaissance de votre arrivée et elle compte sur vous pour détourner un peu son mari de ses sombres réflexions.
Bismarck reçoit le visiteursdans une chambre d'angle dont la fenêtre donnait sur la voie ferrée Hambourg-Berlin. Il se fait apporter une bouteille de vin du Palatinat. A diverses reprises il porte la main à sa joue gauche.
Votre Altesse a des douleurs ? demande Treutler.
Non, mais je dors mal. Le souci de l'avenir de l'Allemagne m'ôte le sommeil. Vous le savez je ne compte plus.
Treutler proteste.
Je suis tout au plus bon pour donner des avertissements. C'est tout. Mais on me regarde comme un mentor ennuyeux. On ne veut plus m'entendre. Avez-vous lu les Hamburger Nachrichten ? .? Tout le monde devrait comprendre ce que j'y fais écrire. Il faut que je parle, dût-on m'envoyer à la forteresse de Spandau. Voyez-vous cela ? le « duc de Lauenburg (1) » condamné pour haute trahison t Cela s'harmoniserait assez avec l'anathème mondain décrété contre moi. S'imagine-t-on que je vais laisser pleuvoir sur moi les injures de mon successeur comme des tuiles sur mon crâne chauve ? Non, je (1) Titre donné par l'Empereur à Bismarck lors de sa démission, mais non accepté par celui-ci.
ne me laisserai pas faire. Je crierai. Je crois rester malgré tout un homme de quelque expérience et non sans mérites. J'ai payé cette expérience assez cher et, au bout du compte, au prix de ma santé. Puis Bismarck parle sur un ton mesuré du jeune Empereur. Je comprends bien que Sa Majesté, qui a l'esprit plein de fougue, souhaite faire le bonheur de toute l'humanité. Débordant d'idées et d'énergie, il voudrait être son propre chancelier. Je lui souhaite de réussir et ne nourris aucun ressentiment contre lui. Mais j'en ai contre les intrigants, les arrivistes, les « Byzantins » qui exploitent sa confiance contre moi. Ils voudraient me faire subir le sort de César, m'abattre aux pieds de la statue du dieu. Il y a un an, je croyais mon clairon perforé par une balle et incapable de rendre un son. Maintenant je sais que je peux m'en servir pour sonner une fanfare qui fera trembler bien des gens et ralliera autour de moi des milliers d'Allemands. Je ne suis pas frondeur, mais je suis encore moins flagorneur. Toute ma vie, j'ai servi mon roi, j'ai servi la PrusseAllemagne à ma façon. Je puis dire qu'ils ne s'en sont pas trouvés plus mal pour cela et je persévérerai jusqu'au dernier soupir, si Dieu m'en laisse la force.
Bismarck étend par la fenêtre le bras vers le Sachsenwald.
Regardez là-bas. Je voudrais être enterré à ciel ouvert, sous les arbres de mon bois. Pas de cercueil, pas de croix, pas de stèle. Je voudrais qu'après des années, on ne reconnût plus le lieu où j'aurai enfin trouvé le repos, ce repos qu'on refuse au vivant, parce qu'il s'avise de tenir à l'Empereur et au peuple le langage que lui dictent son expérience, sa fidélité (telle qu'il l'entend) et sa conscience. Il parle des lettres diffamatoires envoyées à Vienne pour empêcher François-Joseph de le recevoir.
Ce fut une énorme sottise, une infamie contre moi et contre ma famille, un affront à l'Empereur François-Joseph, qu'on prétendait par là mettre sous une sorte de tutelle. Quand j'en ai eu la preuve, j'ai eu l'intention de défier Caprivi au pistolet. J'avais déjà choisi un second. Apprenez qu'à cent mètres j'ai encore l'œil bon et la main sûre. Je me serais d'ailleurs un peu entraîné. Là, près de l'eau, il y a une cible sur laquelle je m'exerce parfois. Mais j'ai réfléchi. On m'aurait déniché un jury d'honneur composé de vieux généraux qui se seraient perdus en vaines palabres.
Le vieillard vide son verre et caresse son chien Beksch
« Il en est de moi comme de Frédéric le Grand. Plus je connais les hommes, plus j'aime les chiens. Il y a plus de fond à faire sur eux. Je songe à mon inoubliable Tyras. Je causais un jour avec Gortchakov.
En se levant, celui-ci trébucha et faillit tomber. Je le retins vivement. Mais Tyras, qui n'avait rien compris à la situation, bondit à mon côté et montra les dents au Russe. Je l'interpelle d'une voix menaçante. Sur quoi Gortchakov me dit « J'étais venu dans les meilleures intentions. » Par la suite on a dénaturé cet incident. C'est encore ce que l'on fait aujourd'hui. Je ne puis recevoir quelqu'un entre ces quatre murs sans que les faiseurs d'histoires ne m'attribuent les plus sombres desseins. Le proverbe dit, il est vrai, que le mensonge a les jambes courtes. Mais, tout de même, les mensonges courent diablement vite de Friedrichsruh à Berlin et, en route, ils croissent comme des asperges après la pluie.
« C'est un mensonge, par exemple, de prétendre que je brûle de reprendre mes fonctions. Je suis trop heureux d'être sorti de la galère. Autrefois j'étais un acteur sur la scène. Aujourd'hui je suis un spectateur au parterre. Donc j'ai le droit d'applaudir ou de manifester mon mécontentement.
« Caprivi est vaniteux. C'est pour cela qu'il veut donner aux affaires une impulsion inverse de celle que je leur ai imprimée. Il a dénoncé le pacte avec la Russie sous prétexte qu'il s'inspirait d'une « politique trop compliquée ». Compliquée pour lui, probablement. Pour moi, c'était simplement une corde de rechange à l'arc allemand. Maintenant la politique extérieure de l'Allemagne est en plein désarroi. »
M. 0.
Le général Nogi ses rapports avec les étrangers ses missions diplomatiques.
Dans le beau livre émouvant que Mlle Kikou Yamata vient de consacrer à la vie du général Nogi, l'auteur rapporte ainsi le premier contact de Nogi encore adolescent avec des étrangers.
C'était, aux approches de la Restauration de 1868, l'époque où les Puissances cherchaient à obtenir l'ouverture du pays. Les « bateaux noirs » forçaient l'entrée des ports parfois les marins débarquaient. Un jour, « à Chofou, Nogi du haut de la montagne regardait la bataille. Son père armé d'une longue hallebarde poursuivait les étrangers. Mieux armés, les diables roux eurent la victoire. Mais sans hésitation le gouvernement décida d'équiper le pays à la façon des vainqueurs et, sagement, ne se fit point donner de démonstration une seconde fois. »
Quelque vingt ans plus tard, le colonel Nogi partait en mission pour l'Europe. Il visita les écoles militaires d'Angleterre, de France et d'Allemagne il séjourna longtemps dans ce dernier pays. « Lorsque sa femme lui envoyait des gâteaux et des patates de Satsouma, il en prenait une part qu'il portait à l'attaché militaire de son ambassade. Tout réjoui, Nogi lui disait « Je vous prie de les accepter ce sont des patates de mon pays, plantées par ma femme. » Il croyait que les choses que l'on prépare soi-même sont plus pures. Le résultat de ce séjour dans les pays d'Occident fut étrange à son retour, Nogi « avait cessé de boire il n'appela plus de geisha au restaurant et soit chez lui, soit au dehors, il ne quitta plus l'uniforme. u
En 1904, Nogi commanda devant Port-Arthur.
Pendant la campagne, il s'entretenait souvent avec les attachés militaires étrangers. L'attaché américain l'intéressa beaucoup un jour il lui demanda fort sérieusement la recette du « pork and beans ». « Général, je vous en ferai manger le Jour de l'Indépendance », répondit l'attaché. Le jour venu, Anglais, Turcs, Américains se réunirent sous la tente, devant des assiettes découpées dans des boîtes de conserves. Ravi du « pork and beans », Nogi s'en souvint à la fin de la campagne, au moment du départ de l'étranger, il l'escorta,
monté sur le beau cheval que lui avait donné le général russe Steessel lors de la capitulation, et, le quittant, le pria de passer par une colline d'où ils pourraient encore se saluer en agitant leurs mouchoirs.
La gloire désignait Nogi pour des missions de cérémonie. Au moment où le Japon s'alliait à l'Angleterre, celle-ci couronnait son roi. Le vainqueur de Port-Arthur fut désigné, avec l'amiral Togo, pour accompagner à Londres les Princes du sang, qui devaient représenter aux fêtes la Famille Impériale. Mais Nogi « se sentait vieux. Avant de partir il s'en fut au cimetière d'Aoyama. Les marchands de fleurs et de pierres tombales bordent les premières avenues. Nogi choisit chez l'un d'eux un rocher qui provenait de la presqu'île d'Izou, un cône naturel au grain poli. Il paya la pierre, laissa une épitaphe à l'entrepreneur, puis il s'embarqua pour l'Europe. Personne sans doute n'assista avec plus de vénération au couronnement du Roi George que ce petit Oriental taciturne. »
Nogi se trouvait à Kamakoura, au bord de la mer, en 1912, lorsque lui parvinrent les nouvelles de la maladie de l'Empereur. Il accourut au Palais, à Tokyo la foule priait sur la grande esplanade chaque jour Nogi passait au milieu de ce peuple prosterné, il restait une heure en prière puis il allait aux chambellans, aux officiers de la garde, anxieux du moindre détail, et leur parlait des vertus de l'Empereur. Un jour on se mit à parler bas au Palais l'Empereur Meiji était « disparu ». Trois jours après l'annonce officielle de la mort du souverain, Nogi ôta son nom du portail de sa maison. Nommé membre du comité de réception du Prince de Connaught, qui arrivait pour les funérailles impériales, il parut contrarié. « Je vais suivre l'Empereur et ne pourrai peut-être pas remplir mes devoirs. » Les chambellans comprirent simplement qu'il désirait suivre le cortège. Le 12 septembre, le général fit son testament et écrivit à loisir à la comtesse Nogi, à quelques amis, au ministre de la Maison impériale, au Comité de réception du Prince de Connaught, auquel il présentait ses excuses. Le lendemain matin, il fit prendre par un photographe son portrait et celui de sa femme. « Pour le Prince de Connaught », expliqua-t-il.
C'est cette nuit-là que la dépouille impériale devait quitter le palais et, traînée par des bœufs dans un char de laque, s'en aller vers le mausolée de Momoyama. A huit heures du soir retentit le premier coup de canon, qui annonçait le départ du cortège. A ce moment, le comte et la comtesse Nogi se tuèrent selon les rites.
J. R.
« Les Isles ».
Exposition des vieilles colonies françaises
à la Bibliothèque Nationale à Paris
(Suite)
Grasset de Saint-Sauveur publia, en 1787, une série de « scènes indiennes », parmi lesquelles on ne peut manquer de remarquer des « Sauvages jouant à la crosse ». A terre est une balle et l'un des joueurs brandit la crosse le club qu'il tient à deux mains, le bras droit ramené au-dessus de l'épaule gauche. Le golf n'est pas né d'aujourd'hui.
Des portraits émouvants complètent l'évocation tel celui de Toussaint Louverture, le chef des insurgés de Saint-Domingue, qui écrivait à Bonaparte « Le premier des noirs au premier des blancs » tel encore celui de l'impératrice Joséphine, la Martiniquaise, représentée entre quatre suivantes de couleur.
Les gravures de la « Galerie des Modes » à la fin du xviue siècle montrent quel fut alors le prestige mondain de l'exotisme. Voici la description du vêtement dit « la Créole, composé de celui que portent les dames françaises en Amérique c'est une grande robe de mousseline, à manches justes qui se serrent au poignet la robe est un peu ajustée à la taille et dégagée autour de la gorge dans le goût d'une chemise elle est cependant fort aisée et ouverte par devant on l'attache en haut avec une épingle lorsqu'on veut qu'elle joigne, et à la ceinture avec un ruban comme la lévite par dessus un caraco à coqueluchon (à capuchon), sans manches. »
L'isthme de Panama est percé. Les Indiens se sont réfugiés dans les dernières « réserves ». Les ventilateurs électriques remplacent dans tout l'Extrême-Orient la pankha que tirait doucement, à l'heure de la sieste, un enfant du pays. On parle aujourd'hui des « continents » mais combien rêvent encore des « Isles » où flamboient les oiseaux de paradis, et où aborderont peut-être un jour les navires en partance, même s'ils chauffent au mazout
J. R.
Dante à Paris
S'il fut, parmi les visiteurs de l'exposition Amos Nattini, des fervents de délectation morose, ils durent, certes, être à leur affaire. En une trentaine d'aquarelles magistrales, Amos Nattini a fait ressurgir, avec la dêmonomanie médiévale, la terrible et grandiose satire florentine du génial créateur de la langue toscane.
C'est ainsi qu'après une absence de six cents années, Dante Alighieri est revenu à Paris.
Ceux qui firent, en compagnie de sa grande ombre, leur pérégrination oculaire autour des cercles infernaux de la « Salle du Jeu de Paume », en rapportèrent une triple impression de stupéfaction, de malaise et d'admiration.
Stupéfaction, du fait que l'on a peu accoutumé de trouver dans l'aquarelle des accents aussi lyriques, puissants et graves ce mode pictural se réservant, d'ordinaire, à l'élégante et quelque peu mièvre reproduction des fleurs ou des paysages.
Malaise, occasionné par le spectacle d'une invraisemblable orgie de souffrances, d'un étalage monstrueux de tortures par l'eau, le fer, le feu d'une horreur poignante à en rendre paradisiaque l'atroce « Jardin des supplices i d'Octave Mirbeau, et d'une épouvante si directe que l'on tend à fuir du regard les yeux pitoyables des damnés. Le sentiment qui prévaut est l'admiration. Il est fondé sur la maîtrise de la technique, la perception tangible do l'effort spirituel qui présida à ces créations, le grand art, enfin, mis au service d'une imagination exceptionnelle, grâce auquel ces compositions, vraiment dantesques, arrivent à sembler naturelles.
Amos Nattini enrichit la simplicité de ses coloris, bornés souvent à une tonalité unique, par la science des lumières, des ombres et des dégradés. Tantôt, mariant blancs et violets translucides, il crée une atmosphère de rêve où évoluent des personnages évanescents. Tantôt, il joue des carmins pâlis ou des bleus, de la froide morsure des gris, ou se complaît dans la désespérance des bistres, dans la brûlure des chromes et des vermillons. Toujours il reste harmonieux. Toujours il émeut.
Dans son œuvre, la forme est aussi remarquable que le fond. PaJ
une seule figure, prise au hasard parmi ses grappes humaines, ses agglutinations, ses fourmillements de damnés, qui n'ait son expression propre, aussi bien étudiée que rendue.
Est-ce enlever à la gloire d'une telle entreprise que d'oser à son endroit une simple remarque ?
Peut-on dire que ces aquarelles magistrales comportent trop d'académies ou plutôt, des nus trop athlétiques ?
Un certain flou, une ingénieuse imprécision eussent à notre sens mieux convenu. A tout le moins, l'artiste pouvait aussi bien manifester son génie en peignant des créatures normales, sans s'attacher à souligner, avec une telle outrance, les saillies des muscles. Les damnés pré-dantesques n'étaient pas tous des gladiateurs, des Hercule Farnèse. De pareilles enveloppes musculeuses ne reflètentelles pas plutôt une santé exubérante qu'une agonie d'ombres chez Pluton ?
Mais, reprocherons-nous encore à Amos Nattini le culte qu'il semble vouer au corps humain lorsqu'il nous sera donné de contempler, pour notre dilection, ceux des Justes des deux sexes dont il peuplera, divinement, son « Paradis » ? Car le peintre italien n'en est qu'au tiers d'une tâche à laquelle il s'est voué depuis vingt ans. Bourgeon tardif, issu de la racine prodigieuse de la Renaissance, Amos Nattini débuta, à 18 ans, en illustrant le Canzoni d'oltre mare de Gabriele d'Annunzio. Enthousiasmé par le talent de l'adolescent, le poète de*7a Nave lui conseilla d'entreprendre alors l'œuvre gigantesque qui remplira son existence. Depuis, sans se soucier d'aucune technique d'école, il passa sa vie dans l'observation des rudes travailleurs des ports ses modèles, dans la méditation et l'effort créateurs.
L'Italie ne pouvait rester indifférente devant un tel monument à la gloire de Dante.
« L'Istituto Dantesco italiano » a entrepris l'édition, en fac-similé, de la centaine de peintures que Nattini doit laisser. Le premier Cantique de la Divine Comédie est déjà publié. Il s'agit d'un ouvrage unique au monde, dont la réalisation a demandé dix ans de labeur à un groupe d'artisans milanais, éduqués spécialement selon la tradition du livre aux grandes époques.
Fernand Huké.
Le Gérant DE Peykalade.
SOMMAIRE
I. Questions politiques et juridiques Pages
CHRONIQUE POLITIQUE. Allemagne, France et Angleterre (A. M.). 194 CHRONIQUE JURIDIQUE. -Le Renvoi du projet d'union douanière austroallemande devant la Cour permanente de Justice internationale. Les Perspectives de la Conférence arzglo-indienne. Bibliographie (J. R.) 198 Charles LOISEAU. La Pénétration européenne en Asie antérieure et la compétition soviétique. 204 Robert PELLETIER DoiSY. La Question de la limitation des armements navals avant et après le Traité de Londres. 219 Il. La vie diplomatique
Éphémérides internationales 229 Nominations. 233 L'activité diplomatique des États. 237 Belgique 237 Canada 239 Danemark 240 France. 242 Suisse 244 III. Variétés
J. Valmy-Baysse La Diplomatie et le Théâtre. 246 Souvenirs de lady Gsvendolen Cecil szcr lu vie de lord Salisbury (J. R.).. 250 Byzance a Paris une leçon d'art et d'histoire (J. M.). 252
QUESTIONS POLITIQUES ET
JURIDIQUES
Chronique Politique
ALLEMAGNE, FRANCE, ANGLETERRE
L'ENTREVUE DE CHEQUERS
MM. Brüning et Curtius ont eu une série d'entretiens, les 6 et 7 juin, avec MM. MacDonald et Henderson à Chequers.
Cette rencontre était attendue avec une vive impatience par la presse allemande. Toutefois, les milieux officieux du Reich avaient mis l'opinion en garde contre un optimisme inconsidéré. Il était notamment hors de saison de parler de « point de départ d'une ère nouvelle » expression qui, dans la teminologie d'après-guerre, tient une place abusive. Ces précautions furent confirmées par la rédaction volontairement incolore du communiqué publié à l'issue des entrevues qui ont eu pour cadre l'ancienne résidence du lord-protecteur Cromwell. Les Anglais avaient d'abord pensé que la conversation porterait principalement sur le problème du désarmement. MM. Brüning et Curtius ont préféré mettre en avant le thème de la situation « intenable)) créée à l'Allemagne par la dépression économique et le « tribut » des réparations. Par un synchronisme voulu, au moment même où se tenait la Conférence, le gouvernement du Reich publiait un manifeste accompagnant les décrets-lois relatifs à la réduction des dépenses et à la création de nouveaux impôts. Ce manifeste jette plus de lumière que le communiqué sur la nature des entretiens de Chequers. Il pose en principe la nécessité d'une révision du règlement des réparations fixé par le plan Young.
On remarquera qu'en décembre dernier, le gouvernement anglais s'élevait avec vivacité contre toute allusion faite par l'Allemagne
à une démarche tendant à remettre cette question sur le tapis. Or elle paraît avoir été traitée dans toute son ampleur à Chequers. Les deux gouvernements ont résolu de « s'efforcer de combattre la crise actuelle en collaboration étroite avec d'autres gouvernements intéressés ».
Cette formule évasive visiblement choisie pour ménager les susceptibilités américaines et françaises marque à la fois le caractère des entretiens et la limite de leur portée.
La presse modérée de l'Allemagne n'en a pas moins cru devoir tirer avantage des journées des 5 et 6 juin. D'abord parce que MM. Brüning et Curtius ont réussi à entraîner leurs collègues britanniques sur le terrain économique, laissant à l'arrière-plan la question du désarmement que ceux-ci eussent aimé voir prévaloir. Ensuite parce que, d'après les informations de Londres, le gouvernement du Reich serait en droit de compter, en réponse à la visite allemande, sur celle des hommes d'État britanniques à Berlin. Il y aurait donc là un peu plus qu'un contact de pure courtoisie. Si les journaux nationalistes déplorent la stérilité de l'entrevue, d'autres feuilles allemandes, à l'horizon opposé de la politique, songent déjà à une grande conférence internationale qui aurait pour objet une compensation des dettes et la conclusion d'accords destinés à ranimer l'activité économique du monde. L'opinion anglaise est beaucoup plus réservée. Sans diminuer l'intérêt d'une entrevue qui accentue le rapprochement de deux grands États, elle relève mélancoliquement, comme l'ont fait les ministres britanniques, le caractère mondial de la dépression économique et son influence spéciale sur l'Angleterre elle-même. Soumis à la loi d'une inexorable nécessité, les deux peuples peuvent voir dans cette circonstance une nouvelle raison de sympathie, mais la Grande-Bretagne ne peut guère aller présentement au delà de l'expression de cette sympathie. Il est, en effet, chimérique de penser à une révision générale du plan Young sous une forme conciliant à la fois les besoins de l'Europe et l'attitude américaine dans la question des dettes de guerre. Cette dernière question est d'autant moins à l'ordre du jour que les élections du président et du Congrès doivent avoir lieu en novembre 1932 aux États-Unis et que ceux-ci sont eux-mêmes aux prises avec un grave malaise économique, financier et budgétaire. Le Cabinet de Washington marque Une vive répugnance à rouvrir ce débat. Il est vrai qu'il a le sincère désir de ne pas être tenu pour responsable d'une catastrophe économique européenne pour cette raison il va envoyer M. Mellon, secrétaire aux Finances, et M. Stimson, secrétaire d'État, étudier sur place la crise du vieux monde.
Cette tournée est tout naturellement mise par l'opinion allemande en connexion avec les espérances qu'ont fait naître les entrevues de Chequers.
Ici encore, cependant, de sévères désillusions sont à craindre. L'attention du département d'État américain se concentre en ce moment sur la préparation de la conférence du désarmement. Pour lui, toutes les autres questions européennes tirent leur gravité de celle-là et il ne s'y arrête qu'autant qu'elles peuvent avoir des répercussions sur la conférence. La principale mission de MM. Mellon et Stimson sera donc d'exposer la thèse du président, qui est que les réparations et les dettes sont une charge moins lourde que l'entretien d'armées et de marines de guerre. Ils suggéreront que le inonde pourrait redevenir solvable s'il acceptait de ne pas dépenser chaque année un milliard de livres pour ses armements. On découvre ainsi la voie qui mène de la crise économique au désarmement il est peu probable qu'une solution soit à envisager de ce côté, les États européens étant, les uns trop, les autres trop peu disposés à lier les deux questions.
Nous avons d'ailleurs, sur la question des dettes, deux récents témoignages américains. L'un est de M. Castle, sous-secrétaire d'État, qui a déclaré que toute accentuation d'acuité dans cette question entraînerait l'obligation d'envisager l'opportunité d'un changement temporaire dans l'attitude nettement définie des ÉtatsUnis, mais qu'il ne croyait pas que la situation en fût arrivée à un tel degré. L'autre, plus laconique, est de M. Mills, sous-secrétaire d'État au Trésor il annonce que ce département n'a pas changé d'attitude en ce qui concerne la revision des dettes de guerre. Néanmoins la proposition de M. Hoover tendant à une suspension du paiement des dettes de guerre pendant une année a produit une profonde impression elle appelle un examen très attentif non seulement financier mais encore juridique et politique qui permettra seul d'en déterminer la substance et les virtualités.
La France considère les entretiens de Chequers comme res inter alios acta. Les milieux officiels estiment qu'on peut, même sans échanges personnels de vue, se faire une opinion sur la situation économique d'un pays. Ils admettent difficilement que l'état de l'Allemagne exige une révision du plan Young. La crise économique dont souffrent les Allemands n'atteint guère moins d'autres peuples et il est, du point de vue français, illégitime de l'imputer aux ((servitudes» » internationales mises par les traités à la charge du Reich. Elle a bien d'autres causes. Un publiciste allemand, II. Tiefbauer, a publié dans une revue pacifiste un tableau montrant le développement des moyens techniques de l'industrie et du commerce allemands depuis la guerre.
On trouve dans ce tableau des chiffres comme ceux-ci
Évidemment, les traités ne sont pour rien dans l'hyper-production et le chômage qu'impliquent par eux-mêmes ces chiffres. Leur révision ne serait pas le vrai remède. C'est dans une tout autre voie que les milieux dirigeants français croient devoir chercher le salut de l'Europe et de l'Allemagne elle-même.
Aussi M. Briand, auteur d'un projet de réorganisation européenne, a-t-il opposé une résistance immédiate à l'offensive contre le plan Young dont la Conférence de Chequers semble marquer l'ébauche. Il a déclaré au Parlement
« Le plan Young est tout frais. Il ne peut pas être question de le déchirer ni de le modifier. Il a le caractère d'une convention définitive. Assurément, il contient certaines possibilités pour l'Allemagne. Elle en usera peut-être. Mais, de là à remettre le plan Young en question, il y a loin. Jusqu'à présent, le ministre des Affaires Étrangères de France n'a nullement été pressenti à ce sujet. S'il devait l'être, il ne ferait rien sans le Parlement ».
Telles sont les positions de l'Allemagne, de la France et de l'Angleterre au regard du problème des réparations. Et il est douteux qu'un proche avenir apporte, sur ce point, des surprises ou des symptômes d'évolution. A. M.
En 1914 Actuellement
Tension des grandes centrales
électriques allemandes. 15 à 50 000 volts 220 000 volts et au delà Dimensions maxima des chau-
dières à vapeur. 750 mètres cubes 2 000 mètres cubes et au delà
Turbines à vapeur jusqu'à 60 000 HP 250 000 HP et au delà Main-d'œuvre et production
moyenne des fonderies Thys-
sen 75 000 tonnes d'acier 170 000 tonnes d'acier avec 10 000 ouvriers avec 9 900 ouvriers
Durée moyenne de chaque phase
principale de la construction
d'un wagon. trois heures vingt minutes Proportion d'employés et de
travail accompli dans une e
grande banque allemande. 334 employés tenant 284 employés tenant dans la comptabilité (grâce aux machines)
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Chronique Juridique
Le renvoi du projet d'union douanière austro-allemande devant la Cour permanente de justice internationale. Le 19 mai, le Conseil de la Société des Nations a voté à l'unanimité la proposition de M. Henderson de demander à la Cour un avis consultatif sur la question suivante « Un régime établi entre l'Allemagne et l'Autriche, sur la base et dans les limites des principes énoncés par le protocole du 19 mars 1931, est-il compatible avec l'article 88 du traité de Saint-Germain et avec le protocole n° 1 signé à Genève le 4 octobre 1922 ? » »
On sait ce qui caractérise la procédure d'avis la Cour n'est pas appelée à rendre un arrct qui terminerait un procès elle est appelée à donner un avis au Conseil qui la consulte; l'affaire devra donc revenir devant le Conseil c'est le Conseil qui, après avoir reçu l'avis de la Cour, prendra la décision. Il n'y a aucun doute sur ce point, qui a été rappelé par plusieurs délégués, en particulier par le Dr Schober. Du moment où l'affaire a été portée devant le Conseil, fût-ce en vue d'une demande d'avis consultatif à la Cour, il est inutile pour qu'il y ait discussion devant le Conseil d'imaginer une procédure nouvelle, qui serait, par exemple, engagée sur la base de l'article 11 du Pacte de toute manière l'affaire devra revenir devant le Conseil. Seulement, si théoriquement la liberté du Conseil reste entière, il est bien clair qu'en fait la décision de la Cour, quelle qu'elle soit, pèsera sur ses décisions. Sur les points de droit qui seront tranchés à La Haye on conçoit à peine que le Conseil puisse ne pas suivre la Cour. L'argumentation de tous ceux qui tiennent à conserver au Conseil une possibilité de décision propre a donc consisté à détacher le problème juridique soumis à la Cour des autres éléments de l'affaire. Ainsi, dans son analyse des aspects de la cause, M. Briand a juxtaposé au « manquement à des obligations internationales » le « danger de développements politiques qui feraient courir à la tranquillité de l'Éurope le plus grave des risques » M. Grandi, après avoir dit que l'avis de la Cour donnera « pour l'un des aspects du problème un élément fort important de jugement », et après avoir pris acte des assurances données par l'Allemagne et par l'Autriche, déclare qu'il faut « se réserver de juger à la lumière de tous les éléments du problème la question de savoir quelle est la véritable portée » de la déclaration allemande et
autrichienne M. Benes, après avoir parlé du côté juridique de la question, ajoute: « Au point de vue politique le Conseil, gardien de la paix en Europe, prenant en considération l'intérêt de tous les Etats en cause et leur désir sincère d'arriver à une entente et de sauvegarder l'atmosphère de paix et la collaboration internationale, va prendre, au moment où il aura l'avis de la Cour de Justice, la décision qui sera de nature à ne pas léser les intérêts légitimes de mon pays et à tranquilliser son opinion publique. »
C'est pour combattre ces diverses affirmations, aussi bien que les allusions faites par M. Marinkovitch à l'article 11 du Pacte et à une menace pour la paix, que M. Curtius a déclaré, en s'efforçant de concentrer à La Haye tout le débat « Derrière les formules juridiques, il y a la vie, les forces économiques vivantes. Nous devons laisser l'appréciation de ces forces vivantes aux juges de La Haye. Tout ce qui n'est pas expressément interdit à l'Autriche doit lui être permis. Après que la Cour aura déclaré que les obligations internationales de l'Autriche ont été observées, nous ne voulons pas être traités en perturbateurs. Nous refusons de nous laisser citer devant un forum international comme perturbateurs de la paix. »
Juridiquement un tel refus ne serait pas valable. Moralement et politiquement, M. Briand a répondu « J'ai confiance en la Cour de La Haye. Pendant qu'elle délibérera, nous travaillerons de notre côté sur le plan européen à la recherche de solutions économiques solidaires et si, par hasard, nous devions discuter à nouveau de l'affaire, il faut délibérément mettre de côté tout amour-propre national, car il n'y a rien d'humiliant pour un grand pays à venir s'expliquer ici, lorsqu'on a conscience de n'avoir rien commis contre la paix. »
Actuellement la question de droit est devant le juge il y aurait quelque inconvenance à s'attarder sur elle. Mais il y a eu dans les débats du Conseil un fait curieux, qui marquera, sans doute dans la jurisprudence de la Société des Nations. L'article 11 s'est vu restituer sa gravité un peu compromise dans le passé aucun texte n'a été plus fréquemment invoqué, dans des causes parfois où il était un peu hardi de prétendre que la paix du monde fût en jeu. Cette fois on lui a rendu son caractère dramatique et il se peut qu'on l'ait même exagéré. Il ne convient, à notre sens (1), ni que l'article 11 soit invoqué en de minimes controverses, ni que le fait de le citer soit considéré comme une insulte. (1) Voici le texte «Article 11. – 1 il est expressément déclaré que toute guerre ou menace de guerre, qu'elle affecte directement ou non l'un des membres de la Société, intéresse la société toute entière, et que celle-ci doit prendre des mesures propres à sauvegarder efficacement la paix des nations. En pareil cas, le Secrétaire général
Les perspectives de la Conférence anglo-indienne. Certains événements récents ont amené un ajournement des travaux prévus. On avait pensé d'abord que la Commission qui doit étudier le problème de l'orgauisation fédérale pourrait se réunir à la fin de juin ses travaux ne seront pas repris avant septembre. Les rivalités entre Hindous et Musulmans ont été marquées par un renouveau de violence et chacun des deux partis semble se raidir dans son attitude. Il se peut aussi qu'il n'y ait pas, parmi les Princes, adhésion unanime à l'idée fédérale si certains d'entre eux sont prêts, comme l'impliquaient les déclarations de leur porte-parole à la Conférence de la Table-Ronde, à sacrifier quelque chose de leur souveraineté pour consolider leur situation par la participation à une organisation fédérale, certains autres, moins sensibles à l'évolution récente des idées, sont tentés de s'attacher au statu quo. Enfin, la participation même de M. Gandhi aux travaux de Londres se trouve mise en question et l'on ne saurait exagérer la gravité de ce fait, car les chances de succès semblent liées à la possibilité d'un accord entre les autorités britanniques et un homme qui jouit dans l'Inde d'un prestige unique.
Par ailleurs, le caractère des discussions qui, tout de même, peuvent s'ouvrir en automne, s'est trouvé précisé par une correspondance récente échangée entre le leader conservateur et le premier travailliste. M. Baldwin soulignait l'atmosphère défavorable où se trouve plongée la question des minorités M. Mac Donald n'a pu répondre qu'en formulant l'espoir que cette question soit réglée par les intéressés euxmêmes.
Le premier ministre accepte la suggestion du chef de l'opposition qu'au moment où de nouvelles personnalités indiennes vont être appelées à participer aux travaux, on fasse appel aussi à de nouvelles personnalités britanniques.
M. Baldwin avait déclaré « Les questions qui ont été tranchées ne doivent pas être rouvertes. Spécialement, les sauvegardes sur lesquelles la délégation britannique a insisté doivent être acceptées comme base des discussions futures. » M, Mac Donald répond en énumérant parmi les questions qui doivent figurer à l'ordre du jour « les réserves ou sauvegardes dans l'intérêt de l'Inde sur des questions telles que la défense, les affaires étrangères, le crédit financier. »
convoque immédiatement le Conseil à la demande de tout membre de la société. –2. I! est, en outre, déciaré que tout membre de la Société a le droit, à titre amical, d'appeler l'attention de l'Assemblée ou du Conseil sur toute circonstance de nature à affecter les relations internationales et qui menace par suite de troubler la paix ou la bonne entente entre nations, dont la paix dépend. »
Par contre il y a un point capital sur lequel l'accord est complet entre les deux hommes d'Etat la Commission d'organisation fédérale et la Conférence plénière n'ont pas d'autre rôle que de chercher des formules générales d'accord elles n'ont pas à remplir le rôle d'une « assemblée constituante » lorsqu'elles auront achevé leur travail, les ministres de Sa Majesté auront à présenter la future constitution de l'Inde sous la forme d'un projet de loi qui sera soumis à la procédure régulière. La condamnation de la guerre et le droit international nouveau (baron Descamps). « Ce que nous voulons mettre en relief, explique le baron Descamps (1), c'est un fait capital, positivement acquis aujourd'hui et qui a donné naissance à un régime international sans précédent. Jusqu'en ces derniers temps la prise à partie guerrière. était en dernière analyse revendiquée comme une prérogative de la souveraineté des Etats. 11 est désormais avéré que les nations se trouvent définitivement, en droit positif universel, constituées à l'état de société pacifique inviolable, appelée à ce titre à pourvoir dans son sein à la solution sans violence des différends internationaux. Et ce fait doit produire, nécessairement dans la science, normalement dans la pratique, une révolution. » (p. 9).
On ne saurait trop se déliciter de voir le baron Descamps écarter, avec toute l'autorité qui s'attache à sa parole, la thèse commode mais sans fondement qui ne veut reconnaître dans le Pacte de Paris qu'un geste de portée morale. Que le Pacte de renonciation à la guerre soit d'ordre strictement juridiqùe, on n'en saurait douter il est « conclu dans la forme habituelle des instruments conventionnels générateurs d'engagements juridiques » il n'a été en fait que l'extension d'un projet de traité bilatéral franco-américain dont le caractère juridique est incontestable et incontesté c'est avec ce caractère que M. Kellogg l'a soumis aux Etats; ceux-ci l'ont examiné au point de vue des engagements pouvant répondre à leur situation juridique particulière les réponses du gouvernement américain à certaines objections se fondent sur des motifs juridiques la teneur objective du Pacte « prouve qu'il s'agit bien de faire face à la solution d'une question juridique positive celle de la licéité ou de la non-licéité de la guerre » M. Briand a fait justement observer lors de la signature du Pacte que la guerre, en tant qu'instrument de politique nationale « est enfin destituée juridiquement de ce qui constituait son plus grave danger sa légitimité. » (p. 65-6). (1) BARON Descamps. Le droit international nouveau L'Influence de la condamnation de la guerre sur l'évolution juridique internationale, Extrait du Recueil des cours de l'Académie de droit international, Paris, 1931.
Le baron Descamps s'attache à montrer que les diverses réserves faites lors de la discussion et de la conclusion du Pacte de Paris s'harmonisent avec une condamnation absolue de la guerre comme institution. Mais alors on ne peut se refuser à admettre le bouleversement que doit apporter dans le droit des gens l'abandon de la vieille institution. Nous ne pouvons suivre l'auteur dans la suite méthodique de ses déductions qui ont le singulier mérite d'être à la fois parfaitement adaptées à l'originalité de la situation actuelle et tout imprégnées du meilleur suc des discussions anciennes. Nous voudrions seulement signaler ici deux points qui nous paraissent d'une exceptionnelle importance.
D'abord, il convient de dégager des éléments adventices qui le faussent le problème de la détermination de l'agresseur (p. 112). « Quand Rivier nous dit que le véritable agresseur, c'est le provocateur, c'est-àdire celui qui, le sachant et le voulant, rend la guerre inévitable, il nous paraît commettre une confusion. » Grave confusion, ajouteronsnous, puisqu'elle conduit tout droit à l'odieuse doctrine de la « guerre préventive ». Il faudra bien un jour qu'on revienne au sens naturel des mots et qu'on appelle agresseur celui, et celui seulement qui commet l'agression proprement dite, celui qui assume le rôle d'assaillant. « Il ne s'agit pas d'apprécier les griefs des Parties en cause, soit en eux-mêmes, soit dans leur naissance. Est agresseur l'Etat employant des voies de fait qui transgressent l'ordre pacifique consacré par le Pacte de Paris, sans pouvoir invoquer la légitime défense » et la condition nécessaire pour qu'il puisse l'invoquer est « une attaque manifestée par un véritable commencement d'exécution. »
Si le choc se produit, les règles anciennes du droit de la guerre et de la neutralité ne sont plus applicables, car ce droit s'est développé jadis « sous l'empire de la dictature des belligérants ». On ne peut plus admettre la norme de l'impartialité entre belligérants on ne voit plus a comment un acte déclaré illicite par tous les Etats pourrait servir de base autorisée à la revendication de la visite, du blocus, etc.. » Telles sont quelques-unes des perspectives que le baron Descamps ouvre au droit de demain il faut reconnaître avec lui qu'une large part du droit des gens est à reconstruire.
Les fonctionnaires internationaux (Suzanne Basdevant). – L'ouvrage de M1]e Basdevant (1) a l'intérêt de traiter une question technique qui (1) SUZANNE Basdevant. – Les fonctionnaires internationaux, m-335 p. iii-8°, Paris, Sirey, 1931.
se lie étroitement à des problèmes politiques de première importance il s'agit, comme l'explique V Introduction, d'organiser « un service public interétatique » à la pratique des conférences diplomatiques, dans lesquelles siègent les agents des Etats, recevant les instructions de leurs gouvernements, s'est juxtaposée une autre méthode la constitution d'organes destinés à agir dans l'intérêt de tous les Etats et composés de cc fonctionnaires internationaux », « ne dépendant d'aucun Etat ». Cette notion a eu assez de peine à triompher à Genève pour qu'il soit utile de la mettre en pleine lumière et un livre sur les fonctionnaires internationaux vient à son heure au lendemain des décisions de la 11 Assemblée.
Avec beaucoup de conscience et en s'appuyant sur une abondante documentation, tirée surtout, comme il convient, des publications de la Société des Nations, l'auteur étudie la condition des fonctionnaires internationaux, leur choix, leurs obligations, leurs traitements, congés et pensions, la cessation de leurs fonctions, les voies de recours qui leur sont ouvertes, leurs privilèges et immunités. Elle ne se contente pas de réunir sur chaque point beaucoup de faits elle rattache les solutions aux principes, en examine l'opportunité et fournit ainsi ample matière aux discussions qui ne manqueront pas de se prolonger sur le sujet. La conclusion est,à la fois, ferme et nuancée: « La résolution adoptée par la 11e Assemblée est la consécration absolue, formelle du caractère international des fonctionnaires de la Société. Mais on a senti que les nécessités propres à cette organisation internationale, si elles devaient faire bannir l'idée de représentation, appelaient un certain mouvement constant dans le personnel, la succession d'individus qualifiés de diverses nationalités, l'esprit international n'étant pas fait d'une négation des esprits nationaux, mais de leur coordination. Toute solution qui aurait pour but ou pour résultat inéluctable de réserver les postes de direction du Secrétariat à des ressortissants d'un nombre limité de Puissances doit être écartée. Il ne faut pas faire de la direction du Secrétariat une réunion de hauts fonctionnaires, dont chacun serait l'agent d'une des Puissances représentées au Conseil. Si l'existence et le développement de l'esprit international chez les fonctionnaires dépend, pour une très grande part, des règles qui leur sont applicables dans le cadre de l'organisation internationale, il appartient aux Etats qui ont pris part à cette organisation de ne pas contrarier, par des dispositions d'ordre interne, le libre jeu des principes mêmes de l'action interétatique. »
J. IL
La pénétration européenne
en Asie antérieure
et la compétition soviétique
Ce serait faire beaucoup d'honneur à un lieu commun que d'insister sur les effets de l'action soviétique en Chine, en Indo-Chine, dans l'Inde anglaise, et sur les alarmes qu'elle cause à une foule d'intérêts européens. D'ailleurs, la presse quotidienne se charge de nous tenir au courant de cette entreprise, qui trouve en effet un terrain particulièrement favorable dans les parties orientale et méridionale de la périphérie asiatique.
L'attention s'est beaucoup moins portée, du moins jusqu'à présent, sur l'autre partie de l'Asie que le Bosphore seul sépare de l'Europe, et qui confine à l'U. R. S. S. par la Mer Noire et la chaîne du Caucase. La politique moscoutaire tient ici un rôle plus effacé, en tout cas moins apparent. Elle se heurte à des populations en général réfractaires à à sa propagande, à des gouvernements capables de lui tenir tête. Mais, d'un autre côté, il faut bien avouer que, si elle réussissait à se concilier, dans la zone de l'Asie antérieure, des influences ou des complicités, elle toucherait l'Europe qualifiée par elle « impérialiste » en un point plus sensible encore que l'Extrême-Orient baigné par le Pacifique ou la Mer des Indes. Pour le coup, c'est l'Orient méditerranéen qui serait en cause.
Or, aujourd'hui cet Orient est placé pour partie sous mandat britannique et sous mandat français. Les deux Puissances qui se disputaient jadis les bonnes grâces de l'Empire ottoman tiennent en Mésopotamie, en Palestine, en Syrie, la place qu'il a laissée vide. Elles y exercent une souveraineté déguisée sous la fiction juridique de tutelle internationale, et mitigée sans doute par des institutions néo-parlementaires qui n'y ont point encore trouvé leur « climat » souveraineté effective cependant, au moins en ce qu'elle emporte l'idée de bases de sécurité militaires et de charges de colonisation. La France a fait
des sacrifices considérables en Syrie elle espère bien que le bolchévisme ne parviendra pas à la frustrer de sa récompense. L'Angleterre, surtout depuis que l'Inde et l'Égypte [fermentent, ne se lasse pas d'étendre, à l'Est et au Nord, le système des « contreforts » destinés à la protection du canal de Suez (1). Et l'un et l'autre État, en même temps qu'il (pourvoit à ses intérêts particuliers, assume la défense d'une sorte de boulevard d'autant plus appréciable pour la civilisation européenne que, somme toute, celle-ci doit à la guerre de s'y être installée.
Or, quelle est la préoccupation classique de l'Européen qui prend pied sur un nouveau territoire et qui compte bien y rester ? A quel agent de progrès, du moins dans l'ordre matériel, confie-t-il en premier lieu le soin de consolider son établissement et, tout en même temps, de faire agréer sa présence ? De toute antiquité ce fut la création de nouveaux organes et modes de transport. Ce doit l'être bien davantage à notre époque, où, en effet, le rythme de la circulation s'est prodigieusement accéléré, par le double effet des penchants de la génération présente et des ressources que le progrès met à sa disposition. Au fond, c'est la route qui soutient l'Empire, parce qu'elle est génératrice de commerce/^d'aisance et de sécurité. La politique européenne, dans la proche Asie, doit donc être, sur toute chose, une politique routière. Et, si on lui reproche une fois de plus, à cette occasion, de se faire la basse servante d'intérêts « capitalistes », elle dispose d'une réplique simple et concluante c'est que, précisément en Asie, la Puissance qui se flatte d'extirper le capitalisme suit exactement la même politique. Les camps sont rivaux les [buts s'opposent les opérations tactiques n'ont rien à envier les unes aux autres.
Ici, en même temps qu'on invite le lecteur à consulter la carte et à s'en dessaisir le moins possible au cours d'un exposé où, forcément, la géographie tiendra une certaine place on le prie de faire un retour sur la période qui a précédé la guerre.
Vers laofin du xixe siècle, pendant que l'Empire ottoman sommeillait, que ses maîtres n'accordaient aux grands travaux publics qu'une attention intermittente et dispersée, le gouvernement impérial russe reliait assidûment par voies ferrées son domaine asiatique à son do(1) a Au point de vue britannique, disait récemment la Deutsche Allgemeine Zet(«ng,la1Palestine est avant tout un pilier de la route terrestre des Indes, pilier d'importance d'autant plus grande que celui de l'Egypte est ébranlé. »
maine européen. C'est le Transsibérien surtout qui, en France, a sollicité l'intérêt public. Il est entré dans l'histoire par la guerre russojaponaise de 1905 et dans la légende par Michel Strogoff. On s'est moins rendu compte que, de cette artère maîtresse, se détachaient des antennes vers l'Asie centrale, et que le tout était destiné à former une sorte de réseau tentaculaire, instrument et symbole d'ambitions quasi pan-asiatiques. Le chemin de fer transcaucasien, dépassant la frontière russe, atteignait déjà en Perse le grand centre commercial de Tabriz (Tauris). Le Transcaspien du général Annenkof pénétrait, après avoir traversé l'oasis de Merv, jusqu'en Boukharie, et, au Sud, aux portes d'Hérat. Un long embranchement du Transsibérien plongeait de Moscou et de Samara jusqu'à Tachkent, promu centre d'un réseau secondaire qui se développe à travers le Turkestan. Un autre, qui prend son origine à Novosibirsk, près de Tomsk, visait la même région, de façon à relier la Sibérie centrale à la zone d'où les Anglais ont toujours appréhendé une avance russe au nord de l'Inde (1). Les Soviets ont parfaitement compris la valeur d'un tel héritage. Ils y ont même ajouté du leur. De sorte qu'ils disposent aujourd'hui de l'Oural au Pacifique, et de l'Océan glacial au plateau de Pamir, d'un système ferré sans égal sur le continent asiatique, précieux outil d'influence et de propagande, base d'opérations économiques et stratégiques qui leur permet d'envisager, pour l'avenir, un plan mieux que « quinquennal ». L'histoire retiendra, en tout cas, qu'au début du xxe siècle les solitudes et les déserts de l'Asie du Nord étaient infiniment mieux partagées, sous le rapport des voies de communication, que l'autre partie de l'Asie dont l'antique civilisation a exercé tant d'influence sur celle de l'Europe, à l'histoire de laquelle nous vouons une partie de nos études classiques, et qui continue à exciter la savante émulation des archéologues.
Tel est le fait qui s'insère dans le problème actuel de la « dispute de l'Asie ».
Parmi les lignes de chemin de fer que la Sublime Porte avait concédées à des Européens dans ses vilayets d'Asie mineure, une seule, avant la guerre, valait la peine d'être inscrite sur la carte routière du (1) Les travaux de cette ligne, commencés en 1912, avaient été déjà poussés, à la veille de la guerre, jusqu'à Semipalatinsk, chef-lieu du gouvernement qu'on appelait alors « des steppes ». Les Soviets les ont poursuivis, de façon à être en mesure d'inaugurer, le 28 avril 1930, la ligne complète de Novosibirsk à Tachkent. Comptée seulement de Semipalatinsk, cette ligne présente une longueur de 1442 kilomètres.
monde celle que les Allemands désignaient avec orgueil sous le nom de Bagdadbahn, et qui était en effet destinée à porter l'influence, le commerce et l'industrie germaniques au cœur des vallées du Tigre et de l'Euphrate. Relier le Bosphore au Golfe persique, par un ruban d'acier d'environ 3.000 kilomètres, était en effet une entreprise digne de la Weltpolitik et qui n'a pas peu contribué à mettre l'Empire britannique sur ses gardes. Or la déclaration de guerre, en 1914, a trouvé le Bagdadbahn parfaitement jalonné jusqu'à Koweit, terminus prévu, mais inachevé. Les actions de la « tranche » allemande et autrichienne, au nombre de 15.510, après avoir fait un long séjour dans la caisse de la Commission des réparations, ont été mises, par application de l'article 260 du traité de Versailles et d'un accord qui s'est fait attendre jusqu'au 20 janvier 1930, à la disposition des gouvernements français, britannique et italien.
Le Bagdadbahn était issu d'une conception de haute allure, qu'on peut dire sœur – aux points de vue technique et économique des grandes initiatives russes. Ce ne sont pourtant pas les États successeurs aux droits des pays « ex-ennemis » qui se sont donné la peine d'examiner en commun le parti qu'il convenait d'en tirer. Trop de rivalités mettaient leurs intérêts aux prises. Et s'il se trouve aujourd'hui que l'idée de doter l'Asie mineure d'un axe « ferroviaire » et d'un collecteur de trafic est rentrée dans le domaine des réalisations, elle le doit uniquement à l'esprit novateur de praticiens européens du chemin de fer, transfusé parmi leurs collègues irakiens et turcs. Grâce à cela, le projet allemand, après la guerre, n'a été ni proscrit, ni même abandonné. Il a passé en de nouvelles mains, et ses destinées, pour être devenues internationales, par le nombre et la qualité professionnelle des coopérateurs, n'en sont que plus rassurantes.
Sous le signe, en effet, et l'étiquette, de Simplon-Orient-Express prolongé, le service de luxe qui, de 191.9 à '1927, faisait tête à Stamboul, dépassant le Bosphore au cours de cette dernière année, a commencé à irradier dans les directions d'Angora, de la Palestine, de l'Égypte, et point qui intéresse exclusivement notre sujet de la Mésopotamie. Quatorze réseaux tant européens qu'asiatiques, et la Compcagnie internationale des Wagons-lits sont intéressés à son exploitation, qui reçoit d'incessants perfectionnements, et autour de laquelle se fait une publicité qui nous dispense d'entrer dans les déLails. C'est la Compagnie P. L. M. qui remplit le rôle d'administration gérante de ce puissant Syndicat et qui préside à ses conférences.
Si la tête de ce nouveau trans-continental reste fixée à Paris, et le terminus à Bassorah, sur le Golfe persique, le centre asiatique, la
plaque tournante, pour ainsi dire, se présente à Bagdad. Et, de fait, c'est vers la capitale de l'Irak que convergent, pour le bienfait de l'accessibilité de l'Asie mineure, d'autres voies à la fois concurrentes et complémentaires.
Voici d'abord la ligne hebdomadaire d'hydravions de Marseille à Beyrouth, d'où un service automobile, exploité par la Cle Nairn, permet d'atteindre Badgad en trente-six heures. Son usage, réservé jusqu'à présent à une clientèle spéciale, s'étendra probablement à mesure que les nouvelles générations s'accoutumeront aux risques de l'air. Mais les cars qui assument les risques, beaucoup plus bénins, de la traversée du désert de Syrie, prennent aussi en charge les voyageurs amenés à Beyrouth par les services maritimes du Levant. Les Anglais que leurs fonctions ou leurs affaires appellent en Irak utilisent volontiers la même route. Toutefois elle présente à leurs yeux Je défaut de n'être pas suffisamment « britannique » et tout donne à croire qu'ils poursuivront opiniâtrement le dessein de relier Haïffa en Palestine à la capitale de l'Irak par une voie ferrée établie exclusivement sur des territoires qu'ils « contrôlent ». Non seulement telle est à leurs yeux une des conditions auxquelles doit satisfaire la future route terrestre vers l'Inde et non seulement encore ce tracé coïnciderait ou presque avec une des branches du pipe-line qui doit amener le pétrole de Mossoul à la Méditerranée (1) effectuer la jonction de Haïffa à Bagdad par une voie autonome, c'est assurer la soudure politique et stratégique entre l'Egypte, la Palestine et la Mésopotamie où les Anglais, même à partir du jour où la renonciation à leur mandat sera devenue définitive, entendent bien rester maîtres. Ainsi la locomotive, le paquebot et l'automobile, tantôt compétiteurs, tantôt auxiliaires les uns des autres (2), concourent et concourront assurément de plus en plus [à faciliter la pénétration en Asie mineure bien au delà de la région côtière. A peine est-il besoin d'insis(1) La question de l'acheminement des pétroles de Mossoul vers un port méditerranéen, longtemps débattue entre la France et l'Angleterre, vient de faire entre elles l'objet d'une convention définitive, à laquelle sont naturellement parties la Cla de l'Irak Petroleum et le Parlement irakien. Le pipe line, dont l'origine se fplace aux environs de Kirkuk, sera dirigé d'abord, en forme de tronçon commun, jusqu'à Hadité, d'où il détachera' une « branche » vers HaïSa, une autre vers Tripoli, sur la côte libanaise. On prévoit que les travaux, dont le coût s'élève à quelque dix millions de livres sterling, seront terminés vers 1935.
(2) Sur le long parcours du chemin de fer de Bagdad, le chemin de fer offre encore une solution de continuité aux confins de la Syrie du Nord et de l'Irak, plus précisément entre Nissibin et Kirkuk. Ce sont des correspondances automobiles qui, en attendant la prochaine exécution du tronçon de raccordement, assurent, de gare à gare, la continuité du trajet.
ter sur le développement parrallèle de l'aviation. Au centre, Bagdad est une des principales étapes de la ligne de Croydon à Karratchi (8.730 kilomètres), inaugurée le 30 mars 1929, qui permet de placer un des ports de l'Inde occidentale à moins de sept jours de Londres. Elle l'est aussi de la ligne France-Indo-Chine, et le point de croisement de celles qui, d'Égypte, aboutissent en Perse. On sait d'ailleurs que la Cie Cidna assure la navigation aérienne entre Paris, Stamboul et Angora. Toutes ces facilités de circulation ne sont pas uniquement l'effet de la variété des modes de transport que le progrès offre aux voyageurs et aux services postaux. Elles se conforment aux exigences du nouveau statut politique et territorial dans cette partie de l'ancien Empire ottoman. L'outillage suit les intérêts.
Pourquoi même ne les devancerait-il pas ?
La civilisation occidentale, riche d'expérience, de ressources techniques et de capitaux, est, plus que jamais, à la recherche de marchés d'exportation. Elle a trouvé jusqu'ici l'Asie intérieure quasi-fermée à son influence comme à ses produits. Elle n'a pas à mettre en doute que, sur toute l'étendue du même continent, la révolution russe lui oppose une doctrine, une propagande, et menace ses positions acquises. Elle se montrerait bien timide, bien en deçà de sa vocation et même de sa légende, si elle ne s'efforça.It, non seulement de parer à la menace, mais d'y répondre par une poussée.
La voici établie, sous les drapeaux britannique et français, jusqu'au cœur de la vallée du Tigre. Mais au delà ? -Au delà c'est l'immense plateau de llran, le pays sur lequel ont pesé, toujours rivales, les hypothèques politiques anglaise et russe. Tl commence à sortir un peu de sa léthargie, sous l'impulsion que la guerre a donnée par toute l'Asie au c( nationalisme » et grâce à la volonté, depuis 1926, d'un nouveau Chah que les « modernisations » du Ghâzi semblent avoir piqué d'une louable émulation. C'est aussi le vestibule de l'Asie centrale. Par là passait jadis l'antique Via serica, la « Voie de la soie », dont le docteur Legendre nous dit, dans un excellent et quelquefois prophétique ouvrage (1) « D'Antioche elle aboutissait, par la Syrie et la Médie, à Issedon-Scythica, actuellement Kachgar, au Turkestan chinois. Elle unissait ainsi l'Extrême-Orient, la Chine, à l'Empire romain, et auparavant à l'Empire macédonien. On parlera certainement d'elle dans (1) Quo vadis Europa ? Tour d'horizon mondial, Payot, 1920, p. 142.
un prochain, avenir, car elle est appelée à redevenir une des grandes voies de transit entre l'Europe et l'Asie. »
Au pied de l'Iran, ne comptons guère sur la voie ferrée comme organe de la pénétration vers le Centre asiatique. Il lui faudrait escalader des montagnes, parcourir de longs espaces où souvent manquent la population, les étendues cultivées ou même cultivables, et par conséquent le trafic. Le rail s'adapte difficilement à ces disgrâces d'exploitation, et la Perse est bien loin de disposer des ressources qui jadis ont permis à l'Empire russe de les braver. Il existe bien un projet de chemin de fer transpersan, qui a déjà reçu un commencement d'exécution, et qui intéresse en particulier des fournisseurs allemands et des ingénieurs américains. Mais il faut dire de suite et une fois pour toutes que son tracé ne le désigne nullement au rôle d'organe d'accès européen, du moins par voie de terre. Prévu de la Caspienne au Golfe persique, du port de Benderchah à celui de Chapour, il suit une direction exactement perpendiculaire à l'axe des communications dont la base est en Méditerranée. Il la recoupe, il ne la prolonge pas. Son utilité, d'ailleurs réelle au point de vue intérieur, se borne à faciliter le transport des voyageurs du Nord au Sud de la Perse et l'écoulement des marchandises en provenance des deux mers dont il assure la jonction. Dans le même sens horizontal, à travers la Perse, point de cours d'eau non plus d'où ressorte une invite naturelle à la circulation. Reste la route.
En d'autres temps que dis-je il y a seulement une vingtaine d'années on fut peut-être resté coi devant ces constatations. Non que la route, ou plutôt la piste (on vient de le voir) n'ait pas été tracée par les caravanes de la Via serica. Mais enfin c'est avec une médiocre conviction qu'on aurait pu dire
Où le père a passé, passera bien l'enfant
jusqu'au moment où l'enfant a fini par se présenter, vivant et même vivace, sous la forme du moteur.
Le gouvernement persan actuel a parfaitement compris que, dans l'économie générale et le mouvement extérieur de son pays, l'automobile était destinée à jouer un rôle capital. 11 doit sans aucun doute cette initiation, dès le temps de la guerre, à l'armée britannique, dont les contingents, successivement engagés contre les Turcs et contre les bolchévistes, ont traversé, occupé, utilisé le territoire de la Perse par raison stratégique, en faisant un usage assidu de ce mode moderne de transport. Ce sont les Anglais qui ont inauguré dans le pays les
premières routes accessibles aux autos et montré si l'on veut bien accueillir l'expression la manière de s'en servir. « Le sort de l'Inde, dit encore le Ur Legendre, dans l'ouvrage précité, se lie étroitement à celui de la Perse. Quoi qu'il arrive au cours des prochaines années, on admirera toujours l'efl'ort anglais en Perse, de 1915 à 1919, c'est-à-dire tout, ce qu'il a réalisé de positif, de hautement utile. Non seulement la Grande-Bretagne a rétabli l'ordre elle a doté cet immense territoire, dont la topographie est si tourmentée, d'un vaste réseau circulatoire qui lui faisait défaut partout., sauf dans le Nord. Des routes « automobilisables » ont remplacé, sur des milliers de kilomètres, de mauvaises pistes qui n'étaient guère praticables jusqu'alors qu'aux animaux de bât. »
Ce témoignage, si flatteur pour les Anglais, leur était rendu en 1930. L'auteur pourrait faire aujourd'hui compliment à la dynastie Pahlavi qu'elle a profité des leçons de ces excellents professeurs. Le réseau des routes persanes n'est encore ni complet, ni en état permanent d'entretien mais on l'étend et on l'améliore d'année en année. Téhéran, Tauris, Ispahan, Chiraz, Bouchir, Kermanchah, Khanikin et une foule de moindres agglomérations sont aujourd'hui reliées par services d'autobus, qu'utilise aussi la poste et qui, à une époque rapprochée, croiseront sur les mêmes routes des camions de plus en plus lourdement chargés.
On se gardera bien ici d'une incursion sur le domaine des spécialistes pour prédire jusqu'où celui de l'automobile peut prétendre. Mais enfin, il est de fait qu'une amélioration incessante est apportée aux organes et au rendement des véhicules, surtout peut-être des camions, dont la charge, dès à présent, peut atteindre cinq tonnes. Nous en sommes à constater non plus seulement la concurrence que l'automobile fait au chemin de fer, mais la nécessité de renoncer à celui-ci au profit de celui-là, sur une foule de petites lignes obstinément déficitaires. Beaucoup de techniciens se demandent s'il est utile de faire les frais d'un Transsaharien, du moment que l'autre moyen de transport, plus souple et plus économique, est apte à rendre des services presque comparables. L'année dernière, le IVe Congrès international de la route, tenu aux États-Unis, avait inscrit à son ordre du jour de la construction des roules dans les pays neufs comparaison de ses avantages avec ceux de la voie ferrée. Des conclusions du rapporteur américain j'extrais le passage suivant – « La voie de terre présente, sur la voie ferrée, l'avantage de permettre de proportionner l'importance des frais d'établissement et d'entretien à celle du trafic à desservir. L'automobile étant aujourd'hui en mesure de circuler sur des terrains très
difficiles, on peut se contenter, au début, d'un aménagement rudimentaire du sol naturel. On améliorera ultérieurement la route par l'exécution d'une chaussée pourvue d'un revêtement approprié et par la construction d'ouvrages d'art, à mesure que le développement du trafic justifiera de nouvelles dépenses. »
Quand on pense à tout cela, on se sent, quoique profane, porté à une recrudescence d'estime pour la circulation routière et l'on hésite à placer des bornes aux espoirs qu'elle nous réserve. N'omettons pas qu'on trouve, en diverses parties de la Perse, une abondance, presque un excès, de pétrole sur place, et que, même non raffiné, à l'état d' « huile lourde », il commence à être utilisé dans l'industrie des transports. Sera-t-il dès lors téméraire de conclure que l'avenir de la pénétration européenne vers l'Asie centrale, assurée déjà par chemin de fer jusqu'à Bagdad, appartient à l'automobile, vers tla Perse et les au-delà ?
Précisément, un peu au Nord-Est de Bagdad, et rattachée à cette capitale par voie ferrée, se présente, au point frontière de Khanikin, l'origine d'une chaussée en bon état, (qui mène droit à Téhéran. Le parcours, de 850 kilomètres, exige aujourd'hui trois jours, à cause des haltes nocturnes. Il pourrait être abrégé, et sûrement il le sera, à partir du moment où la Compagnie Internationale des Wagons-lits, qui procède à une étude de la question, se déclarera en état d'inscrire cette route sur ses indicateurs et de l'incorporer au régime général du Simplon-Orient- Express. Remontons un peu au Nord en 1932 sera ouverte à l'exploitation une autre broute qui reliera directement Mossoul et sa région, par Ravandouz, à la populeuse Tauris, chef-lieu de l'Azerbeïdjan, et, par embranchements, à Téhéran même. Voilà donc Mossoul, métropole « pétrolifère », Bagdad, capitale du royaume de l'Irak, toutes deux placées sur la grande ligne de communications entre la France et la Mésopotamie, mises en rapports, par services automobiles, avec la capitale de la Perse. Un dernier coup d'œil à la carte permettra de constater que l'automobile encore trouve accès, vers l'Est, de cette capitale à Méched. Nous voici à la frontière de l'Afghanistan.
Par contre, on constate que Méched est pour ainsi dire encerclée par des lignes de chemin de fer soviétiques. Ici on a l'impression visuelle d'une tenaille dont l'articulation se place au centre dejl'oasis de Merv, et l'impression raisonnée d'un principe de contradiction, d'une rivalité.
au bas mot d'une concurrence. En cet endroit, deux systèmes, deux politiques s'affrontent.
Elles s'affrontent bien en deçà, et il ne nous en coûte rien de convenir que le privilège d'antériorité si c'en est un revient à la Russie. Il y a, non pas même un quart de siècle (pour nous reporter à la période d'avant-guerre), mais tout juste un couple d'années, les frelations entre la Perse et l'Europe, par voie de terre, étaient presque entièrement sous la dépendance^du rail soviétique. Et si cette dépendance tend à devenir moins étroite, si tout donne àjpenser qu'elle touche à son déclin, ce ne sera que l'effet des initiatives qui, par l'Irak, commencent à ouvrir des voies à l'Europe et dégager la Perse. Pour donner une idée de l'état actuel de la concurrence, empruntons un exemple concret au parcours Paris-Téhéran.
Le voyageur qui se confie à la voie russe peut utiliser le chemin de fer jusqu'à Bakou, via Berlin. Niegoreloje (frontière polonaise), Moscou ou Rostoif-sur-le-Don. De là, les services de navigation sur la Caspienne lui permettent d'accoster au nouveau portfpersan de Pahlavi. Il gagne ensuite Téhéran par une chaussée longue d'environ 400 kilomètres. La durée moyenne du trajet exige de huit à neuf jours. Le coût, en première classe (nourriture et faux-frais exclus), est d'environ 5.000 francs.
Par la voie du Simplon-Orient- Express prolongé, on compte environ sept jours de Paris à Khanikin, et trois, par automobile, de Khanikin à Téhéran. Le prix du trajet jusqu'à Bagdad en lle classe est exactement de 4.998 fr. 60. Il varie, au delà, selon les conditions que le voyageur obtient des loueurs d'automobiles privés, et qui dépassent rarement 1.250 francs.
Ceci, en l'état présent des tarifs et des horaires, qui seront sûrement remaniés.
Il semble donc bien que, pour le moment, un léger avantage reste/'à la voie soviétique. Mais – sans compter que, sur cette voie, les tarifs viennent d'être relevés de 20 – il est compensé, et au delà, par le confort, par la sécurité, au moins morale, que le passage à travers l' U. li. S. S. n'inspire pas au voyageur moyen, enfin par l'intérêt des sites qui passent devant ses yeux, confronté avec la fatigante uniformité de la plaine russe.
Le type de parcours que nous venons d'envisager n'intéresse qu'une clientèle opulente et restreinte touristes, diplomates, hommes d'affaires, archéologues (car le vieil Iran n'est pas près d'avoir livré aux savants tous ses secrets). Peu à peu, la lutte s'instituera entre voies commerciales elle prendra une physionomie plus complexe, en ce
sens que les conditions techniques du transport ne seront plus les seules à considérer. C'est encore dans un rapide examen du traitement réservé par les Soviets au transit et aux échanges directs avec la Perse que nous avons chance de trouver des éléments de comparaison.
Remarquons d'abord que le gouvernement de Moscou a évité jusqu'ici de participer à n'importe quelle convention internationale de chemins de fer. Il n'offre donc aux expéditeurs que les garanties qu'il lui plaît et qu'il se réserve de modifier. En principe, il n'accorde la liberté d'importation en Perse qu'aux pays avec lesquels il a signé un traité de commerce, en l'espèce l'Allemagne et l'Italie. Le simple état de relations diplomatiques ne suffit point. Ou du moins, en vertu d'une décision du Conseil de Travail et de Défense, l'autorisation de passage n'est accordée, dans ce cas, qu'aux marchandises accompagnées d'un certificat d'origine et d'un autre constatant qu'elles ont passé par les voies ferrées ou maritimes autorisées. Renchérissant sur le tout, une Ordonnance du Commissariat du Commerce, en date du 26 octobre '1928, exclut du transit « tous objets susceptibles de faire concurrence aux intérêts élémentaires de ^l'industrie soviétique ». Intérêts élémentaires ? C'est la formule de la porte ouverte ou fermée ad nutum.
Aux exportations, le commerce de transit de la Perse est libre théoriquement. Mais il va de soi qu'en ce qui touche l'intégrité des chargements, les délais de transport, la constatation et le dédommagement des avaries, tout se passe selon le bon plaisir des administrations soviétiques. A Moscou, du reste, on sait distinguer entre les pays de destination dignes de ménagements et les autres. La Pologne, en particulier, a eu sujet de s'en apercevoir.
Venons aux échanges directs entre la Perse et la Russie. Leur régime nous offre le spectacle des beautés des relations de voisinage avec les Soviets, combinées avec le principe du monopole du commerce extérieur.
En vertu de ce monopole, l'importateur persan se trouve n'avoir affaire qu'aux administrations de l'Etat russe, qui fixent à leur gré la nature, la qualité et le prix des marchandises à vendre. On peut toujours lui répondre que le produit qu'il demande n'est pas à la disposition des amateurs et lui offrir le cas s'est vu de la verroterie ou de la ferraille à la place des tissus ou du sucre dont il a besoin. Quant nu
mode de règlement des factures, rapportons-nous en à un témoignage local (1). C'est un commerçant de Recht qui a la parole. Nous nous garderions d'enlever quoi que ce soit à la saveur de son exposé, pas même la forme
Les Soviets se conduisent avec nous de façon stupéfiante. Par exemple, ils nous vendent en Russie tel produit pour 100 tchernovetz. Et, quand vous voulez les payer, ces 1 00 tchernovetz, émis par eux-mêmes, ils refusent de les accepter. N'est-il pas étonnant que les tchernovetz, monnaie officielle, n'inspirent aucune confiance aux ressortissants russes, alors que nous, toujours bons enfants, nous les acceptons sans la moindre observation ?
Ce qu'il y a de plus ridicule, c'est qu'alors que le cours du tchernovetz n'est que de 22 krans (monnaie persane) au bazar, les Russes exigent que nous l'acceptions au prix de la livre sterling or. Dans quel pays.du monde le tchernovetz peut-il prétendre à ce cours ? Est-ce que les Russes l'acceptent pour la valeur même d'une demi-livre ?
Un accord spécial russo-persan, du 27 octobre 1927, paraît bien avoir laissé les choses en l'état. Ce qu'il vaut, comment on l'applique, M. Lingeman, attaché commercial de Grande-Bretagne à Téhéran, va nous le dire en quelques mots, dans un rapport publié par la Librairie royale de Londres « Le principe du système est le troc. Les marchandises persanes exportées en Russie doivent avoir pour contrepartie des marchandises russes. Seulement, en échange des matières premières et articles d'alimentation, les Russes expédient à leurs voisins une camelote difficilement vendable. » Au cours d'un débat au Parlement persan, en mai 1930, un député, M. Ilahimi, a dit la même chose en termes plus pittoresques. Il a parlé de « seaux cabossés et de chaises de bois. » Ou alors, quand les Soviets se décident à fournir la Perse en produits de qualité, ils les font passer par une agence comrnerciale à eux, dénommée Chargh, établie sur place à Téhéran, qui fait à sa volonté la hausse et la baisse des prix, en profitant, bien entendu, des fluctuations de la monnaie persane.
On ne peut refuser ici un hommage de considération sui generis à l'ingéniosité et à la variété des rubriques soviétiques. Quand il s'agit d'écouler en France, en Angleterre, en Belgique, en Hollande, des produits contre lesquels il est sûr d'obtenir des devises or, ou équivalentes, l'Etat russe se montre vendeur correct, et même, à dire d'expert, mieux qu'accommodant. Telle est d'ailleurs la condition pratique à laquelle est subordonné le dumping. Malheureusement pour elle, la Perse n'est pas en mesure d'offrir de la monnaie de même qualité elle (1) Bulletin de la Chambre de Commerce franco-persane, septembre-octobre 1930.
en cherche pour son propre compte (1). Il n'y a donc pas grand risque à la traiter en voisin pauvre, ni même à esquiver les engagements qu'on a pris vis-à-vis d'elle. A la longue, elle s'en est aperçu. Tant qu'à la fin l'afflux des plaintes parvenues au gouvernement a déterminé celui-ci à prendre une mesure radicale, et dont nous souhaitons qu'il se trouve mieux que des accords antérieurs avec Moscou. Il a suivi l'exemple en vertu d'une loi des 25 février-11 mars 1931, il vient de se rallier, lui aussi, au système du monopole du commerce extérieur. Il s'attache désormais au principe nul ne pourra importer que celui qui exportera, pour la même valeur, sous le contrôle, bien entendu, de l'Etat. Celui-ci n'admet d'exceptions qu'en faveur de ses propres achats, ou des marchandises en transit, ou des personnes et institutions jouissant de la franchise douanière, ou encore aux termes de la disposition suivante
Art. 21. L'importation des véhicules destinés à servir en Perse au transport des personnes et des marchandises autorisées n'est pas considérée comme soumise aux règles précédentes, à moins que ces véhicules ne soient vendus en Perse.
Ou nous nous trompons fort, ou cet article fait bien augurer des dispositions du gouvernement persan à l'égard des automobiles qui lui rendront plus aisé le contact avec l'Europe et qui l'aideront à s'émanciper de la servitude russe.
Si donc la Russie impériale avait devancé et semblait même en situation d'écarter les concurrents européens sur les marchés de l'Asie centrale, la Russie soviétique, toute prête à continuer cette tradition, doit pourtant compter aujourd'hui avec la compétition de l'automobile et le rejaillissement de ses propres principes sur les conditions offertes au commerce international. Il ne dépend peut-être pas d'elle de modifier ces principes au point d'en faire oublier la réputation. Il n'en dépend pas du tout d'empêcher la Perse de prendre une attitude sympathique à l'égard des progrès destinés à la mettre en rapports plus étroits avec l'Europe, et, qui sait ? de devenir tôt ou tard la zone de transit ouverte à des relations entre l'Europe, l'Afghanistan et la Chine occidentale.
(1) La Perse est obligée en ce moment de poursuivre une réforme monétaire sur la base de l'étalon-or, la dépréciation continue de l'argent rendant l'usage de la monnaie nationale, le Kran, tout à fait impropre aux transactions régulières. La nouvelle unité monétaire serait le rial-or, équivalent au pair à un schilling britannique.
Le fait actuel et certain est qu'une des préoccupations du gouvernement de Téhéran est d'échapper autant que possible à l'emprise soviétique, en tout ce qui touche ses communications avec l'extérieur et ses intérêts de commerce. Il est si constant que la contre-épreuve nous est fournie par la mauvaise humeur, à l'occasion même la colère, avec lesquelles la presse russe prend acte de cette nouvelle attitude. Aucune des initiatives dont il a été question dans cet exposé ne trouve grâce devant la critique économique, ou soi-disant telle, des organes communistes de Moscou et de Tiflis.
Les Izvestia, par exemple, demandent, non plus, ainsi qu'on faisait chez nous au xvme siècle comment on peut être Persan mais comment on a osé entreprendre un chemin de fer trans-persan ? Est-ce que cette ligne na va pas permettre aux marchandises pondéreuses, originaires de la Grande-Bretagne ou de l'Inde, de remonter plus aisément du Golfe persique vers les provinces du Nord, et par conséquent d'y faire concurrence aux produits russes ? Quelle idée d'en avoir reporté la tête à Benderchah, tout à fait à l'Est de la Caspienne, et donc précisément le plus éloigné possible de Bakou ? Se peut-il qu'un Etat « éclairé » laisse à ce point s'allonger sur lui la griffe de l'Angleterre ?
La Zaria Vostoka, organe caucasien, a pris particulièrement ombrage de la construction d'une route destinée à ouvrir à Tauris un débouché sur Mossoul
Outre que cette route a pour objet de faire échec au commerce russe avec l'Azerbeïdjan, elle présente pour l'impérialisme britannique un intérêt considérable. Après avoir créé, au Sud de la Perse, une série de base» militaires et d'aérodromes, l'Angleterre prépare de nouvelles bases au Nord de l'Irak. La route de Ravandouz ;est incluse "dans le [système stratégique dirigé contre l'U. R. S. S. (1).
C'est surtout dans la liaison imminente entre Téhéran et les services du Simplon-Orient- Express prolongé que la même presse dénonce une fâcheuse inclination du Chah « à orienter sa politique vers la Méditerranée et par conséquent à développer ses relations avec le monde impérialiste ».
(1) La presse russe et la presse britannique se sont fait une habitude de s'accuser réciproquement de préparer la guerre en Asie. S'il est certain queles Soviets consolident leurs « bases » en Turkestan et tout le long de la frontière afghane par le développement qu'ils donnent à leur réseau ferré, la Grande-Bretagne a eu soin de se réserver, par le nouveau traité conclu avec le roi Faïçal, le 30 juin 1930, la disposition de toutes les voies de communications de l'Irak en temps de guerre.
Parmi les arguments de persuasion, n'oublions pas celui fque nous apporte la Pravda Vostoka, de Tiflis. Il relève d'une manière de « pincesans-rire » bien soviétique, et même, à tout prendre, bien russe. La Perse, nous dit-elle, n'a rien compris aux véritables intentions du gouvernement de Moscou. « Le Tsarisme la saturait de produits manufacturés. Les Soviets, en établissant la règle du troc (appelé aussi du bilan net), la poussent à développer sa production agricole, de façon à lui permettre de régler ses achats en Russie par un excédent de ses ressources naturelles. » Rien, par conséquent, de plus utile ni de plus « éducatif ». On reconnaît à ce trait la bienveillance avec laquelle le Collège des Commissaires du peuple pourvoit au perfectionnement du sens économique chez ses voisins d'Asie. Seulement nous savons aussi comment on entend en Russie la règle du troc, et l'on a peine à apercevoir un enseignement fécond au fond des « seaux cabossés » du député interpellateur Hahimi.
Dans un discours récent à la Commission d'études pour l'Union européenne, M. Litvinof nous a fait la grâce de nous dire que chaque pays était libre de s'inspirer de ses propres principes, et que le sien, par conséquent, n'excluait pas les contacts corrects et utiles avec ceux qui n'ont pas encore adopté l'idéal communiste. Le propos porte-t-il engagement ? On s'en apercevra plus tard. Implique-t-il un retour de la politique russe aux atténuations de la Nep et donc un changement appréciable dans sa conception des relations économiques internationales ? Mais, même s'il en était ainsi, les Puissances européennes intéressées à défendre et à développer leur influence en Asie devraient s'attendre à s'armer pour la concurrence, et peut-être d'autant plus. La Russie des Tsars était un gouvernement très conservateur, et ceci n'empêchait pas los Anglais de lui disputer le marché des cotonnades, en Perse et même plus loin.
Nous sera-t-il permis de dire, en terminant, que la conquête pacifique des marchés auxquels on peut aujourd'hui accéder par l'Irak exige, pour être rapide et sûre, une politique de solidarité avec la France ? Ce n'est pas en cherchant des « routes de terre » vers l'Inde, divergentes et d'ailleurs encore hypothétiques, qu'on réussira à donner aux populaLions de l'Asie centrale l'impression d'un véritable effort européen, moins encore à « organiser » la pénétration progressive qui doit en être le but. Les Français sont en Syrie, les Anglais en Mésopotamie ils ont, au moins au delà, des intérêts commuas. Une entente et un rapprochement des moyens d'action pourrait produire, d'ici à quelques années, des résultats substantiels.
Charles Lois eau.
La question de la limitation
des armements navals
avant et après le Traité de Londres
Depuis le traité de Versailles nous assistons à de multiples tentatives faites en vue d'accroître la sécurité, de diminuer les risques d'agression, de restreindre les armements, de « ligoter la guerre ». Mais dans les problèmes internationaux, une question est au premier plan et domine l'actualité la question navale. On peut même dire que depuis la guerre, en dehors des restrictions imposées à l'armée allemande par le traité de paix, c'est seulement dans la question des armements navals que les discussions internationales ont permis de fixer des chiffres; c'est également cette question qui a suscité les plus grands risques de mésentente rivalité du Pacifique, rivalité anglo-américaine, rivalité franco-italienne. Cela tient à certaines causes générales que nous allons tenter d'indiquer.
1° Une armée forte et nombreuse, sans l'appui d'une marine puissante, n'est dangereuse que pour les États limitrophes, tandis qu'une marine puissante est en temps de paix un moyen de pression important
2° II est moins difficile de comparer deux flottes entre elles que deux armées effectivement, c'est dans les flottes que l'importance du matériel est la plus grande et tandis qu'il est difficile en temps de paix d'établir une comparaison entre la valeur de deux régiments d'infanterie appartenant à des armées différentes, par contre, les croiseurs récents de la classe A. par exemple (10.000t., artillerie 203 millimètres) ont tous des caractéristiques très voisines en outre, on ne peut guère se tromper sur la valeur relative de deux unités de surface contemporaines appartenant à deux classes différentes
3° Une armée du temps de paix est très différente de ce qu'elle serait après la mobilisation une marine part en guerre avec les unités de combat qu'elle possède d'avance (les bâtiments réquisitionnes et .armés ne sont que des auxiliaires)
4° Une armée est en général disséminée dans ses garnisons et ne peut entrer en campagne qu'après un délai de plusieurs jours l'action d'une marine peut être déclanchée en quelques heures. Il s'ensuit que c'est sur mer qu'une attaque brusquée peut avoir les plus importants résultats. Qu'il suffise de rappeler l'attaque des torpilleurs japonais sur Port Arthur cette attaque brusquée aboutit à la mise hors de combat momentanée des cuirassés Cesarevitch et Revitzane, du croiseur Pallada, handicap que les Russes ne purent jamais rattraper et qui fut un des facteurs décisifs de leur défaite. Nous ne connaissons pas d'exemple d'attaque brusquée sur terre qui ait amené en quelques heures un déséquilibre aussi important des forces en présence. Il est juste de dire que le développemenl de l'aéronautique, l'augmentation de la mobilité des troupes diminueraient la valeur de cette considération
5° Jusqu'à ces dernières années la valeur absolue du commerce extérieur des différentes nations n'a fait que s'accroître dans l'ensemble ainsi que l'importance des marines marchandes. La marine de guerre en devient d'autant plus importante.
Nous allons faire un historique succinct des réalisations effectuées dans le domaine du désarmement naval.
La première date est la limitation de la flotte allemande par le traité de Versailles 6 cuirassés type Deutschland, remplaçables par des unités de 10.000 tonnes, 6 croiseurs légers remplaçables à 6.000 tonnes., 12 destroyers remplaçables à 800 tonnes et 12 torpilleurs remplaçables à 200 tonnes, les âges de remplacement étant 20 ans à dater du lancement pour les cuirassés, 15 ans pour les autres unités, les sous-marins étant interdits.
La seconde est le traité de Washington passé entre les cinq principales puissances navales après la conférence qui se tint dans cette ville du 12 novembre 1921 au 6 février 1922 On peut dire également que c'est la plus importante réalisation, puisqu'elle a limité les bâtiments principaux des principales flottes, et que tous les efforts de réduction qui ont suivi ont été tentés pour combler les lacunes de ce traité et en quelque sorte comme pour lui donner une suite. Les tonnages globaux des bateaux de ligne ont été ainsi fixés Angleterre et Etats-Unis 525.000 tonnes, Japon 315.000 tonnes, Francc et Italie (avec plus de souplesse pour les unités de remplacement) 175.000 tonnes, le déplacement maximum d'un navire de ligne étant limité à 35.000 tonnes, son calibre maximum à 406 millimètres (16 pouces). On ne put aboutir à un
accord fixant le tonnage global des bâtiments légers le traité se borne à limiter les bâtiments légers au maximum de 10.000 tonnes, leur calibre à 203 millimètres (8 pouces) les allocations en porte-aéronefs sont fixées à 135.000 tonnes pour l'Angleterre et les Etats-Unis, 81.000 tonnes pour le Japon, 60.000 tonnes pour la France et l'Italie. Les règles de remplacement des unités limitées sont fixées. La conférence de Washington trancha, en outre, l'importante question des fortifications du Pacifique et donna lieu à 6 traités à caractère politique, neuf résolutions (dont huit consacrées à la Chine). Le traité naval est valable jusqu'au 31 décembre 1936.
Les ratifications furent échangées le 17 août 1923. En signant le procès-verbal d'échange des ratifications le représentant de la France fit les très importantes réserves suivantes « Le Gouvernement français « estime et a toujours estimé que les rapports des tonnages globaux « des bâtiments de ligne et des porte-aéronefs attribués à chacune des « puissances contractantes n'expriment pas l'importance relative des (c intérêts maritimes de ces puissances et ne peuvent être étendus à « des catégories de navires autres que celles pour lesquelles ils ont « été expressément stipulés. »
Nous ne reproduirons pas toutes les critiques qui ont été faites sur ce traité, particulièrement en France, critiques qui ont porté sur les principes (cristallisation d'une situation de fait consécutive à une guerre et à une course aux armements entre les Etats-Unis et le Japon), sur les méthodes (accord entre l'Angleterre et les Etats-Unis préliminaires à la Conférence, fixation arbitraire des chiffres français et italiens, limitation par catégories), sur les procédés mis en œuvre pour faire triompher ces méthodes (campagne de presse déclanchée pendant la conférence et créant autour des délégués français une atmosphère de suspicion, lecture en séance d'un article tronqué et dénaturé paru dans la Revue Maritime sous la signature du commandant Castex).
Dans le sein de la Société des Nations, la Commission préparatoire du désarmement instituée en décembre 1925 s'efforça de créer des échanges de vues sur le problème naval pour faciliter l'élaboration d'un texte permettant l'accord général. Des divergences s'y sont manifestées entre les pays anglo-saxons et la France au sujet du désarmement en général, et en particulier au point de vue de la limitation des armements navals. On voit s'y affronter la méthode britannique, qui consiste à diviser les bâtiments en catégories nombreuses, à limiter ensuite le tonnage de chaque catégorie, et la méthode française qui consiste à limiter le tonnage global, chaque nation étant libre
de le répartir à sa guise entre les diverses catégories. Ces deux thèses furent soutenues à la 3e session de la Commisssion préparatoire, respectivement par Lord Cecil et M. Paul-Boneour la thèse française rallia onze puissances dont l'Italie et l'Espagne, pendant que la thèse anglaise ralliait les Etats-Unis et le Japon, non sans quelques réserves. C'est alors (11 avril 192.7) que M. Paul-Boncour présenta la proposition navale transactionnelle française. Cette proposition aurait consisté pour chaque partie coni.ractantc à déclarer le tonnage global qu'elle estimait indispensable à la défense de ses intérêts a déclarer le tonnage global qu'elle s'engageait à ne pas dépasser pendant la durée de la Convention à déclarer la répartition du tonnage global entre les diverses catégories, chaque nation demeurant libre d'effectuer des transferts d'une catégorie à l'autre sous préavis d'un an. Cet effort de conciliation ne rallia pas l'Angleterre, et l'Italie trouva exagérées les concessions faites à la thèse du tonnage global.
Il était, en effet, essentiel de se mettre d'accord au préalable sur une méthode, pour éviter le retour des erreurs de Washington. Faute de cet accord préalable, la France refusa de se rendre à la Conférence de Genève sur l'invitation du gouvernement américain, désireux d'étendre à toutes les catégories de navires des limitations analogues à celles de Washington. Il serait exagéré de dire que cette conférence tripartite (Angleterre, Etats-Unis, Japon), qui se tint du 20 juin au 4 août 1927, ne donna aucun résultat on y a précisé la définition des croiseurs, destroyers, sous-marins et bâtiments spéciaux exempts de limitation nous retrouverons ces définitions très peu modifiées dans le traité de Londres. Mais elle ne réussit pas à limiter le tonnage de chaque catégorie pour les trois puissances représentées. On a pu critiquer les méthodes suivies; il y avait surtout des causes plus profondes d'échec. Il est inutile d'exposer la genèse du désaccord anglo-américain au sujet des croiseurs question capitale pour les deux nations parce que cette épineuse question a été résolue depuis à Londres. Il y avait aussi l'absence de la France et de l'Italie, qui rendait les trois puissances représentées peu désireuses d'arriver à un accord seulement tripartite, bien qu'on ait pudiquement dissimulé cette considération, et bien que l'Angleterre et les Etats-Unis affectent de s'intituler puissances navales océaniques, la France et l'Italie étant confinées dans le rôle de puissances navales européennes. Nous constatons incidemment que les dernières propositions émises à Genève s'apparentaient à la proposition transactionnelle française.
Nous ne faisons que mentionner le compromis naval franco-britannique (juillet 1928) parce que ce compromis n'eut pas de lende-
main les eiïorLs sincères de conciliation des gouvernements français et anglais furent mal interprétés à Washington et à Rome il est impossible de dire dans quelle mesure l'incident Hearst est responsable de cet échec.
Si nous avons énuméré les échecs subis depuis 1927 dans la recherchede résultats concrets, c'est que les conversations tenues depuis 1927 ont permis de déblayer le terrain et que ces échecs font mieux comprendre la portée des résultats consacrés par le traité de Londres auquel nous arrivons enfin.
Avant d'énumérer en chiffres arides les limitations réalisées, il est important de constater tout d'abord que l'invitation adressée le 7 octobre 1929 par le gouvernement britannique aux Puissances signataires du traité de Washington, en vue de la Conférence navale convoquée à Londres pour le 21 janvier 1930, spécifie qu'il ne s'agit en aucune manière de créer un organisme nouveau pour traiter du désarmement naval, mais de préparer un accord destiné à faciliter la tâche de la Commission préparatoire du désarmement et de la Conférence générale du désarmement. Bien que les Etats-Unis ne fassent pas partie de la Société des Nations, cette affirmation a une valeur indiscutable. Constatons, en outre, que le projet transactionnel français de limitation par tonnage global et répartition entre diverses catégories avec faculté de transfert fut admis comme base de discussion, et fut finalement retenu, mais très amendé par les Anglais sous le rapport des transferts.
Voici les résultats consacrés par le traité du 22 avril 1930
Les parties I, II, IV, et V sont communes aux cinq puissances. Il est convenu de ne pas exercer avant 1936 le droit à remplacement des unités de ligne qui viennent à limite d'âge, sous réserve que la France et l'Italie peuvent mettre en chantier le tonnage autorisé pour 1927 et 1929 (70.000 tonnes).
De nouvelles précisions sont édictées au sujet des porte-aéronefs, le calibre de ceux de 10.000 tonnes ou moins est limité à 155 millimètres (6,1 pouces).
Le déplacement unitaire des sous-marins est limité à 2.000 tonnes, leur calibre à 130 millimètres (5,1 pouces), sauf exception, pour chaque puissance, de 3 unités n'excédant pas 2.800 tonnes et d'un calibre ne dépassant pas 155 millimètres (6,1 pouces), le Surcouf français de 2.880 tonnes, armé de 203 millimètres, étant compris dans ce nombre. Les bâtiments spéciaux non sujets actuellement à limitation sont les suivants
a) Les bâtiments de surface de 600 tonnes ou moins
b) Ceux de 2.000 tonnes ou moins ne dépassant pas 20 nœuds, dépourvus de torpilles et armés d'au plus 4 pièces comprises entre 76 et 155 millimètres, celles inférieures à 76 millimètres étant illimitées
c) Ceux de plus de 2.000 tonnes utilisables pour le service de la flotte ou comme transports de troupes, avec les mêmes limitations d'armement qu'au paragraphe précédent et qui en outre doivent être démunis de blindage, inaptes au mouillage de mines et à l'atterrissage d'aéronefs à bord, ne pas avoir plus d'un appareil de lancement d'aéronefs dans l'axe (ou deux en abord), et ne pas pouvoir mettre en action en mer plus de trois aéronefs.
On prévoit la communication mutuelle de quelques caractéristiques principales des bâtiments de guerre mis sur cale, dans le délai d'un mois.
Les limites d'âge sont ainsi fixées Bâtiments de surface de 3.000 à 10.000 tonnes 16 ans à compter de l'achèvement pour les plus anciens, 20 ans pour les plus récents.
Bâtiments de surface de 3.000 tonnes ou moins 12 ans pour les plus anciens, 16 ans pour les plus récents.
Sous-marins 13 ans.
Enfin il est prévu que, dans leur action à l'égard des navires de commerce, les sous-marins doivent se conformer aux règles du droit international auxquelles sont soumis les bâtiments de guerre de surface. La partie III ne concerne que l'Angleterre, les Etats-Unis et le Japon
Les croiseurs sont définis comme des bâtiments de guerre de surface, autres que, les bâtiments de ligne, dont le déplacement type dépasse 1.850 tonnes, ou dont l'artillerie dépasse 130 millimètres (5,1 pouces). Il y a deux sous-classes la sous-classe (a) armée de canons dépassant 155 millimètres (6,1 pouces) et en vertu du traité de Washington ne dépassant pas 203 millimètres (8 pouces), et la sous-classe (b) armée de canons de 155 millimètres (6,1 pouces) ou moins.
Les destroyers sont les bâtiments de guerre de surface dont le déplacement ne dépasse pas 1.850 tonnes et dont l'artillerie ne dépasse pas le calibre de 130 millimètres (5,1 pouces).
Il y a lieu de constater que les « flotilla leaders » anglais rentrent dans la rubrique destroyers si les prescriptions précédentes de la partie III devenaient applicables à la France et à l' Italie, les «esploratori » italiens à l'exception du Premuda deviendraient des destroyers, et les contre-torpilleurs français type Tigre et suivants deviendraient des croiseurs de la classe (b).
15
Voici un tableau donnant le tonnage alloué par le traité dans chaque catégorie
T5*.n*.« rr Communauté de T
ÉtafevUlUB natta» tatanniqne JoP»n
Croiseurs classe (a) 180 000 148 800 108 400 Croiseurs classe (6) 143 500 192 200 100 450 Destroyers 150 000 150 000 105 500 Sous-marins 52 700 52 700 52 700
Dans ce qui précède, le déplacement est celui défini au traité de Washington, et qui est inférieur au déplacement maximum en tonnes métriques.
Le nombre maximum des croiseurs classe (a) (connus sous le nom de croiseurs Washington) est de 18 pour les Etats-Unis, 15 pour l'Empire britannique, 12 pour le Japon, les Etats-Unis ayant la faculté de substituer à 3 croiseurs (a) au maximum des croiseurs [b) totalisant 15.166 tonnes par croiseur [a) supprimé.
Enfin les trois puissances visées se sont réservé une clause de sauvegarde pour le cas où les exigences de leur sécurité nationale seraient matériellement affectées par les constructions nouvelles de toute autre puissance.
Nous avons fini d'examiner tous les résultats concrets obtenus et ratifiés.
Mais la limitation des armements navals ne peut être résolue que si, d'une part, ces résultats sont complétés, d'autre part, s'ils s'avèrent viables.
Pour les compléter, il faudrait tout d'abord pouvoir les étendre à toutes les puissances navales.
Le premier essai d'extension des principes du traité de Washington à des pays non signataires a été la conférence de Santiago du Chili qui se réunit sous l'égide des États-Unis, le 25 mars 1923, entre le Brésil, la République Argentine et le Chili. Elle ne réussit pas à limiter le tonnage des bâtiments de ligne pour ces trois Etats pour de simples raisons d'arithmétique. Les trois États possédaient chacun un ou deux superdreadnoughts le Brésil en avait deux de 19.200 tonnes, l'Argentine deux de 27.940 tonnes, et le Chili un de 28.000 tonnes. Que l'on se 15
mette d'accord sur le total respectif de 60.000,80.000 ou 90.000 tonnes, il était clair que la différence entre ce total et le chiffre existant ne pouvait représenter pour ces trois nations un nombre entier d'unités de 35.000 tonnes, déplacement défini à Washington aucune de ces nations ne voulut envisager de construire des unités d'un déplacement moindre que le déplacement standard et on préféra renoncer à aboutir dans cette voie. Le cas de ces nations secondaires met bien en évidence un défaut du principe de limitation par catégories.
La Société des Nations en vertu de l'article 8 du Pacte décida de considérer l'extension des principes du Traité de Washington à tous les États non signataires dudit Traité. Toutes les puissances navales possédant des bâtiments de ligne et non membres de la S. D. N. furent invitées à participer aux travaux de la Sous-Commission navale de la Commission permanente consultative. Cette Conférence de techniciens tint 12 séances du 14 au 25 février 1924 sous la présidence du contre-amiral suédois de Riben son but était d'étudier, du point de vue technique et de manière à assurer son acceptation universelle, le projet de convention pour l'extension des principes du Traité de Washington aux États non signataires. Il fut impossible de se mettre d'accord sur un principe de fixation du tonnage des bâtiments de ligne. Le principe dus tatu quohïaàatc du 12 novembre 1921, par imitation de Washington, ne suscita aucun enthousiasme. Le vice-amiral Jéhenne suggéra le statu quo du programme naval de 1914, et il est piquant de constater que le délégué britannique approuva entièrement cette manière de voir, mais il fut presque seul. Devant cet échec, la commission commença à examiner le projet de convention préparé par la Sous-Commission navale. Lors de la tentative de fixation du tonnage des bâtiments de ligne on se heurta à la curieuse prétention de l'U. R. S. S. à 490.000 tonnes de bâtiments de ligne. Les plus grandes divergences de vues se manifestèrent dans la discussion relative à la « trêve navale », presque chaque État réclamant en sa faveur une exception à la règle. Le Conseil de la Société des Nations transmit aux gouvernements les résultats de l'étude faite par cette commission préliminaire. La reprise de cette étude technique est le problème de demain. L'extension à la France et à l'Italie des résultats du Traité de Londres est une question qui demeure entière.
Le i er mars 1931 les conversations franco-italo-britanniques ont abouti à la signature de « bases d'accord dont il est utile d'étudier dans leur généralité deux points principaux, bien que ces bases ne soient pas entrées en vigueur.
Avant le 31 décembre 1936, la France et l'Italie convenaient de mettre
en service respectivement deux bâtiments de ligne ne dépassant pas 23.333 tonnes et armés au maximum de 305 millimètres (12 pouces). C'est une importante réduction sur le déplacement et le calibrelimite de Washington, toujours en vigueur, bien qu'à maintes reprises plusieurs nations aient souhaité voir réduire les caractéristiques maxima du bâtiment de ligne. Peut-être la France et l'Italie avaient-elles escompté que leur exemple serait imité. Or la presse américaine enlève toute illusion à cet égard les difficultés de ratification d'un nouveau traité constitueraient certes un obstacle, mais on met en avant la question de sécurité. S'agirait-il d'une question de rayon d'action ? On sait que c'est pour cette raison que les Américains tenaient à consacrer la plus grande partie de leur tonnage de croiseurs en unités type (a) du déplacement maximum de 10.000 tonnes. Nous ne pensons pourtant pas que cette raison soit valable pour des unités de 23.000 tonnes qui, eu égard aux progrès récents, peuvent posséder une autonomie considérable. Nous aurions tendance à croire personnellement qu'il y a là une question de recrutement des équipages. Effectivement, à tonnage global égal, l'effectif nécessaire est d'autant plus grand que le déplacement unitaire est plus petit. Quoiqu'il en soit cette volonté américaine de maintenir les limites unitaires de Washington paraît bien de nature à modifier les intentions de la France et de l'Italie.
Il était spécifié qu'aucun précédent n'était créé touchant la solution définitive de la question de savoir si, et de quelle manière, le tonnage demeurant hors d'âge au 31 décembre 1936 pourrait être finalement remplacé.
Sans connaître la cause exacte de l'arrêt des négociations de l'accord naval anglo-franco-italien,il semble bien que la raison principale en soit la différence d'interprétation de cette clause, d'une part par la France, d'autre part par l'Angleterre et l'Italie.
La France aurait compris qu'elle était libre de mettre en chantier avant le 31 décembre 1936 les unités de remplacement destinées à être achevées après cette date. Les Anglais et les Italiens auraient estimé au contraire que le remplacement du tonnage hors d'âge ne pouvait en aucune façon être examiné avant la fin de 1936. Cette dernière interprétation n'aurait pratiquement laissé à la France, fin 36, qu'une marge de bâtiments hors d'âge et aurait abouti à une situation très voisine de la parité de fait entre cette puissance et l'Italie.
Il semble donc difficile que la France puisse éviter d'accepter le
débat sur la question de la parité. Il est hors de doute que Washington ne peut constituer un argument en faveur de la parité, en raison des réserves officielles faites lors de la ratification. Si la France a pu contre-signer les 175.000 tonnes de bâtiments de ligne allouées à Washington, c'est que les circonstances le lui permettaient sa flotte de cuirassés équilibrait le total des cuirassés italiens et allemands. Il n'en est plus de même avec les petits cuirassés de 10.000 tonnes que construit l'Allemagne ils sont beaucoup plus rapides que n'importe lequel des vieux cuirassés français et si, à chaque cuirassé neuf que la France construit, l'Italie en met sur cale un semblable, la France n'aura rien qui corresponde aux nouveaux Deutschland.
On peut reprocher à toutes ces conversations sur les armements navals d'avoir été dominées par des questions d'opportunité, par l'actualité immédiate, qu'on s'est efforcé de stabiliser à la manière de Josué disant au soleil « Arrête-toi » On n'a pas suffisamment songé aux évolutions de l'avenir.
Sans doute, actuellement les flottes américaine et anglaise s'équilibrent dans l'Atlantique, les flottes américaine et japonaise s'équilibrent dans le Pacifique, ce qui garantit dans une certaine mesure la paix et, par là, les possessions des tierces puissances. Mais cet équilibre peut se trouver rompu du fait de circonstances indépendantes des traités navals. Le traité de Washington expire le 31 décembre 1.936, et il semble probable qu'une révision légitime de ses coefficients sera alors envisagée.
Robert Pelletiek-Doisy,
Lieutenant de vaisseau.
LA VIE DIPLOMATIQUE
Ephémérides Internationales
Mai 1931
1. Adoption, par la Chambre italienne, du projet de loi approuvant l'accord italo-suisse signé à Rome le 19 décembre 1930, concernant la circulation frontalière des véhicules.
Ouverture, à Budapest, des négociations en vue d'un traité de commerce entre la Hongrie et la Tchécoslovaquie.
2. Clôture des travaux du Comité d'experts chargé par la Société des Nations de l'unification de la nomenclature douanière.
3. Ouverture, à Bucarest, de la Conférence annuelle de la Petite Entente.
Signature, à Bucarest, d'un accord polono-roumain relatif aux communications aériennes.
Fin de la crise ministérielle bulgare par le maintien sans changement du Cabinet Liaptchev.
4. Entrevue, près de Drenkova, du roi Carol II de Roumanie et du roi Alexandre Ier de Yougoslavie.
Ouverture, à Washington, du sixième Congrès bisannuel de la Chambre de Commerce internationale.
Décret du gouvernement chinois prévoyant, à partir du 1er janvier 1932, un statut nouveau des étrangers.
Entrée en vigueur de la convention provisoire de navigation du 2/1 avril 1931 entre la France et la Finlande.
Arrivée de M. Albert Thomas en Albanie.
Moustapha Kemal pacha est réélu à l'unanimité président de République turque pour quatre ans.
5. Clôture, à Bucarest, de la Conférence de la Petite Entente. Clôture, à Bruxelles, des travaux de la Commission nommée par
la Banque des Règlements internationaux pour développer les crédits à moyen terme.
Déclaration du gouvernement polonais concernant l'échange des instruments de ratification de l'arrangement commercial polonoégyptien du 22 avril 1930.
Ouverture, à Nankin, de la Convention nationale chinoise. 6. Ouverture, à Genève, de la 41e session du Comité financier de la Société des Nations.
Ouverture, à Paris, de l'Exposition internationale coloniale. Célébration, à Londres, du 21e anniversaire de l'accession au trône du roi George V.
Suspension des négociations anglo-chinoises sur l'exterritorialité. Signature, à Moscou, d'un protocole prorogeant pour cinq ans le pacte de non-agression et de neutralité conclu le 28 septembre 1926 entre l'Union soviétique et la Lituanie.
7. Rupture des négociations économiques entre la Roumanie et l'Allemagne sur la base du tarif préférentiel.
8. Démission, à Oslo, du Cabinet Mowinckel.
Clôture, à Genève, des travaux de la 17esession du Comité d'Hygiène. Signature, à Paris, de l'emprunt yougoslave international de 1.025 millions de francs pour la stabilisation du dinar.
9. Vote, par la Convention nationale chinoise réunie à Nankin, d'une motion contre les traités inégaux.
Clôture des travaux de la Chambre de Commerce internationale. Ratification, à Bruxelles, de la convention internationale des sucrea par Cuba, .lava, l'Allemagne, la Belgique, la Hongrie, :la Pologne et la Tchécoslovaquie.
Signature, à Rome, d'un avenant au traité^ de commerce austroitalien.
10. Constitution, à Oslo, du Cabinet Till Kolstad.
11. Réunion, à Genève, du Comité spécial chargé par le Conseil de la Société des Nations d'établir un texte de convention générale en vue de renforcer les moyens de prévenir la guerre.
Promulgation, à Belgrade, de la loi de stabilisation du dinar. 12. La Convention nationale chinoise adopte la constitution provisoire de la République, et maintient Nankin^au rang de 'capitale. Conclusion, à Rome, d'un accord de principe™entre l'Italie et l'Autriche concernant les échanges commerciaux.
Publication, au Caire, d'un acte de l'ex-khédive'"Abbas Hilmy II, par lequel il renonce à toute prétention au trône et reconnaît le régime actuel.
13. Élection présidentielle en France. M. Paul Doumer est élu par 504 voix sur 883 suffrages exprimés.
15. Première séance, à Genève, de la 3e session de la Commission d'étude pour l'Union européenne.
Remise par le Saint-Siège d'une note au Cabinet espagnol pour protester contre les actes de vandalisme dirigés contre les établissements religieux.
Réunion, à Genève, du Comité de contrôle de l'emprunt autrichien de 1922.
16. Signature, à Rome, d'une convention italo-britannique relative à la création de lignes aériennes de transport.
Signature, à Bruxelles, d'une convention franco-belge sur les doubles imp ositions.
Vote par la Convention nationale chinoise d'une résolution fixant au 1er juin l'entrée en vigueur de la Constitution républicaine. Note du gouvernement finlandais au gouvernement soviétique. 17. Ouverture, à Belgrade, de la Conférence internationale féminine pour la paix et le désarmement.
Clôture de la Convention nationale chinoise.
18. Ouverture, à Genève, de la 63e session du Conseil de la Société des Nations.
Ouverture, à Bâle, de la Conférence des gouverneurs de Banques d'émission.
Ouverture, à Londres, de la Conférence internationale du blé, groupant les représentants des pays exportateurs, inclus la Russie et les États-Unis.
Ouverture, à Londres, du Congrès de la Confédération internationale des Sociétés des auteurs.
Clôture, à Berne, des travaux du Comité consultatif international des communications télégraphiques.
Ratification, à Bagdad, de l'accord entre le gouvernement de l'Irak et la Compagnie des pétroles décidant la construction d'une double canalisation sur Tripoli de Syrie et sur Caïfa.
Reprise, à Nankin, des négociations anglo-chinoises sur l'exterritorialité.
Fin des élections égyptiennes du premier degré.
19. Clôture de la Conférence internationale féminine pour la paix et le désarmement.
20. Session, à Budapest, du Congrès international des sciences historiques.
21. Démission, à Bruxelles, du Cabinet Jaspar.
23. Signature, à Athènes, d'un arrangement commercial grécofrançais.
Clôture des travaux du Congrès international des sciences historiques.
24. Clôture de la Conférence du blé.
Ouverture, à Budapest, de la XVe Assemblée plénière de l'Union internationale des associations pour la Société des Nations.
Signature, à Rome, d'une convention italo-tchécoslovaque réglant l'échange des documents concernant les membres de l'ancienne armée austro-hongroise devenus citoyens de l'un des dcux pays.
25. Publication, à Moscou, de la réponse soviétique à la note du gouvernement finlandais du 16 mai.
Echange, à Rome, des ratifications de la convention monétaire entre le Saint-Siège et l'Italie.
26. – Démission, à Varsovie, du Cabinat Slawek.
A Oslo, le Conseil de l'Arctique, commission consultative officielle pour toutes les questions concernant l'Arctique, demande que le gouvernement étende la souveraineté norvégienne à une partie du Grœnland oriental, à la région située au nord de Schoresby Sund.
Ouverture, à Prague, de la XVIIe assemblée de la Conférence parlementaire internationale du commerce.
27. Ouverture, à Genève, de la Conférence internationale pour la limitation de la fabrication des stupéfiants.
Ouverture, à Paris, du premier Congrès international des sociétés professionnelles de gens de lettres.
Ouverture, à Sofia, de la Conférence agricole des Etats balkaniques. Echange, à Vienne, des instruments de ratification du traité d'arbitrage et d'amitié entre l'Autriche et les Etats-Unis.
Ordonnance du président de la Cour permanente de Justice Internationale fixant au 1er juillet le délai final pour la procédure écrite dans l'affaire de l'Union douanière germano-autrichienne.
Constitution, à Varsovie, du Cabinet Prystor.
28. Ouverture, à Genève, de la XVe session de la Conférence Internationale du Travail.
Ouverture, à Genève, de la XVIe session de la Commission consultative et technique des communications et du transit de la Société des Nations.
Clôture des travaux de l'Union internationale des associations pour la Société des Nations.
29. Clôture de la Conférence parlementaire internationale du commerce.
Clôture du Congrès international des sociétés professionnelles de gens de lettres.
30. Clôture de la Conférence agricole des Etats balkaniques. Nominations
Abyssinie. M. Bedjirond Zallaka Aguedeou, ministre à Paris. Afghanistan. Chah Ouali Khan, ministre à Paris.
Allemagne. MM. Forster, conseiller à Paris von Graewenitz, conseiller à Ankara Martin von Janson, secrétaire à Belgrade Sigismund von Bibra, secrétaire à Prague. Suppression de la légation de Prusse à Munich.
Argentine. Le Dr Enrique Ruiz Guinazu, ministre à Berne MM. Juan M. Garcia Montero, secrétaire à Cuba Luis S. Suti, secrétaire à Mexico Eduardo Shiaffino, consul général à Athènes. Autriche. En Chine, la représentation diplomatique est assurée par la légation des Pays-Bas à Pékin au Japon, par la légation de Suède à Tokio au Siam, en Abyssinie et dans l'Equateur, par les légations d'Allemagne.
La représentation consulaire a été confiée aux consulats ou agences consulaires de puissances amies dans les territoires suivants Dans le vilayet turc de Smyrne, au consul général des Pays-Bas à Smyrne
Dans l'Irak, au consulat allemand de Bagdad
Dans la Malacca britannique (Straits-Settlements), au consulat allemand de Singapour
Dans l'Est africain portugais et l'Ouest africain portugais (Angola), aux consulats allemands de Lorenzo Marques et de Loand;
Dans la colonie de Kenya, dans l'Ouganda, dans le Tanganyka et à Zanzibar, au consulat allemand de Nairobi
Dans l'Union sud-africaine, aux agences consulaires italiennes. Brésil. MM. Francisco Pimentel, ministre à Varsovie Joaquin Luna Moniz de Aragao, ministre à Caracas J. Macia, consul général à Anvers.
Bulgarie. M. Arthur Refeld, consul général à Munich.
Chili. – MM. Pablo Ramirez, ministre à Paris Echenegue, chargé d'affaires à Ankara.
Chine. M. Chien Jung-Ming, ministre à Paris.
Danemark. M. Peter Christian Schou, ministre à Athènes et Ankara. Création à Montreux d'un vice-consulat dont le titulaire est M. Victor Romanello Holbech.
Dominieaine (République). Le Dr Enriquez y Carvajal, ministre à Port-au-Prince.
Espagne. MM. Rafael Lopez de Lago, premier introducteur des ambassadeurs Alfonso Danvila y Burguero, ambassadeur à Paris Luis Dupuy de Lôme, conseiller à Berlin Alvarez Builla, conseiller à Paris Eduardo Sebastian de Erice O'Shea, au consulat général à Montevideo Luis Monguio y Primatesta, au consulat général à Valparaiso German Buriel, au consulat général à Anvers Manuel Onos, secrétaire à Oslo Manuel Galan y Pacheco de Padilla, consul à Lyon. Etats-Unis. M. Harvey Bundy, secrétaire adjoint du département d'Etat, en remplacement de M. Castle nommé sous-secrétaire d'Etat M. L. S. Swenson, ministre à La Haye.
France. MM. Corbin, ambassadeur à Bruxelles Jean Herbette, ambassadeur à Madrid Joubert, consul à Auckland (Nouvelle-Zélande) le chef de bataillon Bonavite, attaché militaire en Chine. Grande-Bretagne Le capitaine de vaisseau Holland, chef de la mission navale à Athènes.
Grèce. MM. Alex. Vouros, ministre à La Haye P. Capsambelis ministre au Caire S. Marchettis, conseiller à Paris A. Drossos, conseiller à Berlin A. Papadakis, conseiller à Rome Chr. Diamantopoulos, conseiller à Londres N. Bistis, consul général à Shanghaï D. Kypraios, consul général à Milan B. Mammonas, consul général à Téhéran S. Papandréou, consul général à Varna G. Tzivoglou, consul général à Montréal A. Drakopoulos, consul général à Londres S. Saltaferas, consul général à Bruxelles Triantaphyllakos, consul général
à Constantinople A. Gogos, consul général à Galatz N. Lelis, secrétaire à Washington A. Vryzakis, secrétaire à Prague P. Délyannis, secrétaire à la délégation de Genève Kindynis, secrétaire à Londres E. Zannos, secrétaire à Budapest Tzirakopoulos, secrétaire à Vienne L. Gaphos, secrétaire à Moscou N. Anissas, secrétaire à Berne J. Stéphanou et B. Lappas, secrétaires à Sofia G. Triantaphyllinis et C. Vatikiotis, secrétaires à Belgrade S. Lascaris, secrétaire à Ankara P. Almanachos, secrétaire à Varsovie N. Tserepis, consul à Lcucosie D. Inglesis, consul à Port-Saïd El. Pichéon, consul à Cardiff J. Candis, consul à Trieste P. Daskalopoulos, vice-consul à Bourgas G. Bouboulis, vice-consul à Miniah G. Argyropoulos, vice-consul à Sulina A. Colovos, vice-consul à Tripoli F. Filonos, vice-consul à Zagazig P. Androulis, secrétaire du consulat général à New-York Gaetano Storaci, agent consulaire à Oneglia (Italie) Mauritz Magnuson, consul honoraire à Sundsvall (Suède) Reginald E. A. Webster, consul honoraire à Dar-es-Salam Oscar Seppelt, consul honoraire à Adelaïde (Australie) Stefano de Pancera, consul honoraire à Fiume.
Guatemala. MM. Julio Valdes Jauregui, consul général à BuenosAires Virgilio Rodriguez Betela, consul général à Madrid Ramiro Giron, consul général à Londres Juan Besson, consul à Maracaibo (Venezuela) Agustin Quixal Mas, consul à Alger Antonio Wiatrak, consul à Dantzig Arthur E. Curtis, consul à Miami (Etats-Unis) Manuel Mier y Teran, consul à Puerto de Progrcso (Mexique) Mme Maria Albertina Dubois de Hencke, consul à Managua (Nicaragua) Jorge Urdiales, consul à Mariscal (Mexique) German Struck, consul à Merida (Mexique).
Hongrie. MM. Victor Régnier, secrétaire à Sofia François de Rosty Forgach, secrétaire à Prague.
Italie. Le commandant Trionfi, attaché naval à Athènes. Création d'un consulat à Belfort.
Japon. MM. Kawaï, ministre à Varsovie Hori, ministre à Mexico Iwate, consul général à Honolulu.
Pérou. MM. Edmundo de la Fuente, conseiller à Paris Enrique D. Barreda, attaché à Paris Henry Haaker, consul honoraire à Lausanne.
Pologne. MM. Jules Lukasiewicz, ministre à Vienne Stanislas Lepkowski, ministre à Budapest Adam Lisiewicz, consul général à Munich Tadeusz Lubaczewski, conseiller commercial à Belgrade Jean Karuzewski, consul à Lyon Héliodore Sztark, consul à Stettin Georges Lechowski, consul à Strasbourg Adam Mikucki, consul à Toulouse Waclaw Zbyszewski, attaché consulaire à la légation de Tokio Dostal, vice-consul à Anvers. Le consulat général de Mexico est élevé au rang de légation M. Merdinger, consul général, est nommé chargé d'affaires.
Société des Nations. Le Conseil nomme M. Benzinger, chef de la section consulaire au département suisse des Affaires Etrangères, président du Conseil du Port à Dantzig.
Tchécoslovaquie. M. Joseph Pavlovsky, consul à Alger Rob. Ch. Hancock, consul à Brisbane (Australie).
Turquie. Suleiman Chevket bey, ministre à Prague; Hamdoullah Soubhi bey, ministre à Bucarest Chevki bey, président de la délégation turque à la Commission mixte d'échange.
Uruguay. – Le E>r German Roosen Regalia, secrétaire à Buenos-Aires. Vatican. – Mgr Lari, archevêque de Tyr, délégué apostolique en Perse.
Yougoslavie. MM. Koïtch et Miloyé Smilianovitch, secrétaires à Sofia le général de brigade Michel Nenadovitch, attaché militaire à Paris, Londres et Madrid, avec résidence à Paris le colonel Borivojc lossimovitch, attaché militaire à Prague.
Nota Prière d'envoyer au Secrétariat de la Revue toutes les informations se rapportant à la vie diplomatique.
LES ÉTATS ET LEUR POLITIQUE ÉTRANGÈRE
Belgique
Les rapports avec la Hollande, point névralgique de la politique extérieure belge, restent délicats. Mais, si la question de la liaison d'Anvers au Rhin n'a pas sensiblement progressé, les relations commerciales des deux pays se sont un peu améliorées. L'idée d'un accord économique hollando-belge a été traitée avec sympathie et les journaux de Wallonie ont même suggéré une entente régionale d'Occident (France-Belgique-Pays-Bas) pour conjurer la menace d'union douanière austro-allemande. Cette suggestion a trouvé un écho dans un communiqué de la commission des Affaires Étrangères de l'Assemblée wallonne, préconisant l'abandon de la politique d'isolement suivie jusqu'ici par la Belgique. Ainsi le problème hollando-belge revêtirait un aspect nouveau la question de Terneuzen, celle de Wielingen et de l'Escaut, celle des canaux, des ports, des communications ferroviaires pourraient être envisagées en fonction de nouvelles nécessités économiques et plus aisément résolues dans le cadre d'un réaménagement général.
De vifs débats ont eu lieu en avril au Parlement à l'occasion de la proposition du leader socialiste, YI. Vandervelde, tendant à dénoncer à l'amiable l'accord franco-belge, vu que celui-ci est « absorbé » dans les accords de Locarno. M. Devèze, libéral, a véhémentement combattu cette proposition et reproché à M. Vandervelde de s'opposer au vote des dépenses militaires belges tout en approuvant les socialistes allemands qui ont permis la contruction d'un croiseur cuirassé. « Ce serait bâtir sur le sable mouvant que de donner au désarmement une autre base internationale que la fondation solide de traités ayant pleine force obligatoire et pleine validité juridique. »
Cette controverse a été close à la Chambre par l'adoption de tous les articles du budget, mais elle a trouvé dans les journaux une répercussion prolongée et elle a rebondi à la fin d'avril sur la question des crédits supplémentaires pour les armements.
Le ministre de la Défense nationale, lI. de Broqueville, a alors rappelé à la Chambre qu'en dépit de son pacifisme, la Belgique a toujours été le champ de bataille de l'Europe. Il a constaté que la Société des Nations n'avait pas à sa disposition de forces pour imposer ses décisions et que, si la Belgique voulait être aidée dans sa défense, elle devait commencer par s'aider elle-même. Il a fait observer que les forts élevés par la France sur sa frontière de l'Est, en rendant impossible une attaque de ce côté, exposent la Belgique à une nouvelle invasion. D'où le système de défense soumis au Parlement, système dont le ministre a pris soin de dire qu'il ne visait en aucune façon la Hollande. La discussion qui s'ensuivit mit en question tous les aspects de la position internationale de la Belgique. M. Vandervelcle se fit l'apôtre du désarmement unilatéral, afin que la Belgique puisse un jour se prévaloir vis-à-vis de l'Allemagne de l'influence morale conquise par sa volonté de ne pas armer contre elle.
Mais entre-temps un remaniement partiel du Cabinet, effectué par M. Jaspar sans consultation des chefs de groupes de la majorité, entraîna la défection de celle-ci et le président dut remettre au roi la démission collective de son ministère (21 mai;. La question militaire, le problème linguistique et les remèdes à la crise financière constituaient les bases nécessaires d'entente pour une nouvelle coalition. La crise se termina au bout de quinze jours par la constitution (5 juin) d'un cabinet de coalition libérale catholique présidé par M. Renkin.
La présence de M. Hymans à la tête des Affaires Etrangères maintient celle-ci dans la ligne de la politique traditionnelle belge, s appuyant à la fois sur la France et l'Angleterre et poursuivant, dans l'esprit de Genève, une action de coopération européenne.
C'est d'ailleurs le sens de la déclaration ministérielle du 11 juin, qui annonce que le Cabinet demandera le vote des crédits nécessaires à la défense, nationale et conclut
« Le gouvernement assurera la continuité de la politique extérieure suivie par les Cabinets précédents. Cette politique, qui nous est dictée par la situation de notre pays, correspond en même temps aux aspirations de notre peuple et le Parlement lui a donné sans distinction de parti sa constante approbation. Il ne cessera d'apporter sa loyale collaboration à l'œuvre de paix et de progrès économique qui se poursuit à la
Société des Nations, certain que le bien-être de notre patrie est étroitement lié à la prospérité des autres peuples. Les difficultés économiques dont souffrent tous les pays trouveront des remèdes efficaces dans l'amélioration du régime des échanges et dans l'heureux résultat des elforts entrepris pour assurer la coopération des Etats européens. Placée au carrefour des grandes voies de communication de l'Europe, la Belgique se doit d'être un des premiers centres de distribution du monde, tant pour les marchandises que pour les capitaux. »
Canada
La présentation du projet de budget par M. Bennett, premier ministre, montre la volonté du gouvernement de réaliser avec ampleur la politique protectionniste sur laquelle s'est faite sa campagne électorale. Les changements de tarifs affectent un chiffre d'importations de l'ordre de 200 millions de dollars et, si on les rapproche des changements décidés lors de la session extraordinaire, on constate que la moitié du commerce canadien d'importation est appelé à sentir l'effet du nouveau tarif.
Ce sont sans doute les Etats-Unis qui vont subir le plus fortement les conséquences de ces changements, dans lesquels les démocrates voient une réponse au tarif Hoover-Grundy.
Le projet de budget tend par ailleurs à un renforcement du régime protectionniste en augmentant les pouvoirs du gouvernement celui-ci serait autorisé à imposer, par la simple voie d'un « ordre en Conseil », une surtaxe de 33 1/3 sur les importations de tout pays qui traiterait les produits canadiens moins favorablement que ceux d'autres régions le Cabinet pourrait aussi, dans la détermination des valeurs pour la perception des droits, tenir compte des frais de transports, de publicité, etc. il pourrait enfin, toujours par ordre en Conseil, retirer le bénéfice du tarif préférentiel britannique à tout pays autre que la Grande-Bretagne. Enfin le projet propose un droit de 25 sur tous les articles qui ne sont pas spécifiquement énumérés dans le tarif. Au moment môme où le projet est publié, la lutte de tarifs entre le Canada et la Nouvelle-Zélande prend une acuité particulière. Un ordre en Conseil, publié à Wellington le ier juin, enlève à presque toutes les exportations canadiennes le bénéfice du tarif préférentiel britannique et les soumet au tarif général. La mesure est présentée comme consé-
cutive à l'échec des négociations engagées à la suite de l'accroissement des droits sur le beurre néo-zélandais. Elle ne met d'ailleurs pas fin aux pourparlers de part et d'autre on déclara qu'ils continuent et, dans sa session annuelle, l'Association des industriels canadiens vient de demander au Gouvernement de travailler au maintien d'un accord préférentiel entre les deux Dominions.
Danemark
La crise politique qui a éclaté en Islande au milieu d'avril s'est développée dans un scns qui risque d'affecter la forme du régime en vigueur dans ce pays et, partant, l'union personnelle dano-islandaise. Le 14 avril, le roi a accordé au président du Conseil islandais la dissolution de l'Alting et les élections ont été fixées au 12 juin. Dans le Parlement dissous, le parti progressiste paysan (parti danophile) comptait 20 membres, contre 5 socialistes et ±7 autonomistes. La fraction socialiste islandaise, passée à l'opposition, a décidé de travailler à dénouer l'union avec le Danemark et à établir la république, dès que ce serait possible, c'est-à-dire après expiration du contrat formel qui régit l'Union. En 1913, en effet, l'Islande aura occasion de décider, par un référendum, de la continuation ou de la rupture de l'union avec le Danemark. Mais il a toujours été admis jusqu'ici que, dans tous les cas, la communauté de souverain subsisterait. Les socialistes ont d'ailleurs précédemment déclaré qu'ils ne pensaient nullement à collaborer avec les autonomistes, «qui sont un parti bourgeois et nationaliste, aux buts bien différents de l'idéal socialiste. »
Des manifestations assez vives eurent lieu à Reykjavik contre la dissolution, auxquelles prit part l'Union des étudiants. La légation danoise fut l'objet de démonstru lions hostiles. Peu à peu cependant l'opposition rentra dans les normes de l'activité parlementaire et engagea la lutte sur le terrain électoral, non sans avoir dénoncé les « défauts » d'un régime qui permet à un premier ministre (M. Thorallsson) de « se servir de la connaissance défectueuse d'un pays lointain chez le roi pour traiter comme il l'a fait l'assemblée législative islandaise ».
Interpellé au Folketing sur les manifestations anti-danoises. M. Stauning, ministre d'Etat, reconnut la réalité du mouvement séparatiste et ajouta que ni le ministère danois, ni sa légation à Reykjavik ne se
mêlaient des affaires d'Islande. Il s'agissait d'une lutte entre l'opposition et le gouvernement, lutte à laquelle la personne du roi Christian n'avait pas lieu d'être impliquée.
La presse scandinave porta une vive attention à ces incidents. Les journaux norvégiens y virent une crise comparable à celle qui existait au temps de l'union de la Suède et de la Norvège. Plusieurs d'entre eux présentèrent les récents incidents comme le glas de l'Union du Danemark et de l'Islande.
L'opinion suédoise jugea la crise avec moins de pessimisme. La Gœteborgs Handels Tidning déclara que l'Islande, avec son « nationalisme atomique », versait à son tour dans l'antique tradition scandinave de disputes, querelles et divisions. « Qui ne croirait que, pour la poignée de gens habitant l'Islande, ce devrait être un avantage inappréciable d'avoir des liens avec un autre peuple apparenté ? Le Danemark n'est pas un grand pays, mais a pourtant dans le monde une position il est comme le débarcadère de l'Islande en Europe. »
Vers la fin de mai, les journaux danois, annonçant le prochain départ de grandes expéditions pour le Groenland oriental, laissèrent entendre que ces expéditions exerceraient des droits de police dans la région.
Cette nouvelle ranima une vieille querelle. La Norvège, comme on le sait, a toujours refusé de reconnaître la souveraineté du Danemark sur la partie du Groenland située au nord de Schoresby Sund parce qu'elle considère le Groenland comme terra nullius.
Le Conseil norvégien de l'Arctique fit en conséquence une démarche auprès du gouvernement d'Oslo pour obtenir de celui-ci qu'il étende la souveraineté norvégienne aux régions groenlandaises colonisées par des chasseurs norvégiens.
A la suite de cette démarche et des polémiques de presse auxquelles elle donna lieu, le ministre d'Etat danois, M. Stauning, se borna à déclarer
« Si les Norvégiens portent atteinte d'une manière quelconque à la souveraineté danoise sur le Groenland, le gouvernement danois aura recours au Tribunal international, la souveraineté du Danemark sur le Groenland ayant été reconnue par tous les Etats à l'exception de la Norvège. »
Les choses on sont là.
France
La reprise des travaux parlementaires (5 mai) s'est effectuée sous la double préoccupation de l'élection présidentielle et de la menace d'assimilation douanière austro-allemande.
L'opinion française a, en effet, vivement réagi contre cette menace, où Ù elle voit une étape de l'Anschluss, sinon du MiLteleuropa. Venant au moment où se posait la question du choix d'un successeur à M. Doumergue, cette réaction a créé une prompte confusion entre deux questions d'un ordre très différent et il en est résulté une certaine difficulté pour l'exacte intelligence des événements importants qui ont marqué cette période.
La confusion s'est accrue du fait qu'on ignorait encore au début du mois si M. Briand, ministre des Affaires Etrangères, se laisserait porter candidat à la présidence de la République.
Le 7, l'ordre du jour de la Chambre appela la discussion des interpellations sur la politique extérieure du gouvernement et, notamment, sur la question de l'accord douanier austro-allemand.
Ces interpellations permirent à M. Briand de remporter un des plus brillants succès de sa carrière. Le ministre des Affaires Etrangères, rappela qu'il avait toujours trouvé l'appui dela Chambre et du Sénat dans sa politique de compréhension et de pacification entre les hommes d'Etat européens. Il déclara qu'il n'avait rien à rétracter de cette politique, dont il revendiquait la pleine responsabilité. « La manière, ajouta-t-il, dont l'Anschluss a jailli, au moment où la situation était calme, n'a reçu d'approbation nulle part. L'Allemagne a commis une lourde faute. Je le lui ai dit. J'ai envoyé un télégramme prévenant que l'entreprise était attentatoire aux traités et aux conventions. Tout de suite, position a été prise. Il y a un endroit, la Société des Nations, où ces différends peuvent être portés. La France n'est pas isolée. Je sens autour d'elle une parfaite atmosphère de cordialité. Nous disposons de moyens de paix. Nous avons nos amis. Voulez-vous rompre les relations ? Voulez-vous que le peuple allemand redevienne l'ennemi ? Est-ce là un bel avenir ? Je ne suis pas l'homme de cette politique. » Après une vigoureuse intervention de M. Herriot, orateur du parti radical-socialiste, qui tint à marquer que la question était d'ordre purement international, et nullement personnelle, ni intérieure, le vote de la Chambre condamna par 470 voix le projet d'union doua-
nière austro-allemand et approuva les déclarations du gouvernement par 430 voix contre 52.
Le bureau du groupe radical-socialiste de la Chambre s'était mis la veille en rapport avec les autre groupes de gauche au Sénat et à la Chambre en vue d'une démarche invitant M. Briand à laisser poser sa candidature à la présidence. Après diverses consultations, un certain nombre de parlementaires se rendirent auprès du ministre des Affaires Etrangères et obtinrent de lui (11 mai) l'acquiescement désiré. Sitôt la nouvelle connue, des considérations de politique intérieure prirent le dessus, les unes favorables, les autres défavorables à cette candidature. Certains groupes comme la fraction radicale-socialiste du Sénat marquèrent une attitude réservée. Une partie de la presse modérée observa que ce n'était pas l'orientation de la politique étrangère de la France qui était en jeu, comme on paraissait le croire à l'étranger, mais sa direction.
Le jour de l'élection (13 mai) MM. Briand et Doumcr étaient les deux principaux candidats en présence. N'ayant pas obtenu la majorité au premier tour, M. Briand se désista. M. Doumer fut alors élu par 504 voix contre 334 au sénateur Marraud, candidat au second tour. Ce résultat fut accueilli à l'étranger avec une surprise générale. Exprimant une opinion assez courante, le Journal de Genève commenta l'événement en ces termes
« M. Briand a sacrifié sa popularité, au cours de ces dernières semaines, dans l'intérêt de l'Europe..Il n'a pas voulu permettre que l'union douanière austro-allemande pût créer entre la France et l'Allemagne un état de tension, dangereux pour la paix il n'a pas cherché l'humiliation de l'Allemagne, mais s'est efforcé de réserver l'avenir. C'est de cela qu'une partie de l'opinion française s'est irritée. C'est de cela que nous tenons à lui exprimer ici notre reconnaissance. » Ceci dit, il n'y avait nul motif d'interpréter le vote du 13 mai comme un changement d'orientation dans la politique française. Que l'opinion profondément émue par une préparation de l'Anschluss exige du gouvernement une ferme résistance à l'accord douanier Curtius-Schober, c'est l'évidence même. Mais la personnalité de M. Doumer n'est pas moins attachée que celle de M. Briand à une politique de paix et de collaboration européenne.
M. Briand avait, au lendemain de l'élection, réservé la question de son maintien au pouvoir. Il se rendit à Genève et soutint devant le Conseil de la Société des Nations le caractère politique du projet d'accord austro-allemand. Il éleva la portée du débat
« Nous nous sommes trouvés, dit-il, en présence d'une des plus
grosses et des plus dilliciles questions qui puisse être portée à la barre du Conseil. Que nous ayons pu la traiter dans l'atmosphère de la sérénité, qui est celle de la Société des Nations, permet d'apprécier les services que cette organisation rend à la cause de la paix.
« Aujourd'hui ce problème est devenu Je problème de tous et s'est déjà transformé nous n'avons ptus affaire à deux nations, la question est devenue l'affaire de toutes les nations et surtout de toutes les nations européennes. MM. Schober et Curtius ont affirmé leur désir de collaborer avec les autres Etats c'est là qu'est la vérité sur le plan de la collaboration européenne. »
De retour à Paris et cédant aux instances de M. Pierre Laval au nom du gouvernement, il consentit à rester en fonctions et à se présenter devant les Chambres pour rapporter et soutenir les décisions prises à Genève. Il s'acquitta de cette misssion le 28 mai. « Jamais, dit-il, les droits de la France n'ont été abandonnés, et jamais je n'ai été à Genève entouré d'une atmosphère de cordialité et de sympathie aussi grande. On a dit, avant Genève, que la France avait perdu tout contact avec l'Italie. On ne saurait maintenant répéter une telle affirmation. L'Italie est une grande nation ayant son point de vue particulier. Chaque fois que cela lui a été possible, elle a soutenu le point de vue français. Nos relations avec ce pays évoluent vers un accord complet. »
Malgré les incidents de séance et la visible dislocation de la majorité les uns refusant au gouvernement la confiance qu'ils étaient prêts à témoigner à M. Briand, les autres adoptant la position inverse la politique du Cabinet fut approuvée à la majorité de 319 voix contre 257.
Suisse
L'affaire des zones continue à préoccuper l'opinion. Les négociations diplomatiques entre Paris et Berne ont recommencé le 13 avril. L'ordonnance de la Cour permanente de justice internationale du 6 décembre dernier a reconnu le droit de la Suisse au maintien des zones franches de Savoie, du pays de Gex et de Saint-Gingolph. Elle a donné aux parties un nouveau délai jusqu'au 31 juillet pour régler entre elles tout autre point concernant le régime des zones franches. Le 15 avril, les deux délégations échangèrent des propositions écrites qu'elles transmirent à leurs gouvernements, la continuation du travail en commun étant remise à une date ultérieure.
Selon les milieux suisses, la France offrait, en maintenant le cordon douanier à la frontière politique, d'établir entre les zones et le canton de Genève un système d'importations en franchise réciproque. Elle proposait en outre une réglementation très large du trafic automobile dans la région frontière et, de plus, comme compensation pour le maintien du cordon douanier à la frontière politique, la construction, entre Saint-Amour et Bcllegarde, d'une nouvelle voie ferrée qui raccourcirait d'une heure et demie le trajet Genève Paris.
A Genève, tout en qualifiant ces propositions de conciliantes, on insiste pour obtenir, non le raccourci Saint-Amour -Bellegarde, mais une ligne de la Faucille. Le gouvernement genevois a saisi en mai le Conseil fédéral d'un mémoire sur cette question. Il y eut quelques objections de la part des Lausannois, qui prévoient que la ligne de la Faucille fera concurrence à celle de Frasne Vallorbe conduisant par Lausanne le trafic vers le Simplon.
Ainsi, aux yeux d'une partie de l'opinion publique, le litige des zones sembla refoulé temporairement à l'arrière-plan par le problème des relations par voie ferrée entre Paris et Genève.
En réalité, les négociations diplomatiques du mois de mai ont visé les relations commerciales et touristiques entre Genève et les zones. L'effort porte, du côté suisse, sur l'obtention d'avantages sans limitation de durée, contre-partie éventuelle d'une renonciation définitive à des droits permanents. Mais on souligne, de ce même côté, que, si une compensation d'ordre ferroviaire doit être donnée à Genève, il ne peut s'agir que de la ligne'de la Faucille, prévue à l'article 12 de la Convention internationale du 18 juin 1909 sur les voies d'accès au Simplon, convention ratifiée par les Chambres fédérales et le Parlelement français le 30 décembre 1909.
En attendant la solution du litige, la ratification d'une série de traités passés entre la France et la Suisse demeure en suspens, notamment celle du traité général d'arbitrage. « Aussi longtemps, a déclaré le chef du département politique, M. Motta, que la question des zones ne sera pas réglée, quelque chose pèsera sur les rapports entre la France et la Suisse. »
VARIÉTÉS
La diplomatie et le théâtre
A partir de ce mois-ci, la diplomatie comptera au théâtre un représentant de plus. Et quel représentant Les journaux de ces jours derniers ont appris, en effet, à leurs lecteurs que le Comité de lecture de la Comédie-Française venait de recevoir à l'unanimité une pièce en deux actes de M. Paul Morand, Le Voyageur et V Amour.
La chose n'est point pour nous surprendre. Nouvelliste et conteur, analyste et chroniqueur, la façon qu'a l'auteur de V Europe galante et de Lewis et Irène de nous présenter les événements, les femmes et les hommes, annonce un auteur dramatique. La vivacité de son dialogue, son pittoresque direct transposés au théâtre ouvriront, sans doute, à M. Paul Morand des champs nouveaux où il fera d'abondantes moissons d'observations.
Et il est piquant de souligner ici que, diplomate, M. Paul Morand a trouvé dans M. Philippe Berthelot le plus vigilant des chefs et le plus actif des amis. L'esprit moderne de M. Philippe Berthelot s'est affirmé dans maintes circonstances depuis de nombreuses années. Le théâtre nouveau a en lui le plus fidèle et le plus attentif des spectateurs. Et plus encore la sollicitude dont il entoure la production dramatique de M. Paul Claudel fait de l'éminent secrétaire général du Ministère des Affaires étrangères un véritable protecteur du théâtre contemporain.
Sans quitter la Comédie-Française, il nous suffira de revenir de quelquelques années en arrière pour découvrir que le dernier succès de la grande Julia Bartet, l'llérodienne est aussi l'œuvre d'un ancien diplomate, M. Albert du Bois. En efi'et, né à Liège qu'il persiste à considérer comme une ville française la neuvième statue qui devrait orner la place de la Concorde, a-t-il dit un jour – M. Albert du Bois a été attaché et second secrétaire à Londres et à Madrid avant de
commencer cette carrière de poète dramatique qui, des Bouffes-Parisiens où il fit jouer Rabelais en 1905 à Y Hérodienne qui est au répertoire de la Comédie-Française, compte de nombreuses pièces données à l'Odéon, au théâtre Sarah-Bernhardt et sur les plus grandes scènes de plein air de la France et de l'Afrique du Nord.
Parmi les bustes qui ornent les couloirs de la Comédie-Française, celui de Paul Hervieu, en prolongeant ici le souvenir d'un des plus remarquables auteurs dramatiques du commencement du siècle, nous ramène à notre sujet. C'est que Paul Hervieu, après avoir été avocat au Barreau de Paris, était rentré dans la carrière comme secrétaire de la Légation de France au Mexique. A vrai dire, il n'avait fait qu'y passer. Un hasard lui avait mis la plume à la main et il s'en était servi d'abord pour donner sa démission en 1880, au lendemain de sa vingt-troisième année. Peu de temps après, tant sous son pseudonyme d'Eliacin que sous le nom de ses pères, il révélait un sens particulier de l'humour, un humour où le scepticisme et l'ironie n'allaient pas saus quelque attendrissement dans des chroniques et des romans d'une âpre vérité Diogène le chien, Peints par eux-mêmes, l'Alpe homicide, Flirt, etc. En 1895, il faisait jouer Les tenailles, et deux ans après La Loi de V Homme. Puis vinrent La course au flambeau, qui est toujours au répertoire de la Comédie-Française, l' Enigme, le Dédale.
Dans cette histoire de la diplomatie et de ses rapports avec le théâtre le nom de Chénier apporte une note mélancolique.
Le chef de famille, Louis de Chénier, né dans l'Aude en 1722, était employé chez un drapier français établi à Constantinople quand il épousa une jeune fille de cette ville, Elisabeth Senti-Lomaca d'origine chypriote. Mais c'est comme consul général au Maroc qu'il affirma ses qualités de diplomate. Son fils aîné, Constantin-Xavier entra également dans la Carrière, de même que celui qui mourut sur l'échafaud deux jours avant le 9 thermidor et attendit jusqu'en 1819 cette heure qui, Henri de Latouche ayant publié ses œuvres complètes, devait nous révéler un des plus grands poètes de la langue française André Chénier.
André Chénier avait été, en effet, pendant trois ans attaché d'ambassade en Angleterre. Si ce poète, qui fut vraiment « le dernier des classiques » et « le premier des romantiques », ne se rattache au théâtre que par quelques pastorales dialoguées et notamment par cet Oarystis d'une harmonieuse et suggestive douceur, son frère Marie-Joseph, qui fut membre de la Convention, du Conseil des Cinq-Cents et du Tribunat, a produit, lui, quelques pièces dont une, Charles IX, représentée moins d'un an après la prise de la Bastille, obtint un succès prodigieux.
Dans les trois années qui suivirent il fit jouer Henri VIII, Caius Gracchus, Fénelon, Calas et termina par un Tibère d'une assez vigoureuse tenue.
Le retour que nous ferons encore dans le passé, en nous ramenant à la fin du xvne siècle, nous obligera à nous pencher sur l'œuvre de Jean Galabert de Campistron, qui tint une certaine place dans la diplomatie, débuta comme poète tragique en 1683 avec une tragédie Virginie dans laquelle l'influence racinienne était évidente et qui, par un curieux retour d'opinion, fut opposé, en ce temps où le théâtre prenait à certaines heures allure de guerre de partisans, à une tragédie de Pradon poétiquement intitulée Téléphonte. Le plus singulier de l'histoire c'est que Téléphonte succomba sous les coups de Virginie. Cependant la carrière dramatique de Campistron n'en fut pas plus brillante dans la suite, mais elle eut ses heures héroïques. Secrétaire des commandements du duc de Vendôme, il se trouvait aux côtés de celui-ci à la bataille de Steinkerque.
Que faites-vous ici, Campistron ? lui demanda le duc.
Monseigneur, répondit le poète, voulez-vous vous en aller ? Cependant, cet auteur, dont le nom prêtait à toutes les ironies, montra dans Arminius et dans Alcibiade, qui fut joué par Baron, des qualités de vigueur et de pathétique.
Campistron produisit également quelques opéras dont un, Acis et Galathée, fut mis en musique par Colasse. Ce que fut cette œuvre, nous serions bien embarrassés de le dire aujourd'hui mais une épigramme qui courut alors les ruelles et les salons nous en a gardé le souvenir savoureux
Entre Compistron et Colasse
Grand débat s'émut au Parnasse
Sur ce que l'opéra n'eut pas un sort heureux.
De son mauvais succès nul ne se croit coupable
L'un dit que la musique est plate et misérable
L'autre que la conduite et les vers sont affreux,
Et le grand Apollon, toujours juge équitable,
Trouve qu'ils ont raison tous deux.
L'événement qui avait opposé la pièce de Campistron à celle de Pradon, en 1683, nous conduit à l'aventure qui, six ans auparavant, avait dressé contre la Phèdre de Racine une autre Phèdre de ce même Pradon. Aventure curieuse à la vérité, dans laquelle nous retrouvons quelques-uns de ces Mancini qui, hommes et femmes, avaient la diplo-
matie dans le sang. Leur aïeul, Paolo, avait fondé à Rome l'Académie des Humoristes, et son fils cadet Michel Laurent devint, en épousant Hiéronyma Mazarin, le beau-frère du fameux Cardinal.
On sait comment une de ces filles de Michel-Laurent, Marie-Anne Mancini, duchesse de Bouillon, ameuta contre Racine les partisans qu'elle avait amenés à Pradon. Pour mieux abattre la pièce du grand tragique, elle avait fait retenir au théâtre Guénégaud, qui avait t accueilli celle de Pradon, aussi bien qu'à l'Hôtel de Bourgogne qui représentait la pièce de Racine, des loges pour les six premières reprél sentations. Mais, tandis qu'elle emplissait de ses amis celles de l'HôteGuénégaud, elle laissait volontairement vides les places de l'autre théâtre pour marquer à sa façon l'insuccès de l'œuvre racienne, Presque en même temps son frère Philippe Julien Mancini, pour lequel son oncle Mazarin avait acheté du duc de Mantoue le duché de Nevers, lançait, avec Mme Deshoullières un sonnet d'où allait naître une fameuse querelle
Dans un fauteuil doré, Phèdre tremblante et blême.
Le camp des amis de Racine ne fit guère attendre sa réponse un autre sonnet sur les mêmes rimes fut lancé dans le camp des « Pradoniens ». Comme il était fait, dans cette épigramme, quelque allusion aux moeurs spéciales du duc de Nevers, celui-ci envoya dans le camp adverse un troisième sonnet pour lequel il employa, encore une fois, des rimes semblables il y promettait à Racine et à Boileau quelques coups de bâtons. Pradon annonça même, un soir qu'il dînait chez le premier président du Parlement, que Boileau avait reçu sa correction derrière l'Hôtel de Condé. C'était faux mais un quatrième sonnet fut encore lancé. Le grand Condé, qui avait été mis au courant, finit par se fâcher et, en se déclarant partisan de Racine et de Boileau, arrêta net la « Querelle des sonnets ».
Diplomates et enfants de diplomates avaient, on le voit, joué un rôle dans cette tragi-comédie. Le dernier des Mancini, Jules Barbon, duc de Nivernais, devait finir, en 1798, ambassadeur de France à Londres après avoir exercé les mêmes fonctions à Rome et à Berlin, et membre de l'Académie française.
J. VALMY BAYSSE,
Secrétaire général de la Comédie-Française.
Souvenirs de Lady Gwendolen Cecil sur la vie de Lord Salisbury
Dans le troisième volume qu'elle consacre à la vie de son père (1), Lady Gwendolen Cecil rapporte comment en 1880 lord Salisbury, qui venait de quitter le Foreign Office à la suite de la défaite de son parti aux élections générales, occupait ses loisirs. Il avait repris ses travaux de botanique et faisait une collection d'algues. Mais c'étaient surtout les applications récentes de l'électricité qui l'intéressaient la lampe à incandescence était alors toute nouvelle, et la résidence de Lord Salisbury à Hatfield fut la première ou la seconde demeure privée d'Angleterre à posséder le nouvel éclairage. On n'avait pas encore reconnu la nécessité des « fusibles » un soir les boiseries prirent feu près du plafond, mais la jeunesse sauva la situation, avant l'arrivée des pompiers, en bombardant habilement les panneaux en feu avec les coussins du salon.
Vers le même temps, le téléphone venait d'être inventé. Lord Salisburv se mit aussitôt à installer des postes et à faire des essais chez lui, laissant les fils traîner en désordre sur les parquets plus d'une fois ses hôtes s'en plaignirent et un jour M. rlobert Lowe, qui plusieurs fois avait failli tomber, annonça que la nouvelle invention ne pouvait manquer de devenir un jour un grand fléau.
En 1885, lord Salisbury était de nouveau au pouvoir, premier ministre et secrétaire aux Affaires étrangères. C'était un grand agité. Parfois, lorsqu'il était assis, il se mettait à remuer les jambes, secouant le parquet et le mobilier, et cela durait une demi-heure. Au banc des ministres, à la Chambre des Communes, ses collègues se plaignaient de cette agitation perpétuelle, qui leur donnait le mal de mer. Quand ses jambes sont au repos, il faut que ses doigts manient le porte-plume ou le coupe-papier, à moins qu'ils ne battent une marche sur le bras du fauteuil. Il avait quelquefois bien de la peine à suivre patiemment certains entretiens diplomatiques; en 1887, il écrivait à un ami que, pour résister à l'envie de dormir, il gardait à la main un coupe-papier pointu comme une dague et lorsque la conversation devenait décidément trop ennuyeuse, il se piquait la cuisse.
(1) LADY Gwendolen Cecil, The life of Lord Salisbury, vol. III, Hoddenand Stoughton, Londres, 1931.
Pendant les mois que sa famille passait à I-Iatfield, le ministre prenait régulièrement à la gare de King's Cross le train de 7 heures du soir, pour rentrer près des siens. Il mettait son point d'honneur à perdre le minimum de temps pour ce trajet. A la porte de son bureau du Foreign Office un huissier l'attendait avec son pardessus, tandis qu'au bas de l'escalier un autre guettait sa venue pour ouvrir sans une seconde de retard la porte de la voiture. Le trajet devait se faire en 17 minutes exactement et lorsqu'un embarras de circulation faisait perdre quelques secondes, le ministre parlait de l'incident comme un joueur qui a raté un coup.
Des premiers ministres de la reine Victoria, lord Salisbury fut le premier à être plus jeune que la Reine et cela développa certainement chez lui le souci d'éviter à sa souveraine toute fatigue, toute inquiétude inutiles. Mais le caractère très féminin de la Reine n'était pas de la faiblesse dans la dernière année de sa vie, au moment le plus sombre de la guerre des Boers, il y eut dans l'opinion du pays une sorte de panique lord Salisbury étant malade, c'est M. Balfour qui se rendit à Windsor pour voir la Reine il se mit à parler pour la rassurer contre les bruits alarmistes dont la presse était pleine. Mais aussitôt la reine l'interrompit, avec ce geste de tête dans lequel s'exprimait sa majesté « Commencez d'abord par bien vous mettre dans l'idée que nul n'est découragé dans cette maison-ci »
Dans un de ses cabinets, lord Salisbury avait pris pour Chancelier de l'Échiquier lord Randolph Churchill, qui acquit très rapidement une grande influence. Intraitable sur les réductions de budget qu'il demandait à ses collègues, il décida de démissionner. Ce soir-là, lord Salisbury donnait un bal dans sa propriété de Hatfield la mère et la soeur de lord Randolph étaient parmi les invités et devaient rester à Hatfield pour la nuit au cours de la fête, pendant que le premier ministre s'entretenait avec la duchesse de Teck, on lui remit la lettre de démission il ne laissa rien paraître mais le lendemain, comme on venait de l'éveiller et que Lady Salisbury l'engageait à se hâter pour saluer leurs invités au moment de leur départ par un des premiers trains, le maître de maison lui dit « Envoyez d'abord chercher le Times ». Et comme sa femme s'étonnait, il ajouta « Randolph a démissionné cette nuit, et, tel que je le connais, la chose doit être dans le Times de ce matin. Il vaut mieux que nous dormions un peu plus longtemps que nos invités, pour éviter qu'ils ne soient embarrassés en prenant congé. » Dans le Times, une majestueuse manchette annonçait en effet la démission de lord Randolph.
J. R.
Byzance à Paris
UNE LEÇON D'ART ET D'HISTOIRE
« Pensez que c'était le Reliquaire du monde, l'œcumé-
nique Châsse d'or, et que les ossements dispersés de ses
vieux martyrs, où l'Esprit-Saint s'était reposé parmi tant
d'ingrates générations, ont pu couvrir toutes les villes de
l'Occident d'une lumineuse poussière » »
Léon BLOY.
Par le hasard d'un éloquent synchronisme, le même jour vendredi 28 mai ont été inaugurés, à Athènes, le Musée byzantin, et à Paris, l'Exposition internationale d'Art byzantin. Due à la collaboration bénévole de nombreux pays qui n'ont point hésité à mettre largement à contribution leurs collections publiques et à se priver pour quelque temps de leurs chefs-d'œuvre, organisée par les byzantinologues de toutes nations, sous la haute direction de M. Charles Diehl, l'exposition de Paris doit nous permettre d'acquérir sur l'art byzantin quelques notions précises, d'élucider quelques points obscurs, de dissiper cortains préjugés.
C'est surtout ce dernier but que les organisateurs de l'exposition ont cherché à atteindre qu'il soit nécessaire de réviser notre conception même de l'Art byzantin, cela sera bientôt un lieu commun de la critique. Il y a à peine vingt ans, un très grand savant n'hésitait pas à écrire que « l'éclat extérieur et la pompe des œuvres byzantines en dissimulent mal le vide, l'absence de pensée et d'inspiration ». Et à vrai dire, on est porté à croire, lorsqu'on médite sur la longévité et l'immense extension de cet art, qu'à tout prendre, ses formules esthétiques furent relativement pauvres et tendirent peu à peu à se figer sous le souffle d'un hiératisme fatal. C'est là une vue superficielle. Quand on se penche sur l'art byzantin sans parti-pris ni prévention, quand on étudie avec ferveur son lent et merveilleux développement, on est saisi de l'intensité de vie, de la richesse de sève qui circulent sous des formes en apparence inertes. Cet art, en effet, comme l'a montré avec tant de clarté M. Charles Diehl, « a été un art vivant et, comme tout
organisme vivant, il a au cours de son existence millénaire, évolué il s'est transformé, il a connu des époques d'éclatante magnificence, et, après des périodes de décadence, des renaissances merveilleuses et inattendues. »
L'Exposition nous donne une occasion incomparable de saisir sur le vif cette dramatique évolution.
Dans le majestueux buste en marbre de l'Empereur Magnence, dans le bas-relief d'Hercule et le Cerf, surtout dans le splendide Calice d'Antioche, nous sentons vibrer l'inspiration grandiose et païenne de l'Empire romain agonisant. Bien que, depuis 330, la Ville de Constantin soit devenue la Capitale, la tradition romaine classique résiste encore aux multiples poussées de l'Orient.
Vient la grande époque artistique, le vie et le vile siècles, l'inauguration par Justinien de la « Merveille des merveilles », de Sainte-Sophie dont nous trouvons à l'Exposition nombre de relevés. Déjà, l'aube du véritable art byzantin point. A la période d'Hcraclius, en effet, se rattachent ce qu'on pourrait appeler les « années tournantes » de cet art. L'Empire byzantin est vainqueur de la Perse sassanide, la Sainte Croix est rapportée à Jérusalem (événement mémorable, que la liturgie grecque célébrera désormais par la grande fête de l' « Exaltation de la Croix »). Ces fastes ne peuvent plus empêcher les influences orientales d'abord de s'infiltrer, puis d'affluer et de se mêler intimement, aux traditions hellénistiques. Déjà, le latin n'est plus la langue officielle, les slaves s'avancent dans les Balkans et, si politiquement les Perses n'existent plus, du moins la civilisation sassanide trouve-t-ell? dans Byzance l'héritière de certaines de ses formules et de certains de, ses idéaux. Cette interaction apparaît nettement dans l'art textile, qui atteint son apogée (soies d'Antinoë, soieries d'Egypte, « soies aux perroquets », etc.). D'autre part, des oeuvres comme le « dyptique Barberini » empreintes à la fois de réalisme et de noblesse, de pathétique et de sobriété, révèlent un effort remarquable pour concilier et synthétiser les traditions du passé et l'esthétique nouvelle. Et ces infiltrations orientales étaient elles-mêmes plusieurs fois millénaires certains motifs décoratifs (aigles, lions) remontent à un passé extrêmement reculé. On songe, par exemple, devant les mufles si caractéristiques des lions de cette époque, à l'héraldique lion sumérien, à l'aigle sacré de Nin-Girsu. C'est que, dès le vie et le vne siècles, Byzance, devenue le centre naturel du Monde Oriental, intégrait en elle, pour la répandre ensuite avec profusion, après se l'être assimilée et l'avoir transformée, toute la culture du Vieil Orient.
Dans l'Exposition, les pièces du ville et du ixe siècles sont rares.
L'heure approche, en effet, de la grande attaque musulmane, qui menace d'emporter dans son élan victorieux l'Empire affaibli. La querelle des images, le mouvement iconoclaste sont cause de la destruction des chefs-d'oeuvre et d'un arrêt de l'essor créateur. Seules, quelques monnaies, d'ailleurs fort belles, de Léon III signalent cette période, avec quelques tissus de soie intéressants pour leurs motifs stylisés. L'art byzantin ne tarde pas à sortir de cette crise et de nouveau « l'Empire, cette vieille femme, apparaît comme une jeune fille parée d'or et de pierreries ». Sous la dynastie macédonienne, sous celle des Doucas, sous celle des Comnène enfin, la « nouvelle Rome » reprend sa place primitive. L'Empire d'Occident se désagrège et, si l'on considère le degré de culture de Byzance, la civilisation de l'Empire grec, il semble que tout ce qui subsistait encore de lumière dans le monde du Moyen-Age se soit réfugié autour de « la Ville ». Si l'unité de la Chrétienté est déjà compromise par le schisme, du moins l'unité culturelle byzantine est-elle assurée. Orthodoxie devient dès lors synonyme de byzantin. D'où une renaissance de l'esprit religieux, manifeste dans les splendides manuscrits peints le Psautier d'Egbert, l'Oppien de Venise, l'Evangéliaire et Ménologe de Berlin. Si la technique des tissus accuse une baisse sensible, des ouvrages d'orfèvrerie, des sculptures sur ivoire, comme les plaques en or émaillé de la Couronne de Constantin Monomaque, la plaque en argent repoussé des Saintes Femmes au Tombeau, et la délicieuse Vierge à l'Enfant en ivoire du Musée Victoria and Albert de Londres sont, dans leur genre, des oeuvres inégalables. Désormais, l'existence de l'Empire ne sera plus que prolongée pour quelque temps. Si les Grecs parvinrent à reconquérir leur pays sur les Latins et à chasser ces derniers de Constantinople, où ils s'étaient installés en 1204, ils durent pendant plus de deux siècles assister au lent écroulement de l'Empire, traversant des périodes de faiblesse extrême, de misère incroyable (au couronnement de Jean Cantacuzène on dut, faute d'argent, remplacer l'or par le cuir doré des verroteries multicolores tinrent lieu de pierreries), essayant parfois de se relever, jusqu'au jour où le Croissant turc remplaça définitivement la Croix sur la coupole de Sainte-Sophie. Pourtant (et l'Exposition nous le démontre) cette période d'irrémédiable décadence politique vit briller d'un dernier éclat la civilisation byzantine. Quoique en général, la peinture (plus économique) remplace la mosaïque, du moins restet-il de charmantes petites icônes portatives qui mériteraient à elles seules bien des études et des monographies. Pour ne parler que de celles qui sont exposées au pavillon de Marsan, citons l'Icone en mosaïque de la Vierge et de l'Enfant, « la Vierge et l'Enfant entourés
AFFAIRES ÉTRANGÈRES
de douze bustes de Saints », de la Collection Stoclet, si gracieuses, si raffinées. Enfin l'ivoire donne encore de belles œuvres, bien qu'il soit de plus en plus remplacé par la stéatite. Sur l'une et l'autre matière, le traitement des plis du vêtement est admirable.
Tel nous apparaît, à travers l'Exposition, l'Art byzantin. Mobile, insaisissable, changeant, il symbolise bien le génie grec, il est représentatif de la civilisation byzantine tout entière. Parce que nous sommes des Occidentaux, nous avons peine à le comprendre. Entre Byzance et nous, au fond, il y a toujours le même abîme ancestral qui sépara jadis les croisés « barbares » des grecs « perfides ». Mais, si nous essayons de dissiper cette incompréhension -et des manifestations artistiques comme celle-ci nous y aident puissamment il nous devient possible de dégager les caractéristiques essentielles de cette esthétique. Sa seule histoire a suffi à ruiner le mythe d'un art rigide et immobile. Un autre préjugé est encore tenace on a coutume de dire que l'art byzantin est uniquement religieux. Rien de plus inexact jamais peutêtre art ne fut plus profane, plus mondain. S'il sut se plier aux exigences d'un mysticisme exalté, sa naturelle magnificence, son luxe, font invinciblement songer à la tradition païenne qu'il n'a jamais reniée. La beauté profonde de telle monnaie, la gravité et la noblesse de telle peinture rappellent cette filiation et reposent du dramatisme oriental. Comme pour le Grec des grandes époques, il n'y a pas pour le Byzantin de différence de nature, ni même de degré, entre les arts mineurs et ce qu'on est convenu de nommer le grand art. Dans un camée, dans une poignée d'épée, dans une" plaque d'or, on trouve le même souci, la même opiniâtre volonté de perfection que dans les réalisations plus majestueuses. Les fresques de grand style n'atteignent peut-être pas l'intensité, la « pensée » de certaine enluminure sur le feuillet en parchemin d'un évangéliaire.
Enfin, le sens de la décoration a été possédé au suprême degré par les Byzantins. Dans leurs églises, pas une surface morte, pas un vide, surtout pas une obscurité. Mosaïques, fresques, émaux se succèdent sur divers plans, tandis qu'une alternance de briques de couleurs différentes, un fonds d'or ou d'azur harmonisent l'ensemble.
Un tel art ne pouvait pas se limiter aux murs de Constantinople. En fait, lorsque l'invasion arabe eut absorbé la Perse sassanide, Byzance resta et demeura la plus grand foyer civilisateur de l'Orient. On a pu voir dans l'Art byzantin c< l'éducateur de l'Orient slave ». Églises serbes de Gratchanitsa, de Saint-Nikita, monastères serbes de Matka, de Lescovats, fresques russes de Novgorod, de Pskof, ont subi l'influence de la technique byzantine. Roumains, Grecs, Syriens,
Arméniens eux aussi ont reçu son empreinte ineffaçable. L'Italie du sud est une terre d'élection de cet art. Des relevés, des photographies, habilement choisis, nous permettent de constater encore l'action de l'art byzantin sur l'Europe occidentale proprement dite. C'est Ravenne avec Saint-Vital c'est Venise avec Saint-Marc c'est Lucques et ses soieries. Il n'est donc pas exagéré de parler avec M. Diehl de ce que l'Italie du Trecento a dû aux vieux artistes de Constantinople, de croire avec lui que « les grands maîtres de la Toscane, à l'aube du xive siècle, n'ont été par bien des côtés que des Byzantins de génie. »
Pour la première fois à Paris une Exposition Byzantine a été organisée. Pour la première fois, nous pouvons directement juger des richesses et des splendeurs inouïes que recélait la « Nouvelle Rome ». Nous évoquions bien, lorsque nous parlions de Constantinople et de l'Art byzantin, une profusion éblouissante de mosaïques, de pierreries, de sculptures et de fresques. Mais jamais nous n'aurions pu imaginer tant de somptuosité unie à tant de goût, tant de faste et de gravité, tant de réalisme et de noblesse.
Il y a plus de sept siècles, les croisés « découvrirent » Constantinople resplendissante de pourpre et d'azur, émergeant peu à peu des brumes légères du matin. Nous qui sommes au fond toujours restés « les barbares de l'Occident », nous avons eu à chasser les préjugés qui depuis si longtemps cachaient à nos yeux l'Orient byzantin. Comme les rudes compagnons de Villehardouin nous avons redécouvert Byzance. Nous ressuscitons leur enthousiasme, en évoquant les paroles éternelles du vieux chroniqueur
« Pouvez savoir que bien ils regardèrent Constantinople, ceux qu'oncques ne l'avaient veu car ils ne pouvaient mie penser que si riche ville pût être en tout le monde. Sitôt qu'ils virent ces hauts murs et ces riches tours dont elle était close tout autour à la ronde, et ces riches palais et ces hautes églises, dont il y en avait tant que nul ne l'eût pu croire s'il ne l'eût de ses yeux vu, et si longue et si large ville qui de toutes les autres était souveraine, sachez qu'il n'y eut homme si hardi à qui ne frémit la chair. »
J. M.
Le Gérant De Peyralade.
SOMMAIRE
I. Questions politiques et juridiques
Pages
Chronique politique. -La propositionHoover et l'opinion européenne.
Les élections à l'Assemblée Constituante en Espagne (A. M.) 258 CHRONIQUE JURIDIQUE. Les négociations franco-américaines. La
question du Groenland de l'Est. Deux décrets du gouvernement
espagnol (J. R.). 264 Boris SHATZKY. L' Interprétation américaine du Pacte de Paris. 268 Jacques ANCEL. Une théorie française sur la géographie des frontières. 279 Il. La vie diplomatique
Éphémérides internationales 290 Nominations 293 L'activité diplomatique des États 296 Albanie Le déficit budgétaire et les orientations extérieures. 29(i Autriche La crise ministérielle 297 Brésil Le redressement économique et le projet d'union douanière. 299 Chili Le projet d'union douanière panaméricaine. 300 Paraguay Le conflit avec la Bolivie. 301 Perse Les relations avec l'Angleterre 302 Saint-Siège La question des jeunesses catholiques. 303 III. Variétés
Charles LOISEAU. Diplomates sur un nid d'aigle souvenirs de la
vie diplomatique au Monténégro 307 A propos des fêtes de chant de Riga les chansons lettonnes de la
Saint-Jean (J. M.). 319
QUESTIONS POLITIQUES ET
JURIDIQUES
Chronique Politique
LA PROPOSITION HOOVER ET L'OPINION EUROPÉENNE LES ÉLECTIONS
A L'ASSEMBLÉE CONSTITUANTE EN ESPAGNE
Le président Hoover a visiblement compté sur l'effet. de surprise de sa proposition du 20 juin touchant ]a suspension des paiements intergouvernementaux pendant la durée d'un an. Comme l'a fait observer un journal anglais, le rôle joué par la psychologie dans le domaine de ''économie pratique n'est nulle part mieux compris qu'aux Etats-Unis. Et il est de fait que cette initiative brusquée a obtenu un concert unanime d'approbations en Amérique et soulevé, en Europe, un mouvement d'enthousiasme chez les uns, un vif intérêt et une indéniable sympathie chez les autres.
L'accord du 6 juillet, entre la France et les États-Unis, conclu après une discussion très serrée, fut reçu par la presse américaine avec le même optimisme. Elle y vit le point de départ d'une ère de détente dans l'économie mondiale.
En faisant durer plus de deux semaines les négociations, la France avait lutté moins pour l'intégrité de ses recettes budgétaires que pour le respect des engagements pris question qui débordait, à ses yeux, le cadre du plan Young. – pour sa conception propre de la réorgani-
sation européenne, pour les intérêts des Etats affectés par la suspension des paiements allemands.
Il convient d'ajouter que, si le gouvernement français avait été enclin à montrer plus d'audace dans sa volonté d'entente, il eut été retenu sur cette voie par l'état d'esprit du Parlement et d'une partie de l'opinion pour laquelle les négociations franeo-améncames ne constituaient qu'un anneau de plus dans la chaîne des abandons. MM. Laval et Briand devaient tenir compte à la fois de ces dispositions manifestes et de l'impossibilité pour la France de renier la politique d'apaisement international dont elle s'est tant de fois réclamée.
Il est naturel que la solution à laquelle les négociateurs ont abouti porte l'empreinte de cette double préoccupation originelle. On ne pouvait reprocher à la France de s'être montrée rebelle aux sacrifices exigés parla cause de la solidarité européenne. On ne pouvait davantage se flatter de voir son attitude interprétée par l'Allemagne comme un acte de générosité, ni même comme l'annonce de temps nouveaux dans les rapports des deux pays.
Pour les Allemands en effet, le premier mouvement avait été un geste d'humeur devant la résistance opiniâtre du gouvernement et du Parlement français à la revision du plan Young. Il s'ensuit qu'après avoir salué la proposition Hoover comme le glas du plan Young, ['opinion allemande se demande aujourd'hui si celui-ci n'est pas sorti juridiquement renforcé des négociations franco-américaines. Mais la déclaration Hoover avait jeté une lumière inattendue sur la détresse allemande. En quelques semaines, des retraits massifs de capitaux étrangers eurent pour conséquence de conduire l'économie privée du Reich au bord de la faillite. Une grande banque dut suspendre ses paiements la panique s'ensuivit et l'Allemagne lança, par la voix du Dr Luther, un appel de détresse aux puissances occidentales. Devant les hésitations des milieux officiels de ces puissances et pour arrêter une hémorragie de capitaux qui rendait une catastrophe inévitable, des moyens héroïques furent mis cn œuvre par le Reich. Une sorte de moratoire fut institué, tandis que le chancelier Brüning et le Dr Curtius se rendaient à Paris puis à Londres et avaient avec les hommes d'Etat français, anglais, américains et italiens des conférences historiques. A Paris se posa (:1 8-19 juillet) la question d'un nouvel aménagement politique et psychologique des rapports francoallemands à Londres furent envisagées les conditions techniques d'une assistance financière au Reich.
En Angleterre, l'opinion se montra vivement préoccupée de cette
menace d'épuisement financier. Elle a approuvé la proposition américaine, moins peut-être pour son économie que pour sa valeur tonifiante. Pour la même raison elle s'est discrètement félicitée du succès des négociations franco-américaines, envisagées comme un nouveau point de départ et non comme un aboutissement. Elle voit, en outre, avec une certaine satisfaction, dans ce résultat l'indice d'une double évolution abandon parles Etats-Unis de leur position d'indifférence à l'égard du malaise européen; adhésion de la France à une action commune d'allègement. « On peut, dit le Times, regarder cette discussion comme un voyage de découverte entrepris par deux marins de rivages opposés. Et, bien que Christophe Colomb soit parti pour les Indes et ait débarqué en Amérique, aucun Français ou Américain ne voudrait maintenant déclarer qu'il a entrepris ce voyage en vain. » Le Cabinet de Home, sans attendre l'issue des négociations francoaméricaines, a fait savoir aux Etats débiteurs de l'Italie que celle-ci ne percevrait pas les sommes qui lui reviennent le 1er juillet en vertu du plan Young, eu elle a en même temps informé les Etats créanciers qu'elle était prête à verser les sommes afférentes à ses propres dettes de guerre.
Ce geste a valu à M. Mussolini un message chaleureux du chancelier du Reich, message qui prépare l'atmosphère en vue de l'éventuelle visite à Rome des hommes d'Etat allemands.
La presse italienne souligne avec insistance que le moratorium est étroitement lié à la question du désarmement dont il est en quelque sorte la préface.
Pour la Tchécoslovaquie l'avantage de la suspension des paiements est certain sa part de réparations (hongroises et bulgares) est minime, tandis qu'elle a chaque année à verser environ 100 millions de couronnes à l'Amérique et 17 millions à l'Angleterre, sans compter les 88 millions annuels de « taxe de libération » et plus de 30 millions de dette française et italienne. L'économie totale résultant du sursis s'élèvera à 233 millions de couronnes pour le budget.
Cependant l'opinion a accueilli le succès des pourparlers franco-américains avec plus de circonspection que d'optimisme. Elle discerne encore mal les répercussions politiques du moratorium. Elle voudrait être assurée que cette mesure ne se traduira pas par une recrudescence d'activité des éléments allemands d'extrême droite et par une poussée nouvelle dans le sens de la revision des traités. Constatant que la nouvelle du succès des négociations de Paris a coïncidé avec la publication des premières conventions préférentielles entre l'Allemagne et la Roumanie, le Prager Tagblatt déclare « Il est agréable de cons-
tater que l'Allemagne se trouve soulagée d'une charge de 1.900 millions de marks. Mais il est moins satisfaisant d'apprendre que ces fonds durement acquis doivent être en partie employés en subventions pour des pays étrangers, avec le vain espoir de gagner des alliés pour des discussions éventuelles dans l'avenir. »
En Europe sud-orientale, il y a eu des hésitations. La Grèce, dont les dettes de guerre (154,2 millions de drachmes par an) ne sont pas négligeables, se réserve, et M. Vénizélos a profité de son voyage à Londres et à Paris pour plaider les intérêts de son pays. La Roumanie, qui a accueilli avec reconnaissance l'intérêt porté par les Etats-Unis à une Europe menacée de ruine, craint l'incidence politique du moratorium et l'éventualité d'une abolition complète des réparations. La Yougoslavie, sensible, elle aussi, à la générosité américaine, risque de voir son budget de 1931-1932 déséquilibré par la suspension des paiements elle s'apprête également à négocier. La Bulgarie voit surtout dans le plan Hoover une démonstration de l'injustice des traités et de l'impossibilité de les appliquer sans mettre l'économie mondiale sens dessus dessous.
Pour la presse russe, les événements se présentent avec une grande simplicité. Il s'agit toujours d' « antagonismes impérialistes », se résolvant invariablement par une recrudescence de la poussée antisoviétique. La Pravda (de Moscou), par exemple, attribue un triple objectif aux Etats-Unis et à la France. Les Etats-Unis, selon l'organe communiste, cherchent, par le plan Hoover 1° à retarder le rythme des événements révolutionnaires en Allemagne 2° à sauver les capitaux américains investis dans l'économie allemande 3° à affaiblir les finances de la France en lui imposant des sacrifices considérables. Quant à la France, elle viserait 1° à réduire au minimum les sacrifices financiers résultant d'un plan qu'il lui est impossible de repousser 2° à utiliser les sommes libérées par le moratorium, non seulement pour « assister » l'Allemagne, mais encore pour fortifier les Etats de la Petite Entente 3° a se servir des sommes des réparations laissées sous forme de prêt entre les mains de l'Allemagne pour organiser le contrôle de la politique extérieure allemande.
Au demeurant la presse soviétique reste bien convaincue que, si l'initiative de M. lIoover a eu pour effet pratique d'enlever une fois de plus l'initiative politique a l'Europe capitaliste, ellc est par contre impuissante à modifier même temporairement le sens du développement du cycle capitaliste dans le monde.
Le 28 juin (I) ont eu lieu les premières élections politiques de la République espagnole celles de l'Assemblée constituante; Il faut d'abord observer que l'opinion publique s'est montrée beaucoup plus avertie qu'on ne le supposait, en ne se laissant pas égarer par la multiplicité des candidatures en présence. Elle est allée droit aux professions de foi nettement définies.
En gros, Ics résultats peuvent se résumer ainsi consécration décisive du nouveau régime, échec de la droite, même républicaine, formation d'un centre gauche puissant, perspective d'un développement du socialisme de gouvernement.
La conjonction républicaine-socialiste l'a emporté dans la plupart des circonscriptions. Mais on doit tenir compte du fait qu'il s'agit d'un cartel électoral, ayant pour objet l'instauration et l'affermissement de la République. La question de régime hors de cause, les partis associés tendent rapidement à récupérer leur individualité.
La poussée a gauche était attendue. Le petit groupe d'extrême droite ne comprendra que des vestiges d'anciens partis traditionnalistes de D. Jaime, catholiques, agrariens. Le comte de Romanones est le seul monarchiste élu. L'Action nationale, groupement d'extrême droite constitué à l'instigation de l'Action catholique sociale avec la devise « Religion, Patrie, Ordre », n'aura guère plus d'une dizaine de députés c'est tout le bilan d'un effort pour ressaisir les troupes conservatrices et traditionnalistes. « Les droites en Espagne manquent de tactique et ne se guident que sur la peur », a dit M. Alcala Zamora, qui voit lui-même son parti réduit à une faible minorité et condamné à n'être, dans l'Assemblée, qu'une force éventuelle d'appoint. M. Lerroux, instigateur du front unique, en dépit d'un succès personnel sans précédent dans les annales électorales de la Péninsule (133.000 voix à Madrid sur 166.000 votants) n'a pas réussi à faire passer autant de candidats qu'il l'espérait. Il doit se contenter de 80 sièges. Mais il peut escompter le concours de l'Alliance et de l'Action républicaines (M. Azana), des démocrates, des fédéraux. Il aura à ses côtés des hommes d'autorité, comme MM. Sanchez Guerra, Ossorio Gallardo, doyen du barreau de Madrid et rapporteur du projet de Constitution, Melquiades Alvarez, chef des démocrates républicains, élus par la population madrilène comme candidats d' « appui à la (1) Des élections complémentaires ont eu lieu le 12 juillet pour les candidats qui ont été élus sans réunir le cinquième des votes émis.
République ». Le centre gauche pourra grouper environ cent cinquante députés.
Les radicaux-socialistes qui, aux élections constituantes, ont, en bien des localités, combattu les radicaux, enregistrent. un demi-échec, contre-partie de celui de la droite républicaine. Les partisans de M. Marcelino Domingo, leader fédéral, qui se séparèrent de M. Lerroux en lui reprochant son « républicanisme bourgeois ». ne recueillent qu'une soixantaine de sièges.
Le parti socialiste-ouvrier, avec ses I 15 sièges, a remporté une victoire qui l'a surpris lui-même et qui pourrait bien avoir pour effet de l'arracher au rôle d'opposition qu'il s'apprêtait à jouer, pour le « gouvernementaliser » à brève échéance. Déjà le comité national du parti, réuni le 9 juillet, a voté le maintien de ses représentants au pouvoir jusqu'au vote de la Constitution.
Bref, lc parti socialiste entend faciliter dans la plus large mesure la tâche d'un cabinet provisoire qui a fait sien le mot d'ordre de M. Lerroux révolutionnaire contre la réaction, gouvernemental contre l'indiscipline. 1
Autre constatation intéressante ce même parti se déclare disposé à appuyer toute revendication autonomiste tendant à la reconnaissance de la personnalité régionale. Mais, afin de ne pas favoriser des mouvements équivoques, il exigera des garanties quant à la vitalité des régions autonomes et demandera à cet efi'et une consultation populaire préalable.
Reste à interpréter le vote des régions qui aspirent à l'autonomie. La poussée nationaliste s'accentue au Pays basque et en Catalogue. Dans le premier elle s'oriente à l'extrême droite à la faveur des éléments catholiques qui, faisant cause commune avec les nationalistes, tendent il transformer cette région en citadelle du traditionalisme et rêvent d'un concordat avec le Saint-Siège, en dehors de l'Etat espagnol. En Catalogne, elle se porte vers l'extrême gauche. grâce à l'appui des syndicalistes unitaires de la Confédération nationale du travail, qui déclare près de 500.000 adhérents. Sur 52 députés à élire en Catalogne, 43 sont des partisans du président Macia, qui s'est écrié lors de la proclamation du scrutin « Après ces élections, personne ne nous comrnande plus nous nous commandons nous-mêmes. La seule solution viable est la République fédérale ». Cette déclaration paraît annoncer que les Catalans (comme les Basques) ne demanderont à l'Assemblée constituante que la ratification pure et simple de leurs revendications autonomistes. Mais de puissants intérêts économiques modéreront cette Intransigeance.
A. M.
Chronique Juridique
Les négociations franco-américaines relatives à l'ajournement des dettes intergouvernementales. Si la proposition du Président Hoover a été accueillie en France avec une certaine inquiétude, c'est surtout parce que, de deux façons, elle a heurté des susceptibilités juridiques la forme sous laquelle la suggestion a été présentée a paru anormale et, pour le fond, on a craint de voir ébranler, par la brusque modification imposée du dehors à un accord solennel, la foi due aux traités.
Il est trop tôt assurément pour juger des circonstances qui ont abouti à la déclaration américaine du 20 juin. Il faut s'en tenir actuellement aux paroles officielles et rappeler d'abord, pour êtreéquitable, la démarche faite le 23 par l'ambassadeur Edge auprès de M. Laval le président Hoover « s'est vu dans l'obligation d'agir quand la crise financière allemande des deux derniers jours de la semaine écoulée indiquait qu'un désastre était imminent. » Le 7 juillet, quelques heures après la conclusion de l'accord francoaméricain, l'un des principaux négociateurs, M. Flandin. faisait cette déclaration « La proposition du Président Hoover a d'abord surpris les Français qui ignoraient, d'une façon générale, la grave situati< n financière en Allemagne. » C'est donc par des circonstances exceptionnelles que s'explique une procédure exceptionnelle. Cette procédure, chose curieuse, est peut-être jusqu'à ce jour l'exemple le plus notable de « diplomatie ouverte », comme on disait il y a quelque douze ans et c'est en cela qu'elle a paru inquiétante. Supposons la suggestion américaine présentée discrètement par la voie diplomatique, comme le point de départ d'une négociation elle devient tout à fait normale. S'il est grave que l'opinion publique mondiale se trouve saisie en même temps que les gouvernements intéressés, c'est qu'une déclaration d'Etat, par cela seul qu'elle devient publique, se fige une certaine forme de point d'honneur profondément enracinée dans les consciences et dans les usages
empêchera qu'on modifie désormais la chose dite elle perd ainsi son caractère de simple « proposition », puisque les autres puissances n'auront plus leur liberté de négociation, ne pourront dire que oui ou non.
En l'espèce la difficulté n été levée par l'adoption, dans l'accord intervenu, de formules qui marquent. l'acceptation des « principes essentiels de la proposition », ou qui visent « l'esprit » de cette proposition. Ces expressions laissent un certain jeu. Mais ce qui rendait tout à fait délicat leur emploi, c'est que la suggestion se rapportait à des matières essentiellement techniques et s'était exprimée en une phrase qui, pour être laconique, n'en avait pas moins une portée financière très déterminée.
L'entraînement, la contagion sont tels dans ces domaines que la méthode adoptée par le gouvernement de Washington s'est appliquée une seconde fois, lors de la publication de l'accord franco- américain vis-à-vis des tierces Puissances, cet accord se présente aussi comme une « déclaration ». Mais il faut dire que l'analogie est surtout extérieure le texte montre clairement la préoccupation de ménager les susceptibilités légitimes des tiers. La première partie du document, relative il l'accord franco-américain proprement dit, se présente comme une « constatation » par le gouvernement français du fait qu'il « est d'accord avec le gouvernement des Etats-Unis c'est une réponse, une « acceptation ». assortie de certaines réserves. Quant à la seconde partie, celle qui concerne des points auxquels les EtatsUnis ne sont pas intéressés et qui seront à traiter entre la France et des tiers, la déclaration française formule des questions plutôt que des solutions les formules sont caractéristiques « une action concertée. sera organisée » « une entente préalable devra intervenir » « les divers ajustements techniques. seront étudiés par uncomité d'experts. ». De telles expressions, en dépit de la mention des fins k atteindre, réservent assez largement la liberté effective des tiers.Et l'organisation des entretiens techniques de Londres montre que l'on a eu souci de revenir aux procédures normales.
Ce qui a sans doute le plus ému l'opinion française, c'est que la proposition américaine, irrégulière dans la forme, lui a paru profondément subversive. Sans doute la perspective d'une solidarité plus grande entre les Etats-Unis et. l'Europe a été accueillie comme elle le méritait. Mais le premier acte par lequel se manifestait cet intérêt a semblé faire trop bon marché du respect dû aux traités. l'our comprendre cet état d'esprit, il faut se souvenir que, dès le lendemain du plan Young, présenté comme un règlement définitif, une cam-
pagne s'organisait en Allemagne pour en demander la revision. Or la proposition Hoover heurtait directement les dispositions du plan. puisqu'elle ne distinguait pas la partie inconditionnelle des paiements de la partie conditionnelle, pour laquelle seule une possibilité de moratoire avait été prévue. Mais en outre et surtout les commentaires dont la presse de plusieurs pays entoura le projet le faisaient apparaître non pas comme un simple ajournement de paiement, mais comme le signe d'un abandon prochain de tout le plan Young. JI pouvait donc sembler que le chef d'un lit.at tiers, dans un acte, chose curieuse, où il déclarait cet Ktnt sans intérêt dans la question des réparations, ruinait la force juridique des accords en vigueur sur cette question. Que telle ai été l'intention du Président, on ne saurait ie penser; mais tel risquait d'être entait le résultat de sa démarche. Une des principales préoccupations des négociateurs français a donc été d'obtenir les apaisements nécessaires quant au maintien des traités. Et il faut dire que, sur ce point, ils ont eu entière satisfaction. Non seulement dès le 26 juin, à la réeeptior de la réponse française, M. Stimson, secrétaire d'Etat, déclarait que l'on n'avait. aucunement envisagé « une modification d'un accord international quelconque ». l\'on seulement l'accord franco-américain contient une clause qui maintient le versement de l'annuité inconditionnelle. un arrangement étant pris pour qu'elle soit reversée immédiatement entre des mains allemandes. Mais et c'est là le point décisif cet accord contient un plan précis d'amortissement de l'annuité différée et une stipulation d'intérêts ainsi se trouvent conciliés l'ajournement des paiements voulu par le Président Hoover et le maintien du plan Young. Il était impossible de sauvegarder d'une façon plus positive, le principe de la foi due aux traités.
La question du Groenland de l'Est. Le débat qui se poursuit depuis quelque temps e;itre la Norvège et le Danemark revêt un tour nouveau. Des pècheurs norvégiens ont pris possession au nom du Roi et hissé le drapeau norvégien à Mosquito Bay. Le gouvernement danois a suggéré que le conflit soit réglé par médiation ou arbitrage. Le gouvernement norvégien accepterait de le soumettre à la Cour permanente de Justice internationale sous deux conditions que le Danemark s'engage à ne pas s'opposer à l'annexion par la Norvège, si la Cour décide que le Groenland de l'Est est un territoire inoccupé – que le Danemark accepte la situation au 1er juillet 1931 comme base de la procédure. On croit que le Danemark n'acceptera pas ces conditions.
Deux décrets du gouvernement espagnol les incompatibilités en matière consulaire l'interdiction de l'exportation des oeuvres d'art. Pendant que s'élabore la future constitution qui contiendra, semble-t-il, d'importantes dispositions concernant les relations internationales le Gouvernement provisoire a pris certaines mesures relatives à ces relations.
Rappelant les difficultés fréquemment soulevées par les demandes d'exequalw en faveur de ressortissants espagnols nommes consuls honoraires de pays étrangers, un décret pose en principe l'incompatibilité des fonctions de consul avec l'exercice de certaines charges publiques. Il décide donc que désormais Vexequatur ou l'autorisation d'exercer les fonctions consulaires seront refusés 1° aux fonctionnaires, civils et militaires, de l'Etat, des provinces et des communes, à moins qu'ils ne soient dans la situation de congé ou de retraite 20 aux représentants de la nation aux Covtès, étant bien entendu que si un consul honoraire d'un pays étranger est du, il cessera ipso facto ses fonctions consulaires aux gouverneurs civils en fonctions, et pendant les deux années de la cessation de ces fonctions dans les provinces où ils les auront exercées 4° aux présidents de députation, députés provinciaux, maires et conseillers 5° aux présidents, syndics et secrétaires des Commissions des travaux des ports 6° à ceux qui ont perdu la nationalité espagnole, même s'ils étaient nommés par les pays dont'ils ont acquis la nationalité. Pourront obtenir Vexequatur les fonctionnaires de l'Etat, des provinces ou des communes dont la fonction sera uniquement une fonction d'enseignement.
Un autre décret du Gouvernement espagnol interdit provisoirement l'exportation de tous objets ayant une valeur artistique, archéologique ou historique. Un transfert de propriété en Espagne est permis, mais doit être notifié aux autorités. On attribue ces dispositions sévères à la vente récente d'un célèbre portrait, par Goya et d'un Tiepolo.
.(. R.
L'Interprétation américaine
du pacte de Paris
1
Si la conception américaine du Pacte de la renonciation à la guerre présente une importance primordiale, ce n'est pas seulement parce que les Etats-Unis ont été parmi les instigateurs de ce document diplomatique. C'est surtout parce que la participation des Etats-Unis ce Pacte est considérée en Europe comme une assez sérieuse garantie contre la violation du droit international et l'agression non motivée d'un Etat. Cette tendance à voir dans les Etats-Unis sinon un garant du moins un arbitre nous impose la tâche de soumettre a un examen attentif la conception américaine du pacte de Paris. Il importe de savoir quelles sont dans l'esprit juridique américain les limites d'application de ce Pacte, les réserves dont les Américains l'entourent, les sanctions qu'ils lui reconnaissent, l'attitude enfin qu'ils sont prêts à adopter s'il est violé. Cette analyse est d'autant plus importante que comme lions le verrons – • l'interprétation du Pacte en limite tellcmentla portée que les espérances européennes en ce qui concerne l'Amérique pourraient devenir illusoires.
Les discussions prolongées qui ont eu lieu au Sénat américain lors de la ratification du Pacte Kellogg sont à cet égard édifiantes. D'ailleurs en tenant compte de ces débats, il faut les évaluer avec beaucoup de prudence car le Président de la Commission des Affaires Etrangères du Sénat, Henry Lodge, a déclaré le 28 février 1919, lors de la discussion concernant le Traité de Versailles, que: «l'interprétation n'est pas valable si elle émane d'une seule personne, fût-elle le Président des EtatsUnis lui-même (1) n.
Il n'en est pas moins vrai que l'interprétation émanant des sénateurs aide à dégager l'intention véritable du législateur. Le sénateur Moses (!) Congressional Record, 1912, p. 4746.
a souligné le fait que le droit international ne connaît pas de règle plus établie que celle d'après laquelle les traités internationaux doivent être interprétés selon les intentions des négociateurs (1).
II
Tâchons d'abord de recréer l'atmosphère qui environnait l'ouverture de l'historique débat du 3 janvier 1929 sur la ratification du Pacte Kellogg. Ces débats ont été précédés par la première discussion du projet de loi préconisant la construction de nouveaux cuirassés. Il est vrai quel'auteur de ce projette sénateur Haie, déclara qu'il ne cherchait pas à entraver la marche de la procédure de ratification du Pacte Kellogg qu'il devait seulement accomplir son devoir en soumettant son projet à l'approbation du Congrès, sans insister sur sa mise en vigueur immédiate. Néanmoins, il découle des débats que l'introduction de ce projet de loi n'avait pas comme but l'ensevelissement de la question d'augmentation des forces navales américaines au contraire la voie restait largement ouverte dans cette direction. Or quand plus tard le sénateur Johnson posa la question de l'existence d'un accord entre les leaders des partis au sujet de l'ajournement ad calendas grœcas, le sénateur Hale répondit que son but était de proclamer les besoins pressants de construction et de céder la voie par la suite au Pacte Kellogg « Ce n'est pas un congé définitif donné au projet de construction navale, je crois au contraire que cela aidera à l'adoption de ce projet (2). »
Le double jeu du sénateur Haie provoqua de violentes répliques des bancs de l'opposition. Hale se leva de nouveau il tenait a préciser que depuis la réponse de Chamberlain à la proposition Kellogg, les EtatsUnis n'ont mis en chantier aucune unité navale, tandis qu' « il n'y a eu aucune modification des programmes navals étrangers à la suite du Pacte Kellogg (3) ».
Si d'autres Puissances ne cessent de développer leurs forces navales; il serait difficile de laisser la flotte américaine « rester en arrière ». Dans l'esprit de l'auteur du projet, cette conclusion a pris une telle évidence qu'il n'a pas hésité, en s'écartant de la tradition américaine, à ajouter que le Président lui-même ainsi que le Secrétaire d'Etat ont promis leur appui au projet.
(1) C. R., 1929, 8 January, p. 1393.
(2) Ibidem, p. 1075.
(3) Ib., p. 1084.
Comment pourrait-on expliquer la contradiction entre l'adoption du Pacte Kellogg et le projet concernant le programme naval ? D'après notre opinion, l'explication de cet événement ne se trouve pas dans le fait que les défenseurs du Pacte Kellogg désiraient placer le Sénat devant, l'alternative ratillcation du Pacte ou augmentation de la marine, quoique l'auteur du projet ait lié sa destinée celle du l'acte Kellogg:» Si le Pacte est adopte dans un délai raisonnable, je ne ferai plus de démarches pour la construction immédiate de cuirassés.» l'alternative était posée ainsi, la ratification du Pacte impliquerait. l'abandon complet du projet, ce qui en réalité n'était pas le cas. Par conséquent, la signification réelle du fait consiste en la démonstration que le Pacte Kellogg n'abolit pas la possibilité éventuelle de l'augmentation des forces navales. En effet, réduit ù l'anabiose, le projet concernant les constructions navales pouvait être mis en vigueur même après la ratification du Pacte, malgré l'opinion du sénateur Leed que « son retour à la vie ne dépendait que de la patience du Sénat et de la réinspiration de son rapporteur (1) ».
Il est significatif que dès le lendemain de la ratification du pacte Kellogg, le 16 janvier, le sénateur Swanson ait fait une tentative -heureusement infructueuse – pour faire ressusciter le projet sur les constructions navales (2).
Et il est évident a priori que si le Pacte Kellogg n'était entouré de réserves et limitations, il n'y aurait aucune nécessité de maintenir le projet de constructions navales. Quelles sont donc ces réserves ? III
La première question qui se pose dans l'interprétation du Pacte, c'est l'étendue de son champ d'application. S'applique-t-il à tous les conflits internationaux ou. au contraire, reste-t-il inefficace devant beaucoup de ces vastes problèmes ? Il est hors de doute que les EtatsUnis ont opté pour l'interprétation limitative. La première réserve consiste dans le droit pour l'Etat de se défendre.
A la séance du 8 janvier le sénateur Bruce déclara, se faisant porteparole du Sénat entier, que tous les sénateurs préféreraient poser la main sur un four embrasé que d'apposer leurs signatures à un Pacte qui priverait la patrie du droit à la défense (3).
(1) Ib., p. 1815.
(2) II., p. 1047.
(3) p. 1386.
a) Quelle est la portée de cette réserve? b) qui est juge de son étendue ? c) quelles sont ses conséquences ?
a) Dans son discours, lors de la présentation du Pacte au Sénat, le Président de la Commission des Affaires Etrangères, le sénateur liorah, a déclaré que le droit de l'Etat a la défense ne peut être annulé et qu'il est me lu par conséquent dans tout traité international le Secrétaire d'Etat a donc eu raison de remarquer qu'une mention spéciale de cet attribut de la souveraineté dans le Pacte Kellogg n'est point nécessaire (1).
Toutefois cette prémisse peut être interprétée de différentes manières. Quelle est l'interprétation américaine ? La Société américaine de droit international a estimé qu'une définition de l'agression ne servirait t qu'aux « unscrupuloiis agresseurs en facilitant une interprétation abusive. M. Kellogg partagea celte crainte, mais il émit l'opinion que c'est surtout l'agression contre le. territoire national qui pourrait légitimer le recours à la défense par les armes.
Cette interprétation a provoqué une protestation de la part du sénateur Vanderberg « Il est regrettable que le Secrétaire d'Etat mentionne seulement la défense du territoire et non la défense des droits». Cette opinion a porté, car le sénateur Shortridge alla plus loin « C'est regrettable mais je n'admets pas qu'une lettre du Secrétaire d'Etat puisse impliquer une obligation pour le Sénat et pour la nation (2). » Le président de la Commission, sénateur Borah, a étendu la portée de ce droit la défense, en englobant dans cette conception la défense des intérêts nationaux. C'est pour cette raison qu'il a plusieurs fois soutenu que le droit, de défense comprend également la défense de la vie et de la propriété des citoyens américains à l'étranger. D'après son opinion le Pacte n'interdit aucunement « l'envoi de nos cuirassés pour leur protection à l'étranger ». Le sénateur Reed a interprété cette déclaration générale en ce sens qu'elle s'applique, par exemple, aux mesures prises antérieurement contre la Chine et; le Mexique (3). Le sénateur l>orah a ajouté que ces mesures auraient pu être prises même contre les Espagnols en 1898, car ils ont fait sauter un navire américain.
Quand une autre question a été posée au sénateur Borah, à savoir si au cas d'an conflit avec l'Angleterre pareil à celui qui partagea les Etats-Unis et le Nicaragua, le Pacte Kellogg empêcherait les Etats(!) Ib., p. 1267-1268.
(2) Ib., p. 1676.
(3) Ib., p. 1274-
Unis de prendre contre le Royaume-Uni les mêmes mesures qui avaient été prises à l'égard du Nicaragua, M. Borah répondit « Le Pacte Kellogg n'a rien à voir dans cette question (1). »
Nous verrons ultérieurement que le droit de défense est interprété par le Sénat d'une façon si étendue que même la doctrine de Monroë est envisagée par lui comme le simple prolongement du droit à Ici défense.
b) La réserve de défense légitime ayant une si grande étendue, il est d'autant plus important de définir qui est l'arbitre définitif en son application. M. Borah a donné sur cette question une interprétation catégorique « Tant que le Super-Gouvernement international n'est pas créé, les Etats Souverains sont seuls qualifiés pour définir la portée de cette réserve (2). »
Le sénateur Johnson spécifia que c'est « l'Etal intéressé » qui est le juge définitif en cette occurrence (3) et son point de vue a été ap prouvé par la presque unanimité des sénateurs.
Toutefois l'acquiescement du Sénat n'a pu'effacer la contradiction qui s'introduit dans la position des défenseurs du Pacte. En effet, nous sommes maintenant en présence d' « Etats intéressés », vivant et agissant en marge du Pacte et jouissant d'une manière souveraine de leur liberté de déclarer la guerre comme si le Pacte n'existait pas. Le Pactt- de Paris, mis à l'entière disposition des Etats contractants quant à son interprétation, disloqué entre tous les intéressés, perd le caractère de tout acte juridique son unité. Il suivrait de là qu'il y aurait autant de pactes qu'il existe d'Etats signataires. Tout nouvel adhérent au dit pacte y entrerait également avec sa propre conception des clause? et sa propre estimation de sa valeur.
Poussé par ses contradicteurs, M. Borah lui-même reconnut que si la Russie soviétique, par exemple, n'est pas d'accord avec la conception anglaise du Pacte, elle n'a qu'à donner sa propre définition (4) ». Ainsi nous assistons à une désagrégation partielle de ce rempart du Droit que devait être le Pacte de Paris, s'il était resté un dans son idée et son application.
Cependant il est de toute évidence que les traités internationaux doivent avoir un contenu absolument identique pour tous les Etats contractants. Il est impossible juridiquement qu'un traité ait une signification différente pour chaque partie contractante. Le savant (1) lb., p. 1148.
(2) p. 1268.
(3) p. 1145.
(4) Ib., p. 1288.
allemand Tripel dans son oeuvre classique, « Vôlkerrecht und Landesrecht », a professé que la distinction spécifique des traités réside dans l'unité absolue de la compréhension de leur objet par les Etats contractants (Vereinbahrung). Ceci est à l'instar des contrats (Vertrag) qui poursuivent des buts différents.
Il en résulte que le Sénat a ressenti en même temps le besoin de l'unification de l'interprétation du Pacte. C'est pour cette raison que le sénateur Barldey déclare « Ce traité doit avoir la même signification pour toutes les nations qui l'ont signé. Il ne peut pas signifier une chose pour une nation et une chose différente pour une autre (1). » Ce point de vue est tellement indiscutable que M. Borah a été forcé de l'adopter. Il résulte toutefois des débats que M. Borah envisage cette unité du Pacte dans un sens si formel qu'il tend, mis en pratique, à des contradictions perpétuelles. En effet, d'après M. Borah, le Pacte est identique pour chaque nation, car « chaque EtaL a le droit de défense et chaque Etat établit cette définition l'Angleterre, les EtatsUnis, la Russie n.
Il suffit d'examiner l'application du Pacte par ces trois Etats pour être convaincu que cette unification artificielle ne lui enlève aucune des contradictions qu'on lui reproche.
Dans ces conditions une vieille maxime reprend son empire « Ratio legis est anima legis mutata legis ratione, mutatur et lex. » c) Une des conséquences les. plus importantes de l'interprétation autonome du Pacte par les Etats intéressés est la proclamation de la doctrine de Monroë comme simple prolongement du droit de défense (2).
La doctrine de Monroë, nonobstant le continuel élargissement de sa portée (nous rappelons qu'en l'année 1911 le Sénat décida qu'il était incompatible avec la doctrine de Monroë qu'une compagnie japonaise achetât des terrains privés aux alentours de la Baie Magdalena, c'est-àdire sur le territoire mexicain), a perdu dernièrement son sens combatif vu le manque de résistance européenne à son égard. Il est curieux de noter que c'est à la suite du Pacte de Paris que les Américains ont eu l'occasion de ranimer la flamme éteinte de cette doctrine. Cette résurrection de la doctrine de Monroë était due à la tentative anglaise de se créer en Orient une zone d'intérêts spéciaux où l'Angleterre serait hors l'atteinte du Pacte Kellogg. Il est tellement clair pour M. Borah que la doctrine de Monroë n'est que le simple prolongement du droit (1) Ib., p. 1148.
(2) Ib., p. 1277.
de défense qu'il approuve entièrement le silence du Secrétaire d'Etat à ce sujet.
Mais plusieurs sénateurs ont attribué à cette question une telle importance, qu'ils ont insisté sur la nécessité d'une réserve spéciale à cet égard et cela dans deux directions différentes 1) dans le sens de la proclamation de l'intangibilité de la doctrine de Monroë malgré le Pacte Kellogg 2) dans le sens du désaveu de la réserve anglaise concernant la« doctrine de Monroë britannique ».
1) La proclamation de la doctrine de Monroë semble nécessaire aux sénateurs ad materiam (car elle était mentionnée dans tous les traités américains antérieurs) comme ad personam (car le Secrétaire d'Etat n'est pas infaillible et son opinion doit être soutenue par le Sénat (1). Dans le cas contraire on pourrait croire à l'étranger « qu'il n'existe aucune réserve américaine à l'égard du Pacte (2) ».
2) Le désaveu de la réserve anglaise est envisagé par les sénateurs comme nécessaire, car cet Etat a des intérêts partout et par conséquent ne serait lié nulle part par le Pacte. En tout cas, si ce droit appartient à l'Angleterre, les autres Etats y doivent avoir droit également l'Italie en Adriatique, la France en Méditerranée et en Afrique, etc. (3).
C'est pourquoi plusieurs résolutions ont été soumises au Sénat, qui contenaient la négation du § 10 de la note britannique du 18 juillet 1928. La résolution du sénateur Blaine poursuivait justement ce but en indiquant que la note britannique « ne fait pas partie du texte du Pacte (4) ».
L'auteur appuyait sa résolution sur cette interprétation démagogique que le Pacte de la S. D. N. garantit les Etats contre l'agression extérieure mais non contre les soulèvements internes; l'Angleterre y trouva un « missing linlc » et a « rivé ainsi par le Pacte de Paris la tyrannie qu'elle fait peser sur 400 millions d'indigènes (5) ».
Rejetons cette démagogie superficielle, mais retenons comme important l'argument décisif du sénateur Moses « Si nous approuvons par notre silence la position des autres Etats, nous serons forcés de reconnaître leur pleine liberté d'action (6) ». La majorité a été convaincue par cet argument: «puisque tous les Etats ont interprété ce Pacte, pour quelle raison serions-nous privés de ce droit ? » Le sénateur Borah (1) II., p. 1724.
(2) II., p. 1147.
(3) Ib., p. 1215.
(4) II., p. 1400. Le texte nouveau de la résolution, ib., 1724.
(5) Ib., p. 1462-64.
(6) Ib., p. 1392.
a dû s'incliner devant cette façon de voir et son rapport officiel définitif contient une mention spéciale du droit à la légitime défense et de la doctrine de Monroë (1).
Quant à la résolution Blaine, elle n'a pu réunir la majorité des voix de l'Assemblée. La note anglaise figure donc parmi les documents qui concernent l'application du Pacte. Il faut en conclure que le Sénat américain en a admis la teneur en échange de l'acquiescement anglais à la doctrine de Mouroë. Ce Pacte de Paris est limité d'après la conception américaine par ces deux doctrines.
IV
Il appert de notre examen que la déclaration du Secrétaire d'État (o le Pacte ne contient aucune réserve ou exception et ne comporte aucun arrangement complémentaire qui puisse nuire à son efficacité ou qualifier de quelque manière son objet (2) »), fut trop optimiste en ce qui concerne le champ de son application. Ce champ est encore plus restreint en réalité, car il est entouré d'autres réserves. a) En premier lieu, le pacte de Paris ne s'étend pas aux conflits qui dériveraient du Pacte de la S. D. N. Les États-Unis, quoique ne faisant pas partie de la S. D. N., doivent tenir compte des possibilités de guerre admises par ce Pacte.
On retient ici que le Sénat exprime la crainte d'être entraîné à appuyer les décisions prises par les institutions de Genève. Mais justement la crainte que les États-Unis pourraient être liés « par la légalité des sanctions de la S. D. N. » démontre que la tendance américaine est de suivre le chemin de la mise en harmonie du Pacte de Paris et du Pacte de la S. D. N. plutôt que de s'engager sur la voie de la renonciation complète à la guerre.
Nous trouvons une confirmation de notre opinion dans l'échange suivant de répliques a Sénat «Sénateur Shipstead. Si la violation du Pacte de la S. D. N. menait à un blocus et si les membres de la S. D. N., en l'effectuant, nuisaient à nos droits de libre navigation, notre résistance serait-elle contraire au Pacte Kellogg? » M. Borah: « Non ». Le sénateur Reed exprime la crainte que les navires de guerre ne puissent protéger les navires de commerce après la ratification du Pacte. Le sénateur Borah répond que les États-Unis gardent à cet égard leur pleine liberté d'action (3).
(1) Ib., p. 1783.
(2) Ib., p. 1671.
(3) II., p. 1272.
D'un autre côté, le sénateur Swanson a remarqué que les guerres futures peuvent découler seulement du Pacte de la S. D. N.,qui n'est pas touché par le Pacte de Paris (1).
Ergo, la renonciation à la guerre ne concerne pas les conflits découlant des articles 10, 11., 13 et 16 du Pacte de la S. D. N.
b) Hormis le Pacte de la S. D. N., l'interprétation américaine du Pacte de Paris a suivi celle de l'Europe quant à l'exclusion de son champ d'action des autres traités internationaux. Cette situation concerne en premier lieu le traité de Locarno.
Dans son discours du 28 avril 1928, M. Kellogg a spécifié la nécessité de recourir aux armes conformément au traité de Locarno se présente s'il est violé mais dans ce cas le Pacte de Paris serait également violé. Plusieurs traités d'arbitrage (qui peuvent aboutir à un conflit en cas d'icliec) et même les traités de garantie suivent le chemin du Pacte de Locarno. Le sénateur Walsh a surtout insisté sur l'importance de cette dernière exception dans la note tchécoslovaque du 20 juillet 1928, il est indique que le Pacte de Paris ne contredit en rien les obligations incluses dans les traités conclus par ce pays (2). Cependant, ces traités impliquent des conventions militaires secrètes dont l'existence, d'après l'opinion du sénateur Walsh, menace la base même du Pacte de Paris.
c) Les hésitations des sénateurs quant à la liberté de la politique américaine présentaient, en outre, un aspect double d'une part, on craignait que le Pacte ne vînt entraver l'indépendance de cette politique et, d'autre part, on se demandait si les États-Unis ne seraient pas forcés de participer à des mesures d'exécution du Pacte. Cette dernière question nous mène au problème des sanctions qui garantiraient l'application du Pacte.
V
Le problème des sanctions constitue, en général, le talon d'Achille du droit international mais jamais il n'a été en aussi piteuse posture que devant le Pacte Kellogg. En effet, lors de la ratification du Pacte, M. Borah a mentionné laquestion des sanctions, mais seulement pour écarter l'opinion européenne qui espérait que la signature du Pacte par les Etats-Unis forcerait ceux-ci à participer à sa défense (3). (1) Ib., p. 1214.
(2) Ib., p. 1474.
(3) Ib., p. 1270.
Cette position négative s'est manifestée en premier lieu dans le cas où l'application de ces sanctions serait réclamée par la S. D. N. M. Borah a spécifié que l'Amérique ne serait pas obligée de soutenir le Pacte de Paris, si des États, conformément à l'article 16, déclaraient le blocus contre un tiers (1).
Même au cas où la question des sanctions serait posée par l'Amérique proprio motu, elle serait résolue de même, car d'après le rapport officiel « le Pacte ne contient aucune sanction directe ou indirecte (2) ». Cette attitude nous mène si loin que les obligations imposées aux Etats-Unis par ce Pacte restent dans le vague. Ainsi, quand le sénateur Reed demanda si le Pacte de Paris impliquait l'obligation de le maintenir, il reçut une réponse négative de M. Borah. Il a insisté « par conséquent, nous ne sommes pas obligés d'aider une nation qui serait l'objet d'une agression et nous pourrons faire le commerce avec un Etat agresseur ? » M. Borah répondit « Oui » (3).
Dans ces conditions, la question du critérium d'après lequel on pourrait discriminer entre l'État agresseur et l'État faisant l'objet de l'agression n'a qu'une importance secondaire, quoique M. Borah ait fait une tentative pour poser les jalons juridiques de ce problème (4). Les questions de détail juridiques s'effacent devant l'importance capitale de la déclaration politique suivante « Si un État quelconque violait le Pacte de la S. D. N. et le Pacte de Paris, serions-nous le seul pays qui ne serait pas obligé de réagir ? » (sénateur Johnson). M. Borah « Oui » (5). `
L'histoire du Pacte de garantie concernant les possessions dans l'Océan Pacifique, signé lors de la conférence de Washington, démontre clairement l'impossibilité de se faire des illusions à ce sujet. En effet, les États-Unis étaient intéressés peut-être plus que tous les autres contractants à la défense du statu quo dans le Pacifique. L'opinion universelle était que les Etats-Unis étaient garants, au même titre que les autres États, de l'inviolabilité territoriale. Néanmoins, M. Borah a déclaré récemment que les États-Unis ne sont pas obligés de défendre cette garantie par la force des armes, par suite de l'interprétation du Sénat limitant à cet égard la force liante de ce traité pour les ÉtatsUnis (6).
(1) Ib., p. 1215.
(2) Ib., p. 1783.
(3) Ib., p. 1541.
(4) Nous ne pouvons dans cet article traiter les problèmes de l'importance de l'interprétation, de la force des réserves et de l'application des mesures de coercition. (5) Ib., p. 1270.
(6) Ib., p. 1783.
La situation étant telle en ce qui concerne ce traité de garantie, qui lie l'Amérique au point de vue formel et correspond en même temps à ses intérêts, les conditions générales ne peuvent pas être meilleures pour le Pacte de Paris.
D'autre part, M. Borah a déclaré que la question de la contravention au Pacte ne pourrait intéresser les États-Unis que dans le cas où ses propres intérêts seraient lésés. Admettons, tout de même, qu'une action d'un gouvernement étranger soit si nuisible au Pacte que les États-Unis ne puissent pas rester indifférents, même en dehors de leur propre intérêt. Quel serait le résultat dans ce cas ? Le manquement au Pacte commis par la Russie soviétique lors du récent conflit. sino-russe, manquement signalé par les États-Unis et reconnu par la quasi unanimité des autres États, a démontré que même dans cette circonstance les conséquences pratiques de la protestation américaine furent minimes.
Il est compréhensible, par conséquent, que M. Coolidge lui-même, dans son discours prononcé à l'occasion dela Journée de l'Armistice, ait recommandé simultanément la ratification du Pacte de Paris et l'augmentation des forces navales américaines.
En tout cas il est hors de doute qu'une grande distance sépare le Pacte Kellogg ainsi que le point de vue actuel de son défenseur, M. Borah, de la résolution catégorique que ce dernier avait déposée sur le bureau duSénat le 12 décembre 1927. Eneffet, d'après cette résolutionla guerre était proclamée un crime contre le droit international et chaque État devait être encouragé à en poursuivre les instigateurs et les profiteurs de la façon même dont la constitution des États-Unis « définit et punit les crimes contre le droit international ».
Boris Shatzky,
Ancien Professeur de Droit constitutionnel
à l'Université de St-Péiersbourg.
Chargé d'un cours libre de Droit constitutionnel
américain à V Université de Paris.
Une théorie française
sur la géographie des frontières
La géographie des frontières n'est qu'un aspect de la géographie politique, qui s'entend elle-même en divers sens. Selon l'école allemande, la géographie politique est exclusivement la géographie, des groupes politiques ou plus exactement la géographie des Etats. Pour l'école allemande, issue tout entière de l'enseignement de Ratzel, le rôle essentiel est attribué au sol, qui détermine les Etats. Nul besoin de rappeler les deux conceptions capitales de Ratzel, la position et l'étendue, mais j'en viens aux conséquences. Il résulte de cette conception une notion tout à fait particulière de la frontière. La frontière, pour Ratzel et pour toute l'école de la Geopolitik, est à peu près la forme cartographique de l'Etat ce sont ses mouvements seuls qui marquent la grandeur ou la décadence d'un Etat. Or, l'école française n'adopte ni cette théorie, ni cette méthode. L'école française, représentée à cet égard presqu'exclusivement par l'oeuvre de Vidal de la Blache, considère l'homme, selon l'expression de celui-ci, comme un « facteur géographique » c'est donc un créateur conscient des groupements, qui se contente d'adapter seulement les éléments naturels. Autrement dit, la frontière n'est qu'un cadre, provisoire ou permanent, à une activité humaine déterminée. Elle se modèle sur ce qui s'agite au-dedans et non pas sur les facultés ou les obstacles qu'elle rencontre pour s'établir. Si l'on aime mieux employer un terme plus simple, si la frontière est un cadre, ce n'est pas, comme le dit justement Lucien Febvre, le cadre qui est important, c'est ce qui est encadré. Ainsi, la géographie des frontières est seulement la géographie des limites à l'activité d'un groupe. La frontière par conséquent ne doit pas s'étudier en soi, mais par rapport aux groupes qu'elle sépare. Comme ces groupes ne sont pas immobiles, la frontière n'est jamais déterminée par la nature ou par l'homme. Elle vit avec les groupes et évolue avec eux.
I. LA FRONTIÈRE PHYSIQUE DANS L'ESPACE
La frontière même « naturelle » n'a jamais en elle-même une valeur absolue. Elle n'a qu'une valeur relative d'après la fonction que lui assigne le groupe qu'elle encadre.
Prenons les principaux types de frontières les frontières maritime, montagnarde, fluviale, etc.
La mer est une frontière qui peut passer pour idéale. Cependant, il faut observer que toute mer n'est pas un obstacle. Elle est le plus souvent une zone de liaison entre les peuples. La Grèce antique tournoie autour de la mer Egée et, dans toute la Méditerranée orientale, forme essentiellement des groupes non séparés, mais unis depuis l'Ionie sur la côte asiatique jusqu'au Péloponèse et jusqu'à la Grèce continentale, les Iles de l'Egée, la Crète et même la grande Grèce de l'Italie du Sud. La frontière de la Grèce a été pendant longtemps, non à la mer Egée, mais au delà de l'Archipel, à la lisière de l'Asie méditerranéenne et de l'Asie mineure continentale. Ce qui faisait la séparation, l'obstacle, n'était pas tant la mer elle-même que les différences de climats, les différents genres de vie pour la Grèce, qui se concentrait dans une activité méditerranéenne essentiellement maritime, la steppe ou le désert voisins étaient une frontière plus efficace que la mer elle-même, Prenons un autre exemple. La Baltique, mer fermée et étroite, qui paraîtrait une frontière bien moins réelle que la Méditerranée, est au contraire bien plus efficace. Dans l'histoire, lorsque les Etats ont voulu faire de la Baltique le lien entre deux parties d'Etats, quand ils ont voulu constituer ce qu'on a appelé des lacs baltiques, dont ils étaient les dominateurs, ils ont généralement échoué. Il y a eu différentes tentatives pour faire un lac danois au xvie siècle, un lac suédois au xvne siècle, puis au xixe siècle un lac russe ou un lac allemand. L'échec a été complet la Baltique n'a été un lac allemand que pendant la Grande Guerre, pendant la disparition provisoire d'un certain nombre d'Etats. Sauf de rares exceptions, sur la Baltique il n'y a pour ainsi dire pas de peuples marins. Tous les peuples qui ont vécu sur le bord continental de la Baltique, les Allemands, les Polonais les Russes, d'autres encore ont été exclusivement des peuples continentaux pour qui la mer était une barrière. La Baltique est devenue efficacement un véritable obstacle à l'expansion, une véritable frontière.
Qu'entend-on par « la vocation maritime » de la Grande-Bretagne ? C'est une île, dont les habitants ne se sont aperçus de la structure insulaire que très tard au cours de l'histoire la vocation maritime de la Grande-Bretagne, comme on dit d'un terme un peu trop fataliste, n'est
apparue qu'à partir du moment où la force d'Elisabeth, la volonté de Cromwell ont lutté contre l'Espagne ou les Pays-Bas.
Aujourd'hui il n'en est plus de même la mer est le lien indispensable de l'Empire elle fournit à la Grande-Bretagne 41 de son blé, 45 de son coton, 24 de ses viandes, 86 de ses laines, 78 de son caoutchouc elle nourrit les hommes et les usines. Mais il importe de noter que cette mer, qui est aujourd'hui un lien si étroit, était autrefois une frontière.
On ne peut donc prétendre vraiment que la mer soit toujours une « frontière naturelle ».
Les Alpes sont une chaîne haute, rébarbative, glaciaire. Bien qu'elles soient la chaîne la plus élevée de l'Europe, bien qu'elles ne possèdent que des passages assez rares, bien qu'elles aient les glaciers les plus importants de l'Europe, ce sont des montagnes très fortement occupées. Les cultures et les maisons y montent jusqu'à 2.000 mètres, soit dans le Dauphiné, soit dans le Tyrol. Elles ne sont pas du tout des barrières efficaces les langues s'enchevêtrent dans ce pays alpestre proprement dit qu'est la Suisse la langue germanique franchit la frontière naturelle du Brenner, on trouve les Allemands dans le Nord du Trentin, dans le Sud du Tyrol le français franchit les Alpes dans la vallée supérieure de la Doire, le Val d'Aoste, pays de langue française sur le versant italien. Ai-je besoin de dire que l'Etat de Savoie-Piémont qui depuis longtemps se considérait comme le portier des Alpes, pour employer l'expression du xViie siècle, était en effet le gardien des passages des Alpes, à cheval sur l'un et l'autre versant ?
Voici en Asie le massif d'Arménie, bastion très élevé, très difficile, qui cependant n'a jamais pu servir de frontière le seul contraste certain existait avec les plaines voisines, contraste qui fut une des conditions de la vie économique. Au Nord, les Tatars de l'Azorbe.ïdjan faisaient paître leurs troupeaux sur les plaines de la Caucasie du Sud pendant l'hiver et grimpaient pendant l'été sur les plateaux arméniens. Au Sud, les Kurdes menaient la même vie dans les plaines de Turquie ou de Perse et en été sur la montagne. Les invasions, les massacres, l'asservissement et le partage du massif ont été au point de vue politique la conséquence de ce nomadisme pastoral. Le massif arménien n'est pas une frontière.
L'Himalaya est la chaîne la plus élevée qui soit au monde. Il n'est pas davantage une frontière. Entre le Tibet et l'Inde, un Etat comme le Nepal empiète au Nord sur le domaine du Tibet, et, au contraire, un peu plus à l'Est, l'Etat du Boutan, qui est de population tibétaine, empiète au Sud sur le domaine indien. Les passages se font par les cou-
pures des vallées, cependant profondes. La vallée du Satledj à l'Ouest, les passes du Sikkim au Centre, la large vallée du Tsan Po ont été aménagées les unes et les autres par l'Angleterre. Des cols sont à une hauteur de 4.710 mètres ou 4.727 mètres. La montagne est elle-même à 6 ou 7 ou 8.000 mètres. A travers les cols ont passé de tout temps des caravanes.
En Afrique, l'Aurès du Sud de l'Algérie est un massif montagneux de 1.300 mètres tout découpé et mêlé aux hautes plaines de Constantine. Comme l'a dit un géographe-historien de l'Algérie, M. Emile Gautier, l'Aurès est une sorte de « chicot montagneux » au milieu des hautes plaines, leur donnant des ressources en eau qu'elles n'ont pas. L'Aurès est par conséquent le domaine des sédentaires, le centre autrefois de la Numidie. Tout autour se sont constituées jadis des villes romaines, au nord Lambessa; Tebessa, Majores. La troisième légion romaine, la fameuse légion colonisatrice, a conquis tout le pays non seulement par l'épée, mais encore par la charrue. Aujourd'hui même ce pays est peuplé de pâtres transhumants, de bergers berbères qui s'opposent aux Arabes nomades. Les premiers redoutant les seconds sont soumis depuis le xvie siècle. L'Aurès a été quelquefois un centre de soumission ou de résistance il n'a jamais été une limite réelle.
Un autre type de « frontière naturelle » est le fleuve.
Dans le langage d'autrefois c'était même la frontière naturelle par excellence. Soit le Rhin, très malaisé à traverser. La zone du Rhin alsacien avec ses marais, ses fourrés, ses roseraies, ses faux-bras, ses îles, toutes sortes de marécages, est une frontière relativement difficile. Plus au Nord, le Rhin traverse les schistes par des méandres encaissés vallée profonde, surmontée des Burgs de ces féodaux qui tenaient jadis la région. Malgré ces obstacles, le Rhin a toujours été une frontière mobile. Au Sud, ce n'est pas le fleuve qui forme la frontière, mais la zone marécageuse. Au Nord, dans le massif schisteux rhénan, il n'y a pas de frontière le peuplement des deux rives est absolument semblable un pays vinicole, quelque peu agricole. Et, dans le Nord, aujourd'hui la vallée ne fait que lier un grand pays industriel.
Le Danube lui-même, très varié, est facile à franchir. Dans la puszta hongroise, il y a une véritable confusion entre la plaine et la vallée. On ne sait où la vallée commence. Elle est par conséquent aussi franchissable que la plaine elle-même. Le fleuve se déplace lors des crues du printemps et, autrefois, quand les Romains avaient établi leur ligne frontière sur le Danube, le limes fut, plutôt qu'une ligne de frontière, une route de circulation intérieure.
Aujourd'hui, le Danube n'est pas une limite linguistique. Au Nord
comme au Sud de Belgrade, nous rencontrons des Serbes. Les Roumains dépassent la ligne du Danube dans la région de la Kraïna serbe et nous pourrions multiplier les exemples.
Les fleuves chinois sont des fleuves très peuplés. Le Yang tseu porte des radeaux de 100 mètres de longueur réunissant 10.000 troncs d'arbres, des villages entiers avec des huttes de bambous et des jardins flottants. C'est la continuation de la terre même. La triple ville d'Han kéou, de Ou hang et de Han yang se répète sur les deux rives du Yang tseu.
Je crois que ces exemples peuvent nous montrer de quelle manière il faut employer le terme de « frontière naturelle ou physique. Au contraire, d'autres types physiques qu'on n'a pas l'habitude d'énumérer à cet égard sont des frontières bien plus solides ce sont des frontières non par elles-mêmes, mais par les vides d'humanité qu'elles créent. Je puis donner trois exemples le marais, la forêt et le désert. Le marais est une frontière plus certaine que la mer elle-même ou qu'un fleuve. Les marais de Pinsk entre la Pologne et la Russie sont la seule région dans cette grande plaine du Nord et de l'Est de l'Europe qui soit une frontière véritablement solide pour la Pologne. Cette Polésie, comme on dit, ou « pays de la forêt », est formée de sols imperméables sans pentes, puisque sur près de 400 kilomètres le Pripets ne descend que de 24 mètres, de Pinsk jusqu'au Dniepr. Ces fleuves sont encore pris par les glaces, en particulier le Pripets. Alors que ses affluents de droite lui apportent les eaux de fonte des neiges et des rivières venues directement des Karpathes, il reste gelé et les eaux qui s'étalent contribuent encore à cet aspect de marais. On y distingue plusieurs sortes de marais, les marais fermés qui portent des forêts, les marais ouverts qui aboutissent à des rivières et même des marais artificiels qui portent des moulins ou des barrages à poissons. En tout 8.800.000 hectares dont 2.200.000 hectares de terre ferme inculte et 3.300.000 hectares de forêts marécageuses et de marais les terres cultivables ne donnent guère que du seigle, de l'avoine, des pommes de terre et sont colonisées plutôt par des colons venus du dehors, Tchèques ou Allemands, que par des indigènes russes ou polonais. La forêt est également une frontière extrêmement nette. Jadis encore les cités gauloises, civitaies, étaient simplement des territoires que séparaient des forêts. Ainsi les Parisii se trouvaient inclus entre la forêt de Brie, au Sud, et au Nord les forêts du Valois dont il reste encore aujourd'hui des témoins, forêt d'Ermenonville, forêt de Chantilly, etc. Les Bellovaci., c'est-à-dire les habitants de la région qui a donné son nom à la ville de Beauvais, se trouvaient limités par deux
forêts, la forêt de Bray au Nord et la forêt de Thelle au Sud, qui ont disparu aujourd'hui. Les Suessiones, qui ont donné leur nom à Soissons, s'étendaient entre les forêts de Compiègne, de Laigne au Nord et la forêt de La Fère au Sud. M. Demangeon a pu dire que les forêts s'étendaient entre les cités gauloises « comme des territoires neutres, frontières naturelles qui les défendaient mieux que des montagnes et des vallées ». Aujourd'hui, la forêt amazonienne est le type de la forêt vierge par excellence. Cette forêt a plusieurs étages marécageux avec un sous-bois extrêmement épais, impénétrable, et des arbres qui poussent le plus haut possible pour essayer d'atteindre le soleil. La forêt amazonienne est aujourd'hui le refuge des Indiens indépendants, à peu près les seuls de l'Amérique du Sud, bien que sur la carte ils fassent partie du Brésil. La vieille langue guarani s'y est maintenue plus pure qu'ailleurs. Dans la forêt, qui est immense, il y a bien entendu des divisions la forêt inondée, V i-gapo, marque généralement la limite entre les clans. C'est elle qui forme la meilleure protection entre les tribus guerrières et contre les navigateurs qui autrefois suivaient l'Amazone ou ses affluents pour aller chercher la main-d'œuvre c'était une protection contre la traite.
Le désert peut sembler la frontière idéale. Si l'Himalaya, comme nous l'avons dit tout à l'heure, n'est pas une frontière réelle entre le Tibet et l'Inde, entre le monde chinois et le monde hindou, il y a une frontière plus sûre, plus stable et plus étendue, c'est le désert tibétain. Le Tibet n'est pas une frontière par son altitude. Ce plateau, qui a une moyenne de 4.000 mètres de hauteur, est surtout une frontière par son vide de végétation et d'hommes c'est moins l'étendue du désert qui la crée que son vide.
Le Sahara, pays de la soif, n'est pas une barrière pour les Touareg, qui ont des pâturages au Nord et au Sud. Mais plus à l'Est dans le désert libyque il n'y a même plus trace d'un ancien réseau hydrographique, de ces oued fossiles qui sont si importants pour la vie saharienne, parce qu'on trouve sur cette ligne des points d'eau il n'y a plus de nomades. C'est la frontière véritable entrele monde égyptien et le monde saharien. Autrefois le Sahara a été la vraie frontière de l'Empire romain au Sud c'est essentiellement une terre azoïque les seuls animaux qui peuvent y exister sont ceux qui peuvent traverser le désert grâce à leurs jambes ou à leurs ailes. Le Sahara est la vraie frontière ethnique entre l'Afrique du Nord, qu'on peut appeler l'Afrique blanche, et l'Afrique soudanaise ou l'Afrique noire..
II. LA FRONTIÈRE HUMAINE DANS L'ESPACE
Si la frontière physique n'a pas de valeur absolue, ne fait que séparer des groupes différents, ce sont ces différences qui font les frontières, non pas les plus nettes, mais les plus nombreuses.
Les frontières linguistiques se sont multipliées aujourd'hui. Dans l'Europe d'après guerre il y a eu un morcellement politique, et chaque État a tenu à avoir sa langue. Les marches de l'ancien empire russe sont morcelées. La Russie soviétique elle-même s'est émiettée dans une sorte d'autonomie linguistique, dont quelques éléments assez vivants sont par exemple la république allemande ou la république tatare de la Volga. Jusque dans l'Oukraïne nous trouvons certains particularismes linguistiques qui ont persisté.
A l'intérieur de chaque État à minorités, chaque minorité a tenu à avoir sa langue de civilisation. Les traités de minorités, signés en 1919 et 1920, ont organisé une protection particulière pour les langues. Il convient ici de faire la distinction entre les langues de civilisation et les parlers locaux. Les linguistes entendent par langues de civilisation des langues qui servent de facteurs de civilisation, tandis que les parlers locaux sont des idiomes ou des dialectes. La langue n'exprime pas toujours la nation. Tels le provençal, le breton, qui restent à l'état de parlers locaux, et se fondent dans la langue de civilisation qui est le français ou encore l'irlandais, qui affirme son importance, son utilité, tandis que.l'anglais reste la langue générale commune de l'Irlande. Les langues diverses n'empêchent pas l'unité nationale voyez la Suisse et la Belgique.
L'interpénétration linguistique rend particulièrement difficile le tracé des frontières. Prenons à titre d'exemple les confins de la Roumanie le peuplement roumain pur s'est maintenu dans la zone des montagnes et des collines, dans la zone des forêts et des bocages il y a eu cependant une invasion roumaine descendue de ces montagnes et de ces collines dans le Nord-Est de la Serbie et au delà du Dniestr dans la zone russe de même se sont constituées des langues d'allogènes dans les plaines, particulièrement le hongrois dans les villes de la plaine de la Tisza, dû surtout à l'afflux des fonctionnaires et des commerçants||magyars à l'époque de l'Autriche-Hongrie. La masse roumaine elle-même déborde sur la plaine, atteignant la ligne des villes, en particulier les débouchés de certains fleuves, du Maroch à Arad, du Kôrôch à Oradea Mare, du Samoch à Szatmar.
Dans le pays de Galles, nous constatons également une multiplicité des parlers locaux c'est une faiblesse qui a aidé au triomphe de
l'anglais. L'anglais a gagné toute la région basse et fertile, le Sud-Est du pays de Galles, où l'on compte 70 à 80 de gens parlant anglais, tandis qu'au contraire les terres froides du Nord-Ouest ont conservé un plus grand nombre de celtisants on n'y trouve que 20 à 25 de gens qui parlent l'anglais.
En Irlande, les statistiques religieuses ou électorales déterminent trois groupes dans le Nord-Est, qui est la région d'influence et de majorité anglaises. Dans le Nord-Est, les 3/4 de la population sont protestants. A l'Ouest et au Sud de l'Ulster, les 3/4 de la population sont catholiques et, dans le Centre de l'Ulster, c'est-à-dire entre ces deux groupes protestant et catholique, Irlandais et Anglais sont à peu près à égalité. En fait, aujourd'hui la population anglaise ne conserve la domination que dans le Nord-Est, mais l'État Libre ne comprend ni le Nord-Ouest ni le Centre de l'Ulster parce qu'on a cherché à conserver surtout une frontière économique. C'est un mélange dû à d'autres considérations.
D'autres exemples de frontières humaines sont les frontières administratives. Elles n'ont pas toujours été précises. En 1789, le royaume de France n'avait pas de limites exactes ni définitives. Cinq villes étaient des enclaves françaises à l'extérieur de la France Philippeville, Marienbourg, Givct, Fumay, Revin, plus loin les duchés de Bouillon et de Thionville. En Alsace des enclaves appartenaient à l'étranger comme la République de Mulhouse, comme la terre de Porrentruy, possession de l'évêque de Bâle. Ailleurs, d'autres enclaves comme la principauté de Bidache dans le Sud-Ouest français, le pays basque, Montbéliard, la principauté de Sarre en Lorraine, le comté de Saarverden, le Comtat venaissin, l'État d'Avignon. Il n'y avait donc pas de limites administratives fixées.
Aujourd'hui, dans l'Amérique du Sud, les limites des États actuels reproduisent celles des anciennes divisions administratives espagnoles les vice-royautés de la Nouvelle-Grenade, du Pérou et de la Plata. Naturellement, il s'est produit des difficultés dans l'interprétation des limites. Les litiges de frontières ont été très nombreux en Amérique du Sud parce qu'il s'agissait des frontières administratives qu'on essayait de faire coïncider avec des frontières physiques, et généralement on échouait. L'Équateur contestait sa frontière avec le Pérou sur la ligne du Maranon supérieur le Paraguay contestait sa frontière avec l'Argentine sur la ligne du Pilcomayo le Pérou contestait sa frontière avec le Chili sur les terres à nitrate, les provinces de Tacna et d'Arica dont l'arbitrage du président des Etats-Unis vient, il y a six ans, de fixer les frontières.
Les frontières économiques sont encore très différentes des frontières politiques. Exemple les zones franches de la Savoie. La Savoie a été divisée, depuis les annexions successives, particulièrement depuis 1860, en un certain nombre de zones économiques dont les limites ne coïncident pas avec la frontière politique. Ce qu'on appelle la « petite zone était la zone de Gex et la « zone sarde » à l'Est de Genève. En 1860, a été créée la « grande zone »;les Savoyards, réunis à la France, avaient accepté la réunion à la condition qu'il y eût une « zone » libre ouverte du côté de la Suisse. Cette zone fut créée par un acte unilatéral de la France au mois de juin 1860. Depuis, la France prétend la supprimer de son propre chef, alors que les pays suisses, le pays genevois en particulier, invoquent les accords internationaux. L'affaire a été soumise à la Cour permanente de Justice de la Haye, qui a engagé les parties à s'entendre directement.
Dans l'Europe actuelle, depuis la guerre, les frontières économiques se sont multipliées. Le nombre des unités douanières a passé de 26 à 35, le nombre de kilomètres de frontière douanière a passé de 12.000 à 18.000. Toute économie nationale tend à se défendre par des barrières tarifaires. En comparant cette Europe avec le vaste marché économique des Etats-Unis qui a 120 millions d'hommes sans aucune barrière économique, on a pu être amené à proposer un certain nombre de remèdes. A ces remèdes ont travaillé la conférence économique internationale de Genève de 1927 et celle qui s'est terminée le 1er avril 1.930 par une série de recommandations signées de onze États. De ces constatations, une première conclusion se dégage la frontière, qu'on appelle naturelle ou artificielle, ne résulte ni de bornes physiques imposées par la nature, ni des intérêts humains, témoignages de grandeur ou de décadence des États. La frontière est bien plutôt le résultat d'un équilibre entre les forces vitales de deux peuples frontière dynamique et non statique fondée sur des bases physiques par des forces humaines. Mais les éléments physiques ont moins d'immutabilité que l'on ne s'imagine. Et les forces humaines ont évidemment varié. Un jour vient où les forces, qui font les États, s'équilibrent. Alors la frontière se stabilise.
III. LA FRONTIÈRE DANS LE TEMPS
Précisément parce que la frontière n'est qu'un équilibre, la conception de la frontière a évolué. Prenons comme exemples une conception antique, une conception médiévale, et une conception moderne. Dans l'antiquité, le limes romain n'était pas une ligne frontalière.
Le Danube était une ligne de circulation intérieure il y avait des cités romaines sur les deux rives, la flotte byzantine circulait sur cette ligne ainsi que sur une ligne de surveillance de l'Empire. Sur la rive gauche, des têtes de pont, défendues par les limitanei, formaient encore des partes Romaniae, des régions de Romanie, opposées à ce qu'on appelait le varharicum, c'est-à-dire le monde barbare. Si nous essayons de suivre ce limes non pas sur une ligne fluviale, mais dans une région désertique, comme en Afrique, nous trouvons qu'au cours des temps le limes a encore varié il n'a jamais été une ligne régulière, mais plutôt une zone de défense.
Au moyen âge, les Barbares entrent dans l'Empire romain. Ainsi, les Bulgares pénètrent dans les Balkans au vie siècle. Les anciens Slaves étaient organisés en nations de rivières il y avait les gens de la Volga, les gens de la Morava, etc. Les bandes qui arrivaient trouvaient dans l'Empire des cités bien organisées. Ainsi les Francs rencontraient, ailleurs, des cités défendues par les évoques. Les Bulgares viennent des steppes russes s'installer dans une zone peu habitable, s'introduisent dans l'angle formé par le Danube et le Dniestr, à peu près la Bessarabie et la Dobrodgea d'aujourd'hui. C'est un pays qui est surtout une route le chemin de Constantinople. Les soldats obéissent à leurs khans, simples chefs de bandes restés païens, quelquefois devenant chrétiens, c'est-à-dire se faisant naturaliser dans la civilisation européenne afin de rester dans l'Empire. Ce qu'ils demandaient, c'était ou un tribut ou une place de commerce favorable, une place-frontière où l'on échangeait des produits le moyen le plus pratique pour obtenir des concessions était de se faire orthodoxe. C'est ce qui arriva au roi Boris à la fin du ixe siècle. Dès lors, les Bulgares s'appliquent à imiter les autres chrétiens et les chefs cherchent à devenir Empereurs, Césars, Tsars. Le Tsar Siméon, fils de Boris, gouverne de 893 à 927, mais son tsarat n'est pas un État à limites définies il est fait de concessions impériales, inscrites sur les bornes qui marquent le chemin de Constantinople ou celui de Salonique. Cet Empire bulgare ne dure pas il n'y a plus que les secousses des offensives partielles pâtres qui se détachent de leur premier habitat pour entreprendre une razzia de-ci de-là dans une vallée déterminée, vers une cité florissante. Parfois ils réussissent, mais leur succès est généralement sans lendemain. Tel fut le second Empire bulgare du xie siècle. Ces Empires n'ont pas de frontières solides, ce sont des « dromocraties », des Puissances routières.
A l'époque moderne prévaut l'idée nationale, qui ne s'est précisée
que peu à peu dans des limites fixes. Nous savons la manière dont la Serbie du début du xixe siècle s'est agrandie petit à petit pour devenir la Yougoslavie d'aujourd'hui. Pourtant, il n'y a jamais eu d'idées nettes sur la frontière de l'État serbe. En 1878, lors de l'annexion de Nich et de Pirot on est obligé de couper la frontière de sorte que certains propriétaires avaient leur champ de part et d'autre. Deuxième conclusion sous cette évolution apparaissent à la fois un moyen et un but.
D'abord une grande part humaine dans le tracé des frontières. La guerre, la diplomatie, ainsi que d'autres facteurs, stratégiques, économiques, moraux tous ces facteurs humains ont varié dans le temps. « Le moi prend conscience de lui-même au contact du nonmoi », a pu dire Vidal de La Blache en parlant de l'Alsace et de la Lorraine. C'est moins la frontière qui s'impose, que l'unité nationale, que borne la frontière.
Ensuite le but. Le premier but poursuivi est la liaison entre des peuples qui ont des caractères communs le deuxième est un but de sécurité, défense ou protection vis-à-vis de peuples qui ont un caractère différent. Cette sécurité est une chose toute relative et qui varie avec le temps. D'où la tendance vers une sécurité idéale ce qu'on a appelé la frontière naturelle n'est que la frontière idéale. Ce fut la conception de Hichelieu, de Danton, peut-être même dans ces dernières années la conception du maréchal Foch. Ce fut un concept théorique, une frontière qui en réalité n'a jamais été atteinte.
Autrement dit, la volonté de l'homme est l'élément déterminant. Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise frontière en soi cela dépend des circonstances. La frontière des Pyrénées est aujourd'hui une frontière morte, depuis que la liaison s'est faite entre les terres de parler français, par l'annexion de la Navarre et celle du Roussillon. Jadis, c'était une frontière de tension les gens s'y battaient. Depuis que le danger espagnol a disparu, avec la fin de l'hégémonie religieuse de la maison d'Espagne en 1598, avec la fin de son hégémonie territoriale au traité de Westphalie en 1648, le danger est écarté, la frontière est morte on n'y fait plus attention. J'insiste sur ce point: la volonté déterminante de l'homme pour la fixation de la frontière. La frontière n'a pas une valeur absolue elle a une valeur relative, d'après la fonction que lui assigne le groupe qu'elle encadre. Jacques ANCEL,
Professeur à l'Institut des Hautes Etudes
internationales de V Université de Paris.
LA VIE DIPLOMATIQUE
Ephémérides Internationales
Juin 1931 1
1. Elections législatives en Roumanie.
Elections législatives au deuxième degré en Égypte.
Ouverture, à Berlin, du Congrès international de l'habitation.
Publication, par le Bureau de statistique des Pays-Bas, des résultats du recensement, d'après lequel la population des Pays-Bas s'élève à 7.920.388 habitants.
2. Publication, à Lisbonne, d'un décret stabilisant la monnaie nationale au taux de 110 escudos-or par livre sterling.
Ratification, à Téhéran, du traité d'amitié et de la convention d'établissement entre la Perse et la Tchécoslovaquie.
3. Réunion à Paris, du Comité d'organisation de la Socitéé internationale de crédit hypothécaire agricole.
Échange, à Belgrade, des instruments de ratification de la convention commerciale complémentaire polono-yougoslave du 31 août 1930. Signature, à Berlin, d'un accord germano-polonais pour l'application des assurances sociales aux Polonais et aux Allemands ayant changé de nationalité à la suite du traité de Versailles.
Le ministre de Prusse à Munich présente ses lettres de rappel au président du Conseil. La représentation diplomatique de Prusse en Bavière est supprimée.
4. Mort de l'ex-roi Hussein.
Ouverture, à Londres, de la Conférence internationale de l'aviation. Signature, à Berne, d'un protocole additionnel au traité de commerce italo-suisse du 27 janvier 1923.
5. Arrivée à Londres de MM. Brüning et Curtius conférence avec MM. MacDonald et Henderson.
Constitution, à Bruxelles, du nouveau Cabinet sous la présidence de M. Jules Renkin.
Ouverture, à Prague, du 15e Congrès international d'agriculture. Clôture, à Londres, de la 19e session de la Commission internationale de navigation aérienne.
Signature, entre les gouvernements français et hellénique, de la convention modifiée concédant à une compagnie française le privilège des communications aériennes entre la France, la Grèce, la Syrie et l'Indo-Chine.
6. Conférence de MM. Brüning et Curtius avec MM. MacDonald et Henderson à Chequers.
Dissolution de la Chambre des députés en Hongrie.
Expulsion du nonce apostolique en Lituanie, Mgr Riccardo Bartoloni.
Élections sénatoriales en Roumanie.
7. Ouverture, à Bucarest, du Congrès annuel de la Fédération aéronautique internationale.
Ouverture, à Belgrade, du Congrès de l'entente de presse polonoyougoslave.
8. Ouverture, à Budapest, de la 5e Conférence des Agences télégraphiques « alliées ».
Ouverture, à Berlin, du Congrès de la fédération horticole professionnelle internationale.
Clôture, à Prague, du 15e Congrès international d'agriculture.
9. Remise, par le gouvernement italien, d'une note au Vatican au sujet des associations de jeunesses catholiques.
Échange, à Varsovie, des instruments de ratification de la convention consulaire du 17 décembre 1929 entre la Pologne et la Roumanie. 10. Reprise, à Vienne, des négociations pour la revision du traité de commerce austro-yougoslave.
12. Rappel du ministre de Lituanie près le Vatican, M. Schaulys, à la suite des incidents de Kaunas.
13. Transmission des pouvoirs présidentiels à Paris.
Approbation par le Parlement persan de l'adhésion à la clause d'arbitrage obligatoire du statut de la Cour permanente de justice internationale.
14. Élections législatives en Colombie.
Clôture, à Bucarest, du Congrès annuel de la Fédération aéronautique internationale.
15. Le général Tchang Kaï Chek est réélu président du gouvernement de la République chinoise.
Démission, à Caracas, du Dr Juan Bautista Perez, président de la République.
Signature, à Washington, d'un traité d'amitié, d'un traité de commerce et d'une convention consulaire entre la Pologne et les ÉtatsUnis.
Remise par le Vatican d'une note en réponse à celle du gouvernement italien du 9 juin au sujet de la question des jeunesses catholiques. Les résultats du recensement, en Italie, donnent les chiffres provisoires suivants population résidant en Italie, 42.118.435 population présente, 41.145.051.
16. Démission, à Vienne, du Cabinet Ender.
17. Le Secrétaire général de la Société des Nations convoque les gouvernements à la Conférence générale pour la limitation et la réduction des armements qui se tiendra le 2 février 1932 à Genève. 18. La reine des Pays-Bas visite l'Exposition coloniale à Paris.
Échange, à Athènes, des instruments de ratification du traité de commerce polono-hellénique et de la convention étendant aux ressortissants des deux États le privilège de l'exemption du cautionnement pour l'établissement des étrangers.
Clôture de la 15e Conférence du travail.
19. Élection, au Vénézuéla, du général Vicente Gomez, président en remplacement du Dr Perez.
Clôture, à Vienne, des négociations en vue du traité de commerce entre l'Autriche et la Hongrie.
Le 400e anniversaire de la fondation du Collège de France est célébré à Paris en présence des délégués de 34 pays.
20. Publication d'une proposition du président Hoover tendant à la suspension pendant un an des paiements des dettes de guerre intergouvemementales.
Constitution, à Vienne, d'un nouveau Cabinet présidé par M. Buresch.
Ouverture, à Paris, de la 8e session de l'Union juridique internationale.
21. Élections législatives en Bulgarie la coalition gouvernementale est mise en minorité.
23. – Ouverture, à Berlin, des négociations germano-hongroises en vue de la conclusion d'un traité de commerce.
Réunion extraordinaire, à Genève, du Comité d'études économiques des pays agricoles de l'Europe centrale.
Signature, à Dublin, d'un traité de commerce entre la France et
l'État libre d'Irlande sur la base de la clause de la nation la plus favorisée.
Conclusion, à Seibersdorf (frontière polono-tchécoslovaque), d'un accord ferroviaire entre la Pologne et la Tchécoslovaquie.
Ouverture, à Paris, du 15e Congrès international cotonnier.
24. Adhésion de la Grande-Bretagne et de l'Italie à la proposition Hoover.
Signature, à Kaboul, d'un traité de neutralité entre la Russie et l'Afghanistan, en remplacement de l'accord du 31 août 1926. Prorogation, à Berlin, du pacte du 24 avril 1926 entre l'Allemagne et la Russie.
Ouverture, à Genève, de la Conférence des experts économiques pour l'organisation de la production et des échanges.
25. Arrivée à Paris de M. Mellon, secrétaire d'État à la Trésorerie des Etats-Unis.
27. La Chambre française approuve la réponse du Cabinet Laval à la proposition Hoover. Négociations entre M. Mellon et le gouvernement français.
Signature, à Bucarest, de l'accord commercial germano-roumain. Remise, à Kaunas, d'une note du Saint-Siège protestant contre l'expulsion du nonce en Lituanie.
Inauguration solennelle, à Varsovie, de la ligne aérienne DantzigSalonique, via Varsovie, Bucarest, Sufia.
28. Démission, à Sofia; du Cabinet Liaptchev et constitution d'un nouveau Cabinet, présidé par M. Alexandre Malinov.
Élections en Espagne pour l'Assemblée constituante.
Élections législatives en Hongrie.
Prorogation pour six mois du traité de commerce roumano-yougoslave.
29. Ouverture, à Genève, de la Conférence européenne d'hygiène rurale.
Assemblée générale, à Ouchy (Suisse), de l'Union internationale de radiodiffusion.
Décret du gouvernement persan interdisant aux fonctionnaires du ministère des Affaires Éétrangères d'épouser sans autorisation des étrangères.
Nominations
Allemagne. M. Weizsaecker, ministre à Oslo.
Argentine. MM. Miguel Angel de Gamas, consul à Las Palmas Rodrigo Alonso Jimenez Cuenca, vice-consul à Vigo.
Brésil. M. Fialho, secrétaire à Bruxelles.
Chili. – MM. Jorge Echeverria Vigil, conseiller à Buenos-Aires Marcelo Garcia Blest Gacea, secrétaire à Buenos-Aires capitaine de vaisseau Alexis Marfan, attaché naval à Paris MM. Tulio Maquieira Flores, consul général à Barcelone Armando Moock Busquets, consul à Barcelone suppression des postes d'ambassadeurs à Madrid et à Mexico.
Chine. M. Chao-Chu-Wu donne sa démission de ministre à Washington.
Espagne. MM. Alonso Caro, ministre à Athènes Gines Viday Sauras, ministre àCopenhague Bernardo Roland y Miota, conseiller à Londres Gonzalo de Ojeda y Brooke, conseiller à Paris Miguel Angel de Muguiro, conseiller à Bucarest; Francisco Muns y Andreu, conseiller à Rome Luis Quer y Boule, conseiller à Washington Juan Manuel Cano y Trueba, secrétaire à Berne Juan Gomez de Molins y Elio, secrétaire à Quito Rafaël Forns y Quedra, secrétaire à La Havane Fernando Kobe, secrétaire à Paris Prieto del Rio, consul général à Oran Manuel Francisco Javier de Marco, consul à Perpignan Urbano Feijoo de Sotomayor, consul à Francfort Manuel Francisco de Marco, consul à Quito Manuel Manzuco, consul à Palerme Francisco del Castillo, consul à Nice.
Estonie. Le lieutenant-colonel Johann Faud, attaché militaire à Varsovie.
Etats-Unis. MM. F. P. Lockhart, consul général à Tientsin Walter A. Adams, consul général à Hankeou Richard F. Boyce, consul à Barcelone.
Grande-Bretagne. M. Richard Lysle Nosworthy, ministre à La Paz.
Grèce. Le colonel Chr. Zoïopoulos, attaché militaire à Ankara le lieutenant N. Paparodou, adjoint à l'attaché militaire à Belgrade.
Japon. MM. Takeo Kinoshita, secrétaire à Varsovie T. Suzuki, secrétaire à Paris.
Libéria. Le Dr Antoine Sottile, chargé d'affaires, délégué permanent à la Société des Nations, est nommé envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire délégué permanent de Libéria à la Société des Nations et au Bureau International du Travail. Mexique. MM. Pani, ambassadeur à Madrid Portes Gil, ministre à Paris Torres Bodet, secrétaire à Paris.
Panama. M. Narciso Garay, ministre à Paris.
Paraguay. M. Lapierre, consul à Paris.
Pologne. MM. Neuman, ministre à Oslo Babinski, ministre à La Haye Gunther, ministre à Belgrade.
Tchécoslovaquie. M. Vladimir Hurban, consul général à Stockholm Vitezslav Maly, secrétaire à Vienne Ant. Blahovsky, consul au Cap Josef Susta, consul à Lille.
Turquie. Djevad bey, ministre à Varsovie. L'ambassade de Tokio sera désormais gérée par un chargé d'affaires.
Uruguay. MM. Ricardo Areco, chargé d'affaires à Assomption Julio César de Azevedo, secrétaire à Buenos-Aires.
Vatican. Mgr Xavier Ritter, à Berne.
Vénézuéla. M. Laureano Vallenilla Lanz, ministre à Paris.
L'Albanie est un État qui ne fait guère parler de lui que lorsqu'il est le théâtre d'événements sanglants. Cependant il a, comme les autres, ses crises et son évolution. Sa structure économique rudimentaire ne l'a pas tenu à l'abri de la dépression qui pèse sur le monde. Autrefois, la pauvreté de ses ressources trouvait une compensation relative dans le peu d'exigences de sa population. Mais aujourd'hui l'Albanie doit faire face à de lourdes obligations budgétaires armée notamment qui la mettent dans une situation assez peu rassurante.
Pour la première fois depuis l'avènement du roi Zog Ier, un ministre des finances, M. L. Kareco, a exposé au Parlement la véritable situation financière du pays. Il a avoué que l'exercice budgétaire 1931-1932 se présentait déjà avec un déficit de trois millions de francs or, somme nullement insignifiante pour un État de quinze cent mille habitants. Encore les milieux avertis estiment-ils cette prévision très insuffisante selon eux le déficit réel irait à six, sinon à huit millions de francs. M. Kareco explique ce déficit par le fléchissement des recettes douanières, conséquence de la crise économique. Mais il avoue que le pays traîne aussi depuis 1926 une succession de budgets déficitaires, résultant de la fâcheuse pratique qui consiste à boucher les trous de l'exercice en cours par des avances sur le budget suivant. Le 31 mars 1926, les recettes budgétaires avaient été de 6.702.630 francs or, alors que les prévisions portaient sur sept millions et demi. Un an plus tard, les prévisions étaient de 9.137.700 francs, les recettes réalisées de 8.011.550.
LES ÉTATS ET LEUR POLITIQUE
ÉTRANGÈRE
Le dé ficit budgétaire et les orientations extérieures.
Albanie
Le ministre des finances se montre plus discret pour les exercices qui ont suivi l'avènement de Zog rer, c'est-à-dire l'année 1928. Mais il laisse comprendre que, loin de s'améliorer, la situation financière a empiré. On sait en effet par ailleurs qu'aucune tentative n'a été faite pour comprimer les dépenses. Le budget de 1929-1930 était de 31.827.200 francs or, le budget de la guerre, qui avait absorbé en 1922 le tiers des recettes de l'État, en représentait près de la moitié (11.100.000 francs pour l'armée, 3.746.000 pour la gendarmerie) en 1929.
Il a fallu avouer au Parlement que la nécessité obligeait le gouvernement à utiliser le fonds de retraite des fonctionnaires pour faire face aux dépenses les plus urgentes.
Naturellement le ministre des Finances a allégué comme tous les ministres des Finances du monde en ce moment les répercussions du malaise économique universel, encore qu'on soit fondé à lui objecter que l'Albanie, restée en marge de toute politique interbalkanique et exclusivement orientée vers l'Italie, est nécessairement moins justiciable des lois d'interpendance que ses voisins du sud-est européen.
Les négociations engagées depuis de longs mois avec l'Italie ont abouti le 20 juillet à la conclusion d'un accord financier en vertu duquel le gouvernement italien s'engage à verser à l'Albanie pendant dix années une annuité de dix millions de francs or sans intérêt. Cet emprunt ne sera remboursable que lorsque les conditions du budget albanais le permettront. Son emploi sera déterminé par une commission mixte, italo-albanaise, qui siégera pendant toute la durée du crédit.
Il va de soi que cet accord accentue l'influence politique de l'Italie, sous le contrôle de laquelle il place l'administration albanaise. Autriche
Les causes de la dernière crise ministérielle.
L'une des conséquences du malaise économique que subit l'Autriche a été de provoquer une crise ministérielle très longue. Celle-ci a abouti avec la formation du ministère Buresch à une combinaison presque identique à celle du cabinet Ender, qui existait depuis l'ouverture de
la Chambre élue en novembre dernier. Une fois de plus est néanmoins apparue la difficulté qu il y a à maintenir une majorité unie dans le Parlement autrichien.
A l'heure actuelle les socialistes, qui se trouvent en minorité, estiment qu'ils ont intérêt à rester dans l'opposition et ne veulent pas entendre parler d'union nationale. Il leur est également impossible de faire alliance avec les partis, dits du Centre, qui forment le Bloc Schoher. Les idées et le passé de l'ancien chancelier excluent, au moins pour l'instant, une telle hypothèse. Il ne reste donc que la coalition des partis bourgeois. Or ceux-ci sont divisés en trois tronçons bloc Schober, chrétiens-sociaux et heimat-block. Le second de ces groupes est de beaucoup plus important que les deux autres puisqu'il compte 66 députés contre 19 pour le premier et 8 pour le troisième. Si donc à la rigueur, ce dernier peut être tenu en dehors des combinaisons, et c'est ce qui se passe depuis six mois, il est absolument indispensable que les deux premiers soient unis pour avoir la majorité contre les 72 ou 73 députés sociaux-démocrates.
C'est ce. qui est difficile, car les programmes des partis en question présentent de nombreuses divergenccs et sur certains points leurs conceptions se heurtent même complètement. Leurs différends au sujet des questions économiques ont été la cause immédiate de la démission du ministère Ender. Le président du Conseil et le Ministre des Finances, tous deux chrétiens-sociaux, ayant formé un plan d'assainissement comportant à la fois des économies (réductions de traitements, etc.) et des augmentations d'impôts, les membres du parti grand-allemand qui, avec le iandbund, forme le bloc Schober se joignirent aux socialistes pour refuser de voter ces mesures. On réussit à négocier des transactions sur certains points mais cela ne suffit pas à empêcher la chute du Cabinet. C'est, qu'au sein de la majorité, existaient des divisions plus profondes, qui apparurent alors.
Les difficultés qui firent échouer les tentatives de M. Ender.et de Mgr Seipel ne tinrent pas tant, en ce qui concerne la seconde surtout, à l'adoption du plan d'assainissement financier qu'à des désaccords sur la politique générale et, en particulier, sur les questions extérieures. La presse pangcrmaniste protesta avec vigueur contre la possibilité que M. Schober cédât la direction du Ballplatz à Mgr Seipel, accusé par elle de vouloir torpiller l'union douanière austro-allemande. Selon plusieurs journaux, M. Schober lui-même serait intervenu pour démolir la combinaison préparée par son rival.
Quoiqu'il en soit, celui-ci ayant renoncé à assumer la mission de former le Cabinet, on en est revenu à une formule où, bien que le
Président du Conseil et la majorité des ministres soient des chrétiens sociaux, les leviers de commande sont tenus par des grands-allemands. Le seul changement important avec le ministère Ender est dans la personnalité du nouveau ministre des Finances qui jouit d'un grand prestige d'économie et dont on attend beaucoup. Quant à la politique, elle reste dominée par la personnalité de M. Schober et c'est pourquoi l'avenir du Cabinet Buresch dépendra vraisemblablement du sort que recevra à La Haye le projet d'union douanière austro-allemande. Brésil
Le redressement économique et le projet d'union douanière.
Le gouvernement de fait issu de la dernière révolution, présidé par M. Getulio Vargas et reconnu par toutes les puissances étrangères, poursuit avec activité et l'on peut ajouter avec quelque succès son œuvre de reconstruction nationale.
Grâce à de sévères restrictions, on a pu réaliser, en six mois, des économies énormes qui ont permis d'équilibrer le budget et d'améliorer le change. Le redressement définitif de la situation financière ne se fera, d'après les experts, que grâce à un emprunt destiné à permettre la stabilisation du milreis.
Appuyé par le peuple, dirigé par des hommes compétents, le nouveau gouvernement, en dépit de la crise mondiale, se trouve en conditions d'assurer ses engagements à l'intérieur comme à l'extérieur. Nul ne songe à nier les graves et multiples problèmes qui sollicitent l'attention du Président Vargas, mais on croit généralement qu'il en viendra à bout, si l'ordre n'est pas troublé, si la confiance du pays ne lui fait pas défaut, dans ses aspirations patriotiques de chef d'État.
Commentant la proposition faite par le ministre des Affaires Étrangères de la République du Chili, en vue d'un accord douanier entre les différents pays sud-américains, M. de Mello Franco, ministre des Affaires Étrangères, a fait une déclaration par laquelle le gouvernement du Brésil accepterait, en principe, la thèse présentée par le gouvernement chilien.
M. de Mello Franco a dit notamment que le Brésil ne pouvait pas rester en dehors d'un projet d'une aussi haute importance et que, avec le sentiment exact et pratique que la politique douanière améri-
caine répond aux intérêts du continent sud-américain, il estime néanmoins que la question devrait être soumise préalablement à un comité d'experts financiers et d'économistes dont les travaux permettraient aux différents gouvernements de s'acheminer vers une conférence générale.
En ce qui concerne l'aspect financier de la proposition chilienne, M. de Mello Franco a déclaré
« Quant à la question des emprunts, nous ne pouvons l'envisager sans tenir compte du point de vue des créanciers étrangers. »
Chili
Le projet d'union douanière panaméricaine.
Le Chili se débat dans de grandes difficultés de trésorerie. Le ministre des Finances a déclaré que pour maintenir l'équilibre entre les recettes et les dépenses, il avait décidé d'introduire 145 millions d'économies dans le budget en vigueur. Pendant les cinq premiers mois en cours, les dépenses ont été inférieures aux recettes de 125 millions. Un décret vient d'être signé aux termes duquel trois ambassades et cinq légations chiliennes sont supprimées. La légation de Paris est maintenue et c'est M. Pablo Ramirez, ancien ministre des Finances, qui a remplacé M. Arturo Alemparte comme représentant du Chili auprès du gouvernement français.
Le gouvernement du Chili a préparé le plan d'une conférence des nations de l'Amérique latine, en vue d'étudier les moyens de lutter contre la dépression économique actuelle.
Suivant ce plan, les représentants des républiques sud-américaines devront envisager la création d'une union douanière panaméricaine et l'établissement d'une politique commune en matière d'armements. Le Br Terra, président de la République de l'Uruguay, a fait sur cette question les déclarations suivantes
« Il est évident que les droits de douane doivent diminuer peu à peu dans les pays d'Amérique avec des tarifs différentiels qui ne signifient pas une hostilité pour les autres pays, mais qui nous permettent de placer sur notre marché l'excédent de notre production, en concurrence avec les autres nations.
« Quoique le problème soit difficile,il faut l'aborder résolument si
nous voulons procurer des moyens de travail et de richesse à ces populations naissantes. »
Paraguay
Le conflit avec la Bolivie.
Le conflit bolivo-paraguayen est encore à l'ordre du jour. Une nouvelle rupture de relations s'est produite en date du 4 juillet entre les deux États.
On sait qu'à la suite de l'accord de Washington, signé le 3 septembre 1929, les relations diplomatiques avaient été rétablies entre les deux républiques sud-américaines que divisaient une question et des incidents de frontière, principalement la revendication par la Bolivie du territoire du Chaco.
Le conflit actuel est dû à certaines déclarations du ministre de Bolivie à Washington, qui ont provoqué une réplique du chargé d'affaires du Paraguay aux États-Unis.
La Bolivie a immédiatement adressé une note au Paraguay pour lui demander, en termes assez vifs, le désaveu et le rappel de son ministre. Dans le cas contraire, elle se verrait obligée de rompre, encore une fois, les relations diplomatiques.
Le ministre des Affaires Étrangères du Paraguay, Dr Zubizarreta, a répondu à son collègue de La Paz disposé à accepter des raisons, il a repoussé les menaces, se refusant à croire cependant que la Bolivie pouvait prendre des mesures extrêmes à la suite d'un incident sans grande importance.
Malgré de nouvelles et urgentes interventions de pays neutres, la Bolivie a passé outre en rappelant son ministre à Asuncion, M. Guachalla.
Le gouvernement d'Asuncion a donné aussitôt ordre à son représentant diplomatique d'abandonner le territoire bolivien. Il convient d'ajouter que le Paraguay n'a jamais varié dans ses sentiments de conciliation, ayant toujours accepté, sans réserves, toutes les procédures pacifiques.
A diverses reprises, il a manifesté son désir de voir le différend soumis à un organisme compétent la Cour permanente de Justice Inter-
nationale de La Haye. La Bolivie s'est refusée à l'adoption de cette mesure.
Les offres de médiation de différents pays comme les Etats-Unis, Cuba, l'Uruguay, le Mexique n'ont pas davantage eu l'agrément de la Bolivie.
Maintenant, après avoir créé un nouveau conflit, la Bolivie, par l'intermédiaire de la chancellerie argentine, a fait connaître au gouvernement du Paraguay qu'elle n'abandonnait pas ses sentiments pacifistes. Des négociations restent donc possibles qui amèneront, il faut le souhaiter, une solution favorable aux deux pays. Perse
Les relations avec l'Angleterre.
La situation économique très difficile qui règne en Perse a conduit le gouvernement de Téhéran à assumer un contrôle du change et un monopole du commerce, qui ne pouvaient manquer de retentir sérieusement sur les relations du pays avec l'étranger. Les intérêts britanniques, par exemple, se sont alarmés. Mais lord Parmoor a pu annoncer récemment à la Chambre des Lords que les négociations entre la Grande-Bretagne et la Perse pour la conclusion d'un traité de commerce suivaient un cours favorable.
Si importantes que soient ces questions économiques, il ne faut pas oublier que des intérêts politiques de diverses sortes les rencontrent et les dominent. Un ouvrage précieux et récent de M. Ali Akbar Siassi (1) permet de situer les pourparlers actuels par rapport aux événements de ces dernières années. La vieille rivalité anglo-russe d'avant-guerre n'a pas disparu. Pendant un court intervalle de temps, à la suite de la révolution russe de 1917, les troupes anglaises se trouvèrent seules présentes dans le pays, ce qui permit à la Grande-Bretagne d'imposer à la Perse le traité du 9 août 1919, qui plaçait les finances et l'armée sous le contrôle de conseillers britanniques. Ce traité ne fut pas ratifié par la Perse. Et bientôt la Russie bolcheviste reprenait l'action traditionnelle de la Russie dans le nord du pays par le traité de Moscou (1) Ali Akbah Siassi, La Perse au contact de l'Occident, 273 p. in-So, Paris, Ernest Leroux, 1931.
du 26 février 1921 elle s'assurait une grande autorité en renonçant non seulement au régime des capitulations, mais à ses créances, à ses concessions.
Seulement, dans le passé, il semble y avoir eu une idée commune aux deux puissances étrangères rivales le souci de maintenir le pays dans un état de faiblesse et d'anarchie. Or depuis la déchéance des Kadjars et l'avènement du roi Pahlavi en 1925, la Perse a fait un effort considérable d'organisation et de modernisation. Elle s'efforce en même temps de consolider son indépendance réelle et en 1928 elle a réussi à conclure des traités qui abolissent le régime des capitulations et se fondent sur le principe d'une parfaite réciprocité. Dans cette politique de restauration du prestige national, il y a lieu de faire une place à des manifestations qui ont l'ampleur de l'Exposition d'art persan, organisée à Londres au début de cette année.
La proximité de l'Inde et celle de l'Irak crée à la Grande-Bretagne des préoccupations qui pèsent sur ses relations avec la Perse. Certaines démarches récentes du Gouvernement persan se rapportent à des difficultés nées de cette situation. La modification du régime judiciaire en Irak intéresse de nombreux Persans résidants à la session de janvier du Conseil de la Société des Nations, M. Hussein Alâ a obtenu de M. Henderson l'assurance que l'on n'envisageait en Irak aucune discrimination entre les sujets persans et les autres étrangers. D'autre part, la situation que la Grande-Bretagne cherche à s'assurer dans les « marches de l'Inde », en particulier sur les rives du Golfe Persique, l'a conduite à faire valoir sur les îles Bahrein des prétentions contre lesquelles le gouvernement persan s'est élevé. Dans l'effort qu'elle fait depuis quelques années, la Perse a le souci constant d'être traitée avec tous les égards dus à un peuple libre et elle ne peut manquer d'être sensible aux déclarations faites le 25 juin à la Chambre des Lords par lord Peel, qui a souligné « l'importance pour la Grande-Bretagne et pour l'Inde d'une Perse indépendante capable de négocier avec ses voisins sur un pied de complète égalité ». Saint=Siège
La question des jeunesses catholiques.
Le 27 mai le Lavoro fascista, dans un article reproduit par toute
la presse italienne, accusa ouvertement l'Action catholique de développer une activité politique antifasciste. L'Osservatore romano répliqua par un démenti et ouvrit une rubrique où était tenue à jour la liste des violences fascistes contre les membres des sociétés d'Action catholique, contre les prêtres et même contre les églises.
Une véhémente polémique s'institua dès lors entre la presse italienne et l'organe officieux du Vatican. Le Lavoro fascista, poursuivant sa campagne, déclara « découvrir dans la ligne de conduite des dirigeants de l'Action catholique l'ex-organisateur du Parti populaire, qui s'est effondré grâce à la révolution fasciste et par la volonté du peuple italien ».
Le 31 mai, le Saint-Siège annonça que l'envoi d'un cardinal légat aux fêtes de saint Antoine de Padoue était suspendu, de même que la session du Congrès eucharistique diocésain à Rome. Toutes les processions en dehors des églises étaient interdites. En outre, les dirigeants de l'Action catholique étaient placés immédiatement en tout sous la direction et la tutelle de leurs évêques respectifs. En réplique à ces mesures, une note Stefani annonça le 1er juin la dissolution de toutes les associations de jeunesses non fascistes. Le 31 mai et le 2 juin, Pie XI prononça trois discours où il rappela les égards qu'il avait marqués au fascisme et l'esprit de conciliation dans lequel le Vatican avait naguère négocié avec le pouvoir italien. « II ne fallait pas, disait le Pape, se faire d'illusion sur la possibilité pour le diable de se tenir coi devant tant de bien ». Et il dénonçait les persécutions dirigées contre les jeunesses catholiques.
Le 3 juin, la direction du Parti national fasciste examinait à son tour, sous la présidence du Duce, la question de l'Action catholique et adoptait un ordre du jour réaffirmant son immuable respect pour la religion catholique, son chef, ses ministres et ses temples, mais rappelant que; « ceux qui sont tombés pour la révolution exigent qu'elle soit défendue inflexiblement contre quiconque et à n'importe quel prix ». Les journaux se chargèrent d'interpréter cette profession de foi. Ils reprochèrent au Saint-Siège de se montrer plus sévère pour l'Italie que pour la France, et surtout pour l'Espagne où les catholiques avaient été l'objet de brimades ou de sévices. Ils ajoutaient que le régime fasciste, en reconnaissant l'éducation religieuse, rendait injustifiable l'existence de l'Action catholique.
Ainsi, jusqu'à la fin de juin les notes échangées entre les deux gouvernements ne portèrent que sur les questions de fait, et non sur le fond du débat.
Le 24 juin, le gouvernement italien se décida à aborder, dans une
note, tout l'ensemble du problème des rapports entre le fascisme et le Saint-Siège. Sans exprimer de regrets positifs sur les actes dont se plaignait le Vatican, la note laissait entrevoir une enquête et des sanctions. Mais elle ressuscitait une querelle qu'on croyait apaisée en demandant, à son tour, au Saint-Siège des regrets pour les manifestations anti-italiennes qui avaient eu lieu peu auparavant en Yougoslavie à l'instigation de l'archevêque de Zagreb, Mgr Bauer. On apprenait du même coup que la diplomatie romaine avait protesté contre l'attitude de Mgr Bauer, attitude que le souverain pontife n'avait évidemment pas désapprouvée et qu'un journal d'une prudente orthodoxie comme La Croix de Paris avait au contraire déclarée pleinement justifiée.
Puis la note, en relevant l'esprit antifasciste de certaines manifestations de l'Action catholique, annonçait que le gouvernement n'avait pas l'intention de remettre en discussion les mesures prises contre les associations de la jeunesse catholique.
Elle déplorait en outre le retentissement international donné par le Vatican à cette pénible controverse, et elle terminait en acceptant l'ouverture de négociations pour résoudre le différend et préciser le contenu de l'article 43 du Concordat qui reconnaît les organisations dépendant de l'Action catholique en tant qu'elles ne font pas de politique.
Le Vatican riposta aussitôt que ces négociations eussent dû précéder, et non suivre, l'interprétation de l'article 43. Il refusait de s'incliner devant le fait accompli et déniait une fois de plus à l'Action catholique toute tendance politique. Il revenait sur la nécessité de rapporter le décret de dissolution des jeunesses catholiques.
Une note la cinquième rédigée dans ce sens fut en conséquence remise le 1 er juillet. Elle déclarait inadmissible la subordination des regrets du gouvernement fasciste à une enquête sur des faits de notoriété publique et repoussait toute négociation avant le retour au statu quo ante.
Accentuant le caractère international du conflit, Pie XI publia le 4 juillet une encyclique saisissant l'opinion catholique mondiale et dénonçant l'éthique particulière qui est à la base du régime mussoliuien. Il rappelait, en face du fascisme, les droits inviolables de l'Église. Il condamnait toute idéologie « qui se résout en une vraie et propre statolatrie païenne, en plein conflit tout autant avec les droits naturels de la famille, qu'avec les droits surnaturels de l'Église ».
Cette fois, l'opposition fondamentale des deux parties au regard de la question de la jeunesse était mise en pleine lumière. C'était le con-
flit de deux doctrines inconciliables, de deux mystiques, la négation ex cathedra du système totalitaire fasciste.
L'encyclique fut connue de l'étranger avant d'être publiée à Rome, et cette procédure même indisposa vivement les milieux italiens qui parlèrent d' « appel à l'étranger )). Et, de fait, l'encyclique souleva une vive émotion dans le monde catholique, notamment en Pologne, en Allemagne, en Espagne. En Italie, elle apportait une arme nouvelle à toutes les forces de l'opposition antimussolinienne. Le pontife, qui avait naguère qualifié M. Mussolini d'homme providentiel, apparaissait maintenant appelé à cristalliser tous les éléments extérieurs et nationaux d'hostilité à l'idéologie fasciste.
Le conflit, néanmoins, ne parut pas devoir aller jusqu'à une rupture du Concordat, difficile à envisager sans une révocation des accords de Latran, avec les conséquences incalculables qu'elle entraînerait. Le secrétariat du Parti fasciste se borna à déclarer que les Italiens ne pourraient plus appartenir désormais à la fois au fascisme et aux associations dépendant de l'Action catholique.
Les deux parties se tinrent dès lors sur leurs positions, l'Osservatore romano faisant tête à la presse fasciste, mais sans désir apparent de pousser les choses à l'extrême.
Le c( royaume » de Monténégro a été rayé de la carte politique en 1919, sans la moindre formalité juridique ni protocolaire. Aucun des traités de paix ne mentionne le fait, qui, dès lors, a encouru la critique, assez juste, des professionnels du Droit international. La même radiation a trouvé sensibles, pour d'autres raisons, beaucoup de ceux qui avaient eu la bonne fortune de séjourner dans ce petit État unique en son genre, et dont la capitale, où la statistique la plus bienveillante ne parvenait guère à dénombrer plus de 5.000 habitants en 1914, pouvait s'honorer d'abriter une douzaine de Légations.
Une vingtaine d'années plus tôt, ces résidences étaient moins nombreuses, et elles participaient modestement du style local, je veux dire du type d'habitation qui convient aux paysans aisés ou aux petits commerçants retirés des affaires. La plus somptueuse de ces demeures à un seul étage appartenait au ministre russe M. Argyropoulo, si j'ai mémoire et sa façade ne mesurait quère qu'une dizaine de mètres, enchâssée entre la boutique d'un barbier et la devanture d'une épicerie. Elle ne devait donc son prestige qu'à l'écusson impérial, qu'on eût pris de loin pour les panonceaux d'un notaire. Par la suite, la Russie, l'Angleterre, l'Italie. la France, firent construire pour leurs représentants des habitations mi-palais, mi-cottages, en tous cas de belle apparence et confortables, dans lesquelles doivent se prélasser aujourd'hui les administrations locales. Car s'il est vrai que Cettinje
VARIÉTÉS
Diplomates sur un nid d'aigles (SOUVENIRS DE L'ANCIEN MONTÉNÉGRO)
soit déchue, comme Constantinople, de sa grandeur internationale, elle a recouvré, depuis 1929, une certaine importance, en devenant le chef-lieu d'une banovina yougoslave.
Entre l'époque de la guerre gréco-turque (1897) et celle de la première guerre balkanique (1912), les conditions matérielles de séjour offertes à la diplomatie avaient donc beaucoup changé, mais la « vie diplomatique » était restée sensiblement la même. Cettinje, classée parmi les « postes d'observation », n'était au fond qu'un lieu où l'expression « tuer le temps » revêtait sa signification plénière et rendait un compte exact de la nécessité de ce genre de meurtre. Heureux alors le diplomate célibataire qui possédait le précieux goût de la pêche et qui pouvait le satisfaire, de temps en temps, au bord du lac de Scutari Heureux les ménages assez jeunes pour courir les tournois de tennis, ou assez mûrs pour tenir avec autorité les cartes d'un bridge Heureux enfin ceux qui, moyennant les ressources de leur diplomatie à l'usage interne, parvenaient à conquérir la « faveur du Prince » et surtout à se mettre à l'abri des papotages
Cette élite européenne, qui formait en quelque sorte colonie dans un grand village aussi martial que réfractaire aux distractions, ne donnait pas toujours, en effet, le spectacle de l'union parfaite. Il était inévitable qu'elle se subdivisât en clans rares étaient les diplomates dont ni la fonction, ni le caractère, ni la fortune, ne portaient ombrage à personne. J'en ai connu un pourtant et c'était tout justement, au temps dont je parle, M. Logothetis, ministre de Grèce.
Vieux garçon, à la fois cultivé et bonhomme, ne possédant aucun animal domestique, M. Logothetis n'offrait aucune prise à l'antipathie, et pas même à la médisance. C'était d'ailleurs un original. Quand éclata la guerre gréco-turque, mal informé par son gouvernement, il commença par témoigner d'un optimisme et d'un patriotisme touchants, qui lui valurent beaucoup d'égards. On s'entendit pour lui cacher les mauvaises nouvelles, et même son collègue turc, général de cavalerie, eut l'amabilité de louer devant lui la valeur des efzones. Si bien que, pendant les premières hostilités, il eut l'esprit assez tranquille pour poursuivre l'étude d'une question qui lui tenait fort à cœur et qu'il se flattait de résoudre tout seul. Sa cheminée fumait. Elle fumait par suite de la disjonction des briques qui formaient l'âtre de sa modeste chambre à coucher. Sur place, aucun spécialiste, même de mauvaise réputation, qui lui pût prêter aide. Il s'était donc mis au travail, et, après une foule d'essais infructueux, parvenu à un résultat satisfaisant, il en faisait part à tout le monde. On le félicitait cordialement et la colonie diplomatique classa, pendant quelques
jours, parmi les formules d'entrée en conversation « Vous savez que Logothetis est heureux sa cheminée ne fume plus ». Or, il advint qu'au même moment, le doyen de ce corps eut à lui faire une communication officielle et qui n'avait rien d'agréable pour l'amour-propre hellénique. C'était un brave homme, partagé entre le déplaisir de troubler la sérénité de son collègue et les exigences du devoir professionnel. Il guettait l'occasion, et il crut la trouver un jour que M. Logothetis l'entraînait dans son domicile pour lui faire constater de visu le succès de son entreprise. J'étais en tiers à l'entretien. Je vois encore M. Logothetis accroupi, détaillant les difficultés qu'il avait eu à vaincre, pendant que le^ministre de la Puissance X tirait un papier de son veston et s'efforçait de lui en donner lecture. Il n'y parvint pas sans peine, tant son interlocuteur était plein d'un autre sujet et enclin à la distraction.
C'est dans ces conditions solennelles qu'en 1897, à Cettinje, le ministre de Grèce reçut officiellement signification du blocus de la Crète.
Je ne me souviens plus de la date exacte d'un conflit mémorable entre le même représentant de la Puissance X et M. K. ministre d'A. Ce dernier était à peu près le seul diplomate auquel incombaient, à Cettinje, des occupations assidues, et il s'en. créait, au besoin, par le zèle qu'il apportait à épier tout ce qui lui paraissait de nature à intéresser son gouvernement. Il était l'époux d'une jeune femme, accorte et spirituelle, d'origine rhénane, et pourtant aussi Parisienne que possible de modelé et de propos tandis que Mme X., d'origine américaine, n'offrait à la colonie que l'intérêt, d'ailleurs monotone et un peu glacial, réservé aux belles personnes.
Par ces raisons, et peut-être d'autres d'un ordre plus délicat, ces dames maintenaient, l'une vis-à-vis de l'autre, une attitude de suspicion frémissante. Chacune possédait un chien de race, qui les accompagnait à la promenade, sur le coup de onze heures, dans la rue centrale et d'ailleurs presque unique, de Cettinje. D'habitude elles se bornaient à échanger un salut sec. Mais il advint qu'un jour, les chiens se prirent résolument de querelle, tirant sur leur laisse, en dépit des objurgations et des coups d'ombrelle. Lequel avait commencé ? C'est le point sur lequel leurs maîtresses ne parvinrent pas à se mettre
d'accord. On entendit des propos vifs, les flâneurs s'arrêtèrent, les boutiquiers se mirent sur leur porte, les sculpturaux perfaniks (soldats de police) bardés de handjars et de revolvers se gardèrent bien d'intervenir, les aboîments ne manquèrent pas d'attirer de nouveaux spectateurs. Bref, parmi tant de gens qui s'ennuyaient circula la délicieuse sensation d'un scandale. Enfin Les scandales étaient beaucoup plus rares à Cettinje que les orages.
Mais celui-ci détermina une telle ambiance d'électricité que l'un des époux crut devoir prendre l'incident au tragique et envoyer à l'autre ses témoins. Un quart d'heure après le prince Nicolas était au courant. Il se hâta de les convoquer tous deux et il commença par leur rappeler, avec tout le piquant et la rondeur apparente dont il était capable quand il voulait s'en donner la peine qu'il avait fait pendre plusieurs de ses sujets au début de son règne, pour désaccoutumer les autres de la vendetta. Il poursuivit en priant courtoisement ces messieurs de vouloir bien vider leur querelle au delà de la frontière de ses Etats ou bien de laisser tomber l'affaire. Minerve, en la personne de M. Logothetis, l'ami de tout le monde, trouvait que ce dernier parti était le bon, d'accord avec son estimé collègue et ennemi, le général turc. Mais une autre Puissance balkanique veillait. M. Constantinovitch, représentant de la Bulgarie, s'était fait depuis longtemps la réputation d'ambitionner pour son pays les rôles importants et de l'introduire le plus possible dans les démêlés intimes du Concert européen. Il opéra de telle sorte, il fit si bien valoir la publicité du débat et ses rejaillissements sur la respectabilité du corps diplomatique, que ses instances aboutirent à la constitution d'un jury d'honneur. Mieux encore le jury assigna à son propre salon le privilège d'être le siège de l'entrevue de réconciliation jugée nécessaire et dont le protocole, bien entendu, était arrêté d'avance.
La scène se déroula, conforme aux prévisions. Au jour et à l'heure fixés, Mme X et Mme K. plus élégantes l'une que l'autre, celle-ci avec le sourire, celle-là digne et compassée, défilèrent successivement dans la rue toujours la même qui donnait accès à la Légation de Bulgarie. La rumeur publique avait alors le vol aussi rapide à Cettinje que dans le désert personne n'ignorait qu'un événement considérable allait s'accomplir, et personne n'eût songé à se priver du plaisir d'en contempler l'aspect extérieur. Les curieux étaient donc en nombre dans la rue, d'ailleurs moins amusés que déférents. On sut tout de suite que les choses s'étaient passées très correctement, à l'ombre de l'exterritorialité bulgare. Et sans aucun doute M. Constantinovitch pointa sur son agenda une bonne journée.
L'avant-dernière génération diplomatique n'a peut-être pas oublié un épisode, datant de la même époque, et qu'elle-même avait baptisé sauf votre respect, « l'affaire du cochon ».
Les Albanais catholiques de la ville et des environs de Scutari, connus sous le nom de Malissors, vivaient en médiocre intelligence avec leurs compatriotes musulmans, sous le regard plus ou moins courroucé d'un vali qui se défiait au même degré des uns et des autres. Deux au moins des grandes Puissances représentées dans cette ville par des consuls entretenaient une jalousie réciproque et faisaient manœuvrer sur l'échiquier de leurs compétitions, qui l'influence des Franciscains, qui celle des Jésuites c'étaient l'Autriche et l'Italie. Quant au proche voisin, le prince Nicolas de Monténégro, il s'était fait de la politique albanaise un jeu spécial, qui consistait tantôt à encourager les rébellions des Malissors, tantôt à prêter son concours aux autorités ottomanes, toujours à témoigner une vénération apparente au principe du statu quo balkanique mais avec l'arrière-pensée de mettre quelque jour tout le monde d'accord, en étendant sa frontière jusqu'à la rive droite de la Bojana. Scutari était donc alors un « observatoire » qui supportait avantageusement la comparaison avec Cettinje et qui devait en 1912, en 1913, et même plus tard, faire mieux que justifier sa réputation.
J'y arrivai pour la première fois par une matinée merveilleuse, au milieu de ruissellements de lumière sur les monts albanais et sur le lac, entre lesquels s'allongeait une plaine parsemée d'iris. Notre consul de ce temps-là, M. Degrand, me retint à dîner avec son collègue italien, il .cavalière Léoni, et nous passâmes la soirée le plus agréablement du monde, à deviser des mœurs et des intrigues du pays. M. Léoni était un convive disert, qu'on sentait excédé des mauvais tours que lui jouait le consul d'Autriche-Hongrie, et qui nous en conta quelquesuns. « Diable soit, disait-il, des conventions internationales qui ont mis à sa discrétion la poste d'ici et les services postaux du Lloyd 1 Je ne puis ni recevoir, ni expédier un courrier, soit personnel, soit officiel, sans qu'il s'arrange de façon à en prendre connaissance. Je m'en aperçois à certains signes, quoiqu'il se croie plus malin que moi ». Sur le tard nous étions si bons amis qu'il me demanda de me charger d'un pli à faire parvenir, par voie sûre, à son gouvernement. J'avoue que ce fut ma première initiation aux fissures de la Triple-Alliance,
du moins dans la région baignée par la belle Adriatique. Je devais en faire mon profit au cours d'autres voyages.
Entre temps, le vali m'avait reçu de façon très courtoise et confié à un officier-interprète qui me proposa une promenade dans un vieux landau. Entre parenthèses, la promenade fut courte. A cinq cents mètres de la dernière maison de la ville, la chaussée s'évanouissait dans une piste aux fondrières invisibles et aux herbes florissantes. Je crus devoir, par politesse, dire à mon guide – « Où conduit cette route »- Il me répondit avec un sourire flegmatique « Elle se fera ». Sur quoi nous tournâmes bride et l'après-midi s'acheva devant un défilé de nizams.
J'avoue que mon étonnement fut extrême d'apercevoir le lendemain, à six heures du matin, sous les fenêtres de mon gîte, le même officier et le même landau. Je n'avais convoqué ni l'un, ni l'autre, et je m'attendais moins encore à voir entrer l'hôtelier, la mine défaite, en train d'improviser des gestes pour me décider à m'habiller promptement. Un moment après, l'officier m'expliquait qu'il avait pour mission de me conduire au bateau affecté au service du lac, entre Scutari et le port monténégrin de Rjeka, et dont la sirène déjà mugissait. « Son Excellence, me dit-il, est véritablement contristée de la brièveté de votre séjour ici, car elle apprécie plus que quiconque les hôtes de distinction. Mais après ce qui, n'est passé cette nuit, elle tient à se décharger de toute responsabilité à votre égard. Il vaut mieux que vous ne manquiez pas le bateau. J'espère que nous nous reverrons plus tard. »
Ce qui s'était passé cette nuit ? Mon compagnon me l'expliqua dans le trajet de l'hôtel au'port. La semaine précédente des musulmans s'étaient introduits dans un cimetière catholique et avaient. t profané des tombes. En représailles, une poignée de Malissors résolus venaient de s'introduire dans une mosquée, d'y traîner un cochon préalablement égorgé, et de barbouiller les murs avec le sang de cet animal. Une fois connu, cet échange de procédés de bon goût avait mis la population dans un état fébrile. On s'attendait d'un moment à l'autre à une riposte des musulmans, sans compter que les Malissors du voisinage étaient parfaitement capables de prendre fait et cause pour les peintres en sang de cochon. Dans ce pays privilégié où chaque adulte possédait un fusil et se faisait un plaisir de le décrocher, qui pouvait savoir ? Nous étions à quai, l'hélice du vieux bateau commençait à tourner, le sympathique Léoni, déjà au courant de tout, eut juste le temps de me tendre son pli par-dessus le bordage. Quelques minutes après, nous entrions dans le calme majestueux du lac, pendant
que des rumeurs montaient de la ville et que des télégrammes chiffrés ouvraient au cochon anonyme les portes d'une célébrité qui ne fut point éphémère.
En 1897 les fiançailles du prince de Naples, actuel roi d Italie, avec la princesse Hélène Petrovitch-Njegosch, avaient attiré à Cettinje un nombre inaccoutumé de publicistes, dessinateurs, photographes italiens, en même temps qu'elles valaient au Secrétariat de la Cour un déluge d'épithalames en vers et en prose. Le prince Nicolas, lui-même homme de lettres à ses moments perdus, auteur du drame Balkaaska Tsaritsa, n'ignorait pas les égards qu'on doit à la presse. Au début, il traita donc en grand seigreur tous ces personnages d'ogre Adriatico mais, à la longue, il ne trouva pas leur présence indispensable à toutes les fêtes et distractions organisées en l'honneur de l'héritier de la couronne d'Italie, et il s'abstint notamment de leur envoyer des invitations à une certaine chasse au loup, suivie d'un déjeûner champêtre.
Ce n'était pas le compte d'un Sicilien qui se prenait fort au sérieux, M. X. de l' Illustrazione Ualiana, qui, partant pour le Monténégro, avait alléché ses lecteurs par la promesse de les combler de chroniques et de dessins de haute couleur locale. Il faut bien dire aussi que l'amour-propre des Italiens était alors un peu piqué de ce que le prince de Naples n'avait pas fait son choix dans quelque illustre famille régnante et qu'ils n'accordaient, in petto, au modeste souverain de la Montagne Noire, à sa Cour et à son entourage, qu'une considération tempérée et un intérêt provisoire.
Malheureusement, M. X. avait fini par savoir comme tout le monde à Cettinje que ce mariage n'était pas vu non plus de bon œil à la Cour de Saint-Pétersbourg. D'impérieuses convenances politiques exigeaient que la future reine d'Italie fût catholique. Or la princesse Hélène non seulement était née mais avait été élevée dans le culte gréco-slave des Vladika (évêques « orthodoxes ») figuraient avec honneur dans les annales de sa famille et du conglomérat de tribus, devenu Principauté, auquel ils avaient fourni des chefs. Le menu peuple monténégrin, qui a l'esprit délié, comprenait parfaitement que la perspective de devenir reine d'Italie fût une excuse et même une cause légitime de « conversion ». Mais le Saint-Synode russe, que régissait alors le tout puissant procureur général Pobjedonotzeff, était d'un autre avis, et il n'avait pas manqué de saisir le Tsar de ses
objections. Le prince Nicolas eut toutes les peines du monde à convaincre son puissant protecteur qu'elles n'étaient pas dirimantes et à fléchir la diplomatie impériale. Encore celle-ci mit-elle à son acquiescement une condition formelle les rites de l'abjuration seraient réduits au strict minimum ils ne devaient donner lieu qu'à une cérémonie privée. Bref, il était entendu qu'on tirerait autant que possible le rideau sur la publicité du fait.
La Maison de Savoie donna son accord. Les pratiques rituelles eurent donc lieu à la pointe du jour dans l'obscurité du torpilleur qui venait d'assurer le passage de la princesse Hélène en rade de Bari, par le ministère d'un simple chapelain et en présence de deux témoins seulement, dont l'un m'a certifié cette véridique histoire. Mais une bonne légende faisait beaucoup mieux l'affaire de l'astucieux X. Et comme tout de même il ne poussait pas l'aplomb jusqu'à raconter à ses abonnés une scène entièrement imaginaire, c'est au crayon qu'il remit le soin de sa vengeance. Le dimanche qui suivit l'entrée de la princesse en Italie, l'Illustrazione italiana donna en première page un dessin de son crû qui fit naturellement sensation à travers la péninsule. Au second plan, une exacte reproduction du chœur de la cathédrale de Bari, en l'occurrence rempli de prélats revêtus de leurs plus beaux ornements, mitre en tête et crosse en main. Des drapeaux pendaient à la voûte des cérémoniaires en rochet et des fonctionnaires chamarrés se pressaient dans les bas-côtés. Au premier plan la princesse Hélène agenouillée sur un prie-Dieu devant l'Archevêque, dans une pose recueillie, la main sur un missel. Debout, tout près, le prince Nicolas, sabre au côté, la main paternellement élevée au-dessus de la tête de sa fille, semblait se porter garant des sentiments de componction répandus dans l'assemblée. Çà et là, quelques vagues Monténégrins, qui avaient l'air aussi extrêmement satisfaits et dont la présence jetait une note balkanique dans le décor.
Par la valise de l'Ambassade de Russie à Rome, précédée des télégrammes de rigueur, l' IUustrazione italiana ne tarda pas à parvenir à Saint-Pétersbourg, où elle produisit, comme de raison, un effet désastreux. Le prince Nicolas et le ministre de Russie à Cettinje furent sommés de fournir des explications. Heureusement pour eux ils étaient en mesure d'en donner de précises et pertinentes. Nul doute que M. X. ne compromît définitivement^ auprès du Saint-Synode et des cercles russes éclairés, sa réputation de journaliste sincère. Mais il est beaucoup moins assuré que ses compatriotes l'aient pris pour
un mystificateur. ba légende avait la vie dure peut-être l'a-t-elle encore.
A la veille de la première guerre balkanique, Cettinje devint mieux qu'un « poste d'observation », et je pense qu'il n'eût pas été excessif de comparer ce poste à un sémaphore. Bien que placé à la périphérie de la péninsule balkanique, les rumeurs orageuses de l'intérieur commençaient à y parvenir, confirmées, du reste, par les nouvelles quotidiennes d'incidents et même de combats partiels à la frontière monténégrine.
Dès le mois de juillet, une dizaine de milliers de Malissors, en état de rébellion contre la Porte et pourchassés par les nizams, y étaient venus chercher refuge. Leur présence constituait déjà une lourd.e charge alimentaire pour un petit pays mal assuré de sa propre subsistance. Elle devait aussi entrer en ligne de compte dans l'acharnement des réguliers turcs et des bachi-bouzouks à rendre la vie intolérable aux Monténégrins de la région confinant au lac de Scutari et au Sandjak de Novi-Bazar. Ces paysans-soldats étaient mis à chaque instant dans l'impossibilité de rentrer paisiblement leurs récoltes on risquait sa vie en fauchant ses foins. Je copie ici quelques specimens des communications que les Légations recevaient du gouvernement princier, devenu « royal ».
10 août 1912.
Le ministère royal des Affaires étrangères a l'honneur de porter, à titre de renseignements, à la connaissance de la Légation, la dépêche suivante reçue rlu commandant Vechovitch
(' J'arrive à l'instant de Treptché, où l'on m'a remis le rapport suivant du massacre survenu au delà de la frontière. Ontété tués 6 Houkitch, 2 Dévitch, 1 Komatina, 1 Goudovitch, Marko Yélitch avec 4 personnes, Radoulé Dévitch avec ses 4 filles. Il doit y avoir encore des tués, mais leur nombre, ainsi que leurs noms, sont, pour le moment, inconnus. Il y a plus de trente capturés. On m'annonce que les Turcs vont attaquer Politza et la rive droite du fleuve Lim ».
14 août 1912.
Les attaques de la part des cordons Impériaux ne cessent pas du côté de Vélika, Polimbié et Chekoular. Hier, ils ont attaqué notre corps de garde à Chouma. Du côté de la Tara, ils continuent à tirer sur le monastère Dobrilovina et ses environs. Le moine Grbovitch n'est pas à même de continuer à y demeurer, car, suivant la plainte qu'il vient d'adresser aux autorités royales de Jabliak, il ne peut sortir du couvent sans que l'on tire sur lui. Comme il fait clair de lune en ce moment, on tire sur lui même la nuit, dès qu'il sort de sa maison.
La population dans le voisinage du monastère ne peut vaquer aux travaux des
champs. Il lui est impossible de se rendre à l'église les jours fériés, car les nizams tirent dès qu'ils aperçoivent quelqu'un.
17 août 1912.
Depuis les événements survenus dans la Kasa de Bérané, 551 familles se sont réfugiées au Monténégro, composées de 3.741, âmes.
Aujourd'hui, du Roulé de Ravan et des retranchements organisés par les nizams un fusillade ininterrompue a été dirigée contre les villages environnants. Pour compléter l'édification du corps diplomatique accrédité auprès du roi Nicolas, on voyait arriver presque chaque jour à Cettinje quelque Serbe de Macédoine ou du Sandjack, porteur des nouvelles de la terreur qui sévissait dans les vilayets voisins. Plusieurs témoignaient de leur véracité par le spectacle des'mutilations qu'ils avaient subies. Je possède encore, tracée en caractères grossiers, une note émanant d'un malheureux dont les Turcs venaient d'arracher la langue. Tous rapportaient des scènes hideuses de viols, de massacres d'enfants. Dans le courant d'août, on me signala la présence de Mme Popovitch, femme d'un des rares fonctionnaires ottomans d'origine serbe, Kaïmakan de Bérané, membre du Comité| C/mon et Progrès. Elle-même était née Française, sœur d'un des aviateurs distingués de cette époque, M. Tabuteau. Son mari, qui venait d'être assassiné, en même temps que ses deux beaux-frères, à Sienitza, sur les confins nord du Sandjak, lui avait fait parvenir l'avant-veille un télégramme qui lui enjoignait de s'enfuir du Konak de Bérané. Elle avait erré plusieurs jours dans la montagne et les avant-postes monténégrins avaient fini par la recueillir, à la tête de cinq orphelins.
On imagine l'état d'exaspération dans lequel ces récits quotidiens entretenaient une population brave, qui savait, par sa propre histoire. à quoi s'en tenir sur les cruautés dont son ennemi séculaire était capable. Nul doute qu'à ce moment, le télégraphe apportât au roi Nicolas, par l'intermédiaire des Légations, des conseils de patience et de prudence, des promesses d'intervention « pacifique ». Mais comment s'y serait-il pris pour transcrire un pareil langage à l'usage de ses sujets ? Leur simplisme, et ne craignons pas d'écrire le mot leur expérience, protestaient contre cette façon « européenne » d'envisager les choses.
La première guerre balkanique a été pour les chancelleries une surprise, en même temps que l'annonce de l'ouverture des hostilités assénait aux Bourses du continent un coup dont les professionnels ont dû se souvenir. A partir du mois de septembre 1912, elle était « dans l'air », pour l'observateur ou même pour le passant qui assistaient sur place à ses prodromes. Pas n'était besoin d'être initié aux
négociations d'ailleurs tenues dans le plus rare secret entre le roi Nicolas, M. Pasitch, M. Daneff et M. Venizelos, pour prévoir à brève échéance une poussée contre l'Empire ottoman. Cette poussée venait du tréfonds d'un sentiment populaire, et ceci peut expliquer en partie l'allure de « guerre sainte » balkanique que prirent tout de suite les opérations militaires. Rendons d'ailleurs cette justice au roi Nicolas en particulier que, dans une de ses notes aux Légations de sa résidence, il avait dès le 28 juillet laissé passer un avertissement. Je cite textuellement cette note, encore qu'elle contienne quelques redites Les soldats turcs continuent à tirer sur de paisibles agriculteurs et bergers, en les tuant ou blessant même souvent à l'intérieur de leurs propres maisons. Ces faits, en se répétant avec une fréquence alarmante, mettent à une dure épreuve la patience du gouvernement monténégrin. Se trouvant à bout de ressources pour arriver à une entente directe et amiable avec la Turquie, il ne lui reste qu'à faire appel aux grandes puissances signataires du traité de Berlin. Il les supplie de prendre en considération la situation intolérable dans laquelle il se troupe. Enfin, dans le cas peu probable ou ce désir ne serait pas exaucé, il se verrait contraint, par la force des choses, à défendre sa propre cause, quelque sacrifice que cela pût lui coûter.
Le roi Nicolas de Monténégro avait déjà prouvé, au cours d'une surprenante carrière, qu'il savait rédiger un document diplomatique. On eût pu se douter qu'il n'était pas homme à prendre les armes tout seul contre la Sublime Porte, et, qu'en parlant de sa cause propre, il avait ses raisons de penser à d'autres. On prit pour une bravade l'annonce, sous condition, d'une résolution commune.
L'automne suivant, la coalition des États balkaniques portait à la Puissance ottomane un coup dont celle-ci essaya vainement de se relever au cours de la grande guerre. Peut-être l'histoire établirat-elle un jour que la contribution morale du Monténégro à l'œuvre de libération dépasse sa contribution estimée en effectifs et même en intrépidité guerrière. Nicolas Ier était très habile. En lui s'est épuisée, avec la complicité des événements, la sève d'une courte dynastie dont le mérite est d'avoir fait éclore, d'un « nid d'aigle », un embryon d'État presque indiscernable au début du xixe siècle, et qui finit par jouer un rôle dans le dénouement de la question d'Orient. Les archives de chancelleries ne laisseront probablement guère de traces de la vie paisible du corps diplomatique sur ce rocher où il avait été introduit pour ainsi dire par miracle. Mais elles ne lui refuseront pas le témoignage qu'il fut associé, au déclin de l'année 1912, à l'un des épisodes les plus dramatiques, et peut-être les plus décisifs, de l'évolution des Balkans.
Charles LOISEAU.
A propos des fêtes de chant de Riga
Les chansons lettonnes de la Saint-Jean.
La septième fête des chanteurs lettons s'est ouverte à Riga le 20 juin en présence de près de 50.000 auditeurs. Douze mille chanteurs y prenaient part.
Les « chansons de la Saint-Jean » constituent, dans l'ensemble des « dainas » lettonnes, un cycle poétique d'une très grande richesse. En dépit de leur titre, elles n'offrent absolument aucun caractère chrétien. La personne de Jean Janis dans la mythologie lettonne est extrêmement curieuse. De nombreuses chansons font de lui un des « Fils de Dieu )), d'autres le décrivent comme un brillant cavalier, coiffé d'un « large chapeau » et habillé magnifiquement d'autres enfin voient en lui comme un dieu du soleil, une sorte de divinité de là fécondité. On a pu rapprocher le Janis des Lettons du Janus des Italiotes. En réalité, les fêtes de la Saint-Jean, pour les Lettons d'autrefois, en même temps que les fêtes de l'agriculture et de l'élevage, étaient les fêtes de la Fécondité. CulLe magique plus encore que religieux la « nuit de Jean », imprudent celui qui laissait au dehors son cheval; heureuse celle qui pouvait découvrir dans la prairie la fougère rituelle
Ces fêtes traditionnelles, si elles ont à peu près perdu aujourd'hui leur caractère primitif, ont gardé leur sens essentiellement national. Si jamais le chant a été une manifestation nationale, on peut dire que c'est en Lettonie. Si le peuple letton, infime pourtant numériquement, a résisté à sept siècles d'asservissement, c'est à son génie poétique qu'il le doit.
Ces chansons sont innombrables Barons a pu en recueillir environ 200.000. Grâce au beau travail de M. Michel Jonval (1) qui a traduit les plus intéressantes en français, nous pouvons en connaître quelquesunes. Nous sommes assurés d'y découvrir des qualités poétiques et morales que nous trouverons difficilement ailleurs. Souvent très vieilles, toujours œuvres de simples paysans, elles ont la plupart du temps une saveur et un charme étonnants. Sans aucune prétention, sans aucun artifice littéraire, elles suivent pas à pas la vie humble (1) M. JONVAL, Les Chansons mythologiques lettonnes, Paris, Picard.
du paysan, chantant les grands jours de la naissance, du mariage et de la mort. Nul réalisme grossier pourtant. Jamais poésie issue plus directement du peuple ne fut moins « populiste ». Bien au contraire,. on est surpris par ce respect inné de l' « honneur », par cette admiration candide et profonde de la sagesse et de la vigueur chez l'homme, de la beauté et de la pureté chez la femme. Ces chansons comptent rarement plus de quatre vers. Ce qui n'empêche pas ces quatre vers de contenir souvent tout un monde, terrestre ou même divin. Aussi. les1 dieux lettons comme les dieux grecs ne sont-ils point loin des hommes, vivent-ils avec eux et, favorables ou non, leur sont-ils toujours familiers.
Il n'y a donc point de mysticisme chez le Letton, puisque dans sa mythologie il n'y a pas d' « abîme » qui le sépare de ses dieux. A la divinité suprême il ne craint pas de faire des reproches, comme par exemple dans ces vers nuancés d'un pessimisme discret et résigné « Pourquoi, Dieu bon, as-tu fait ainsi le bien à l'un, le mal à l'autre ? à l'un tu donnes des monnaies d'or à l'autre le bâton dans la main » La jeune fille s'adressera à ce même Dieu qui pour elle, au fond, sera comme un vieil oncle, à la fois plein d'indulgence et de compréhension, et lui demandera dans une prière d'une délicieuse franchise « Donne, Dieu, ce que tu donnes Donne-moi un bon ami de vie si tu me le donnes vieux, donne-le riche – ai tu le donnes jeune, donne-le beau. Ce Dieu n'est pas assez distant de l'homme pour n'en pas être solidaire. C'est ce qu'exprime une chanson lettonne dont la naïveté et l'ingénuité apparentes dissimulent mal la haute portée philosophique Où donc, Dieu, resteras-tu quand nous dormirons tous quand tous nousdormirons sous l'herbe verdoyante ? qui même se souviendra de toi ? où donc, Dieu resteras-tu quand tous nous mourrons?-Tu n'as pas de père, pas de mère Tu n'as pas de fiancée. Tu n'as pas de femme, pas d'enfants qui te donnera du pain quand tu seras vieux ?.
Toutes les divinités seront pareillement humanisées Laïma, déesse du destin, protectrice des femmes le vieux et bruyant Perkons, le tonnerre Auseklis, l'étoile du soir enfin et surtout Saule, la déesse du soleil. Voici une jeune fille contemplant de sa fenêtre le soleil à son coucher « étêtant et rougissant les cimes des forêts »
J'ouvris la fenêtre de Saule je regardai dans Saule Elle n'est pas longue la vie que j'ai à vivre dans ce soleil.
Réduite à cette concision, l'expression de la mélancolie nous touche dans notre sensibilité la plus intime. La divine Saule deviendra la consolatrice des affligés, la protectrice des faibles et des pauvres, celle qui illumine et réchauffe toutes les choses de ce monde.
Je regardais Saule, chante l'orpheline tout comme ma mère Elle me réchauffe, elle est belle La parole seule lui manquait.
Voici enfin une petite pièce ou les influences chrétiennes se mêlent étrangement aux apports d'une mythologie païenne, chanson de simple paysanne qui fait songer quelque peu au symbolisme nostalgique d'un Maeterlinck
Oh Je t'en prie, Mère du Vent, Commande à tes servantes Il me faut porter à l'Église une petite, toute petite âme.
Ces quelques exemples ne peuvent donner qu'une bien faible idée de ces petits chefs-d'œuvre. En soi, chaque chanson n'est rien, quatre pauvres vers composés par d'anonymes paysans, transmis pieusement par la tradition orale au cours des siècles. Pourtant chacune a son originalité l'une nous offre dans un raccourci évocateur, dans un minuscule tableautin, une échappée sur le vaste univers l'autre nous émeut par sa forme frêle et gracile qui enferme presque toujours une pensée d'une fraîcheur, d'une finesse et d'une émotion incomparables. Au fond, ces poésies lettonnes pourraient être rapprochées des délicieux cc tankas » où les poétesses japonaises d'autrefois se plaisaient à créer une atmosphère mystérieuse de langueur et de dcuceur, qui n'était pas toujours exempte d'une certaine préciosité. Nos petites chansons ne tomberont jamais dans ce dernier défaut. Si par leur conception, leur lyrisme nullement vulgaire, elles ne sont en rien paysannes, elles ont quand même gardé de la terre de solides qualités de simplicité et de franchise.
Pour le peuple letton, le chant doit, aujourd'hui encore, être plus qu'un simple divertissement musical ou intellectuel, l'expression la plus forte et la plus sacrée de son génie national
Quelle voix sonore je possède
C'est comme si c'était coulé en or.
Dans le lointain les peuples écoutent
Le chapeau à la main.
J. M.
Le Gérant DE Peyealade.
SOMMAIRE
I. Questions politiques et juridiques
Pages
CHRONIQUE POLITIQUE. ̃ Conférences et entrevues à Paris, Londres, Pages
Berlin et Rome 322 CHRONIQUE juridique. L'activité de la Cour permanente de Jus-
ticeinternationale. 326 Le Trente-sixième Congrès de l'« International Law Association ». 330 EDGAR Blum. A propos d'une controverse entre MM. Briand et
Curtius le Projet d'union douanière franco-belge sous la Monar-
chie de Juillet. 337
II. La vie diplomatique
Éphémérides internationales 348 Nominations 352 L'activité diplomatique des États 354 Argentine Les mesures du gouvernement provisoire 354 Bulgarie Les débuts du Cabinet Malinov. 355 Colombie Les élections législatives 358 Grande-Bretagne Les relatio'ns anglo-russes devant la Chambre des
Communes 359
Italie Les rapports avec l'Allemagne et le problème du désarmement. 362 Yougoslavie Les dix ans de règne du roi Alexandre ler. 363 III. – Variétés
Robert de BILLY. Le Salon international du Livre d'art. 366 Jean Valmy BAYSSE. -Les Diplomates et le Théâtre 369 M. 0. L'entrevue de Charles Ier-1 Y et du régent Horthy au printemps
de 1921 373 Bibliographie Moncharville, le de procédure internationale Paul Guggenheim, Les mesures provisoires de procédure internationale (J. R.) Fontes juris gentium (J. R.) Documents diplomatiques français relatifs aux origines de la guerre Friedrich Rosen, Aus einem diplomatischen Wanderleben (M. 0.) Georges Roux, Reviser les traités ? (J. M.) Alfonso Reyes, El testimonio de Juan Pena Louis Edmond le Ratz, Revanche de l'Automne (A. M.). 375
QUESTIONS POLITIQUES ET
JURIDIQUES
Chronique Politique
CONFÉRENCES ET ENTREVUES
A PARIS, LONDRES, BERLIN ET ROME
Au cours des six dernières semaines, des déplacements et des contacts personnels d'hommes d'État ont eu lieu, auxquels on ne peut trouver de précédents qu'en remontant assez loin dans le passé. Pour la première fois depuis Wilson, le gouvernement américain a rencontré dans une conférence les représentants politiques des nations européennes.
Pour la première fois depuis deux générations, un chancelier du Reich est venu à Paris participer à des négociations diplomatiques. Pour la première fois depuis le Congrès de Berlin, un premier ministre et un secrétaire d'État britanniques se sont rendus dans la capitale allemande.
Pour la première fois depuis qu'il est au pouvoir, M. Mussolini a accepté de se rendre dans une capitale étrangère.
Pour la première fois dans l'histoire, enfin, le président du Conseil et le ministre des Affaires étrangères de France ont accepté l'invitation du gouvernement du Reich à lui rendre une prochaine visite. Cet ensemble d'initiatives illustre éloquemment l'évolution qui se poursuit dans le monde, en dépit de contre-temps ou de déceptions périodiques.
Jamais l'Europe n'a connu de vie internationale plus intense qu'au cours de cet été. Les négociations qui se sont engagées à Paris et à Londres à la suite de la proposition de moratoire formulée le 20 juin par le président Hoover ont établi une connexion décisive entre le problème des dettes et réparations et la crise économique. Elles ont, en outre, marqué un premier pas sur la voie d'un changement d'orien-
tation dans la politique des États-Unis vis-à-vis de l'Europe. Sous ce rapport, on peut dire que le moratoire Hoover a eu une importance psychologique très supérieure à ses effets matériels.
Ceux-ci furent, en effet, passablement atténués par la mise en évidence de la détresse du Reich et les inquiétudes qui s'ensuivirent. A peine le plan Hoover était-il adopté, à peine le gouvernement du Reich avait-il pris des mesures pour soutenir le crédit national, qu'une grande entreprise allemande, le Consortium lainier du Nord, s'écroulait, révélant brusquement une défaillance incalculable de l'économie privée. Le président de la Reichsbank, le Dr Luther, se rendit inopinément à Londres et à Paris. Il exposa que des retraits massifs de capitaux étrangers (surtout américains) avaient provoqué en Allemagne une véritable hémorragie financière, mettant en question la stabilité du mark, et sollicita un emprunt de cinquante millions de livres.
Il se rendit aussitôt compte des difficultés auxquelles se heurtait une mobilisation rapide du crédit international. La finance britannique fit connaître qu'elle ne s'associerait à une action de renflouement que si les capitaux français intervenaient dans une large mesure. Ainsi se reproduisit une situation assez analogue à celle qui avait suivi la publication du plan Hoover la France avait entre les mains, sans l'avoir voulu, les éléments essentiels de la solution. Seule, en Europe, elle détenait les ressources financières nécessaires pour l'organisation d'une assistance efficace. Seule, elle pouvait créer l'atmosphère de confiance sans laquelle cette assistance ne pouvait être envisagée. C'est ce que comprirent MM. Brüning et Curtius, qui se rendirent à Paris le 18 juillet et s'y entretinrent avec MM. Laval et Briand. Mais le gouvernement français ne pouvait offrir un concours financier de l'ordre de grandeur de celui que le Reich sollicitait sans exiger en retour certaines garanties d'ordre politique, faute de quoi il se serait exposé à un désaveu du Parlement.
De leur côté, les ministres du Reich ne pouvaient prendre des engagements qui; exploités parles surenchères nationalistes, auraient compromis leur position et, au surplus, auraient été regardés par l'opinion allemande comme « extorqués » sous la pression de la crise économique.
Néanmoins, les entrevues de Paris eurent une influence lénitive sur la situation. Elles montrèrent des deux côtés une bonne volonté et un désir de franchise qui assainirent l'atmosphère.
Ces entrevues furent suivies d'une conférence à Londres (20 juin) entre les représentants (dix-huit ministres et premiers ministres) de
sept États (Allemagne, Belgique, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Japon) sur les méthodes de coopération financière internationale propres à rétablir la confiance dans la stabilité économique de l'Allemagne.
La conférence écarta la question d'un emprunt allemand de grande envergure qui eût exigé la participation des principaux pays, participation que la France subordonnait à des clauses concernant sa sécurité. Elle envisagea seulement les conditions d'un renflouement immédiat et, selon l'expression de M. Mac Donald, les moyens de « rétablir la confiance du capitaliste étranger dans l'Allemagne ».
Le résultat fut l'octroi d'un secours d'urgence pour les prochains mois, au cours desquels la Reichsbank n'aura pas à s'inquiéter pour son avoir en devises, ni pour le remboursement des crédits de soutien déjà accordés. L'effet psychologique de cette décision, joint à celui des décrets-lois édictés par le gouvernement du Reich, devait permettre à l'Allemagne de tenter un effort pour surmonter la crise actuelle par elle-même. En outre, un comité d'experts et de banquiers était chargé d'examiner les besoins qu'elle pourrait avoir de crédits nouveaux, et de faire des propositions appropriées.
Quant à la question d'un emprunt à long terme, elle ne pouvait être mise au point qu'ultérieurement, par une action patiente subordonnée à une amélioration des rapports politiques entre Paris et Berlin.
Nul ne le contestait et, à Londres, à Washington, à Rome, on formait des vœux pour ce rapprochement, sans lequel une détente plus complète ne pouvait être obtenue. Mais dans ces capitales on parlait peut-être moins volontiers d'c( entente franco-allemande » que de « juste équilibre », et il n'était pas malaisé de discerner dans cette formule une attitude peu favorable au point de vue français dans la question du désarmement ou dans celle d'éventuelles garanties politiques. Là était le côté épineux de la situation. Pour la même raison, on comprenait que la France cherchât à s'entendre directement avec sa voisine de l'Est, sans entremise ni médiation.
Ces considérations furent plus ou moins discrètement mises en avant par la presse à l'occasion du voyage des ministres britanniques à Berlin (27 juillet) et des ministres allemands à Rome (7 août). A Berlin, M. Mac Donald souligna l'aversion de l'Angleterre pour le système suranné des alliances et des contre-alliances et déclara que le mot d'ordre de l'avenir devait être la « coopération ». L'évolution de la situation financière allemande était déjà envisagée avec un tel optimisme qu'il en fut à peine question et que les entretiens entre
les hommes d'État allemands et britanniques portèrent surtout sur les rapports commerciaux, la suppression des droits de douane, la journée de travail dans les mines, bref sur des matières touchant essentiellement au programme travailliste.
Cependant, le Dr Grimme, ministre prussien de l'Instruction publique, déclarait à Essen « La meilleure bonne volonté de l'Angleterre ne pourra nous tirer d'affaire seul un accord avec la France peut y aboutir. »
A Rome, il y eut naturellement des échanges de vues sur la politique de « juste équilibre » et, sans doute, sur le désarmement, question dans laquelle l'Italie se trouve aux côtés des Anglo-Saxons et, jusqu'à un certain point, de l'Allemagne. Mais l'Italie parut avant tout soucieuse, comme d'habitude, de réserver sa pleine liberté d'action, et l'Allemagne de se tenir à l'écart des difficultés chroniques qui surgissent entre Rome et Paris, d'autant que, vers le même moment, M. Scialoja avait prononcé à La Haye une plaidoirie retentissante condamnant en termes sévères le projet d'union douanière austroallemande.
Le fait le plus décisif fut l'acceptation par M. Mussolini de l'invitation à rendre sa visite au gouvernement du Reich, à Berlin réplique, dans des conditions bien différentes, de celle qu'il fit en 1922, lorsqu'il était parlementaire et chef du parti fasciste.
Peu après (14 août), MM. Pierre Laval et Briand acceptaient une invitation semblable.
Les experts financiers, réunis à Bâle, ont clos leurs travaux le 19 août. Ils avaient pour mission de dégager la situation réelle de l'Allemagne au regard de ses créanciers comme de ses débiteurs à l'étranger. Il résulte de leur rapport: 1° que les contacts entre hommes d'État devraient se poursuivre, ainsi qu'on en a, d'ailleurs, le désir à Paris et à Berlin 2° que des crédits à long terme bien garantis sont recommandes 30 que, préalablement à ces opérations, toutefois, il y a lieu de prendre des mesures dépassant le mandat du comité, ces mesures devant tendre à faire disparaître l'anomalie qui consiste en ce que, tandis que certains pays se trouvent grevés de lourdes charges, des obstacles sont mis par les créanciers au libre mouvement des marchandises.
Ainsi un rappel brutal des lois de l'interdépendance économique et de la nécessité d'une solidarité organisée avait pour résultat une multiplication de visites et de contacts entre hommes d'État telle que l'histoire n'en avait peut-être jamais connue. Parlà, la crise économique mondiale doublait les efforts des apôtres de la paix. A. M.
Chronique Juridique
L'ACTIVITÉ DE LA COUR PERMANENTE DE
JUSTICE INTERNATIONALE
Affaire du projet d'union douanière austro- allemande la composition de la^Cour. Jamais, sans doute, la Cour n'a eu à se prononcer sur une affaire de plus grande importance que celle-ci jamais sans doute affaire juridique n'a touché à des intérêts politiques d'une telle ampleur. On ne saurait donc s'étonner que les débats se soient ouverts par une discussion et une décision sur un problème relatif à la composition de la Cour et qui implique attitude prise quant à son caractère en partie politique.
Il s'agit de la présence sur le siège de juges ressortissants des parties. Lorsque fut élaboré en 1920 le Statut de la Cour (1), le Comité de juristes chargé de cette tâche se posa la question Un État, partie en cause, peut-il avoir un de ses nationaux dans le tribunal chargé de statuer ? Pour que l'égalité ne fût pas rompue entre les parties on n'avait le choix qu'entre deux solutions il fallait ou bien admettre la récusation obligatoire des juges appartenant à l'une des parties en cause, ou bien, dans le cas où l'une seulement des parties serait représentée, appeler la|partie adverse à se faire représenter par un juge de sa nationalité. La première solution est seule conforme à l'idée d'une justice pure, présentant des garanties d'impartialité absolue. C'est pourtant la seconde qui fut admise et les raisons alors données montrent bien que l'on a conçu la Cour nouvelle, malgré sa dénomination, comme une institution arbitrale plutôt que judiciaire dans un tribunal véritable, on admet que nul ne peut être juge et partie un tribunal arbitral au contraire comprend normalement des représentants des parties. Il faut se souvenir d'un des motifs exposés par le rapporteur, M. de Lapradelle :"« Il est éminemment désirable que les juges puissent, dans les délibérations, faire entendre jusqu'au dernier moment les arguments et moyens de l'État dont ils sont ressortissants. » C'est-à-dire que le juge est un avocat.
L'article 31 du Statut'deJaTour^décide donc que lesjuges de la na(1) Voir surtout le Journal Officiel de la^Société des Nations, année 1920, p. 320 et les Actes de l'Assemblée de la même année, IIIe Commission, p. 443 sq.
tionalité de chacune des parties en cause conservent le droit de siéger et que, si la Cour compte un juge de la nationalité d'une seule des parties, l'autre partie peut désigner pour siéger un juge de sa nationalité. Aux termes de l'article 71 du Règlement de la Cour, tel qu'il a été amendé en 1927, ce texte, écrit pour les affaires contentieuses, s'applique aussi dans le cas d'une demande d'avis consultatif, « lorsque l'avis est demandé sur une question relative à un différend actuellement né entre deux ou plusieurs Etats. » Tel était bien le cas de l'avis demandé par le Conseil de la Société des Nations sur la compatibilité du projet austro-allemand d'union douanière avec le traité de SaintGermain et le protocole de 1922.
Des cinq parties en cause, l'Allemagne, la France et l'Italie avaient un juge sur le siège. L'Autriche demanda qu'on lui reconnût le droit d'en désigner un la Tchécoslovaquie déclara qu'en raison de l'initiative autrichienne, et s'il y était fait droit, elle demandait qu'on lui reconnût la même faculté. Il s'agissait de savoir si l'Autriche faisait cause commune avec l'Allemagne, la Tchécoslovaquie avec la France, car l'article 31 précité décide « Lorsque plusieurs parties font cause commune, elles ne comptent pour l'application des dispositions qui précèdent que pour une seule. En cas de doute la Cour décide. » S'il importe, en effet, que la Cour se compose d'un nombre suffisant de juges (et ce fut un des motifs donnés en 1920 contre la récusation des juges ressortissants des parties), il importe aussi que la Cour ne soit pas trop nombreuse et il peut arriver que le nombre des parties soit très élevé.
L'intérêt de la question préalable était considérable la plupart des affaires qui viennent devant la Cour sont très controversées il arrive souvent que les décisions soient prises à une ou deux voix de majorité. Et, s'il est arrivé que des juges se prononcent contre la thèse du pays dont ils sont ressortissants, le cas reste exceptionnel. Dans une affaire dont les aspects politiques sont essentiels, la composition de la Cour est particulièrement importante.
L'Autriche, en désignant comme son agent devant la Cour un professeur allemand, n'avait sans doute pas préparé une atmosphère favorable à l'admission de sa demande.
La Cour a jugé, le 20 juillet, qu'il n'y avait lieu à désignation de juges ad hoc ni par l'Autriche, ni par la Tchécoslovaquie.
Affaire des zones franches. Par une note du 29 juillet, le gouvernement fédéral suisse a demandé à la Cour de poursuivre la procédure dans l'affaire des zones franches il considère comme ayant échoué
les négociations amiables que devaient faciliter les ordonnances rendues en la cause par la Cour, et celle-ci se trouve appelée à terminer cette fois le litige par un arrêt. Bien que l'affaire ait moins de retentissement que le projet d'union douanière austro-allemand, elle présente un grand intérêt à plusieurs égards, et d'abord pour l'histoire des fonctions de la Cour. Nous remarquions tout à l'heure que la Cour est institution arbitrale plutôt que purement judiciaire. Il faut ajouter que la Cour se considère aussi comme ayant les fonctions de conciliatrice. Tout comme le Conseil de la Société des Nations, elle estime qu'il lui appartient de conduire, si elle le peut, les parties à un accord, et d'éviter ainsi d'avoir à prendre une « décision » proprement dite. L'histoire de l'affaire des zones est caractéristique à cet égard. Le compromis franco-suisse disait que les parties pourraient « recevoir de la Cour, à titre officieux, toutes indications utiles sur le résultat du délibéré » pour les guider dans leurs négociations « avant tout arrêt ». Cette suggestion était en contradiction avec l'article du Statut qui prescrit le secret des délibérations. Cependant la Cour tout en ayant soin de noter l'erreur commise par les rédacteurs du compromis voulut, selon leur vœu, faciliter les négociations et dans ce but, au lieu de faire connaître les résultats de son délibéré, elle rendit, le 26 août 1929, une ordonnance fixant un délai pour négocier et dont les motifs contenaient un exposé de son attitude sur le fond. Ce qui est plus notable encore, c'est que, cette première ordonnance n'ayant pas atteint son but, la Cour en rendit, le 6 décembre 1930, une seconde, dans laquelle elle construit la doctrine d'une procédure un peu différente de celle qui aboutit à la solution du litige par un arrêt elle déclare qu'un « jugement d'accord », consacrant la solution préparée par les ordonnances de la Cour et obtenue par négociation entre les parties, n'est peut-être pas expressément prévu par le Statut, mais se trouve « conforme à son esprit ».
L'intéressante tentative faite ainsi par la Cour dans l'affaire des zones n'a pas abouti les négociations sont rompues, et l'une des parties demande à la Cour d'achever la procédure en rendant un arrêt. Mais cela ne condamne pas la méthode des « jugements d'accord » qui pourra, en d'autres circonstances, avoir plus d'efficacité.
Par une fâcheuse coïncidence, l'échec de la procédure d'accord pose une question extrêmement embarrassante et qui provoque déjà, dans les milieux juridiques, de vives discussions. Aux termes de l'article 13 du Statut de la Cour, les juges ne sont élus que pour neuf ans mais, après leur remplacement, « ils continuent de connaître des affaires dont ils sont déjà saisis ». Or, depuis que l'affaire des zones
franches a été engagée, la Cour a été renouvelée. Ce que stipule l'article 13, ce n'est pas seulement la persistance de la compétence de chaque juge ancien, c'est, croyons-nous, la compétence de la Cour telle qu'elle était constituée lorsqu'elle a été saisie. En effet, si au cas de mort ou démission d'un juge on peut dire que tel juge est remplacé par tel autre (par exemple M. Hughes par M. Kellogg), dans le cas du renouvellement général de la Cour cette formule n'aurait pas de sens l'élection ne se fait pas par siège c'est l'ensemble des juges sortants qui est remplacé par l'ensemble des juges nouveaux. Dans le cas présent, la différence entre la Cour ancienne et la Cour nouvelle se trouve accrue par le fait que l'Assemblée et le Conseil de la Société des Nations n'ont pas seulement en 1930 procédé au renouvellement normal l'Assemblée a porté de onze à quinze le nombre des juges titulaires. On voit quelles redoutables difficultés suscite la démarche du gouvernement suisse. Pratiquement, pourra-t-on reconstituer l'ancienne Cour, obtenir le quorum de neuf exigé par l'article 25 du Statut ? En temps normal, ce quorum s'était déjà révélé difficile à atteindre et ce fut même là la raison principale de l'augmentation du nombre des juges en 1930 qu'en sera-t-il aujourd'hui ? N'y a-t-il pas, en outre, à la reconstitution de la Cour dispersée, une objection juridique ? la Cour comprenant désormais quinze juges titulaires, il n'est pas sûr que l'ancienne Cour de onze titulaires puisse avoir encore une existence légale. Autre difficulté M. Adatci, le Président actuel, ne faisait pas partie de la Cour ancienne. M. Anzilotti reprendra-t-il son siège de Président ? S'il le reprend, ce ne peut être qu'après reconstitution de l'ancienne Cour. Mais qui aura qualité pour convoquer celle-ci ? L'on comprend que la note suisse ait causé à La Haye une très vive sensation, telle, dit-on, que l'attention s'est détournée de l'affaire de l'Union douanière. L'origine de la situation actuelle se trouve dans le fait que la Cour n'a pas été douée en 1920 d'une véritable continuité au lieu d'admettre l'inamovibilité des juges une fois choisis, on les a soumis à réélection, sans doute avec l'arrière-pensée politique d'une sorte de roulement. Ainsi, les réflexions suggérées par l'affaire des zones rejoignent celles qu'inspirait l'affaire de l'Union douanière on se souvient que c'est la question du choix des juges qui avait fait échouer avant la guerre les projets de création d'une Cour de Justice internationale la question a reçu en 1920 une solution ingénieuse, mais qui donne lieu à des embarras, parce que l'opinion était alors et reste aujourd'hui, il faut le reconnaître trop loin de l'idée d'une institution purement judiciaire, c'est-à-dire aussi indépendante que possible des considérations nationales et politiques. J. R.
Le trente=sixième congrès
de l'« International Law Association »
L'« International Law Association » vient de faire paraître le compte rendu (1) du Congrès qu'elle a tenu à New-York du 2 au 9 septembre 1930, sous la présidence de l'Hon. John W. Davis, ancien ambassadeur des États-Unis d'Amérique à la Cour de Saint-James. L'Association, âgée maintenant de 58 ans, groupe des diplomates, des professeurs, des praticiens, des gens d'affaires de tous pays et l'objet de ses travaux est de préparer la solution des problèmes de droit international par une confrontation patiente des doctrines et de l'expérience les sujets, confiés à des Comités spéciaux, restent souvent à l'ordre du jour pendant un certain nombre d'années et ne sont traités en congrès que lorsque le travail préparatoire est au point et permet de formuler des conclusions pratiques. Les rapports soumis au 36e Congrès et les résolutions auxquelles aboutirent les débats montrent la variété et l'importance des travaux de l'Association.
Légalisation des pièces. Cette question extrêmement pratique est actuellement très mal résolue les formalités nécessaires pour établir l'authenticité d'un document d'origine étrangère sont compliquées et varient beaucoup d'un pays à l'autre. Le Congrès a adopté un modèle de convention selon lequel tout document (y compris les jugements) émis ou légalisé par un tribunal, une autorité publique, un notaire, serait admis devant un tribunal ou une autorité admini trative d'un autre pays sous la seule condition qu'un consul ou un agent diplomatique de ce pays certifie que le document en question a été émis ou légalisé comme il prétend l'avoir été, sans d'ailleurs qu'un tel certificat prouve davantage (spécialement il ne prouverait rien quant à la compétence du tribunal ou de l'autorité en cause). L'assurance sociale en droit international. Le rapport du Dr Mânes, professeur à l'École des Hautes Études commerciales de Berlin, et du (1) THE International LAW ASSOCIATION, Report of the Thirty-Sixth Conference held ai New York (sept. 2nd to 9lh, 1930), CLXVIII-626 p. in-S°, London, Sweet et Maxwell Ltd., 1931.
Dr von Stein, conseiller de la Représentation autrichienne près de la Société des Nations, a présenté le tableau de la réglementation internationale actuelle de certaines assurances (maternité, maladie, accidents) et analysé les difficultés auxquelles donne lieu la mobilité des populations ouvrières ces difficultés ont déjà été l'occasion d'une cinquantaine de conventions bilatérales. Le Congrès a adopté les recommandations suivantes, proposées par ses rapporteurs a) concentration de l'assurance dans le pays du siège de l'occupation, la loi de ce pays devant régir les emplois exercés dans un autre pays passagèrement ou de façon intermittente, ou même de façon permanente lorsqu'il s'agit du personnel des entreprises de transport b) reconnaissance du droit à pension, même en cas de séjour à l'étranger, à moins qu'au domicile étranger du pensionné les moyens de contrôle ne fassent défaut c) conservation des droits en cours d'acquisition des assurés qui passent d'un pays dans un autre d) égalité de traitement des étrangers avec les nationaux, quant à l'obligation d'assurance et quant au droit aux prestations.
Effet de la guerre sur les contrats. La doctrine traditionnelle que la guerre est un conflit entre États, non entre particuliers, entraîne comme conséquence la limitation de ses effets économiques au minimum nécessaire au succès des opérations militaires de ce point de vue la guerre laisserait subsister en principe les contrats entre ressortissants des parties adverses, sauf lorsque des circonstances spéciales ou les intérêts vitaux des belligérants en rendent impossible l'exécution. Cette opinion, soutenue par les Polonais au Congrès de Varsovie en 1928, a été reprise à New-York par les Hongrois (1). Pourtant le Comité de l'Association présidé par le professeur anglais Vaugham Williams a proposé d'admettre la règle opposée en principe la guerre met fin aux obligations contractuelles exceptionnellement certains contrats survivent. On arrive ainsi à des solutions plus nettes parce qu'on évite l'application de la théorie si incertaine que les Anglais appellent frustration, et qui vise l'invalidation des contrats par modification de circonstances essentielles (dénaturation). En outre, comme le remarqua en séance le Jhr. de Brauw, la guerre moderne entraîne en fait la cessation générale des relations économiques entre pays ennemis. Il est donc normal d'abandonner la règle ancienne et d'admettre en principe l'annulation des contrats par la guerre. C'est à cette règle que s'est ralliée la majorité. Mais naturellement (1 ) V. p. 505, la communication écrite du Prof. Meszleny et p. 73, en séance, l'intervention du Dr de Szâszy.
certaines exceptions doivent être admises et l'Association s'est appliquée à les déterminer contrats pour la transmission des immeubles lorsque la propriété a été transférée avant la guerre contrats de location d'immeubles contrats d'hypothèque, gage. sous certaines conditions contrats concernant l'exploitation des mines, forêts. constitution de sociétés concessions contrats concernant des relations de famille, contrats relatifs à des donations entre vifs ou à cause de mort. Dans la détermination de ces exceptions, l'Association s'est inspirée spécialement des dispositions du Traité de Versailles et du Traité de Lausanne. Elle a laissé le débat ouvert, car sur certains points essentiels, tels que l'assurance, elle a recueilli des documents (1) sans être arrivée à des conclusions fermes. Elle s'est d'autre part demandé si les règles proposées devraient s'appliquer, en dehors de la guerre proprement dite, à des mesures de coercition prises en exécution du Pacte de la Société des Nations ou du Pacte de renonciation à la guerre elle ne s'est pas prononcée de façon décisive, estimant que cela dépendait du caractère plus ou moins complet de l'interruption des relations avec l'État contre lequel les mesures de coercition seraient prises.
Neutralité maritime. Le Professeur A. Alvarez, qui présida jusqu'en 1929 le Comité de neutralité, abandonna alors cette présidence pour accepter celle du Comité de codification il fut remplacé par M. Boye, membre de la Cour suprême de Norvège. Depuis le Congrès de Varsovie de 1928, deux projets de convention ont été mis au point par le Comité, l'un sur la neutralité dans la guerre terrestre (2), l'autre sur la neutralité dans la guerre maritime le second seulement a été discuté à New-York.
Actuellement, il n'y a pas, sur cette question capitale, d'autre texte généralement admis que la déclaration de Paris de 1856 la déclaration de Londres de 1909 ne fut jamais ratifiée mais la Conférence panaméricaine de La Havane, en 1928, a adopté une Convention sur la matière.
Le projet provisoirement adopté à New-York traite du droit de visite, définit le caractère neutre des navires et marchandises ainsi que la contrebande, énonce les règles du blocus, les droits et devoirs des belligérants quant aux câbles sous-marins, réglemente la juridic(1) V. en appendices p. 512, une communication de la British Insurance Association p. 541, une communication de M. G. Bosshard, au nom de la Section suisse de l'Association.
(2) Reproduit dans l'Appendice, p. 580.
tion en matière de prises. Les points les plus notables sont les suivants adoption d'un article 9 qui reproduit les dispositions de l'article 22 du Traité de Londres du 22 avril 1930 (Limitation des armements navals) concernant les devoirs d'un bateau de guerre à l'égard des passagers et de l'équipage d'un navire de commerce qu'il détruit en mer suppression de la distinction classique entre la contrebande absolue et la contrebande conditionnelle le droit de confiscation du navire dont la cargaison est, pour plus de moitié, contrebande, est subordonné, conformément à la juridiction récente des Cours de prise britanniques, à la mauvaise foi du propriétaire (connaissance du fait), la charge de la preuve incombant à ce dernier. Un texte proposé par le Comité admettait, au cas d'un intérêt urgent de sécurité nationale, l'exercice par un belligérant du droit de réquisition sur une propriété neutre amenée dans un de ses ports pour l'exercice du droit de visite cette disposition a été écartée.
La partie la plus importante des débats fut certainement celle qui porta sur les effets du Pacte de la Société des Nations et du Pacte de renonciation à la guerre quant à la réglementation de la neutralité. Les obligations exorbitantes imposées aux neutres se rattachent à l'idée ancienne que la guerre est une procédure régulière, et que les belligérants usant du même droit doivent être traités également. Dans la conception nouvelle admise par presque tous les États, il n'y a plus de guerre légitime les belligérants ne sont plus dans la même situation il n'est pas possible de traiter de même l'agresseur et sa victime. Les règles du type ancien ne peuvent conserver un sens que dans le cas où la détermination de l'agresseur serait impossible. Quelque importance pratique qu'on veuille attacher à ce cas, un grand nombre de membres du Congrès de New-York ont senti la nécessité de modifier dans leur principe même les règles de la neutralité. Le Président même du Comité de neutralité, M. Boye, proposa un texte qui priverait du droit de visite l'État agresseur. Une formule fut cherchée qui ne risquât pas d'entraîner les neutres dans la guerre. MM. Bewes et Kuhn proposèrent de décider que, dans le cas de violation du Pacte de renonciation à la guerre, la rupture des relations (intercourse) avec l'État coupable ne serait pas considérée comme une violation de neutralité. Il fut entendu que cette formule serait discutée au prochain Congrès.
Protection de la propriété privée. Au nom du Comité compétent, M. J. C. Witenberg, jurisconsulte de l'Ambassade de Pologne à Paris, a présenté au Congrès un très important rapport. Depuis une
quinzaine d'années la question de la protection de la propriété privée des étrangers contre l'autorité territoriale est passée au premier plan les confiscations opérées en Russie, les réformes agraires réalisées dans plusieurs États d'Europe, l'adoption dans certains pays d'impôts qui ont un caractère de spoliation lui ont donné une pleine actualité. Comment peut-on concilier les droits incontestés d'un État souverain en matière de réglementation de la propriété et pour l'établissement de son régime fiscal avec l'obligation de respecter les droits acquis par un étranger ? Le rapport de M. Witenberg expose de façon très complète ce qu'est le principe du respect des droits acquis dans la doctrine, les textes conventionnels, la jurisprudence internationale il en dégage une adhésion à peu près unanime à la règle, formulée en particulier de façon très ferme dans l'arrêt 7 de la Cour permanente de Justice internationale. Mais il est difficile de préciser la portée du principe M. Witenberg s'y efforce en étudiant successivement l'impôt, les servitudes, l'expropriation, la modification des constitutions ou des lois, la modification par acte du pouvoir législatif ou exécutif des contrats passés par l'État lui-même il conclut à l'utilité de conventions complétant le principe du respect des droits acquis, précisant les moyens de protection de la propriété des étrangers.
Le Congrès a voté les résolutions suivantes 1. Le droit d'un État (et des autorités qui lui sont subordonnées) en matière d'impôts n'est pas illimité. En particulier, des taxes qui ont un caractère discriminatoire contre des étrangers sont contraires au droit international. 2. Un État a le droit de déterminer les motifs d'intérêt public qui justifient l'expropriation mais le droit international lui interdit l'expropriation de biens appartenant à des étrangers, lorsque l'intérêt public n'est qu'un prétexte. L'Etat qui exproprie doit indemniser. 3. Un État qui interdit un commerce ou une industrie pour établir un monopole doit indemniser les étrangers victimes de cette mesure mais aucune indemnité n'est due, si l'interdiction est fondée sur des raisons de police et ne rapporte à l'État aucun bénéfice (par exemple, la prohibition de l'alcool). 4. Un État doit indemniser un étranger avec lequel il a fait un contrat ou auquel il a accordé une concession, lorsque, contrairement aux stipulations de l'acte, une intervention législative ou administrative modifie au détriment de l'étranger en question les conditions de mise en oeuvre. 5. Il est très désirable que des traités, bilatéraux ou généraux, précisent les conditions de protection de la propriété privée ces traités devraient prévoir la compétence d'un tribunal international en cas de difficultés et il est à souhaiter que les individus obtiennent, sous les conditions conve-
nables, le droit de s'adresser eux-mêmes à cette juridiction internationale, lorsque leur prétention aura été rejetée par le tribunal local ou l'autorité locale ayant compétence.
Il a été entendu à New-York que la question restait à l'étude, et que le Comité compétent travaillerait à la préparation d'un modèle de convention. Il est certain que, sur les principes mêmes, l'opinion est actuellement très divisée le rapport de M. Witenberg constate, par exemple, que beaucoup d'États estiment qu'ils sont en règle avec les étrangers lésés par cela seul que ceux-ci ne sont pas plus mal traités que les nationaux et dans le cas d'une réforme agraire, il estime impossible de contester que les droits d'un État souverain soient très larges, et, tout en posant le principe d'une indemnité, il juge que celleci peut être aménagée selon les possibilités financières de l'État en cause. Rien ne montre mieux que de pareilles constatations, faites sur la pratique récente, combien il est difficile de faire respecter effectivement ce que l'on appelle encore des « droits acquis ».
Protection des minorités. Le Comité présidé par M. Vaugham Williams, après avoir rappelé dans son rapport l'analogie entre les recommandations votées à Vienne par l'Association en 1926 et la réforme de procédure admise par le Conseil de la Société des Nations en 1929, a fait adopter par le Congrès plusieurs suggestions dont la principale, conforme à un mémorandum présenté à la Société des Nations par le gouvernement des Pays-Bas, concerne la création d'une Commission permanente des minorités.
Droit aérien. Le Comité présidé par M. H. F. Manisty, après avoir pris acte de la Convention relative à l'aviation commerciale, signée le 15 février 1928 à La Havane, et de la Convention relative aux transports aériens, signée en octobre 1929 à Varsovie par treize pays, a fait voter par le Congrès plusieurs recommandations nécessité d'une convention générale sur le trafic aérien reconnaissance du droit de survol en temps de paix identification des aéronefs faisant un service régulier spécification des conditions de saisie ou de détention des aéronefs nécessité de lois nationales punissant les attentats à la sécurité de la navigation aérienne (par la destruction de certains objets, l'émission de faux signaux.)
Arbitrage commercial. La pratique de l'arbitrage en matière commerciale s'est beaucoup développée depuis quelques années. La « clause compromissoire », qui était illégale en beaucoup de pays, a
cessé de l'être pour la plupart d'entre eux en vertu du protocole de Genève du 24 septembre 1923. Mais la Convention de Genève du 26 septembre 1927 relative à l'exécution des sentences rendues par des arbitres étrangers n'a pas eu tout le succès attendu. Plusieurs membres du Congrès de New-York ont exprimé l'avis qu'une convention générale était prématurée, et que le progrès se réalise actuellement par la voie des accords bilatéraux, qui vont se multipliant. Sur la proposition de M. Bernheimer, qui préside depuis vingt ans le Comité d'arbitrage de la Chambre de commerce de New-York, le Congrès a adopté une résolution qui recommande la conclusion d'accords entre les gouvernements relativement à la procédure et à l'exécution des sentences arbitrales.
Marques de commerce, contrats C. A. F., faillites, concurrence déloyale, cartels. En matière de marques de commerce, le Congrès a adopté trois résolutions tout en reconnaissant le lien qui existe entre la marque et la firme, il s'est déclaré favorable à la possibilité d'une cession de la marque avec une partie seulement de l'affaire il a donné son approbation au mouvement qui tend à rendre la marque étrangère indépendante de la marque du pays d'origine il s'est prononcé en faveur d'une protection contre l'abus de noms et de marques « connus » [well known). même s'ils ne sont pas enregistrés.
Pour les contrats C. A. F., le Comité compétent a soumis et publié (p. 196) un texte revisé, en anglais, français et allemand, des règles importantes adoptées au Congrès de 1928 et désignées depuis sous le nom de Règles de Varsovie (1).
Pour les faillites, la concurrence déloyale et les cartels, le Congrès s'est borné à décider en substance que les Comités spéciaux poursui vraient leurs travaux (2).
Une session intermédiaire spéciale a été prévue pour l'été de 1931 et, en vue de la prochaine réunion plénière du Congrès, qui doit se tenir en 1932, la section hongroise a invité l'Association à Budapest. (1) V. aussi, en appendice (p. 488), un projet de modification présenté par la Chambre de Commerce des États-Unis.
(2) V. en appendice sur la faillite et les règlements transactionnels une communication de M. E. Leslie Burgin, membre du Parlement britannique (p. 457) sur la concurrence déloyale une communication du Dr A. Burchard (p. 598) sur les cartels internationaux deux communications, l'une du Dr Kuratow-Kuratowski (p. 473), l' autre du Dr F. de Kirâly (p. 478).- Pour terminer, nous signalerons l'important mémoire du Prof. von Rauchhaupt, d'Heidelberg, sur le problème général de l'unification du droit en Amérique et en Europe (p. 397).
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A propos d'une controverse entre MM. Briand et Curtius
LE PROJET D'UNION DOUANIÈRE FRANCO-BELGE SOUS LA MONARCHIE DE JUILLET
Au cours des dicussions qui eurent lieu en mai 1931 à Genève au sujet de l'Anschluss, MM. Briand et Curtius ont cherché à tirer argument l'un et l'autre d'un précédent historique, celui du projet d'union douanière franco-belge des années 1841 et 1842.
La thèse du gouvernement allemand était que les unions douanières n'avaient pas nécessairement un caractère politique et il citait comme exemple ce projet d'union douanière franco-belge, en faisant valoir que son échec était dû non à des considérations d'ordre politique, mais à la résistance des industriels français.
M. Briand répliqua que Guizot poursuivait en réalité un but politique en cherchant à opposer un contre-poids au Zollverein prussien et que, s'il abandonna ce projet, c'est précisément parce qu'il s'était heurté à la résistance des autres puissances, qui voyaient dans l'union douanière une atteinte à l'indépendance de la Belgique. Quelle est celle des deux thèses en présence qui contient la plus grande part de vérité historique ? C'est ce que nous allons rechercher en étudiant successivement
1° La genèse de l'idée d'union douanière
2° L'historique des négociations de 1841-1842.
3° Les raisons qui les firent échouer.
1
Au début, le projet d'union douanière franco-belge ne semble pas avoir été conçu pour des fins exclusivement politiques. Il a une double origine d'une part, il procède d'un mouvement doctrinal qui s'est fait jour parmi les économistes et dans la grande presse d'autre part, tant en France qu'en Belgique, des groupements de commerçants et d'industriels se sont formés, qui estimaient avoir un intérêt à la réali22
sation de cette union et qui ont exercé une influence sur leurs gouvernements.
Ce sont d'abord des théoriciens et des littérateurs qui ont mis l'idée en mouvement. Il y eut, entre 1830 et 1840, une série d'articles et de brochures, en France comme en Belgique, pour la répandre. Une des études les plus remarquables fut celle de Léon Fauchier, qui publia plusieirs articles dans la Reçue des Deux Mondes, le lermr>rs 1837, les 1er et 15 novembre 1842. A certains égards, cet auteur semble avoir eu des visions prophétiques. La création du Zollverein lui a fait craindre l'influence croissante de la Prusse il redoutait une invasion possible sur un front qui se serait étendu de. la Suisse à la Belgique. C'est pour faire contre-poids à cette prépondérance de la Prusse, pays nordique, qu'il proposa de grouper dans une union douanière tous les pays de l'ouest France, Belgique, Suisse et Espagne. L'union douanière avec la Belgique ne devait être que la première étape d'un Zollverein occidental, destiné à protéger le commerce et l'industrie des pays de cette partie de l'Europe à la fois contre l'Allemagne et contre l'Angleterre.
L'idée d'une union douanière franco-belge donnait d'ailleurs pleine satisfaction à des économistes français de tendance libérale tels que Wolowski. Elle leur paraissait, d'une part, devoir ouvrir un marché nouveau au commerce et à l'industrie française ot, d'autre part, elle semblait de nature à produire sur le marché national un abaissement des prix. Wolowski aurait espéré détruire par cette union le monopole de fait que les maîtres de forges s'étaient créé en se liguant pour fixer à leur guise le prix des aciers,
En Belgique, les économistes faisaient valoir que l'Etat belge était trop petit, trop resserré sur lui-même, et qu'il lui était nécessaire de se procurer des débouchés pour permettre à son industrie de vivre. Il était tout naturel de chercher ces débouchés en France.
Ces considérations, lancées dans la presse, ont germé dans les milieux économiques, où elles trouvaient un terrain favorable. En France, c'étaient principalement les industries de luxe, les soyeux de Lyon, les ébénistes de Paris, les propriétaires de vignobles et les négociants en vins du Bordelais qui espéraient tirer profit d'une union leur ménageant la possibilité de vendre leurs produits à 10 millions de consommateurs de plus. D'autre part, les armateurs de Marseille comptaient que le trafic de leur port avec l'Orient se trouverait considérablement augmenté par l'afflux des importations et des exportations belges en provenance ou à destination du Levant.
En Belgique, ce sont les producteurs de lin qui ont été les promoteurs
du mouvement. Les vœux présentés au gouvernement pour l'ouverture des négociations avec la France émanaient, soit de groupements de l'industrie linière, soit des conseils provinciaux des régions linières (Campine, Luxembourg, Hainaut). Les propriétaires de mines de houille semblent avoir également, mais d'une façon plus timide, émis des vœux pour une union qui aurait ouvert de nouveaux marchés à leurs produits. Les mobiles des commerçants et industriels belges étaient d'ordre purement économique et c'est sans doute par pure calomnie que la Gazette d1 Augsbourg les accusait d'être stipendiés par le gouvernement français. Ainsi que l'a dit en leur nom un député à la Chambre des représentants belge, le 13 décembre 1841, seule, une union douanière entre la France et la Belgique pouvait empêcher l'Angleterre, dont la concurence était si redoutable, de se prévaloir, vis-à-vis de la France et au détriment de la Belgique, de la clause de la nation la plus favorisée. Cette clause leur paraissait en effet de nature à rendre inefficaces toutes les concessions que la France aurait pu consentir à la Belgique dans le domaine économique.
Historiquement, il semble bien que c'est la Belgique et non la France qui a pris l'initiative des négociations. Cela résulte nettement de déclarations faites par Guizot à la Chambre des Pairs, le 22 mars 1843, où il s'exprimait ainsi « On nous a représentés comme ayant élevé nousmêmes la question de l'union douanière. Rien de semblable. Nous ne nous sommes pas engagés dans cette question, Elle s'est produite d'elle-même à nos portes », Ses Mémoires donnent la même version. Lorsque ces déclarations furent évoquées à la tribune du Parlement belge, en juillet 1846, le gouvernement, qui cherchait à faire le plus grand mystère sur les détails de ces négociations et qui rappelait avec insistance qu'elles avaient déjà été examinées en comité secret, n'opposa aucun démenti aux affirmations de Guizot. II assurait d'ailleurs ce qui n'était pas la stricte vérité qu'il n'y avait jamais eu de négociations officielles et positives, mais seulement des pourparlers, des échanges de vues sur des idées générales, et que l'initiative en aurait été prise par le gouvernement de Paris, en décembre 1839.
Il est donc très difficile de savoir quel est le gouvernement qui a eu le premier l'idée de poursuivre des négociations, car il faudrait distinguer entre une simple invitation à l'étude de la question et une demande d'ouverture de négociations. Il est possible qu'une suggestion ait été faite, en 1839, par le gouvernement français, mais il paraît établi par les témoignages formels de Guizot dans ses Mémoires que des négociations plus précises furent ouvertes, en 1840, sous le ministère Thiers, à la demande de la Belgique qu'elles furent ensuite interrom-
pues, puis reprises en juillet 1841. Quatre conférences avec les représentants du gouvernement belge eurent lieu à Paris sous la présidence de Guizot, au mois de septembre suivant. Le roi Louis-Philippe et le roi Léopold eurent à différentes reprises des entrevues à ce sujet. D'après le témoignage de Guizot, confirmé par les données de la presse et par les documents d'archives, il y aurait eu une différence de conception fondamentale entre la France et la Belgique. Pour le gouvernement français, le projet devait avoir principalement une portée politique. Le gouvernement belge, au contraire, ne recherchait que des avantages économiques.
C'est pourquoi, au cours des discussions, les représentants des deux États firent preuve de la plus grande circonspection. La France ne voulait pas faire payer trop cher à ses finances et à son industrie l'avantage que devait lui valoir l'union douanière avec la Belgique. Celle-ci, de son côté, désirait obtenir des profits industriels sans porter la moindre atteinte à son indépendance politique.
Quels étaient les avantages politiques poursuivis par la France ? P Il serait absolument invraisemblable de supposer que la France voulût préparer une annexion déguisée de la Belgique et rectifier les frontières que lui avaient assignées les traités. On sait avec quelle extrême prudence le gouvernement alors au pouvoir évitait tout ce qui était de nature à porter ombrage aux autres puissances. Il semble plutôt, comme l'a dit Guizot à la tribune de la Chambre des Pairs, le 12 mai 1846, que les efforts du gouvernements français, dans ses relations économiques avec la Belgique, tendirent surtout à empêcher celle-ci de tomber dans l'orbite de l'Allemagne. C'est, en effet, la préoccupation que nous voyons apparaître dans la presse contemporaine et dans les discours des orateurs parlementaires. Le gouvernement français avait d'ailleurs quelques raisons de manifester cette crainte la Belgique avait déjà conclu en 1841 un traité de commerce favorable au Zollverein, tandis qu'à la même époque elle aggravait ses tarifs douaniers vis-à-vis de la France.
II
L'économie du projet d'union douanière nous est présentée de la façon suivante par Fauchier, en 1842.
1° Les douanes auraient été supprimées entre la France et la Belgique.
2° Les tarifs des droits auraient été identiques dans les deux pays.
3° La Belgique aurait adopté les mêmes impôts indirects que la France, sauf en ce qui concerne les boissons.
4° Chacun des deux pays assurait par réciprocité aux ressortissants de l'autre le respect de la propriété industrielle.
5° Belges et Français auraient eu des droits identiques en ce qui concerne la pêche, le cabotage et le transport de la métropole aux colonies. 6° Les deux pays auraient adopté des règles identiques pour la navigation intérieure.
7° Ils auraient mis en commun les produits des monopoles des tabacs et du sel, ainsi que celui des Douanes.
8° Les administrations douanières des deux pays auraient fusionné. 9° Il en aurait été de même pour les juridictions compétentes en matière de fraudes.
10° La législation française des fraudes se serait appliquée à la Bclgique.
11° Une commission mixte arbitrale aurait réglé les conflits qui auraient pu surgir entre les deux pays à l'occasion de l'union douanière. 12° Cette union douanière aurait été essentiellement temporaire et n'aurait été conclue que pour dix ans. Chacun des deux États se serait réservé la liberté de passer des traités de commerce avec les autres puissances et de créer des taxes indirectes d'intérêt local. Telles étaient les grandes lignes de ce projet, qui subit au cours des négociations de nombreuses et importantes modifications. D'après le témoignage de Guizot, dans le seul mois de novembre 1843. trois rédactions successives furent lues à la Cour.
Une des questions qui mit en relief la différence de conception des deux gouvernements fut celle du personnel des douanes. La Belgique, qui était soucieuse de n'aliéner en rien son indépendance, exigeait que seuls les douaniers belges fussent chargés de veiller sur les frontières belges. Le roi Léopold écrivit à Louis-Philippe « Nous ne pourrions pas avoir de douaniers français sur notre frontière. L'Europe prétendrait voir là une véritable incorporation. »
De son côté le gouvernement français hésitait à confier à des douaniers belges la garde des intérêts du Trésor français.
Il est indéniable que cette question du personnel douanier ait eu une importance primordiale dans les négociations. Ce que le gouvernement français craignait en réalité, c'était de voir la Belgique adhérer au Zollvcrein et de trouver sur les frontières de Belgique des douaniers prussiens. Au cours d'une audience qu'il accorda à des représentants de l'industrie textile, Louis-Philippe leur aurait dit qu'il ne saurait tolérer une telle éventualité et que, si elle se réalisait, ils devraient
transformer leurs broches en baïonnettes. Par là s'explique que le gouvernement français se soit montré si résolu et si intransigeant sur ce point.
D'autres difficultés, mais d'une importance moindre, se présentèrent les questions de l'unité de juridiction, de l'unité de législation fiscale et douanière, celle de la répartition du produit des douanes et des monopoles n'étaient pas sans soulever de graves controverses, tant au point de vue des principes que de l'application pratique. Indépendamment des arguments de droit public tirés de la souveraineté de l'État, une considération faisait hésiter aussi le gouvernement belge c'est que l'introduction en Belgique du régime fiscal français aurait considérablement accru les charges des sujets belges, qui avaient l'avantage de payer moins d'impôts que leurs voisins.
Néanmoins ces objections si graves fussent-elles n'étaient pas de nature à faire échouer définitivement le projet. Le roi Léopold, qui les connaissait, écrivait à Louis-Philippe qu'il espérait cependant voir sortir quelque chose de « cette marmite qui cuisait sur le feu » (« Kettle which is boiling »). Il ne cachait pas qu'en cas d'échec, une partie des Belges chercheraient une union avec la Hollande.
Le gouvernement français considérait, lui, que ce qui était plutôt à redouter, c'était de voir la Belgique se rapprocher du Zollverein. En 1842, l'occasion était favorable à l'union douanière. La France et la Belgique avaient, l'une et l'autre, intérêt à se défendre contre la concurrence de l'industrie anglaise. Les marchés du continent étaient littéralement envahis par le produit des filatures britanniques. Pour lutter contre cet afflux de marchandises anglaises, la France avait dû relever ses tarifs douaniers, mesure appelée à porter un sérieux préjudice aux filateurs belges. C'est, en effet, sur les réclamations de l'industrie linière belge que le gouvernement de Bruxelles négocia avec la France, en 1842. Comme les négociations pour l'union douanière traînaient en longueur et qu'il fallait parer au danger le plus imminent, on jugea opportun d'envisager la signature d'un traité de commerce. Le traité du 16 juillet 1842 établit, pour la première fois, en France des tarifs différentiels au profit de la Belgique. Un abaissement des droits de douanes était consenti pour les toiles belges qui bénéficiaient de 5 de préférence par rapport aux produits de l'industrie anglaise. En échange, la Belgique accordait des réductions de tarifs pour les soies et les vins de France.
Ce traité ne fut qu'un épisode au cours des négociations, qui se poursuivirent après sa signature.
Dans la pratique, aussi bien du côté français que du côté belge, une
certaine résistance se manifesta de la part des administrations, qui se refusaient à interpréter le traité dans un sens libéral. Le traité de 1842 ne fut, en effet, qu'une trêve dans la guerre des tarifs, et l'on peut voir, d'après les réclamations adressées par les commerçants et industriels à leurs gouvernements, que les tarifs douaniers étaient appliqués dans l'esprit le plus étroit et le plus protectionniste. Seuls, les gouvernements faisaient preuve d'esprit de conciliation et cherchaient à apaiser par la voie diplomatique les conflits nés à la suite d'interprétations bureaucratiques trop restrictives.
Au surplus, le traité de juillet 1842 ne servit aucunement à détacher la Belgique du Zollverein, puisque, quelques mois après sa signature, le Zollverein obtint de la Belgique des avantages égaux à ceux de la France, sans consentir en retour un régime de faveur comparable à celui que la France avait reconnu aux lins belges.
Cette ambiance explique pourquoi les pourparlers traînèrent avant d'échouer. A vrai dire, ils ne furent jamais interrompus d'une façon brutale. Ils furent délaissés, puis repris, puis abandonnés à nouveau. Et le souvenir n'en fut pas perdu. Chaque fois, depuis 1842, qu'un traité de commerce a été soumis à la ratification des Parlements de France ou de Belgique, il s'est trouvé des orateurs pour émettre des vœux en faveur de l'union douanière. Les deux gouvernements se montraient d'ailleurs extrêmement fuyants ou réservés sur cette question et se bornaient à indiquer les difficultés de ce projet. Mais l'opinion ne désarmait pas. En France, à côté de partisans de l'union intégrale, des esprits clairvoyants comme le comte Beugnot montraient au Parlement la nécessité de faire des concessions à la Belgique sur le terrain économique pour l'empêcher de tomber sous l'emprise germanique. En Belgique également, jusqu'à la fin de la monarchie de juillet, des voix se firent entendre à la Chambre et dans les conseils provinciaux pour demander l'union douanière avec la France.
Mais pratiquement, depuis la fin de l'année 1842, on peut dire que le projet d'union douanière avait cessé d'être viable.
III
Pour quelles raisons les négociations échouèrent-elles ? A cause de la résistance de l'industrie française, dit M. Curtius. En raison des réclamations des puissances contre la violation des traités, répond M. Briand. Dans la discussion au cours de laquelle elles furent exposées, ces deux thèses parurent s'opposer l'une à l'autre. Il en va différem-
ment lorsqu'on les étudie à là lumière de l'histoire. Elles semblent alors se compléter l'une l'autre.
Il est, en effet, indéniable qu'une véritable campagne s'organisa en France contre l'union douanière. Ce furent d'abord les producteurs de lin des régions frontières de la Belgique qui se montrèrent les plus acharnés contre cette initiative. L'un d'entre eux, Mimerel, conseiller général du Nord, eut l'idée de réunir à Paris, rue de Richelieu, pour protester contre le projet d'union, une conférence de commerçants et d'industriels, que Wolowslti appela avec une emphase ironique « les États généraux de l'industrie française ». Leur cahier de doléances, conservé aux Archives nationales à Paris, faisait valoir que l'industrie française n'était pas en état de soutenir la concurrence de l'industrie belge, attendu que cette dernière ne supportait pas les mêmes charges et bénéficiait d'une main-d'œuvre meilleur marché. Cette protestation eut des échos dans presque toutes les provinces où se trouvaient des filatures, des manufactures de draperies ou de cotonnades les chambres de commerce de Lille, de Roubaix, d'Abbeville de Valenciennes, de Sedan, d'Elbeuf, de Louviers et de Troyes adressèrent leurs doléances au gouvernement en faisant valoir des arguments semblables.
Les chambres de commerce des villes maritimes du Nord de la France (Boulogne, Dunkerque, Rouen), qui craignaient de voir le trafic de ces ports diminuer en cas d'union douanière avec la Belgique et qui redoutaient la concurrence d'Anvers, firent parvenir également au gouvernement des objections contre le projet. Enfin, les maîtres de forges, les métallurgistes de la Haute-Marne, de l'Yonne, de la Côtc-d'Or et de l'Allier envoyèrent au ministère des pétitions dans lesquelles ils exposaient qu'ils ne voulaient pas voir leurs produits concurrencés sur le marché français par les produits similaires belges, dont le prix de revient était moins élevé.
Le projet d'union douanière rencontrait également des adversaires en Belgique. Les maîtres de forges, qui, au dire du comte Beugnot, auraient exercé une si grande influence sur la politique, craignaient de se voir fermer le marché allemand. Les armateurs d'Ostende et d'Anvers avaient peur de voir diminuer l'importance de leur trafic avec l'Allemagne. Les hommes d'Etat prussiens n'ignoraient pas ces dispositions et, par d'habiles négociations, ils ouvrirent plus largement le marché allemand aux fers belges et assurèrent au commerce et à la marine allemande le débouché des ports d'Anvers et d'Ostende. Enfin l'opinion publique belge s'alarma devant la perspective de voir s'alourdir les charges fiscales.
La question ne présentait pas en Belgique un aspect politique. Cependant il ressort des discussions qui eurent lieu au Parlement belge que l'on suspectait les fins politiques poursuivies par le gouvernement français et prenait ombrage des moindres mouvements de troupes dans les départements du Nord de la France. Il est bon d'ajouter que le gouvernement ne partageait pas cette méfiance.
En France, par contre, la question se posait nettement sur le terrain politique. Les partis politiques n'avaient pas pris une position très définie sur ce projet. Les conservateurs semblent y avoir été hostiles d'une façon générale. D'après le témoignage du Globe (31 octobre 1842), ils se seraient réunis chez un des leurs pour organiser la lutte contre l'union douanière. On signalait comme adversaires du projet divers membres notoires de la Chambre des Pairs Pasquier, d'Argout, et surtout Decazes, « l'homme des maîtres de forges ».
La presse était assez divisée. Le Constitutionnel, le Commerce étaient hostiles à l'union, le Globe, sous des dehors d'impartialité, s'attachait à relever toutes les difficultés d'ordre juridique ou diplomatique rencontrées par les négociateurs et insinuait que le projet était inspiré par Thiers. Une autre partie de la presse, le National, la Revue des Deux Mondes, le Siècle, le Courrier français, se déclarait ouvertement en faveur de l'union douanière.
Le gouvernement lui-même aurait été loin d'être unanime, si l'on en croit un article bien documenté par ailleurs du Breton du 17 octobre 1842. Les services de l'administration du commerce et M. Cunin-Gridaine étaient considérés comme défavorables. Au contraire, Duchâtel, Villemain et Guizot étaient regardés comme les principaux partisans de l'union douanière. Toutefois le Siècle (29 octobre 1841) suspectait la sincérité de Guizot, qui aurait subi fortement l'influence des herbagers de Lisieux, hostiles à un rapprochement économique avec la Belgique.
Ces témoignages pourraient à première vue être de nature à donner raison à la thèse de M. Curtius, qui explique l'abandon des négociations de 1842 par la résistance de l'industrie française. Les déclarations faites à la tribune de la Chambre des Pairs, en 1846, par Guizot, ainsi que les explications qu'il fournit dans ses Mémoires, sembleraient même renforcer cette impression. Classant les difficultés rencontrées par le projet en difficultés françaises, belges et européennes, Guizot donne à entendre que ce sont ces dernières qui auraient eu le moins de poids. Mais ce n'est là qu'une diversion pour l'opinion publique. Un gouvernement, si pacifiste qu'il soit, éprouve quelque pudeur à dire au
Parlement qu'il a refusé de donner suite à un projet considéré comme d'intérêt national sur les réclamations des puissances étrangères. Même lorsque, plusieurs années après et avec le recul de l'histoire, un homme d'Etat rédige ses mémoires, si scrupuleux qu'il soit de la vérité historique, il cherchera à expliquer les faits sans donner rétrospectivement l'apparence d'avoir cédé à un mouvement d'intimidation.
C'est dans cet esprit qu'il convient de faire la critique de la note adressée par Guizot à l'ambassadeur de France en Prusse, note qu'il reproduit dans ses Mémoires pour démontrer que le projet d'union douanière n'avait aucun caractère politique et que ce n'était en réalité qu'un traité de commerce comparable aux autres. M. Curtius, à Genève, a fait état de cette note pour établir que le projet d'union douanière franco-belge n'avait eu qu'un caractère d'ordre économique. Mais ce n'est pas dans ce document qu'il faut rechercher le fond de la pensée de Guizot.
La note adressée par celui-ci à l'ambassadeur de France à Berlin n'est qu'une esquisse des arguments à mettre en avant afin d'éviter une démarche collective des puissances contre le projet d'union douanière. En réalité, il ressort très nettement des Mémoires de Guizot que lorsque cette note a été envoyée, l'Angleterre avait déjà officieusement mis en garde la Belgique contre le danger que le projet d'union douanière pouvait faire courir à la paix de l'Europe. D'autre part, elle avait fait savoir au Cabinet de Paris qu'elle n'accepterait à aucun prix la présence des douaniers français à Anvers et que, sur ce point, la France trouverait une résistance égale du côté de l'Allemagne. Enfin, elle avait notifié aux gouvernements français et belge qu'elle demandait aux puissances de faire respecter l'indépendance et la neutralité de la Belgique garanties par le protocole du 20 janvier 1831.
Toutefois, Lord Aberdeen, soucieux de ménager les susceptibilités du gouvernement français, lui signalait qu'il lui était facile de présenter un abandon du projet comme une satisfaction donnée aux réclamations de l'industrie nationale, sans que cette résolution pût paraître influencée par des considérations diplomatiques.
L'appel de l'Angleterre avait surtout été entendu de la Prusse. En Autriche, Mctternich regardait la question de l'union douanière comme dénuée d'intérêt. Quant à la Russie, elle ne semble pas y avoir attaché plus d'importance. Même, si l'on en croit la Gazette <T Augsbourg (21 décembre 1842), des négociations auraient été engagées par la France pour obtenir l'adhésion de la Russie, à laquelle on aurait promis en échange de laisser les mains libres en Valachie. La Prusse s'était abstenue de faire des démarches concrètes parce qu'elle savait
que le projet rencontrait, en France même, de sérieux obstacles. La Gazette d'Augsbourg révèle que M. d'Arnim avait été chargé par le gouvernement prussien de transmettre à la Cour des Tuileries une note de protestation extrêmement énergique, mais qu'il aurait jugé inutile de le faire, en raison de la résistance opposée par les industriels français.
Ce que l'on peut donc dire, c'est que la résistance de l'industrie française a rendu inutile une intervention de la diplomatie européenne. Et l'on ne saurait accuser Guizot de travestir la vérité lorsqu'il prétend que « les inquiétudes et les réclamations de l'industrie nationale eurent plus de poids auprès de lui que les considérations diplomatiques ».
Mais l'erreur serait de croire que Guizot n'avait envisagé cette question que sous l'angle économique et en aurait méconnu le côté politique. Dans ses Mémoires il ne cherche aucunement à dissimuler la portée politique du projet. Il constate que les avantages politiques escomptés étaient plus apparents que réels, puisque chacune des deux nations conservait respectivement son autonomie et son indépendance, et qu'en revanche les inconvénients étaient tout à fait positifs vu que toutes les puissances se seraient trouvées unies pour combattre le projet.
Il ne peut convenir plus nettement que si, par suite des circonstances, les négociations n'avaient pas été délaissées sans bruit, la France se serait trouvée dans l'obligation de retirer son projet pour ne pas se heurter à la résistance des autres puissances.
Edgar BLUM,
Ancien élève de l'Ecole des Chartes.
LA VIE DIPLOMATIQUE
Ephémérides Internationales
Juillet 1931
1. Signature, à Vienne, du traité de commerce entre l'Autriche et la Hongrie.
Communiqué de l'Agence Stefani annonçant que le gouvernement italien appliquera provisoirement, à partir du 1er juillet, le moratoire Hoover.
Le recensement effectué au Japon le 1er octobre 1930 accuse une population de 64.450.000 habitants, non compris les possessions d'outre mer.
2. Reprise, à Berne, des négociations franco-suisses sur la question des zones.
Ratification, à Téhéran, du traité d'amitié entre la Perse et la Tchécoslovaquie.
Seconde session, à Genève, des représentants des Conseils économiques nationaux et des instituts nationaux de recherches économiques.
3. Conférence, à Paris, entre MM. Mellon, secrétaire du Trésor américain, Walter Edge, ambassadeur des États-Unis à Paris, et les membres du gouvernement français au sujet du moratoire Hoover. Acceptation du moratoire Hoover par la Pologne.
Réunion, à Genève, d'une délégation du sous-comité d'experts pour l'enseignement à la jeunesse des buts de la Société des Nations. Le recensement effectué en Yougoslavie, le 31 mars 1931, accuse une population de 13.929.928 habitants.
4. Mort, à Turin, de S. A. R. Emmanuel Philibert de Savoie, duc d'Aoste.
Clôture des négociations entre le Canada et l'Australie pour la conclusion d'un traité de commerce.
5. Publication, par l'Osservatore romano, de l'encyclique sur l'Action catholique et le fascisme.
Rupture des relations diplomatiques entre la Bolivie et le Paraguay. Publication d'un Livre blanc britannique sur l'insurrection birmane. Clôture de la conférence des princes de l'Inde à Bombay.
Ouverture, à Bruxelles, du 28e Congrès annuel de la Paix.
6. Conclusion, à Paris, d'un accord franco-américain sur la proposition de moratoire formulée le 20 juin par le président Hoover. Échange, à Varsovie, des instruments de ratification de la convention consulaire belgo-polonaise.
Arrivée du roi Faïçal à Ankara.
Première session, à Genève, du nouveau Comité permanent des Lettres et des Arts.
7. Manifeste du gouvernement du Reich à la suite de la conclusion de l'accord franco-américain.
Le gouvernement français accepte l'invitation britannique à une conférence des experts des Puissances à Londres sur l'application du moratoire Hoover.
9. Entrevue, à Rome, entre M. Stimson, secrétaire d'État américain, et MM. Mussolini et Grandi.
Départ du Dr Luther, président de la Reichsbank, pour Londres et Paris.
Ratification, par le Parlement letton, de l'accord letto-estonien sur les préférences douanières.
Ouverture, à Paris, de la 8e session du Congrès vinicole internationale.
11. Clôture de la session du Comité permanent des Lettres et des Arts.
13. Le Paraguay accepte la médiation de l'Argentine dans son conflit avec la Bolivie.
14. Ouverture, à Madrid, des Cortes constituantes.
Abolition par l'Italie du visa consulaire des passeports pour les ressortissants helléniques, polonais, tchécoslovaques, roumains, turcs et égyptiens voyageant en Italie.
Ouverture, à Copenhague, du 9e Congrès international du lait. Constitution, à Caracas, du nouveau Cabinet formé par le général Gomez, élu président de la République.
Constitution, à Santiago, du nouveau Cabinet formé par M. Pedro Blanquier.
Communication aux Parlements d'Australie et du Canada du traité de commerce conclu entre les deux Dominions.
15. Conférences, à Paris, au sujet du moratoire Hoover, entre les membres du gouvernement français et MM. Henderson, secrétaire d'État britannique pour les Affaires étrangères, et Stimson, secrétaire d'État des États-Unis.
Échange, à Budapest, des instruments de ratification du traité de commerce helléno-hongrois entrant en vigueur le 4 août.
Clôture, à Genève, du 17e Congrès sioniste.
16. Abrogation du décret français du 3 octobre 1930 sur le commerce avec la Russie et du décret russe du 20 octobre 1930. Ratification de la convention d'Oslo par la Chambre belge. Approbation par le Conseil national autrichien du traité de commerce avec la Hongrie.
Proclamation de la constitution éthiopienne à Addis-Abéba. 17. – Réunion, à Londres, du comité d'experts institué pour étudier et recommander les mesures propres à l'application du moratoire Hoover.
Réunion, à Genève, du comité des experts scientifiques.
Arrivée à Vienne du roi Faïçal.
18. Arrivée à Paris de MM. Brüning, chancelier du Reich, et Curtius, ministre des Affaires étrangères d'Allemagne. Conférences avec les membres du gouvernement français sur la crise allemande. Signature, à Vienne, du traité de commerce austro-yougoslave. 19. Arrivée à Paris de M. Grandi, ministre des Affaires étrangères d'Italie. Réunion générale entre les représentants de l'Allemagne, de la Belgique, de la France, de la Grande-Bretagne, de l'Italie et du Japon avant la conférence de Londres.
Clôture du Congrès international du lait.
20. Conférence internationale, à Londres, sur les méthodes de coopération financière internationale propres à rétablir la confiance dans la stabilité économique de l'Allemagne.
Ouverture, à la Haye, de la 22e session extraordinaire de la Cour permanente de Justice internationale, consacrée à l'examen de l'affaire dite « de l'union douanière austro-allemande ».
Réunion, à Genève, de la Commission de coopération intellectuelle. Signature, à Vienne, d'un protocole additionnel au traité de commerce entre l'Italie et l'Autriche.
Signature d'un accord financier italo-albanais, aux termes duquel l'Italie versera pendant dix ans à l'Albanie une annuité de dix millions de francs-or sans intérêt.
Ouverture, à Paris, du Congrès international de pêche et d'apiculture.
21. Ratification par la Chambre turque de la convention turcosuisse de séjour.
Reprise, à Athènes, des négociations gréco-tchécoslovaques pour la conclusion d'une convention commerciale.
Clôture, à Paris, du 13e Congrès international de l'Enseignement secondaire.
22. Démission du gouvernement chilien.
Signature, à Vienne, du traité de commerce austro-tchécoslovaque complétant la convention du 4 mai 1921,
Signature d'un protocole supplémentaire au traité de commerce italo-autrichien.
Ratification, par le Parlement turc, de la convention de conciliation et d'arbitrage avec la Tchécoslovaquie, ainsi que du traité de commerce avec l'Union soviétique et du protocole turco-soviétique relatif à la limitation des armements dans la Mer noire et les mers adjacentes.
Publication du mémorandum français sur la limitation générale des armements.
M. Wang, ministre des Affaires étrangères de Chine, remet à M. Shigemitsu, chargé d'Affaires du Japon, une note demandant divtrses satisfactions à la suite des incidents de Corée.
23. Clôture de la Conférence de Londres.
Constitution du Cabinet chilien présidé par M. Francisco Cargas. 24. Démission du Cabinet chilien formation d'un nouveau Cabinet présidé par le commandant Carlos Frodden.
Dénonciation par le Chili de l'accord commercial avec l'Allemagne en vigueur depuis 1862.
4e conférence, à Vienne, des femmes appartenant à l'Internationale ouvrière.
25. Réunion, à Vranjska Banja, de la commission mixte bulgare-yougoslave chargée de liquider la question des doubles propriétés d'une part et d'autre de la frontière.
Signature, à Berlin, d'un accord entre l'Allemagne et la Tchécoslovaquie sur les communications ferroviaires, douanes et passeports dans les gares frontières.
Ouverture, à Vienne, du 4e Congrès de l'Internationale ouvrière socialiste.
26. M. Stimson à Berlin conférences avec MM. Brüning et Curtius.
Mariage, à Bucarest, de la princesse Ileana avec le prince Antoine de Habsbourg.
Signature, à Ankara, d'un traité de commerce hispano-turc sur la base du traitement de la nation la plus favorisée.
27. MM. MacDonald et Henderson à Berlin conférences avec les ministres du Reich.
Suppression, en Espagne, des ordres dépendant du Ministère des Affaires étrangères, à l'exception de l'ordre d'Isabelle la Catholique. Ouverture, à Paris, du 3e Congrès international de radiologie. 28. Fin des conférences germano-britanniques à Berlin.
29. Accord entre la France et la Chine concernant la rétrocession du tribunal mixte de la concession de Shanghaï.
31 Signature, à Tirana, du traité de commerce et de navigation entre l'Albanie et la Grande-Bretagne.
Échange des instruments de ratification de l'accord sur la circulation automobile signé le 19 décembre 1930 entre la Suisse et l'Italie. Nominations
Allemagne. MM. von der Schulenburg, ministre à Bucarest von Eisenlohr, ministre à Athènes Theodor Weber, consul à Salonique. Argentine. M. Hermann Simon, vice-consul à Karlovy Vary. Autriche. M. Karl Wildmann, secrétaire à Prague.
Belgique. MM. G. Simon, consul général à Casablanca A. Dumon, consul à Sunderland A. W. Hamilton, consul à Belfast Pantos Zouliamis, consul honoraire à Xanthie.
Brésil. MM. Leftc Chermont, ambassadeur à Bruxelles José de Alencar Netto, secrétaire à Ankara Avellar Magalhacs Calvet, secrétaire à Prague Alfredo Polzino, consul à Belgrade Socrates Moglia, consul général à Barcelone.
Bulgarie. MM. Kosta Batoloff, ministre à Paris Pomenoff, ministre à Berlin T. Nedkoff, ministre à Belgrade Kiosseivanoff, ministre à Bucarest le commandant Stoitcheff, attaché militaire à Paris.
Danemark. – M. Wulfsberg Host, ministre à Prague.
Egypte. Ali bey Serry Omar, ministre à Athènes.
Equateur. M. Hipolito Mozoncillo, consul honoraire à Madrid. Espagne. MM. Francisco de Asis Serrat, ambassadeur à Cuba Manuel Alonso Avila, ministre à Vienne Luis Muro, ministre à Budapest Luis Avilés, ministre à Caracas Manuel Garcia Acilu, ministre à Helsinki Manuel Garcia del Aula, ministre à Tallinn Placido Alvarez, consul général à Tanger Emilio Zapico Zarraluqui, délégué
général du commissaire supérieur à Tetouan Miguel Espinos, consul général à la Havane Teodomiro, consul général à Mexico Ernesto Freyre, consul général à New-York Ricardo Gomez Navarro, consul général à Hambourg Enrique Somosa, consul général à Salonique Pedro Marrades Gomez, conseiller commercial à Prague.
Etats-Unis. Le lieutenant-colonel Franck P. Lahm. attaché de l'aéronautique à Paris M. Richard, consul à Séville.
France. – MM. André-François Poncet, ambassadeur à Berlin Dejean, ambassadeur à Moscou Kammerer, ambassadeur à Rio de Janeiro Bodard, ministre à Kaboul Maugras, ministre à Bangkok Adrien Thierry, délégué aux commissions internationales de l'Elbe et de l'Oder Barois, conseiller d'ambassade à Madrid Hoppenot, conseiller à Berne Barthon de Montbas, secrétaire à Vienne Meric de Bellefon, chargé du consulat général à San Francisco.
Grande-Bretagne. MM. Reginald Hervey Hoare, ministre à Téhéran J. F. R. Vaugham Russell, consul à Patras.
Grèce. MM. Mclas, ministre à Belgrade Emile Vrisakis, conseiller à Prague P. Tringhetas, consul à Galatz Pandelis, attaché militaire adjoint à Ankara Avige Kalos, agent consulaire à Djibouti Peter Johnston, agent consulaire à Dundee. •
Haïti. M. J. Broos, vice-consul à Louvain.
Italie. MM. Francesco Paolo Vanni, secrétaire à Prague Ambrosio Rotini, consul à Patras.
Norvège. M. Jens Bull, conseiller à la Haye.
Panama. M. E. J. Amelot, consul à Gand.
Portugal. • M. Gonçalo de Vasconselos Figueiredo, consul à Barcelone.
Saint-Siège. Mgr. Faidutti, chargé d'affaires intérimaire à Kaunas. Suède. M. David Larsen, vice-consul à Cavalla.
Suisse. MM. W. Weidmann, consul à Medan (Sumatra) F. Segesser, consul à Zagreb Carl Dunkel, consul à Porto Gerald Landry, consul général honoraire à Copenhague.
Tchécoslovaquie. Le Dr Ladislav Szathmary, conseiller à Belgrade M. Vladimir Padovec, consul à Salonique.
Uruguay. MM. Bachini, Cosio et Thivens, délégués à la Société des Nations.
Venezuela. M. Ochoa, ministre à Bruxelles, est accrédité auprès des républiques de Tchécoslovaquie et de Pologne.
Yougoslavie. MM. Dragan Bojovitch, consul à Metz Sava Spassoyévitch, consul à Lille Vladimir Voukmirovitch, consul gérant le consulat général à Liège.
LES ÉTATS ET LEUR POLITIQUE ÉTRANGÈRE
Argentine
Les mesures du gouvernement provisoire
Le gouvernement provisoire du généra] Uriburu se signale de plus en plus par des mesures qui frappent la presse argentine. L'interdiction, depuis qu'il est au pouvoir, atteint plus de soixante journaux qui, par son ordre, ont cessé de paraître. Crilicn, le plus grand quotidien de Buenos- Aires, et La Libertad ont fermé leur imprimerie.
Il est cependant malaise de gouverner par ce moyen. Le peuple, en Amérique latine, comme ailleurs et plus qu'ailleurs peut-être, aime à parler haut [et à proclamer ses volontés. Malgré la sécurité que donne au gouvernement d'Uriburu l'adhésion de l'armée, de la police et de la garde civique, la situation politique laisse le pays dans un profond malaise qui se traduit par la stagnation des affaires, la baisse du change et le chômage. Le chômage contribue à favoriser l'agitation des partis. En attendant les élections, des comités se forment, dans toutes les provinces. On prononce des discours, on lance des manifestes. La réaction prend ses positions. Les conservateurs se défendent.
A la fin de juillet, le gouvernement a, « dans l'intérêt de l'ordre public », invité MM. Alvear, Puyrredon, Tamborini et Noel à quitter le pays, sous l'inculpation d'avoir eu une participation à la rébellion militaire de Corrientes. Les personnalités expulsées s'embarquèrent le 29 juillet. Le parti radical se trouve dès lors plus ou moins mis hors la loi.
Tandis que l'ex-ministre radical antipersonnaliste Gallo cherche à réorganiser ce parti, les démocrates progressistes du général Uriburu signent un accord électoral avec les socialistes sur la base d'un programme antirévolutionnaire.
Un incident assez grave a créé un état de tension avec la Russie soviétique. La police procéda le 31 juillet à l'arrestation des 80 employés constituant la totalité du personnel de la mission soviétique commerciale (Amtorg) à Buenos-Aires, après avoir effectué une perquisition dans les locaux occupés par cette mission. Le lendemain, le nombre des arrestations fut porté à cent. L' Amtorg était accusé d'être un foyer de propagande communiste et de pratiquer le « dumping » des bois et des peaux.
La Pravda, de Moscou protesta avec violence et compara ce coup de main à celui dont l'Arcos avait été l'objet à Londres en 1927. Des citoyens argentins furent arrêtés en Russie et détenus comme otages. Pendant ce temps la police de Buenos-Aires poursuit le dépouillement des documents saisis à l'Amtorg, et notamment d'une correspondance chiffrée avec Moscou.
Et, pour lutter contre le dumping, une décision du 0 août a donné au pouvoir exécutif la faculté d'élever les droits de douane par voie de décret.
Bulgarie
Ijts débuts du Cabinet Malinoc et V application du plan Hoover Par une surprise très rare dans les annales politiques de la Bulgarie, les élections législatives ont amené le 21 juin au Parlement une majorité d'opposition. M. Liaptchev, tirant loyalement les conséquences du scrutin, a remis aussitôt sa démission au roi Boris, qui a confié à M. Alexandre Malinov, chef de l'opposition victorieuse, le soin de former le nouveau gouvernement (28 juin).
Le Bloc national (ou populaire), sorti vainqueur des urnes, avait obtenu 151 mandats contre 79 à la ci-devant coalition gouvernementale. De ces 151 mandats, 70 revenaient aux agrariens, 42 aux démocrates, 31 aux nationaux-libéraux et. 8 aux radicaux.
Le pivot de la nouvelle majorité est l'alliance des démocrates avec les agrariens (dont le leader est M. Guitchev), qui avaient été, depuis la chute de Stambolisky, tenus en suspicion, mais qui rentrent maintenant dans les cadres d'une politique constructive et sont disposés a faire front au péril communiste s'il venait à s'aggraver (notons qu'à la faveur du nouveau régime électoral et de concours plus ou moins avouables, les communistes ont réussi à obtenir 32 sièges).
La personnalité du nouveau chef du gouvernement, qui assume en même temps la direction de la politique étrangère, est trop connue pour avoir besoin d'être présentée. M. Malinov a été président du Conseil en 1908 et en 1918 c'est lui qui a proclamé l'indépendance de la principauté bulgare c'est également lui qui a conclu l'armistice avec l'Entente.
Cette expérience, qui l'a fait participer aux deux phases les plus critiques de l'histoire contemporaine bulgare, suffirait à le mettre en garde, au dedans comme au dehors, contre toute politique d'aventure. Il peut d'ailleurs compter sur une attitude bienveillante, voire sur une collaboration éventuelle de l'opposition dynastique dans les grands problèmes d'ordre national. Bref, il semble qu'après l'usure de huit années qui a amené le discrédit, puis la défaite de l'Entente démocratique, il ait entre les mains tous les moyens de faire une politique active et judicieusement réformatrice.
Dans l'ordre extérieur, il n'a pas l'intention d'innover mais de raffermir les rapports de la Bulgarie avec ses voisins et de maintenir la politique pacifique de son prédécesseur. Le pays a trop souffert de la guerre pour chercher des combinaisons extérieures susceptibles de l'impliqer une fois de plus dans des conflits. M. Malinov est un partisan résolu du rapprochement entre les peuples balkaniques, rapprochement dont le principe, en dépit des apparences, a fait, dans les élites de la Péninsule, de sérieux progrès depuis deux ans. La présence des agrariens au pouvoir évoque le souvenir de la politique « yougoslave » de Stambolisky et ne peut être regardée qu'avec sympathie à Belgrade.
Malheureusement, l'action périodique des terroristes macédonisants faillit jeter dès le début une ombre sur les rapports entre Belgrade et Sofia. Dans la nuit du 19 au 20 juillet, une bande armée se heurta aux gardes frontières yougoslaves à la frontière bulgare, près du village de Prevalac. Deux individus furent tués. Trois jours plus tard la gendarmerie découvrit dans les mêmes parages deux bombes à retardement. Ces incidents, survenant au moment où une commission bulgaroyougoslave allait siéger à Vrnjacka Banja pour liquider la question des doubles propriétés, produisirent dans les milieux belgradois un vif mécontentement.
M. Malinov, décidé à ne pas laisser empoisonner l'atmosphère de bonne volonté et de paix dans laquelle il entend gouverner, fit procéder à trente-cinq arrestations dans les milieux macédonisants et éloigner de la frontière certains éléments turbulents.
Interrogé par les journalistes au sujet de ces mesures, il déclara
it une manifestation de la vole
qu'elles constituaient une manifestation de la volonté de son gouver nement de mettre chacun à sa place et de ne permettre à personne, sous des prétextes patriotiques quelconques, de troubler l'ordre intérieur et de placer ainsi la Bulgarie dans une mauvaise posture. Le discours du trône de la session extraordinaire de la XXIIIe législature du Sobranié a confirmé cette disposition « La consolidation d'une paix universelle et l'établissement d'une collaboration internationale sont les idéals les plus grands de la politique extérieure internationale. Au nom de ces idéals, qui sont aussi les nôtres, et au nom de ses intérêts nationaux bien compris, la Bulgarie demandera le maintien et le plus grand affermissement des bons rapports avec ses voisins et la consolidation de son amitié avec les grandes puissances. »
Avec la Grèce, il est vrai, les rapports sont pour le moment médiocrement satisfaisants. Indépendamment d'une série d'anciens litiges en suspens (1), l'application du plan Hoover a fait surgir de nouvelles difficultés. Ce plan octroie à la Bulgarie un ajournement du versement annuel de 270 millions de leva pour le compte des réparations. Ce versement, avec les intérêts, sera effectué après 1933'au cours des dix années qui suivront.
Le plan concerne aussi la suspension du service des dettes intergouvernementales, nées de la guerre. A ce titre, la Bulgarie aura à faire valoir le versement qu'elle doit effectuer à l'Italie pour le rapatriement des prisonniers de guerre bulgares, soit 1.500.000 leva en chiffres ronds. C'est là aussi une dette d'État à État qui entre dans les cadres de la proposition Hoover. Il en est de même du versement que l'État bulgare doit effectuer à l'État roumain, aux termes des accords de La Haye, pour la levée du séquestre pesant sur les biens bulgares en Roumanie, soit en chiffres ronds 45.500.000 leva.
Ainsi, l'application du plan Hoover entraîne en faveur de la Bulgarie l'ajournement du paiement de ces trois dettes, réparations et dettes intergouvernementales, dont le total, pour l'année constituant la trêve, s'élève à environ 317 millions de leva.
Mais la Grèce entend inclure dans la catégorie des dettes ajournées le versement de 144 millions de leva qu'elle doit effectuer à la Bulgarie au cours de la période moratoriée, en vertu de l'accord MollovKafandaris, pour le remboursement des biens des réfugiés bulgares expulsés de leurs foyers en Macédoine et en Thrace grecques. Le gouvernement de Sofia s'y oppose, en se fondant sur cet argument qu'il (1) Voir Af faires Étrangères du mois d'avril, pages 109-110.
ne s'agit nullement d'une dette intergouvernementale, mais d'une dette de l'État hellénique vis-a-vis des particuliers bulgares dont il a occupé les biens privés.
Le 14 juillet, le Cabinet d'Athènes décida de suspendre le versement de ces annuités, en déclarant qu'il s'agissait bien de dettes ingouvernementales, donc soumises à l'application du plan Hoover.
Certains journaux virent dans cette mesure un acte de rétorsion consécutif an non-règlement des litiges en suspens entre les deux pays encore que la Bulgarie se fût toujours déclarée prête à résoudre par voie d'arbitrage ceux des ces litiges qu'elle ne considère pas comme liquidés. Et, comme il advient trop souvent dans les Balkans, de violentes polémiques de presse jetèrent de l'huile sur le feu.
Le Comité des experts siégeant à Londres fit signer à la Grèce un protocole d'acceptation du plan Iloover, étant entendu que cette acceptation ne s'étendrait pas aux réparations orientales, qui resteraient en question jusqu'au moment où seraient agréées les conditions formulées par le gouvernement hellénique au sujet des payements résultant de l'accord Mollov-Kafandaris.
Cette décision, qui semblait ménager à la Grèce la perspective d'obtenir des compensations à ses obligations touchant la convention Mollov-Kafandaris, fut accueillie avec tristesse par les Bulgares, qui y virent un sacrifice injuste de leurs intérêts et un moyen de priver leur économie, déjà cruellement éprouvée, des allégements apportés par le plan Hoover aux pays vaincus.
La Bulgarie s'est pourvue devant le Conseil de la Société des Nations contre la suspension de l'exécution de l'accord MollovKafandaris. Mais la Grèce déclare que la question échappe à la compétence du Conseil.
Le nouveau gouvernement bulgare a pourvu au remplacement de ses représentants dans plusieurs capitales, notamment à Paris et à Belgrade. A Paris, M. Morfov, démissionnaire, a pour successeur M. Kosta Batolov, qui a fait ses études dans cette ville et qui, comme vice-président puis président de l'Alliance française de Sofia, s'est acquis la réputation d'un ami éclairé et sincère de la France.
Colombie
Les élections législatives
La Colombie, comme les autres pays, se ressent de la crise mondiale. Dans quelques régions cependant, dans les mines d'or et les centres
industriels comme ceux de Medellin, le travail est actif et la production féconde. Pour le marché du café, une des principales richesses du pays, les cours se maintiennent fermes. D'après les statistiques de la « Federacion nacional de Cafeteros », les exportations du café colombien en Europe ont augmenté dans une proportion de 3 à 8 dans les quatre premiers mois de l'année. Tout porte à croire que, grâce à son gouvernement, stable et sérieux, et à ses richesses naturelles, la Colombie ne tardera pas à vaincre la crise. Cette espérance justifie les fortes et rassurantes paroles) prononcées il n'y a pas longtemps, par le général Vasquez Cobo, ministre de Colombie en France. L'émincnt diplomate déclarait
« Actuellement, il y a en Colombie un président de filiation libérale élu par le vote populaire contre le parti conservateur. Il gouverne avec un ministère mixte de libéraux et de conservateurs et avec les Chambres qui ont une majorité conservatrice président, ministres et Congrès travaillent en parfaite harmonie pour la solution des problèmes qui se rattachent à son développement matériel et moral. « La constitution colombienne issue d'un régime conservateur est une constitution libérale, où tous les droits des citoyens sont garantis, où les étrangers peuvent s'établir et travailler, protégés par les mêmes lois qui régissent les nationaux, et où rayonnent les idées et la culture française. »
Le 14 juin ont eu lieu les élections législatives. Sur 118 sièges que comportera la nouvelle Chambre, 60 seront occupés par les conservateurs et 58 par les libéraux. Les premiers triomphent dans la campagne, les seconds l'emportent dans les centres urbains. La Chambre précédente, encore en fonctions, comptait 37 libéraux et 73 conservateurs. Il semble que le temps travaille contre les conservateurs, restés les maîtres pendant près d'un demi siècle et dont l'élection du Dr Olaya Herrera à la présidence de la République, le 9 février '1930, a ébauché le déclin.
Avec les Etats-Unis, le Mexique, Cuba et l'Uruguay, la Colombie a participé (6 août) à la proposition collective invitant la Bolivie et le Paraguay à signer un pacte de non-agression à propos du litige des frontières dans la région du « Chaco boréal ».
Grande-Bretagne
Les relations anglo-russes devant la Chambre des Communes Quoique d'autres questions se soient trouvées au premier plan, les
relations avec les Soviets restent un des points névralgiques de la politique travailliste et, durant les dernières semaines de la session parlementaire avant les vacances d'été, il n'est presque pas de séance de la Chambre des Communes où des questions n'aient été posées sur ce sujet au gouvernement.
Questions de très inégale importance à vrai dire certaines d'entre elles ne sont sans douté que des taquineries de l'opposition, mais leur fréquence est notable. Le 1er juillet, M. Haslam se plaint que les voyageurs britanniques en Russie se voient confisquer leur argent par application des règlements relatifs à la circulation monétaire. Le 20, Sir G. Bowyer demande ce qu'a fait l'administration des Affaires étrangères en faveur d'une Russe, qui a épousé un Anglais et qui, depuis son mariage, est retenue en Russie et mise dans l'impossibilité de rejoindre son mari. Le séjour à Londres de M. Bukharine, venu pour assister à un Congrès international d'histoire des sciences, donne lieu à toute une série d'interventions, le 6, le 7, le 9 Sir W. Davison déclare que l'ancien commissaire du peuple a été l'organisateur du service de propagande de la IIIe Internationale en Grande-Bretagne. Cette question de la propagande est soulevée plusieurs fois par l'opposition conservatrice, spécialement le 7 à propos de messages en l'honneur du régime soviétique radiodiffusés par les syndicats de Moscou; le 16, à propos de la propagande antibritannique faite par des agents des Soviets de passage en Grande-Bretagne.
Des préoccupations se font jour à plusieurs reprises au sujet de l'armée rouge. Le 9, sur une question du Com. Bellairs, le Secrétaire à la Guerre explique que le chiffre de 608.000 homme donné pour l'armée de l'Union soviétique dans l'annuaire de la Société des Nations comprend les effectifs de la Guépéou le 14, en réponse au même membre de la Chambre, il explique en quoi consiste l'entraînement des réserves (six mois en cinq ans). Le 15, Sir N. Grattan-Doyle s'inquiète d'apprendre que des engins de guerre et des munitions sont expédiés d'Angleterre en Russie M. Gillett, secrétaire au Département d'OutreMer, répond que depuis deux ans, il n'a été accordé de permis que pour 40 tanks et 26 voitures armées avec leurs armes, leurs munitions et une petite quantité de pièces de rechange.
Ce sont les questions commerciales qui, seules, ont donné lieu à des discussions de réelle ampleur. Le dumping du beurre a été mentionné le 7 juillet par Sir F. Hall. Mais ce n'est là qu'un détail. Ce qui inquiète davantage l'opinion, c'est la disproportion frappante entre les importations russes en Angleterre et les importations anglaises en Russie le 14, M. Graham, Président du Board of Trade, admet
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qu'entre le '1er octobre 1929 et le 31 mars 1931 l'excédent des premières sur les secondes a dépassé 36 millions de £. Pour faciliter les exportations britanniques, le gouvernement a développé le système des crédits d'après les déclarations faites le 9 à la Chambre par M. Graham, le gouvernement est disposé à donner sa garantie, sur avis favorable de la Commission des crédits consultée dans chaque cas, aux exportateurs qui accorderaient un crédit de 30 mois.
C'est précisément cette politique qui a donné lieu au débat le plus important, le 22 juillet. Sir P. Cunliffe-Lister a vivement attaqué le gouvernement dans les 6 mois qui se sont terminés le 31 mai, la Russie des Soviets a obtenu £ 2.500.000 de crédits, tandis que tous les autres pays réunis n'obtenaient que £ 1.419.000 et les décisions récemment prises vont aggraver cette situation. Malgré cela, la Russie est pour la Grande-Bretagne un mauvais client elle préfère acheter aux ÉtatsUnis, qui n'ont pas reconnu le régime et dont le gouvernement n'accorde aucun avantage de crédit ainsi en 1929-30, la Russie a acheté pour 6 millions de roubles de fers et aciers en Grande-Bretagne, pour 14 millions 1/2 aux États-Unis pour 3 millions 1/2 de roubles de machines en Grande-Bretagne, pour 41 millions aux États-Unis. Le gouvernement russe vend au comptant en Angleterre quatre fois plus qu'il n'y achète il pourrait donc payer comptant. M. E. D. Simon, travailliste, fit remarquer que l'Allemagne et l'Italie accordent à la Russie des conditions de crédit plus favorables encore que la GrandeBretagne. – M. Gillett, secrétaire au Département d'Outre-Mer, défendit la politique du gouvernement en insistant sur la nécessité de ne pas perdre un marché considérable comme le marché russe et sur le rôle joué par la Commission consultative dans l'octroi des crédits. Pendant que se discutait cette question, les négociations relatives aux dettes subissaient un temps d'arrêt. Le jour même du débat sur les crédits, le sous-secrétaire aux Affaires étrangères devait reconnaître, sur une question de Sir K. Wood, que les pourparlers n'avaient fait aucun progrès. La sous-commission A, qui doit s'occuper des réclamations britanniques d'une valeur de £ 180 millions, ne s'est pas réunie une seule fois et depuis deux mois la sous-commission B ne s'est pas réunie non plus. Quelques jours après, le 27, le sous-secrétaire expliquait à la Chambre que M. Henderson avait eu deux entretiens avec l'Ambassadeur des Soviets et avait insisté pour obtenir de leur part des propositions concrètes.
Italie
Les rapports avec, l' Allemagne el le problème du désarmement Le plan Hoover, accepté en principe dès le 24 juin par l'Italie, fut commenté par la presse fasciste dans un sens généralement bienveillant pour l'Allemagne. « Si jadis déclara le Corriere della Sera il fut nécessaire (le se coaliser contre les prétentions germaniques, pour le même motif il convient aujourd'hui de se coaliser pour sauver l'existence de ce peuple, que l'on ne peut abandonner aux dangers de réactions désespérées de type communiste ou autre. »
La Tribuna fit toutefois observer que la situation de l'Allemagne s'accordait mal avec le projet d'union douanière germanique « Ou il est vrai que l'Allemagne est dans l'embarras, et que la petite Autriche y est également, et alors on ne comprend pas pourquoi on veut réunir justement en ce moment deux économies désaxées ou l'union est une intention sérieuse et alors, dans ces embarras, il y a une forte part de falsification alarmiste, ou pis encore. Nous ne disons pas le mot, mais on le comprend. »
Ainsi s'affirmait la double position de l'Italie intransigeance sur la question de l'union douanière (mise en lumière avec encore plus d'éclat par la plaidoirie de M. Scialoja à La Haye), adhésion très franche à une action internationale de soutien à l'économie du Reich. Le plan Hoover fut appliqué provisoirement dès le 1er juillet par, l'Italie, qui renonçait ainsi à l'annuité de 186 millions de réparations inconditionnelles.
L'opinion accueillit avec un visible empressement le désir du chancelier et du ministre des Affaires étrangères du Reich de se rendre à Rome pour y rencontrer le chef du gouvernement fasciste. On parla d'un rapprochement plus étroit, discrètement suggéré par le Corriere de.da Sera « Si les Allemands veulent vraiment sortir de l'isolement politique dans lequel ils sont et trouver le moyen de rétablir leur équilibre et d'obtenir des arrangements d'ordre financier et autres avec les plus grandes puissances d'Europe et avec l'Amérique, il est juste qu'ils s'habituent à considérer l'action diplomatique italienne comme importante, non seulement par exception, mais encore en règle générale. »
La visite de MM. Brüning et Curtius (7-8 août), empreinte d'une grande cordialité, ne donna toutefois aucune indication concrète permettant de conclure à des engagements particuliers ou à une nou-
velle orientation. Le thème de la nécessité d'une coopération générale entre les peuples fut le leitmotiv des discours et des toasts. Mais la question du désarmement trouva place dans le cadre de ces échanges de vues, et c'est de ce côté que la presse fasciste orienta le plus volontiers ses commentaires. Le Giornale d'Italia constata que « la politique italienne pour le désarmement sortait certainement encore mieux précisée des entretiens de Rome ». Le même journal laissait entendre que l'accord sur le problème du désarmement n'était pas seulement italo-allemand, mais qu'il s'étendait aux États-Unis et à l'Angleterre. Mais c'était là, semble-t-il, une interprétation prématurée ou extensive des entretiens de Rome. Ce qui est plus vraisemblable, c'est que la question sera de nouveau examinée, en fonction de la situation générale, lors du voyage de M. Mussolini à Berlin, voyage qui revêt sa pleine signification du fait que le Duce n'a jamais accepté jusqu'ici de se rendre dans une capitale européenne. Dans la recrudescence de vie internationale qui se manifeste aujourd'hui chez toutes les grandes puissances, l'Italie entend marquer sa place avec l'autorité et le prestige d'une nation consciente de sa force.
Yougoslavie
Les dix ans de règne du roi Alexandre Ier
La Yougoslavie a fùté le 16 août le dixième anniversaire de l'avènement au trône du roi Alexandre 1er.
C'est le cas de rappeler que le roi, après avoir été, avec le roi Pierre, son père, l'artisan de l'unité nationale, a sauvé cette unité compromise en mettant fin à un état d'anarchie où le pays risquait de sombrer. En prenant toutes les prérogatives et toutes les responsabilités du pouvoir par le coup d'État des 5-6 janvier 1929, le souverain a résolu une double crise crise nationale (de caractère plus psychologique que politique) ouverte par l'exaspération des rapports serbo-croates crise politique occasionnée par l'irrémédiable impuissance du Parlement et des partis. Il va d'ailleurs de soi que ces deux crises ont réagi l'une sur l'autre, créant ainsi l'état d'inextricable confusion auquel la Couronne n'a pu mettre fin qu'en annulant l'oeuvre constitutionnelle et parlementaire de la décade qui a suivi l'Union.
La dernière législature avant le coup d'État avait donné le spectacle du plus lamentable désarroi replâtrages de ministères constamment vacillants, sourde obstination des gouvernements en face d'une crise
qui débordait tous les secteurs de la vie politique et ébranlait l'État jusque dans ses bases compromissions mesquines, solutions à courte vue, politique des petits moyens.
Sans doute, la Couronne avait la faculté de procéder à la dissolution de la Chambre, mais l'expérience de dix années condamnait cet expédient. A tous les moments critiques de cette décade, le souverain y avait recouru, sans qu'il en fût jamais sorti autre chose que des majorités précaires, mal définies et obligées de subir le chantage ou la pression des petits groupes. Les Parlements issus de ces consultations avaient déçu toutes les espérances aucun d'eux n'était allé jusqu'au terme de son mandat de quatre années. La Chambre (mi-constituante, mi-législative) de 1920 avait été dissoute le 21 décembre 1922 pour trancher le conflit entre radicaux et démocrates. L'Assemblée qui lui succéda fut congédiée le 10 novembre 1924 pour le même motif. Sa remplaçante disparut, elle aussi, prématurément (16 juin 1927). La Skoupchtina issue du scrutin du 11 septembre suivant devait « éclaircir l'atmosphère ». Elle n'apporta qu'une suite de Cabinets radicaux qui, dix fois en crise, dix fois remaniés, illustrèrent, par leur politique d'imprévision, l'état d'incurable stagnation auquel étaient arrivées les affaires publiques.
Que restait-il donc sinon le roi pour obvier au désarroi des consciences, au ralentissement progressif de tous les rouages qui assurent le fonctionnement normal d'un État ?
Il avait pour lui le loyalisme monarchique des Croates, l'attachement traditionnel des Serbes au nom des Karageorgevitch. Il était le dernier rempart de l'union en péril, le seul gage d'apaisement de ces luttes fratricides. Il avait pendant dix ans observé, en en tirant une leçon d'expérience, l'incompréhension des grands chefs politiques, l'impitoyable stérilité de leurs compétitions, le triomphe permanent de l'esprit de parti.
Devenu sans l'avoir cherché, l'arbitre de la situation, il a fait table rase du passé. Il a abrogé la Constitution, dissous le Parlement et instauré un régime auquel il s'est gardé de donner un nom, parce qu'il le considère comme provisoire, mais qu'on pourrait appeler un « absolutisme temporaire ». On peut regretter que les événements l'aient placé en face de cette obligation, contraire à son tempérament et à son sens profond de l'évolution politique dans les Etats modernes. On ne peut malheureusement pas dire que le choix lui ait été laissé entre deux solutions.
Trois ans ne se sont pas écoulés depuis le coup d'État.
Dans l'ordre administratif, une série de décrets-lois, préparés par les
hommes les plus qualifiés, ont remanié de fond en comble tous les services. La législation a été unifiée dans tous les domaines et modernisée.
L'économie du pays a trouvé une protection qu'elle n'avait jamais eue au temps des clientèles électorales. Les finances ont été assainies, le budget a été équilibré et la Yougoslavie, atteinte comme tous les pays par la crise économique, est assurée de franchir cette épreuve sans dommage irrémédiable.
Dans l'ordre politique, un esprit de yougoslavisme intégral efface le souvenir des vieilles luttes de clans. La substitution du nom de « Yougoslavie » à celui de royaume des Serbes, Croates et Slovènes, l'adoption de cadres provinciaux géographiques au lieu des anciennes divisions historiques, sont le symbole de cette évolution. La violence de certaines campagnes, menées de l'extérieur et caractérisées par des attentats tels que les explosions de bombes dans les trains, montre que la consolidation de l'État s'affirme et réduit ses adversaires aux moyens désespérés.
Ce que sera le retour à l'ordre constitutionnel, il est encore impossible de le prévoir. Le roi Alexandre a dit récemment à un journaliste français « Le régime actuel est provisoire. Quand le moment sera venu pour un changement, celui-ci s'opérera dans le sens d'une affirmation des éléments garantissant l'orientation actuelle de la politique nationale. Il ne faut pas songer à un retour quelconque à l'ancien système qui s'avéra néfaste. On ne peut davantage penser que la vie publique yougoslave puisse dans l'avenir être inspirée par des considérations confessionnelles, régionales ou particularistes ».
VARIÉTÉS
Le Salon international du Livre d'art
Le Salou International du Livre d'Art, qui a été ouvert du 20 mai au 15 août au Petit Palais des Beaux-Arts de la Ville de Paris, a été une manifestation des plus intéressantes. Bibliophiles, typographes, illustrateurs y ont trouvé la confirmation des principes sur lesquels repose la technique d'un beau livre, principes qui depuis une trentaine d'années semblent avoir définitivement triomphé dans tous les pays civilisés. Aujourd'hui comme au temps des incunables, c'est Je caractère qui commande. Le papier, la mise en page, l'illustration doivent pour leur collaboration à l'œuvre d'art se subordonner a lui il dirige leur effort et le coordonne. Il faut bien qu'il y ait là quelque chose de fixe et de certain. Comment expliquerait-on autrement que l'invention de Gutenberg et de son atelier vers 1454 ait mis seize années à peine à dégager ces lois éternelles ? Je connais une édition princeps de Quintilien datée de 147 où il est dit à la dernière page que Nicolas Jenson, français, a imprimé ce livre « miro artificio )). Depuis lors, quels sont les progrès qui ont été réalisés ? Ce livre atteint une telle perfection typographique basée sur l'emploi du caractère romain que depuis on n'a pu faire mieux. A-t-on dépassé la romaine de notre compatriote ou préfère-t-oii l'italique d'Alde ? Contestation qui fait ressortir la différence des tempéraments, comme celle qui oppose le dorique à l'ionique, ou la force à la grâce.
Il y a des textes qui s'apparentent à l'un on à l'autre. Des illustra-
teurs travaillent à harmoniser avec la typographie leurs conceptions et on s'aperçoit des progrès que la renaissance de la gravure sur bois a fait faire dans tous les pays à la technique du livre. Comme au xve siècle, le typographe travaille ]a main dans la main avec le graveur sur bois. Certes, on ne saurait diminuer la valeur de l'union, si parfaite au xvme siècle, du caractère Didot avec la gravure sur cuivre. Mais, dans notre période machiniste et pressée, peut-on attendre l'aquafortiste patient et surtout payer à sa valeur son admirable conscience ? Vingt peuples ont apporté à l'Exposition leurs plus récentes produc-
tions, et la France, qui s'est, par les éditeurs comme par les Sociétés de bibliophiles, puissamment intéressée à la rénovation du livre d'art, trouve dans les plus belles réussites de l'étranger une confirmation des principes qui la guident.
En parcourant les vitrines où les Pays-Bas, les États-Unis, l'Angleterre, l'Autriche ont montré dans la taille des caractères ce mélange d'originalité et de mesure qui permet d'admirer et défend de s'étonner, nous trouvons des enseignements pour notre pays. Les alphabets qui ne sont pas de souche latine, de moins en moins nombreux, montrent leur originalité qui saute aux yeux comme une flamme. Mais avec le latin il existe une floraison de variations sur un thème unique et quelques-unes, comme les américaines et les hollandaises, sont dignes d'être étudiées de près afin d'en pénétrer la puissance créatrice. 11 fallait sans doute qu'en envoyant les résultats de leur travail les Républiques soviétiques aient clairement démontré qu'il n'était point d'entente d'Ariel avec Caliban. Quand on voit la brigade de choc de la section du livre d'enfants montrer son visage déplorable, on plaint les petits auxquels on destine d'aussi indigestes nourritures terrestres. Médiocres images qui n'inspirent pas l'envie de lire ta traduction du texte qui les accompagne.
A côté on discerne des courants qui pénètrent d'une même substance les livres anglo-saxons ou néerlandais dont la maison-mère fut, il y a quarante ans, la Kelmscott Press de William Morris, les livres des Slaves européens, les livres scandinaves. L'Italie, malgré ses disciplines nouvelles, n'apparaît pas encore dégagée d'un culte un peu formaliste de la renaissance, tandis que l'Allemagne, avec ses fortes reliures, ses puissants caractères et son manque de synthèse dans l'illustration, ne fait pas encore figure de chef dans la construction d'un beau livre.
Lorsqu'avcc nos idées actuelles nous regardons les livres français du xixe siècle,]! nous faut être modestes. Es t-il possible qu'avant 1900 il y eût si peu de chose et que Je romantisme n'ait voulu que montrer des images ? Mais d'autre part est-il possible que les beaux livres de moins de trente ans subsistent dans un siècle ? Nous espérons, je dirai même nous comptons que Beltrand, Jou, Schmied, Daragnès et quelques autres dureront autant que Moreau le jeune, Eisen et Choffard. Plusieurs sociétés de bibliophiles ont atteint de glorieuses réussites et, si l'on retrouve les méthodes de notre pays dans plusieurs vitrines étrangères, c'est une preuve de la sûreté de ces méthodes et de la beauté des réalisations.
Le typographe et l'illustrateur ne se tournent. plus le dos et ne
cherchent pas à briller aux dépens l'un de l'autre. L'habitude de confier l'entreprise d'un livre à un homme qui souvent ne se pique de rien mais qui met toute son originalité à harmoniser celle des autres, s'est démontrée excellente. Dans cette belle Exposition on voit des splendeurs, on apprend des noms mais on peut ignorer que le rôle d'animateur des livres d'art n'est pas négligeable et que quelques-uns mériteraient d'être connus par les délicats.
Pour la reliure, il y a des pays où elle semble un prolongement de la typographie. Mais cette heureuse réussite n'est pas obtenue partout. Il n'y a pas longtemps que les relieurs français ont hésité devant la dentelle Derôme. On a renoncé à faire du premier plat un petit tableau en cuirs de couleur. Peu de provinces de l'art ont profité du cubisme mais la reliure y. a appris quelque chose. Ses volumes ont apporté du sérieux et de la grâce là où régnaient souvent mièvrerie et puérilité. Aujourd'hui,les rétrospectives de Marius Michel et de Legrain montrent le livre harmonisé en tous ses éléments, et leurs successeurs suivent avec la même originalité la même voie.
C'est en les regardant qu'on peut sans rougir de notre époque admirer la collection des reliures anciennes de Dutuit qui, avec éclectisme, allait jusqu'à Trautz Bauzonnet et reconnaître que la reliure française a une forte tradition qui n'exclut pas les plus belles initiatives.
Robert de BILLY.
Ambassadeur de France.
Les diplomates et le théâtre
III
Molière, à ses débuts, avait eu dans messire Esprit Raymond de Monmoiran, comte de Modène, chambellan du duc d'Orléans, frère unique du roi, sinon un protecteur indirect, du moins un partisan dont la fidélité devait durer plusieurs lustres, puisque le comte fut, en 1665, le parrain de la fille du grand auteur comique.
En agissant ainsi, M. de Modène ne faisait que continuer une tradition qui, depuis longtemps déjà, unissait les diplomates et les gens de théâtre.
Et l'exemple venait de haut et même de loin. D'Italie. d'Espagne. d'Angleterre. En 1562, un enfant était né à Madrid qui devait avoir une vie aventureuse et être, en même temps, le plus grand auteur dramatique de l'Espagne Lope Félix de Vega Carpio, dont plus de quatre cents pièces connues assurent aujourd'hui la gloire, mais qui passe, en réalité, pour être l'auteur de près de dix-huit cents comédies. Cette œuvre prodigieuse n'empêcha pas Lope de Vega de donner une partie de son temps à un autre métier. Et quel était cet autre métier ? P Lope de Vega, après avoir servi comme secrétaire le marquis de Malpica, était passé, avec le même titre, dans la maison de Don Pedro Fernandez de Castro, marquis de Sarria, comte de Lemos, qui fut, en 1603, président du Conseil des Indes, avant de devenir vice-roi de Naples et de fonder dans cette ville l'Académie des Oisifs. Et à cette même cour du comte de Lemos vivait l'un des deux Argensola, ceux-là même que leurs compatriotes avaient surnommés les « Horaces de l'Espagne » ou les « jumeaux d'Apollon », Lupercio Leonardo de Argensola, né à Barbastro (Aragon) en 1559 et qui, après avoir été secrétaire de Marie d'Autriche, tenait, auprès du vice-roi de Naples, la charge de secrétaire d'État, tout en écrivant des poésies et des tragédies, dont trois, au moins, sont parvenues jusqu'à nous Isabela, Filis et Alejandra.
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Et Don Guilhen de Castro lui-même, né à Valence, en 1567, auteur de Las Mocedade.i del Cid, le précurseur de Corneille, trouva en cet étonnant duc d'Ossuna, qui charma Henri IV par son esprit et fut le plus indépendant des hommes, un protecteur magnifique. Ossuna, ayant conseillé au roi d'Espagne de signer la paix avec les Provinces unies, était devenu vice-roi de Sicile, puis vice-roi de Naples peutêtre eût-il enfin conquis une couronné, si le destin n'en avait décidé autrement. Et c'est encore au non moins surprenant Don Gaspard de Guzmau, comte d'Olivarès, duc de San Lucar, que Guilhen de Castro dut un supplément de pension. De belle prestance, ainsi que nous le montre Vélasquez dans le portrait équestre qu'il fit de lui et qui est au musée du Prado à Madrid, Olivarès menait une vie fastueuse et aimait les arts. Il était le petit-fils d'un général héroïque dont Philippe II avait fait son majordome et fils de cet Olivarès qui, après avoir guerroyé en Flandres et assisté à la prise de Saint-Quentin, devint grand Trésorier de Castille, puis ambassadeur d'Espagne à Paris. Et quand, sans nous éloigner de cette époque, quittant le continent pour remonter en Angleterre, nous nous penchons sur l'hïs taire de la jeunesse de Shakespeare, d'un an plus jeune que Lope de Vega, c'est pour constater qu'aux abords de l'année 1585 son nom figurait dans la troupe que le lord chambellan, ce beau Rubert Dudley, aimé d'Elisabeth qui lui avait attribué le comté de Leicester, patronnait et entretenait plus ou moins. A vrai dire, au moment où Shakespeare, qui avait pendant quelque temps, dit-on, gardé les chevaux des seigneurs, commençait à faire figure dans la troupe comme souffleur, le. comte de Leicester remplissait dans les Pays-Bas une mission dont l'avait chargé la reine. En dépit des piètres résultats obtenus, cette mission devait être renouvelée deux ans après- Mais c'était moins pour servir l'État que pour le séparer de la comtesse d'Essex, qu'Elisabeth avait confié ces missions à celui dont elle souhaitait faire son mari, et qui l'eût été si la mort ne l'avait pris, au lendemain du jour où la reine avait créé pour lui le titre de Lieutenant général d'Angleterre et d'Irlande.
Mais moins de deux ans après la mort de Leicester, auteur encore inédit, Shakespeare rencontrait chez mylord Southaiupton, Stanley, fils du comte de Derby et recueillait de sa bouche certaine histoire dont il tirera le sujet de sa première comédie, Peines d 'amour perdues, qui devait paraître sur la scène en 1591. Mylord Southampton qui, quelques années après, devait être mêlé à la conspiration du comte d'Essex et se tirer de l'affaire avec quelque temps de réclusion à la Tour de Londres, fut, au Théâtre du Globe, l'ami et le patron de
Shakespeare, quand celui-ci connut enfin la vogue. Et le grand Will trouva encore un protecteur diligent et perspicace dans William comte de Pembroke, fils de cette comtesse de Pembroke qui a laissé un grand nom dans la littérature anglaise du xvie siècle. Poète, comme sa mère qui avait publié, en 1590, un poème, Arcadia. William de Pembroke fut gouverneur de Plymouth et grand-maître de la maison du roi, cependant qu'au lendemain de la Restauration, son frère Philip,, favori de Jacques 1er, allait devenir ambassadeur d'Angleterre à Paris, puis grand chambellan.
Lord Pembroke protégea également Philippe Massingcr qui fut, avec John Fletcher et John Ford, parmi les grands représentants de l'art dramatique de cette période d'inventions et d'éveils. Période prodigieuse, d'ailleurs, qui devait fournir au théâtre, non seulement d'ardents protecteurs, mais aussi des personnages et des caractères d'un surprenant relief, depuis ce comte d'Essex (dont la vie aventureuse et dramatique allait inspirer bientôt un John Banks, en Angleterre, et, en France, un La Calprenède ou un Thomas Corneille) jusqu'à a Sir William Davenant qui, parce que son père dirigeait à Oxford une auberge où Shakespare s'arrêtait parfois, passa pour le fils naturel du grand poète dramatique et voulut être à son tour dramaturge. Ici, nous [ne sommes plus dans l'histoire, mais plutôt sur la scène. Ce Davenant, Victor Hugo dans son Cromwell, lui prête certain rôle diplomatique, mystérieux et par divers côtés plein d'un humour qui ne manque cependant pas de lyrisme.
Et comme ce Davenant a eu une façon bien à lui d'expliquer sa mission
Avant d'autoriser mon départ d'Angleterre,
Cromwell me fit venir il exigea de moi
Ma parole d'honneur de ne pas voir le roi.
Je le promis. A peine arrivé dans Cologne,
Je me souvins des tours qu'on m'apprit en Gascogne
Et j'écrivis au roi de souffrir que, la nuit,
Je fusse sans lumière en sa chambre conduit.
Vraiment ?
Sa Majesté, qui daigna le permettre,
M'entretint, m'honora d'un ordre à vous remettre.
C'est ainsi que, fidèle à mon double devoir,
J'ai su parler au roi, sans toutefois le voir.
Ah Davenant, la ruse est bien des mieux ourdies
Ce n'est pas la moins drôle entre vos comédies.
Voici tout le mystère:
Lord Rochester, riant.
Davenant à lord Ormond
Lord Rochester, riant plus fort.
Davenant avait été page de la duchesse de Richemont, puis de lord Brooke avant de devenir poète lauréat à la Cour de Charles Ier. Mais en cette année 1657, dépouillé par la Révolution de ses dignités, ambassadeur errant et bénévole, il vivait de son passé tout en mettant quelques espérances dans l'avenir.
D'ailleurs, en Davenant ayez toujours crédit
C'est notre bon plaisir. Vous le tiendrez pour dit.
CHARLES, Roi.
Comme lord Ormond se demande avec quelque perplexité comment, pour répondre au désir du roi, Rochester pourra s'introduire chez Cromwell, Davenant, qui a plus d'un tour dans son sac d'auteur professionnel et de diplomate d'occasion, déclare sans tarder
Je connais chez Cromwell un vieux docteur en droit,
Un certain John Milton, secrétaire-interprète,
Aveugle, assez bon clerc, mais fort méchant poète.
Eh oui, Milton lui-même, dont l'intervention avait déjà sauvé Davenant d'un danger certain au moment où il se préparait à passer en Amérique et qui, aux jours de la Restauration, devra, à son tour, son salut à ce même Davenant dont Charles If fera le directeur de son théâtre royal.
La diplomatie et le théâtre modernes se partagent à leur origine une grande œuvre, celle de Nicolas Machiavel, homme d'état et dramaturge, auteur du Prince et de La Mandragore, un livre et une comédie où s'affirme un esprit profondément réaliste, toujours orienté vers l'avenir.
Et aux heures des grandes réalisations dramatiques, où, dans l'histoire sociale comme sur la scène, le jeu du drame alterne avec celui de la comédie, ce sont encore des noms de diplomates que nous pouvons associer à ceux de Lope de Vega, de Guilhen de Castro et de Calderon, de Shakespeare, de Fletcher, et de Massinger, de Corneille, de Molière et de Racine, ces pères du nouveau téâtre international. Ce qui semble prouver que la fraternité n'est pas aussi vaine qu'on le dit, de la comédie et de la politique.
J. VALMY Baysse,
Secrétaire général de la Comédie française,
La dernière entrevue de Charles Ier -IV et du régent Horthy
Le baron Charles de Werkmann, dernier secrétaire intime de 1 exempereur Charles, vient de publier, dans un livre à tirage réduit, les ultimes souvenirs du souverain déchu (1).
Il relate le récit que lui fit l'Empereur-Roi à son retour à Prangins, après la première tentative malheureuse de restauration (Pâques 1921). Charles Ier-IY, aussitôt arrivé à Budapest. se dirigea vers le château royal de Bude
« On m'emmena, dit-il, dans un appartement glacial. J'étais transi de froid je demandai à être introduit auprès du régent. Celui-ci vint à ma rencontre, l'air bouleversé
L'arrivée de Votre Majesté est un vrai malheur. Votre Majesté doit retourner immédiatement en Suisse.
Je répondis à M. Horthy (sic) qu'il ne pouvait en être question, vu qu'en partant j'avais brûlé tous mes ponts.
Alors commença entre nous une discussion de deux heures.
M. Horthy, lui dis-je, vous avez commandé les troupes qui ont libéré le pays du bolchévisme. Vous avez rétabli sagement l'ordre dans le pays. Aujourd'hui vous devez vous effacer devant votre roi. Il va de soi que votre position reste très haute. Vos mérites, votre sagesse font de vous le conseiller, le bras droit de votre souverain. – C'est là ce que m'offrira Votre Majesté ?
– Je vous ferai duc. Je vous conférerai la Toison d'Or.
Dans ma confusion j'oubliais que M. Horthy était protestant et que la Toison d'Or ne peut être attribuée qu'à des catholiques de très ancienne noblesse.
Mon interlocuteur me fit un exposé des maux qui s'abattraient sur le pays si je m'obstinais à y rester. Je combattis ses arguments et conclus
Tout se fera conformément à la constitution. Je formerai un gouvernement.
Impossible. Je n'ai pas le droit de vous remettre le pouvoir. J'ai prêté serment devant l'Assemblée nationale.
(1) M. Werkmann avait déjà publié le Calvaire d'un Empereur, 1918-1922, trad. Payot, 1924.
Vous m'avez prêté serment auparavant.
Un serment qui n'est plus valable.
Je lui rappelai que lorsque moi et mes partisans nous lui demandâmes la signification du serment prêté par lui à l'Assemblée nationale, il avait répondu qu'il le regardait comme la confirmation du serment prêté à son souverain.
C'est le passé. Aujourd'hui je n'ai d'engagements qu'à l'égard du peuple.
Vous n'avez aucun engagement à l'égard du peuple. La loi d'exception est caduque par le seul fait que le roi couronné apparaît sur le territoire national. Ma présence vous libère de toute responsabilité. C'est moi qui ai prêté serment lors de mon couronnement et je suis le seul responsable devant Dieu et devant le peuple. Monsieur l'amiral, au nom du serment que vous m'avez prêté, je vous ordonne de me remettre le pouvoir royal et de vous soumettre.
Je m'y refuse.
Puis, comme pour adoucir la dureté de ce refus
D'ailleurs l'armée n'est pas entièrement royaliste.
Je croyais que vous teniez fermement l'armée entre vos mains. Certes. Mais je n'en estime pas moins que Votre Majesté ne doit pas prendre le pouvoir à l'heure actuelle. J'ordonnerai à l'armée de ne pas déférer aux ordres de Votre Majesté. Je suis sûr de son obéissance. Votre Majesté a donc peu de chances de succès. J'eus peine à contenir mon indignation. J'étais seul en face du régent, sans armes. Je lui dis
Allez-vous m'arrêter ?
Non, je n'arrêterai pas Votre Majesté.
Alors cédez-moi la place.
Pourquoi Votre Majesté n'a-t-elle pas attendu une dizaine d'années ? Actuellement votre arrivée peut provoquer une guerre civile, sans parler de l'intervention militaire de la Petite Entente.
Je maintiens mon point de vue. Je vous donne cinq minutes pour réfléchir.
Les cinq minutes écoulées, je reprends
Monsieur, qui vous a promu contre-amiral ? Qui vous a promu vice-amiral ? Qui vous a nommé commandant en chef de la flotte austro-hongroise ?. J'ajoute que j'ai reçu, de certains hommes d'État étrangers, l'assurance que la Petite Entente ne marchera pas contre moi. Pourquoi ne pas m'avoir dit cela plus tôt ?
Alors, dans ce cas, vous consentez à me remettre le pouvoir ? Assurément. Mais pas maintenant. Plus tard. »
BIBLIOGRAPHIE
DROIT ET ÉCONOMIE. POLITIQUE
M. Moncharville, Le Japon d'Outre- AI er, 238 pages in-16, Paris, Pedone, 1931. On est fort peu renseigné, hors du Japon, sur le domaine d'Outre-Mer de l'Empire. Il faut donc savoir beaucoup de gré à M. Moncharville, professeur de législation coloniale à la Faculté de Droit de Strasbourg, de nous donner, dans un ouvrage agréable à lire, une quantité de renseignements sur les territoires qu'il vient de parcourir « sous l'égide gouvernementale », nous dit-il en se hâtant d'ajouter que toutes les curiosités qu'il a manifestées au cours de son voyage ont été immédiatement satisfaites. Il nous parle, après un aperçu historique de Formose (Taïwan), de la Corée (Chôsen), du Kouantoung et du chemin de fer Sud-Mandchourien, des Iles des Mers du Sud sous mandat japonais, de Sakhaline (Karafouto). A Formose les révoltes d'indigènes, nombreuses et sanglantes dans les années qui ont suivi l'annexion, n'ont jamais constitué un obstacle à la colonisation car les « chasseurs de têtes » ne sont guère plus de 100.000 et ils avaient été refoulés dès l'époque chinoise dans les montagnes de l'intérieur la masse de la population est formée par 4 millions d'émigrés chinois venus jadis du Kouang-toung et du Fou-Kien population docile qui a bien accepté la souveraineté japonaise. Ce beau pays semi-tropical est en même temps un pays riche la consommation mondiale du camphre, stimulée par le développement de la fabrication du celluloïd, est alimentée pour 70 par Formose l'île vend à l'étranger plus d'un million de boît.es d'ananas par an, et elle exporte au Japon 200.000 tonnes de bananes elle produit par an 10 millions de ldlogs de thé, et fournit au Japon tout le sucre qu'il consomme.
La Corée, avec ses 220.000 kilomètres carrés et ses 20 millions d'habitants, a donné aux dirigeants de l'Empire plus de préoccupations. Les troubles étaient endémiques sous les régimes corrompus qui ont précédé l'annexion et la fermentation a persisté le désordre chinois et la propagande russe ont contribué à l'entretenir. Mais l'établissement de l'ordre dans un pays qui l'avait, pendant des siècles, ignoré, a permis de remarquables progrès les exportations sont huit fois ce qu'elles étaient en 1910 un vaste programme d'amélio-
ration des terres est entré en exécution en 1926, et le nombre des petits propriétaires augmente rapidement les extractions de métaux qui valaient 6 millions de Yen en 1910 en valent maintenant plus de 24 millions le poids des cocons produits est passé de 1.400 à 28.500 tonnes.
La partie peut-être la plus originale du livre est celle que l'auteur consacre à la Mandchourie. On sait qu'à la fin de la guerre russojaponaise le Japon a obtenu la transmission du bail russe sur le Liaotoung (pays de Dairen et Port-Arthur) ainsi que des concessions du chemin de fer Sud-Mandchourien. Ce que l'on sait moins, c'est le développement pris par ce pays, sous l'action de l'administration du chemin de fer, qui agit comme un véritable gouvernement, administre, ouvre des écoles, fonde des hôpitaux, en même temps qu'elle exploite les voies ferrées et les mines. L'ordre et la prospérité ont attiré depuis quelques années des quantités d'émigrants chinois qui fuyaient la guerre civile, et qui sont venus en Mandchourie au rythme stupéfiant d'environ un million par an.
L'ouvrage de M. Moncharville ne nous renseigne pas seulement sur le développement économique des territoires japonais il expose le mécanisme administratif, les soins donnés partout au progrès de l'instruction et de l'hygiène, la lutte entreprise contre certains fléaux à Formose il y avait 169.000 opiomanes en 1900 en 1929 il n'y en avait plus que 24.000.
J. R.
Paul Guggeniieim, Les mesures provisoires de procédure internationale et leur influence sur le développement du droit des gens, 210 pages in-8°, Paris, Sirey, 1931.- La question abordée par M. Guggenheim n'a été que fort peu étudiée jusqu'ici, bien qu'elle soit de capitale importance. C'est un fait que les États ont éprouvé beaucoup d'hésitations à confier aux juridictions internationales ou aux organes politiques internationaux le pouvoir de prendre des mesures provisoires on a même été jusqu'à soutenir que les organes chargés d'appliquer le droit international public n'ont le droit de prendre que des décisions définitives, les mesures provisoires restant du domaine de la politique. Il peut, de prime abord, paraître singulier que le provisoire apparaisse de plus de conséquence que le définitif. Mais à regarder les faits, la chose se comprend. M. G. l'explique fort bien la limitation de volonté politique, le sacrifice de prestige qu'impose une décision définitive sont uniques et, au fond, peuvent être aussi « momentanés » qu'une mesure provisoire a la perte d'un procès devant un tribunal
peut être pénible. Mais le plus souvent ce résultat cesse d'être sensible après un certain temps. » D'autre part la teneur de ces décisions peut, dans la plupart des cas, être prévue par les Parties. Au contraire, les mesures provisoires paraissent entraîner le risque d'une intrusion dans les affaires intérieures de l'Etat, d'une intrusion dont la portée est difficile à prévoir supposons que l'on donne au Conseil de la Société des Nations, comme le projetait le Protocole de Genève, le droit d'arrêter la mobilisation cela est singulièrement grave.
Cependant c'est un fait que, depuis une vingtaine d'années, les mesures provisoires sont entrées de plus en plus largement dans le droit international public. M. G. étudie l'introduction de cet usage dans la procédure des tribunaux arbitraux mixtes qui s'inspiraient, sans méfiance, peut-on dire, du droit interne puis dans la pratique américaine (Cour de justice de l'Amérique centrale traités Bryan) enfin et surtout dans la pratique de la Cour permanente de Justice internationale et de la Société des Nations il analyse tout spécialement les mesures provisoires recommandées par le Conseil dans diverses affaires, celles que prescrivait le protocole de Genève, celles enfin qui ont donné lieu à de si vives controverses au cours de la discussion de la convention générale en vue de renforcer les moyens de prévenir la guerre.
Dans le chapitre très dense qui sert de conclusion à son livre, l'auteur dégage la portée des ordonnances provisoires dans le développement du droit international public. Le problème touche de très près à la « question politique du maintien temporaire du statu quo ante ». Le droit de prendre des mesures provisoires conféré à des organes collectifs « étend le domaine du droit international public par rapport au domaine réservé au droit interne » et des progrès particulièrement importants s'annoncent dans l'application de l'article 11 du Pacte de la Société des Nations destiné à prévenir la guerre ces mesures préventives doivent en outre jouer un rôle indirect important en facilitant la détermination de l'agresseur par suite de l'adaptation du Pacte au Pacte de renonciation la guerre, il se peut aussi que les mesures provisoires prennent une place notable dans la mise en œuvre de l'alinéa 7 de l'article 15, qui est la fameuse « fissure ». Mais quelle que soit l'importance des perspectives ainsi ouvertes, il est probable que pendant longtemps les mesures provisoires auront besoin, pour se réaliser, du consentement formel des membres de la communauté internationale. Telle est la conclusion prudente à laquelle l'auteur se trouve con duit par une enquête très vaste et une sagace analyse. J. R.
FONTES juris gentium, publiées sous la direction de Viktor Bruns, Directeur de l'Institut de Droit public étranger et de Droit international de Berlin. Série A, Ire partie, vol. I. Carl Heymanns Verlag, Berlin.
Le professeur Viktor Bruns, qui représentait récemment le gouvernement allemand devant la Cour permanente de Justice internationale dans l'affaire du projet d'union douanière austro-allemand, entreprend la publication d'un ouvrage monumental, qui n'a point jusqu'ici son équivalent il s'agit de présenter au public les sources, internationales et nationales, du droit des gens, classées en séries et, dans chaque subdivision de série, sous des rubriques doctrinales. Quatre séries sont annoncées. La série A doit comprendre les décisions de justice elle se subdivise elle-même en une première section consacrée aux décisions des juridictions internationales, et une seconde section, consacrée aux décisions des juridictions nationales. La série B contiendra les Notes émanant des divers pays, lorsqu'elles auront été officiellement publiées, spécialement dans les Livres blancs, jaunes, etc.
La série C donnera les décisions et opinions d'organes internationaux autres que les tribunaux, spécialement des organes de la Société des Nations.
La série D et dernière groupera les clauses des plus importants traités, présentées dans un ordre historique, sous des rubriques systématiques (telles que « clause de la nation la plus favorisée »). Le premier volume de la première section de la série A vient de paraître c'est le Recueil des décisions de la Cour permanente de Justice internationale de 1922 à 1930, publié par les soins d'Ernst Schmitz, A. H. Feller, B. Schenk Graf von Stauffenberg. Les extraits sont donnés dans leurs rédactions officielles française et anglaise, avec indication du texte auquel la Cour a donné force authentique certains passages des opinions dissidentes sont cités. L'ouvrage est complété par un index. Le second volume de la même section sera consacré aux Sentences de la Cour permanente d'arbitrage de La Haye. Le premier volume de la seconde section de la série A est sous presse il contiendra, classées selon les mêmes méthodes, les Décisions de la Cour suprême d' Allemagne relatives au Droit international, de 1879 à 1929.
L'exécution d'une si vaste entreprise ne peut manquer de rendre les plus grands services, car trop souvent les doctrines du droit international se sont édifiées sur une base un peu mince il est excellent
qu'elles soient alimentées de décisions positives et de solutions officielles. Sans doute, la méthode qui consiste à dissocier les éléments d'un arrêt, d'une note diplomatique ou d'un traité pour les répartir sous diverses rubriques n'est pas sans inconvénients elle risque de fausser certaines perspectives et de donner à des vues théoriques une importance excessive. Mais toute méthode comporte des inconvénients que doit éliminer l'usage parallèle d'autres méthodes, ici par exemple l'examen des décisions considérées dans leur ensemble et dans leurs nuances par des arrêtistes. Ces remarques n'enlèvent donc rien au mérite de l'œuvre commencée par le Prof. Bruns et ses collaborateurs fidèles à la tradition des « Pandectistes », qui ont tant fait pour le prestige du droit allemand à la fin du siècle passé.
J. R.
POLITIQUE
Documents diplomatiques français publiés par la Commission de publication des documents relatifs aux origines de la guerre de 19:14. Troisième série (1911-1914), tome III (11. mai-30 septembre 1912). Paris, Costes et l'Europe Nouvelle, 1931.
La date finale choisie pour ce volume est celle de la mobilisation décidée par les États chrétiens des Balkans contre la Turquie. C'est donc l'histoire des origines du conflit balkanique qui domine cette période. Le Gouvernement français, qui avait eu connaissance le 1er avril do la conclusion de l'alliance entre la Bulgarie et la Serbie, ne possédait pas encore, au printemps de '1912, de renseignements précis sur cet accord il essayait vainement de les obtenir par ses agents dans les capitales balkaniques. C'est seulement lors de son voyage à SaintPétersbourg, en août, que le Président du Conseil reçoit communication du texte de la convention serbo-bulgare il exprime aussitôt au Ministre des Affaires étrangères russes sa vive surprise, et lui demande de ne pas permettre aux États balkaniques de prendre une attitude qui serait de nature à menacer la paix de l'Europe. Les comptes rendus de ces entretiens de Saint-Pétersbourg, où sont abordées toutes les questions qui intéressent la France et la Russie, sont reproduits d'après les notes autographes du Président du Conseil français. Au moment où s'achèvent ces entretiens, la note du comte Berchtold aux Puissances ouvre le débat diplomatique sur les problèmes balkaniques. Le sens et la portée de l'initiative austro-hongroise font l'objet des commentaires les plus divers. Le Gouvernement français fait, à son tour, des suggestions pour essayer de mainte-
nir la paix. Mais, malgré les conseils pressants du Gouvernement russe, dont l'attitude est toute différente depuis les entretiens de Saint-Pétersbourg, les États balkaniques décident le 29 septembre, la mobilisation générale de leurs armées.
Dans cette même période, l'action diplomatique de la France continue à s'exercer, comme dans la période précédente, en vue de trouver une issue à la guerre italo-turque et, d'arriver à un accord avec l'Espagne au sujet du Maroc.
En dehors de ces grandes questions, ce volume donne quelques renseignements sur les problèmes secondaires (emprunts chinois, questions crétoLse, conférence de Berne) pour la délimitation des territoires français et allemands en Afrique occidentale et équatoriale.
Friedrich Rosen, Aus emem diplomalischen Wanderleben, Transmare Verlag, Berlin, 1931.
Ce livre est le premier des Mémoires du diplomate bien connu. Fils de l'orientaliste Georg Rosen (1820-1891), M. Rosen fit presque toute sa carrière à l'étranger. Il était consul d'Allemagne à Jérusalem lors de la retentissante visite de Guillaume II. De 1901 à 1905, il fut « rapporteur » au Ministère des Affaires étrangères. En 1905, il devint ministre à Tanger, où il arriva encore pour la visite du kaiser. Ce fut la période culminante de sa carrière celle pendant laquelle son nom revint le plus souvent dans la presse européenne. Il passa de Tanger à Bucarest en 191.0, de Bucarest à Lisbonne à la veille des guerres balkaniques, puis en 1916 à La Haye. La République allemande en fit son ambassadeur à Madrid en 1920, puis un ministre des Affaires étrangères (mai-octobre 1921).
Indépendamment de son activité professionnelle, on lui doit divers travaux de caractère scientifique, notamment une traduction de poèmes persans.
Il évoque dans ce livre ses souvenirs marocains. Il abonde notamment en anecdotes sur Raïsouli, le célèbre aventurier qui donna tant de fil à retordre aux puissances intéressées dans les affaires du Maroc. Il raconte comment, après avoir passé en prison une partie de sa jeunesse, Raïsouli s'assura le poste de gouverneur du Fahs. Ceci se passait du temps du prédécesseur de M. Rosen. Le « condottiere » se rendit à l'heure du dîner à la propriété d'un riche Américain, Perdicaris, sise non loin du Tanger. Il fit prier le maître de sortir un instant et, quand il fut en sa présence, il l'obligea, sous la menace d'un mauvais parti, à monter sur un mulet et à le suivre.
Il traita d'ailleurs sa victime convenablement. Quelques heures plus tard, il envoya à la villa Perdicaris réclamer la brosse à dents et le tub du prisonnier, objets sans lesquels celui-ci déclarait ne pouvoir vivre. Au bout de plusieurs mois de négociations, accompagnées de démarches comminatoires du ministre des États-Unis, le Sultan dut payer à Raïsouli une rançon astronomique et le nommer en outre gouverneur de la banlieue de Tanger, poste dont le nouveau titulaire allait avoir surtout à veiller sur la sécurité des étrangers 1 L'enlèvement du caïd Mac Lean, en 1909, s'effectua par contre dans des conditions qui laissèrent supposer que cet astucieux Ecossais avait combiné l'affaire avec Raïsouli pour partager sa rançon avec lui. Sir Gerard Lowther, ministre de Grande-Bretagne, commença par s'indigner. « If ever 1 meet Raisouli, 1 shall shoot him like a mad dog. » Cependant, force fut de composer encore une fois avec ce « mad dog », qui empocha la rançon et reçut une nouvelle nomination de gouverneur.
M. Rosen paraît, lui, n'avoir pas gardé un mauvais souvenir de cet inquiétant personnage.
« Sur le soko, juste en face de la légation d'Allemagne, se trouvait une pitoyable masure portant l'enseigne « Comidas, bebidas y camas. » C'était une auberge pour le prolétariat espagnol de la ville. Au bout de cette masure se voyait un petit local qui représentait le a palais du gouvernement de la province de Tanger ». Dans ce local se tenaient toujours' cinq à six gaillards encapuchonnés, armés de longs fusils, aux ordres du « khalifa » ou représentant de Raïsouli, lequel ne mettait jamais le pied dans la ville. Il gouvernait sévèrement mais avec justice la population de la province. Il veillait surtout sur la sécurité des personnes et des biens. Lorsque, par exemple, je voulais m'en aller à cheval sur la côte atlantique pour y passer quelque jours sous la tente, je n'avais qu'à envoyer quelqu'un de l'autre côté du marché pour avertir le Khalifa. Celui-ci me faisait répondre « Raïsouli vous souhaite bon voyage. Le gouverneur veillera strictement à ce qu'on ne vous vole rien et à ce que la population vous vende au prix du marché tout ce dont vous pourriez avoir besoin, » Une fois arrivés, nous apercevions toujours à proximité un ou deux de MM. les gaillards (der Herren Kerle) du Khalifa attachés à nos personnes comme gardiens. Et nous vivions dans une sécurité plus absolue que dans n'importe quel endroit de l'Europe ».
M. 0.
Georges Roux, Reviser les traités ? édition de la revue « Plans », Paris, 1931.
Faut-il « reviser les traités », se demande M. Georges Roux. Question brûlante qu'il étudie consciencieusement sous tous ses aspects, mais à laquelle en fin de compte, il ne semble guère apporter de solution. Son livre très vivant, très sincère, se lit avec intérêt, voire avec sympathie. Ses pensées souvent profondes sont exprimées avec force et sous une forme toujours brillante. Ses chapitres sur V Anschluss. la Hongrie, le « drame germano-polonais » et le différend franco-italien. très mesurés, 1res étudiés, sont excellents. Nous aimons moins le chapitre sur « la Hongrie et la petite Entente », trop visiblement inspiré de l'école de Lord Rothermere. On rencontre dans ce chapitre moins de pondération et d'impartialité que dans les autres. Il est difficile de souscrire à certaines assertions de l'auteur, selon lesquelles les États de la petite Entente seraient « disparates, sans lien culturel ou économique. » (p. 63) et se détesteraient ». Tout ceci est emprunté à la dialectique It plus superficielle de la campagne revisionniste. Plus loin, par deux fois (p. 64 et 80). M. Roux parle du caractère artificiel de la Tchécoslovaquie, « État. que l'Histoire n'a jamais connu.. » L'Histoire ne doit pas être la seule raison de la naissance d'un Etat, sinon le principe de la tradition historique serait tout aussi tyrannique que l'est le principe de la légitimité chez un Talleyrand. Par ailleurs. que M. Roux se souvienne de la grande Moravie, où Slovaquie et Bohême étaient unies comme aujourd'hui. La pointe que lance l'auteur au peuple tchèque dont, selon lui, « les héros nationaux sont des professeurs » est assez inattendue. Mieux averti, M. Roux aurait rendu hommage à ces professeurs qui surent lutter autrement qu'avec la plume, quand il le fallut, pour l'indépendance de leur pays. Le plus grand, le plus noble de tous ces professeurs, a été, et dans une guerre qui fut rude, un véritable chef d'armée.
Dans le même chapitre, on peut encore signaler des naïvetés sur la Yougoslavie, sur les Serbes qui sont des « barbares », sur la Croatie « qui se sert comme tout le monde (!) de l'alphahet occidental (!!) », sur l'opportunité d'une rectification de frontières du côté de Souboptitza (sic), etc.
Les conclusions générales se ressentent de ces faiblesses. Roux ne propose-t-il pas de renverser les alliances et de substituer au système Pologne-Tchécoslovaquie-Roumanie-Yougoslavie, un système Pologne-Hongrie-Yougoslavie. Procédé qui serait peu élégant, l'auteur le reconnaît lui-même, s'il n'était pas a priori, impraticable. Les raisons
données pour cette « politique réaliste » sont assez étranges. Un des motifs pour lequel la Tchécoslovaquie serait exclue du nouveau système serait son incapacité à constituer une « barrière efficace au germanisme ». La Roumanie, elle aussi, est délibérément abandonnée parl'auteur. La Grèce également. (Notons en passant qu'il n'est pas exact, comme le prétend M. Roux, que la Grèce soit redevable de son existence uniquement à la France.)
En définitive, livre intelligent, précis et sincère, dont il n'y aurait que des éloges à faire si l'on n'avait à regretter quelques ignorances et quelques inexactitudes, portant presque toutes sur l'Europe centrale et balkanique.
Signalons à l'auteur pour terminer l'erreur certainement involontaire qu'il a commise en plaçant en 1848 la suppression de la République de Cracovie, suppression qui eut lieu en 1846 et qui fut, à vrai dire, plus violente et plus brutale qu'on ne le pourrait croire à lire M. Roux.
A. M.
ROMAN
Alfonso Reyes, El teslimonio de Juan Pena, dessins de Manuel liodriguez Lozano, Rio de Janeiro, 1930.
Courte nouvelle dans laquelle l'auteur, aujourd'hui ambassadeur du Mexique à Rio de Janeiro, évoque un souvenir du temps où, étudiant de seconde année à Mexico, il fut, en qualité de « senor licenciado », appelé à recueillir, dans un village, les doléances d'un vagabond indien contre les injustices de l'alcalde.
Il retrace le contraste amusant de cette scène qui mit soneuropéanisme nietzschéen à l'épreuve des confidences naïves ou rusées d'un indigène. Mission d'ailleurs toute platonique car il se contenta d'énoncer, en manière de conclusion, la phrase de Porfirio Diaz « Hay que tener fe en la justicia. »
Mais le récit est plein de grâce et de lumière c'est une sorte de conte philosophique rehaussé d'une nuance discrète d'exotisme.
Louis Edmond LE ratz, Revanche de V automne, Paris, Grasset, 1931. Le roman de M. Le Ratz a d'éminentes qualités scéniques. Les personnages sont burinés avec tant de relief qu'ils se détachent insensiblement de l'ensemble pour devenir de véritables acteurs, en possession de leur autonomie et n'hésitant pas à rompre l'unité de la pièce pour atteindre individuellement plus d'humanité.
Ils viennent des horizons les plus variés de la vie sociale fonctionnaires casaniers et routiniers, clientèle des salons, des expositions de peinture plus ou moins futuriste et des concerts de musique barbare, monde des intellectuels et des artistes, « d'avant-garde », hautes sphères de la politique et de l'administration, enfin cohue inévitable des tarés, des déclassés, des aventurières et des spéculateurs véreux. Peut-on dire que le héros du roman, si héros il y a, François Lanoue, lui donne une véritable unité? Non, car ce personnage est un produit, un compromis de tous ces milieux. Ce François Lanoue, dont on nous offre un portrait très poussé, est une figure sympathique, malgré ses allures bourrues et ses boutades de misanthrope, car il représente ici le seul élément stable et sain. Ce n'est plus un homme jeune encore quelques années et ce sera le « vieil homme ». Une enfance solitaire a fait de lui un être à la fois timide et orgueilleux la guerre, il est vrai, lui a donné « l'indispensable leçon de fierté au physique et d'humilité au moral ». Le reste, la Vie l'a fait. Un homme d'après guerre, dirons-nous, stabilisé au cours le plus bas.
L'affection, d'abord purement paternelle, de cet homme pour la fille d'un de ses amis, en laquelle l'auteur s'est plu à incarner la jeunesse actuelle, loyale et indépendante, les efforts accomplis par cette jeune fille pour l'aider à s'évader d'une atmosphère lourde et délétère lui infusent un sang nouveau et lui font regretter la jeunesse spirituelle qu'il n'a jamais pu connaître.
Le dernier chapitre est d'une puissance et d'un tragique saisissants lorsque François découvre que la passion a jeté ses racines au plus profond de lui-même et qu'il est impossible de l'arracher sans anéantir du même coup toute sa vie spirituelle, alors il sent craqueler le vernis superficiel d'ironie qui masquait son moi profond, il voit voler au loin les feuilles mortes de l'Automne qui cachaient les eaux vives. Sur un thème qui offre quelques ressemblances M. Paul Bourget a dans le Démon de Midi décrit, lui aussi, l'éclosion d'une passion à l'automne de la vie d'un homme. Mais il a vu, avant tout la « chute », la déchéance de l'Homme par un amour tardif. On peut reconnaître l'empreinte d'un pessimisme catholique dans cet aveu « Les feuilles vertes repoussent l'existence humaine, elle, n'a pas deux printemps. »
Revanche de l'Automne, au contraire, se termine par un ardent acte de foi, par un hymne de confiance et d'espoir en la jeunesse retrouvée à l'heure du crépuscule. A. M. Le Gérant DE Peybalade.
PREMIÈRE ANNÉE 25 SEPTEMBRE 1931
SOMMAIRE
1. Questions politiques et juridiques Pages
CHRONIQUE POLITIQUE. La Z'lle session de l'Assemblée de la Société
des Nations 386 CHRONIQUE JURIDIQUE. -Le rè~lement de l'affaire de l'Union douanière.
La nouvelle Constitution Jougoslave. 389 Charles LoisEAu. Le Conflit romain 393 M.O.–~ap;ëp~raho~ et le programme de la seconde Conférence ballca-
nique. 420 Il. La vie diplomatique
Ephémérides Internationales. 423 Nominations et mutations ~2.5 L'activité diplomatique des Etats
Cuba le mouvement révolutionnaire 429 Equateur l'affaire du monopole des allumettes et la reprise des
relations avec la Colombie. 430 Grande-Bretagne le nouveau Cabinet et le statut provisoire de la
livre sterling. 432 Inde la reprise de la Conférence de la Table Ronde. 434 Portugal un soulèvement contre la dictature. 436 11I. Variétés
Georges GnosjEAN, Beaumarchais armateur et diplomate une correspondanceinédite. 438 Une exposition d'art portugais à Paris (F. H.). 447
QUESTIONS POLITIQUES ET
JURIDIQUES
Chronique Politique
LA XIIe SESSION DE L'ASSEMBLÉE DE LA SOCIÉTÉ DES NATIONS
La session de septembre de la Société des Nations s'est ouverte dans une atmosphère assez lourde. Les visites, faites ou annoncées, de présidents du Conseil de divers pays se rendant dans les capitales étrangères, avaient un peu émoussé l'intérêt qu'offrent les contacts dont la saison genevoise est l'occasion périodique. Le problème économique mondial reléguait an second plan les questions politiques ou nationales figurant à l'ordre du jour. La décision de La Haye et l'attitude des intéressés ôtait à la question de l'union douanière austro-allemande son acuité, sinon son actualité. Bref les débats s'annonçaient comme devant être plus ternes que les années précédentes, et les habituels détracteurs de la Société des Nations ne manquèrent pas d'exploiter cette constatation pour démontrer qu'à leurs yeux l'institution de Genève se trouvait à un point de reflux ou perdait progressivement sa raison d'être. Cependant ce pessimisme paraît peu justifié il démontre surtout qu'on a attendu de la Société plus qu'elle ne peut donner et que ceux qui, aujourd'hui encore, se tournent vers elle pour en obtenir un prompt rétablissement de l'économie européenne surévaluent ses possibilités. La session du Comité de l'Union européenne, celle du Conseil présidé par M. Lerroux, et enfin la XIIe Assemblée, présidée par M. Titulesco, ont néanmoins vu leurs travaux se compénétrer plus étroitement que les années précédentes, sous l'influence de la crise économique. Mais l'ambiance traditionnelle de Genève ne s'est véritablement retrouvée qu'à l'occasion du débat sur l'activité de la Société des Nations pendant l'année écoulée. On a pu constater aussitôt que la préparation
de la conférence générale dite a du désarmement n, fixée au mois de février 1932, était la préoccupation dominante des délégations. Le premier délégué du Japon, M. Yoshizawa, le ministre des Affaires étrangères de Roumanie, le prince Ghika, lui ont fait écho à la tribune. M. Grandi, ministre des Affaires étrangères d'Italie, a, de son côté, mis nettement l'accent sur cette question dans un discours où, par ailleurs, il traçait un exposé d'ensemble des principes directeurs de la politique extérieure fasciste. Au moment même où d'aucuns élevaient des doutes sur l'efficacité de la Société des Nations, il s'est plu à souligner que son gouvernement (auquel on reprochait naguère de ne prêter aux travaux de Genève qu'un intérêt un peu spéculatif) désirait voir l'institution genevoise accomplir une œuvre effective dans le système des relations internationales, et non pas seulement dans le domaine idéologique.
Il a formulé ainsi la thèse italienne sur le désarmement « Désarmement et arbitrage, renonciation aux solutions de force, et péréquation de la puissance militaire des États à des niveaux maxima. » Et il a suggéré un accord entre toutes les nations du monde pour ne pas augmenter leurs armements tant que la conférence n'aurait pas terminé ses travaux.
Le premier délégué britannique, le vicomte Cecil, a recueilli cette suggestion et a indiqué qu'en attendant la conférence, l'unique moyen d'assainir l'atmosphère, voire d'assurer la disparition des trois-quarts de l'agitation dans le monde, était un rapprochement franco-allemand. Il a montré la Grande-Bretagne s'employant de toutes ses forces et sans l'ombre d'une arrière-pensée à cette grande tâche.
M. Aristide Briand s'est appliqué à défendre l'action de la Société des Nations contre les critiques ou les dénigrements dont elle est l'objet. Il a montré que même les progrès de la vie internationale qui semblaient s'accomplir en dehors de cette action n'étaient en réalité devenus possibles que grâce à elle, grâce à l'atmosphère politique nouvelle créée dans le monde par l'esprit de Genève. Il a confirmé avec une particulière insistance les déclarations de lord Cecil sur le concours prêté par l'Angleterre au rapprochement franco-allemand. Enfin il a affirmé que la France, loin de songer à demander l'ajournement de la conférence du désarmement, était au contraire résolue à s'opposer à cet ajournement. Il a rappelé que son pays avait envisagé un système le protocole de 1924 dont l'application eût simplifié la tâche de cette conférence, tout en ajoutant que la solution pourrait être cherchée dans d'autres directions.
M. Curtius s'est tenu sur un tout autre terrain. Il s'est efforcé de
situer hors du Reich les responsabilités de la catastrophe qui a failli ruiner l'économie allemande. Il a soutenu que son gouvernement avait épuisé toutes les possibilités de coopération internationale en vue de surmonter la crise. Quant au désarmement, il a répété qu'une sécurité fondée sur la prépondérance des armements serait toujours illusoire. Une simple limitation des armements au niveau actuel équivaudrait, selon lui, à une faillite de la conférence et cette faillite entraînerait le discrédit de la Société des Nations.
Il opposait ainsi, au chaleureux plaidoyer de M. Briand en faveur de la Société des Nations, une thèse limitant le crédit ouvert à celle-ci par l'Allemagne à la mesure dans laquelle la conférence du désarmement donnerait les résultats qu'on en attend à Berlin.
Il est superflu de rappeler ici la thèse française selon laquelle le désarmement ne suffit pas à créer la sécurité et ne peut, au contraire, qu'être une conséquence de la sécurité acquise.
M. Salvador Madariaga, délégué espagnol, qui débutait à la tribune de l'Assemblée mais non à la Société des Nations, où il s'est depuis des années familiarisé avec le problème du désarmement, a traité ce thème avec autant de compétence que de liberté. Après avoir souligné la nécessité de créer un droit international nouveau destiné à remplacer le système mécanique des forces, il a émis diverses suggestions intéressantes sur l'internationalisation de l'aviation civile, la réduction des effectifs et des matériels, etc. « Si les Etats, a-t-il dit, nous donnaient 50/0 de leur budget militaire et qu'on plaçât cette somme à 5 0/0, les intérêts permettraient d'entretenir toutes les institutions internationales qui existent aujourd'hui. »
Au moment où s'achevait la session, est survenu le conflit sinojaponais consécutif aux actes d'hostilité dont la Mandchourie a été le théâtre. Le Conseil a été aussitôt saisi par la Chine en vertu de l'article 11 du Pacte, et M. Lerroux a été autorisé à inviter les deux gouvernements à s'abstenir de toute initiative susceptible d'aggraver la situation. Il n'est pas certain toutefois que la Société des Nations puisse jouer ici un rôle aussi efficace que celui qu'elle a assumé lors. du conflit gréco-bulgare, vu que le litige met en question des accords auxquels sont parties deux Etats n'appartenant pas à la Société des Nations la Russie et les Etats-Unis.
A. M.
Chronique Juridique
Le règlement de l'affaire de l' Union douanière austro-allemande.La façon dont le projet austro-allemand disparaît de l'horizon politique est tout à fait caractéristique des méthodes d'après-guerre. Ces méthodes peuvent encore, au premier abord, éveiller quelque surprise. A la suite de l'émotion soulevée en plusieurs pays par le protocole austro-allemand du 19 mars, le Conseil de la Société des Nations avait, sur la proposition du représentant britannique et avec le concours des représentants allemand et autrichien, demandé à la Cour permanente de justice internationale de lui donner son avis sur la compatibilité du protocole en question avec l'article 88 du Traité de Saint-Germain et avec le protocole N° 1 signé à Genève le 4 octobre 1922 en vue de la restauration financière de l'Autriche. Vu l'urgence et la gravité de la question, la Cour se réunit à la fin de juillet, en dépit du voeu émis par la Cour, lors de la révision de son Règlement en février 1931, de n'être pas convoquée entre le 1er juillet et le 1er octobre (1). La procédure se déroula normalement devant la Cour les débats s'achevèrent. Et le 3 septembre, deux jours avant la prononciation de l'avis, le vice-chancelier d'Autriche et le ministre des affaires étrangères d'Allemagne déclaraient, devant la Commission d'études pour l'Union européenne, qu'ils renonçaient à poursuivre le projet d'union douanière. On peut avoir le sentiment qu'une telle démarche, qui ne dessaisissait ni le Conseil; ni la Cour, mais qui privait indirectement l'avis de la Cour et la décision du Conseil de la plus grande part de leur importance, ne témoignait pas d'une extrême déférence à l'égard de ces deux grands corps. Il faut admettre cependant qu'elle est conforme au cours actuel des idées. Dans l'organisation des procédures internationales, on estime que la fin justifie les moyens pourvu que les conflits se dénouent pacifiquement, l'opinion doit être satisfaite c'est pourquoi l'on s'est soigneusement abstenu, depuis 1919, d'imposer aux parties telle ou telle méthode de règlement on a voulu leur laisser le choix et, dans presque tous les cas, on a admis parallélisme de compétences, chevauchement des procédures; on a admis qu'aucune institution internationale ne doit montrer un souci trop exclusif dc son prestige, La façon dont furent réglés par exemple l'incident de Corfou ou le conflit bolivo(1) Lettre da greffier au Secrétaire général, dans Journal Officiel de la Société des Nations, avril 1931, p. 723.
paraguayen de 1928 l'avaient déjà montré; la façon dont se dénoue l'affaire de l'union douanière vient illustrer de façon frappante les mêmes tendances. Nous né sommes pas tout à fait sûr que l'acceptation volontaire de ce désordre soit sans inconvénients. Mais enfin c'est un fait que les méthodes suivies ont permis d'écarter une question embarrassante et il se peut, après tout, que l'absence de rigidité de la procédure ait contribué au résultat.
Le 5 septembre la Cour prononçait son avis. Des quinze juges huit (1) ont admis que le protocole d'union douanière est incompatible avecle protocole de 1922 sept (2) des juges de cette majorité ont admis en outre qu'il est incompatible avec l'article 88 du Traité de SaintGermain l'un d'entre eux (3) a fait un exposé distinct de ses motifs, dont la substance est que l'incompatibilité fondamentale est entre leprojet et l'article 88, le protocole de 1922 n'étant qu'une application de cet article 88. Une minorité de sept juges (4) a formulé une opinion dissidente après avoir déclaré que la Cour n'a pas à s'occuper de>« considérations » ni de « conséquences » politiques, ils admettent que, du point de vue juridique, il n'y a pas d'incompatibilité entre le projet austro-allemand et les textes invoqués contre lui.
L'avis de la majorité est l'avis de la Cour; le dispositif importeplus que les motifs le projet d'union douanière est légalement condamné. Et si la renonciation de l'Autriche et de l'Allemagne n'avaient pas, préalablement, clos en fait la discussion, cette condamnation aurait été de première importance pour la solution du litige. Mais, dans les circonstances de la cause, l'affaire étant résolue, le Conseil s'est borné à prendre acte de l'avis qu'il avait demandé. Et la question pratique qui se pose est de savoir quelle est pour l'avenir la portée de la décision de la Cour; quelles conclusions en tirerait-on le jour où l'on se trouverait en présence d'une tentative analogue à celle du 19 mars ? p
D'une part, il ne faut pas perdre de vue l'article 59 du Statut, qui décide que <t la décision de la Cour n'est obligatoire que. dans le cas qui a été décidé »; et ce qui est dit de l'arrêt doit l'être, à fortiori,. (1) MM. Anzilotti (Italie), Guerrero (Salvador), Rostworowski (Pologne), Fromageot (France), Altamira (Espagne), Urrutia (Colombie), Negulesco (Roumanie), et de Bustamante (Cuba).
(2) M. de Bustamante n'a pas suivi sur ce point les autres juges de la majorité.(3) M. Anzilotti.
(4) MM. Adatci (Japon, Président de la Cour), Kellogg (États-Unis), Rolin-Jacquemyns (Belgique), Cecil Hurst (Grande-Bretagne), Schûcking (Allemagne), van Eysinga (Pays-Bas) et Wang (Chine).
de l'avis. Mais d'autre part une des fonctions de la Cour est d'aider à la constitution d'une jurisprudence; les décisions ont l'autorité morale de précédents; et il est bien certain que, le jour où se trouverait posée à nouveau l'éventualité d'une union douanière austro-allemande, l'avis donné par la Cour en 1931 se trouverait au premier plan. Mais il est également certain qu'il serait alors dissocié en ses éléments. Nous ne saurions, dans une courte chronique, esquisser cette analyse. Mais il y a un point fort important qu'il est, semble-t-il, possible de dégager. En soumettant la question à la Cour, le Conseil paraissait admettre qu'elle était d'ordre juridique. Le bruit a couru, dans les premiers jours de septembre, que la Cour se déclarerait incompétente. Elle ne l'a pas fait; mais de l'exposé des motifs se dégage l'impression très nette que la Cour a été frappée du caractère politique et économique du problème. Le motif final exposé par les juges de la majorité débute ainsi « En dernière analyse, si on considère, de ce point de vue économique auquel est placé le protocole de Genève 1922, l'ensemble du régime projeté. » D'une façon plus énergique encore, le juge de la majorité qui a procédé à un exposé distinct, de ses motifs, M. Anzilotti, déclare que la réponse dépend « de considérations qui sont pour la plus grande partie, sinon entièrement, de nature politique et économique ». D'autre part les juges de la minorité, avant de formuler leur décision, ont tenu à faire remarquer qu'il ne leur était pas permis de tenir compte de considérations ou de conséquences d'ordre politique. Ils ont donc, par là, réservé formellement la possibilité d'un examen du projet. du point de vue politique et consacré ainsi la thèse soutenue devant le Conseil en mai par les délégués de la France et de l'Italie. A parler franc, l'article 88 du traité de Saint-Germain, qui soumet à l'approbation du Conseil tout acte par lequel l'Autriche risquerait de compromettre son indépendance, est un texte politique, qui ne peut être interprété correctement qu'à la lumière de considérations politiques. En consultant la Cour, le Conseil a réussi à gagner du temps, il a permis à la question de perdre une part de son acuité; mais il n'a pu faire oublier qu'en l'espèce c'est à lui qu'appartient la véritable compétence. La nouvelle constitution yougoslave. On a fait remarquer souvent qu'une des besognes les plus difficiles que puisse se proposer une dictature est le retour à un régime constitutionnel. Et cela explique que le Roi Alexandre, en octroyant à son peuple la constitution du 3 septembre 1931, ait institué un régime intermédiaire entre le régime dictatorial et un régime constitutionnel du type ordinaire. Ce caractère ressort très nettement de la comparaison de la constitution nou-
velle avec celle de 1921, qui avait été suspendue au début de 1929. La Constitution de 1921 débutait ainsi « L'État des Serbes, Croates et Slovènes est une monarchie constitutionnelle, parlementaire et héréditaire. » L'article 1er de l'acte de 1931 dit « Le Royaume de Yougoslavie est une monarchie héréditaire et constitutionnelle. »
Dans la partie relative aux « Droits et devoirs fondamentaux du citoyen », sont maintenus les principes relatifs à la liberté individuelle, à l'inviolabilité du domicile, à la liberté de la presse; mais on se contente de formules générales, au lieu de spécifier en détail les formalités relatives aux arrestations, aux perquisitions, à la censure. L'article qui interdisait l'application de la peine capitale aux crimes purement politiques est omis. Un texte nouveau interdit les associations régionales ou religieuses, si elles ont un but politique et même si elles ont pour objet l'éducation physique.
L'organisation des pouvoirs publics est profondément modifiée. Au système de la Chambre unique est substitué le système des deux Chambres. La Chambre des Députés est élue au suffrage universel, égal, direct, mais non pas « secret », comme le spécifiait l'ancienne Constitution. Le Sénat sera composé pour partie de membres élus, pour partie de membres nommés par le Roi le nombre des membres nommés ne pourra dépasser le nombre des membres élus. Si une loi est votée par une Chambre, repoussée par l'autre, au cours de deux sessions successives, la décision appartient au Roi. Le Roi a le droit de prendre de mesures exceptionnelles en cas de danger pour la paix intérieure ou en cas de guerre. Il peut conclure avec les pays étrangers des traités purement politiques, sans l'approbation du Parlement.
Jusqu'à la réunion du Parlement, le Roi continuera à décréter les lois. Toutes les lois antérieurement décrétées resteront en vigueur à l'exception de la loi du 6 janvier 1929, qui avait organisé la dictature. Pendant cinq ans l'article de la Constitution relatif à l'inamovibilité des juges ne sera pas applicable. Toute modification constitutionnelle est subordonnée à une majorité des 3/5 dans chacune des deux Chambres. Il semble que la préoccupation dominante du Roi ait été d'assurer, par le sacrifice de certaines garanties constitutionnelles, l'unité de l'État. Non seulement la Constitution interdit les associations régionales et spécifie les frontières des régions, de façon à réagir contre les tendances particularistes mais elle ajoute à la description des pouvoirs du Roi cette formule nouvelle, qui est placée en tête de l'article et qui explique sans doute tout le régime (art. 29, al. 1er) « Le Roi est le défenseur de l'unité nationale et de l'intégrité de l'État. » J. R.
Le conflit romain
Une Rome spirituelle et civile, qui serait
à la fois une Cour et un presbytère, est la fan-
taisie la plus sublime et en même temps la plus
difficile à mettre en acte.
GlOBEItTI
Suprématie morale et civile des Italiens
Le récent conflit entre le Saint-Siège et le gouvernement fasciste a éclaté au cours d'une période où l'attention, pour ne pas dire les préoccupations publiques, étaient sollicitées par une foule d'autres sujets. L'intérêt en a été amoindri, sinnn éclipsé, en un moment où il suflit de jeter un coup d'œil autour du monde pour ne relever que des crises. Il n'a donc guère excédé celui qu'on peut accorder à un épisode inter-italien. Il se peut même que beaucoup de gens, du fait que des intérêts religieux étaient en cause, se soient détournés de cet épisode, comme de quelque chose de suranné, à tout le moins de dépassé par l'accélération de la marche du monde.
Mais il se peut aussi que le cours des événements oblige à réviser ce jugement sommaire. L'éventuel de l'Italie, auquel participerait une dissidence prolongée avec le Saint-Siège, ne peut laisser l'Europe indifférente. L'actuel replace devant nos souvenirs tout ce que l'histoire a pu nous enseigner de plus éloquent en fait de rivalité entre l'Eglise et l'Etat. Sujet à l'abri de la péremption, s'il en fut, chargé de substance au futur comme au passé, et qu'aucun pays ne peut se flatter d'esquiver, surtout à une époque où la grande Puissance spirituelle qui siège au Vatican donne l'impression de vouloir s'engager résolument à travers tous les écueils de la vie sociale et internationale.
Une autre pérennité se dégage du conflit qui va fournir le sujet de cette étude celle de la fameuse question romaine. On a dit, on a même fait figurer dans le texte des accords du Latran du 12 février 1929, que cette question était épuisée. Moins de trois ans plus tard, nous la
voyons reparaître, rebondir même, et retomber avec fracas sur son propre fond, tel qu'il apparaissait à la génération précédente. Il s'agit toujours de savoir si Rome peut être et rester paisiblement une capitale double capitale de l'univers catholique, régi par la Papauté, capitale d'un Etat jeune, populeux, ambitieux et que nous entendons (à chaque instant) se plaindre de ne pas encore occuper « sa place au soleil ».
Or, entre l'Eglise et cet Etat, on a bien pu jeter quelques pelletées de terre dans le fossé historique, celui qu'avait ouvert, en 1870, l'occupation par la force des anciens Etats pontificaux. On a même cherché à faire ressortir je ne sais quoi d'harmonieux et d'exemplaire dans une transaction à laquelle le reste du monde ne s'attendait pas et dont les préliminaires lui furent soigneusement dissimulés. Mais ceTraité politique et ce Concordat, l'expérience le prouve, ne pouvaient atteindre leur but qu'à une condition c'est qu'aucune des deux parties, et pas même l'une d'elles, n'aille jusqu'au bout de ce qu'elle considère comme le plenum de son droit, sinon de son devoir qu'elles redoublent de ménagements mutuels qu'en un mot elles continuent à camper, non pas sur la frontière théorique de l'autorité qu'elles se reconnaissent respectivement, mais en deçà. Si elles partent au contraire du point de vue que, l'accord signé, l'abornement paraphé, il appartient à chacune de tirer le meilleur parti possible de ces textes solennels, la question romaine change de position apparente, mais elle revient toujours à savoir qui doit être le premier à Rome. Que, de surcroit, siège sur la chaire de Saint-Pierre un Pape autoritaijeet novateur de l'autre côté du Tibre, un Chef qui ne lui cède en rien sous ce double rapport à bref délai, des doctrines inconciliables et des maximes opposées de gouvernement sont en grand risque de s'affronter à travers leurs personnes.
C'est justement ce qui est arrivé.
Ce n'est pas qu'au cours des années 1929 et 1930, le Souverain Pontife n'ait mis de son côté toutes les formes et même toutes les prévenances que sa dignité pouvait souffrir. En quoi il ne manquait pas de mérite, si l'on se souvient que le Duce, dans son discours au Parlement du 13 mai 1929, avait assaisonné son commentaire des accords du Latran d'une foule de digressions désobligeantes pour le Saint-Siège. Il ne lui avait épargné ni l'apologie de Garibaldi, ni les sarcasmes à l'adresse de l'ancien Pouvoir temporel, ni même une
assimilation irrespectueuse du Christianisme aux sectes juives des Esténiens et des Thérapeutes. De quoi pourtant pouvait-il se plaindre ? Deux mois plutôt, l'Eglise d'Italie avait donné au Fascisme des gages publics, au reste quelque peu ostentatoires. A la veille du plébiscite du 23 mars, des évêques s'étaient portés caution du sérieux de cet événement, par des circulaires qui ne sentaient rien de moins que la réclame électorale. A Rome, de nombreux dignitaires de la Cour pontificale, des camériers, des gardes-nobles, avaient défilé devant les urnes. Le Pape en personne s'était montré derrière une des fenêtres du Vatican pour bénir vingt mille vétérans qui l'avaient acclamé au cri de « Vive notre Pape alpin » Le 17 avril, à leur tour un millier d'instituteurs fascistes avaient été admis à l'audience pontificale.
Au mois de décembre de la même année Pie XI reçoit, en forme tout à la fois solennelle et paternelle, la visite des Souverains d'Italie en février 1930, celle de M. Turati, secrétaire général du Parti fasciste, qui, devenu personnage officiel, fait son entrée sur le territoire de l'Eglise en chapeau à plume et grand uniforme on déploie en son honneur toutes les pompes dont dispose le cérémonial du Vatican. Entre temps, quand Mlle Edda Mussolini épouse un diplomate italien, le Pape lui remet en cadeau un chapelet d'or. Je passe sur le chapitre des décorations il en est fait un libéral échange d'une rive à l'autre du Tibre.
Le lecteur qui a eu la patience de suivre, à travers les colonnes de YOsservatore romano, le reflet, au jour le jour, des instructions données à cet organe, est frappé de l'alternance entre des doléances assez rares et des propos empreints d'un optimisme sincèrement conciliateur. A l'occasion du premier anniversaire des accords du Latran (février ̃ 1930), l'Osservatore écrit
Un an a passé, depuis que la charité d'un Père, la sagesse d'un Roi, le génie d'un homme d'Etat ont rendu la paix religieuse à l'Italie. Le temps, loin d'éloigner ou d'obscurcir ce grand événement, a dissipé les incertitudes de la première surprise, aboli l'hésitation du premier moment,. rendu claire et intime l'heureuse réalité.
On n'est pas plus aimable, et l'on n'oublie personne (pas même letemps).
Au second anniversaire (1931), alors que déjà se sont élevées des contestations graves, mais non pas toutes publiques, le lyrisme a disparu, mais la bonne volonté reste. Nous citons
Deux années ont passé depuis le 11 février 1929 deux années qui attestent que le grand fait spirituel du retour de l'Italie n Dieu contribue à ouvrir des chemins plus faciles au retour du monde vers le Christ. Vues de ces hauteurs, les prévisions et les critiques plus ou moins tendancieuses apparaissent choses bien misérables non seulement en elles-mêmes et par elles-mêmes, mais aussi par comparaison avec ces biens apirituels dont a parlé exclusivement Pie XI.
Le mois suivant (mars 1931) le cardinal Schuster, archevêque de Milan, ignore ou feint d'ignorer que les rapports entre le Saint-Siège et M. Mussolini commencent à devenir critiques, et il rappelle à ses diocésains que le Pape régnant, son prédécesseur sur ce siège, a <t béni le Fascisme ». Il est de fait que, l'année précédente, dans une allocution aux étudiants de l'Université catholique de Milan, Pie XI avait ̃décerné à M. Mussolini et ce n'était pas la première fois le titre d' « homme providentiel », ajoutant qu'il se félicitait d'avoir rencontré en lui un esprit que n'obscurcissaient pas les erreurs du libéralisme. Nous devons dire que nous avons été noblement secondé, de l'autre côté, et peut-être y fallait-il un homme tel que celui que la Providence a mis sur notre chemin, un homme dépourvu des préjugés de l'école libérale, différent de ceux pour qui les vieilles lois et les vieux réglements étaient autant de fétiches, d'ailleurs comme tous les fétiches, d'autant plus intangibles qu'ils étaient plus laids et plus difformes.
M. Mussolini n'aurait fait qu'user de la même civilité en constatant, dans l'un de ses nombreux discours, que la Providence avait daigné lui donner pour contemporain un Pape digne de le comprendre. Mais il s'en est abstenu et, en général, la presse à ses ordres s'est bornée à prendre acte des avances du Vatican, sans jamais descendre du piédestal étatiste et « totalitaire ». Tant de procédés obligeants auraient dû au moins retarder l'heure où la doctrine fasciste, passant aux actes, rendrait inévitable un conflit avec le Saint-Siège. A défaut de la paix prédite avec emphase, les accords du Latran semblaient devoir assurer une trève assez longue elle était déjà compromise au bout de deux ans.
Des crucifix dans les écoles, des aumôniers dans les établissements d'instruction et même dans les formations fascistes, des piquets de service et des musiques militaires aux cérémonies intérieures et extérieures du culte, M. Mussolini ne les a jamais refusés. Au contraire,
tout cela s'insère dans le compartiment religieux du régime et même, quant aux processions, le Duce les réclame du clergé, lorsque le Pape les interdit, comme on le verra tout à l'heure. Mais que l'esprit catholique, ferment d'idées et source d'éducation morale, cherche à déployer une activité autonome qu'il passe le seuil des églises et des presbytères pour s'introduire dans les diverses couches sociales, à la faveur des libertés de presse, de réunion, d'association, bref des moyens modernes de conquête du sentiment public cela, M. Mussolini ne le tolérera pas. Il juge l'entreprise superflue, téméraire, attentatoire même (et le mot dit tout) aux intérêts du Fascisme.
Déjà, même pendant la période où il continue à passer pour un homme providentiel, fût-ce à éclipses, il prescrit à la censure de surveiller étroitement la presse catholique à chaque instant des journaux de cette nuance sont suspendus d'autres, que le gouvernement s'arrange de façon à priver de publicité payante, meurent d'inanition. Par contre la Maison du Licteur édite, sous la signature de M. Missiroli et le titre significatif Date a Cesare (Donnez à César.) une exégèse des immortelles paroles de l'Evangile qui paraît au Vatican dépourvue de toute conformité avec les convenances et même l'orthodoxie. De temps en temps, un Congrès catholique est interdit. Ce ne sont encore là que les préludes d'une politique qui s'est découvert un adversaire, le tâte, cherche à l'intimider, et guette le moment de lui porter un coup décisif.
Quel est donc cet adversaire ?
Sous le nom d'Action catholique, les accords du Latran avaient trouvé vivante et agissante une institution qui dépasse les frontières italiennes et que le Pontificat actuel s'efforce de généraliser à travers la catholicité tout entière, comme une émanation nécessaire, une irradiation en quelque sorte, du principe religieux et de la hiérarchie à laquelle il préside. Par cette raison, l'Action catholique italienne semble avoir tenu une place considérable dans les négociations qui ont abouti au Concordat italien de 192.9. En tout cas, elle figure au texte, sous l'article 43 ainsi conçu
L'État italien reconnaît les organisations dépendant de l'Action catholique en tant que, comme le Saint-Siège l'a décidé, elles développent leur activité en dehors de tout parti politique et sous la dépendance immédiate de la hiérarchie de l'Église, pour la diffusion et la réalisation des principes catholiques.
Qu'est-ce donc au juste que l'Action catholique ? Sans nous attar-
der dans le défilé tortueux des définitions, il faut bien commencer par dire comment elle se définit elle-même.
D'après une formule authentique empruntée à l'Osservatore romano, il s'agit simplement «d'une coopération des laïcs aux oeuvres du clergé ». Nous ne serions pas beaucoup plus avancés si d'innombrables commentaires, qu'on peut dire presque également officiels, ne venaient à notre aide. Choisissons d'abord celui d'un prélat français, Mgr Chollet, archevêque de Cambrai, qui, au retour d'un voyage ad limina, consacrait à se sujet une partie de sa Pastorale de Carême de 1931. En voici le plus important passage
U Action catholique s'exerce sur le domaine qui est le domaine propre des laïcs. Ne s'agit-il pas de faire pénétrer le catholicisme en toutes choses, dans les actes de la vie privée, de la vie civile, de la vie industrielle et commerciale, dans les rapports du capital et du travail, dans cette activité infiniment multiple qui caractérise la société contemporaine ? Les laïcs doivent donc prolonger, suppléer, préparer ou continuer l'œuvre du clergé Mais, autant cette action est nécessaire et puissante, autant elle doit demeurer ordonnée. Destinée à prolonger celle du prêtre, elle attend et elle reçoit de lui sa direction. Il garde le droit de la contrôler sans cesse il ne doit de comptes qu'à l'évêque et à Dieu. Jamais l'Eglise ne saurait admettre que le pouvoir remonte de la multitude en faveur de qui il s'exerce. Non est potestas, nisi a Deo. Il ne faudrait pas croire que la pensée de Mgr Chollet dépasse en quoi que ce soit celle qu'il a rapportée de Rome. Il se tiendrait plutôt en deçà, car, dans un discours contemporain (1), que la presse fasciste a relevé en termes indignés, Mgr Pizzardo, secrétaire de la Congrégation des Affaires ecclésiastiques extraordinaires et assistant général, au nom du Saint-Siège, de l'Action catholique italienne, a tenu le langage suivant
L'Action catholique, au sens propre, se distingue des organisations qui poursuivent directement des fins sociales, économiques, professionnelles, agricoles, ouvrières, conformément aux besoins de leurs membres et de la classe à laquelle ils appartiennent. Non pas, certes, que l'Action catholique, comme telle, ne poursuive point aussi des fins sociales et politiques mais elle les poursuit indirectement, c'est-à-dire en subordination à la fin supérieure qui est proprement celle de l'Eglise.
(1) Allocution prononcée en mars 1931, à l'occasion du Congrès international de l'Union des Ligues féminines catholiques, qui tient à Rome une séance annuelle et auquel participent une trentaine de nations.
Voilà tout de même la « chose politique » qui commence à faire son apparition dans une exég èse à la fois pressante et destinée à être rassurante. Le Souverain Pontife y est revenu, quelques mois plus tard, dans une Lettre autographe à l'Épiscopat argentin (juillet 1931). Il faut éviter que l'Action catholique s'entremette dans les partis politiques, étant donné que, par sa nature même, elle doit rester tout à fait étrangère aux divisions de ces partis. Mais, en portant cette prescription, nous n'entendons en aucune façon nier aux catholiques le droit d'intervenir dans les affaires publiques, surtout étant obligés, par la loi de la charité sociale, d'agir en sorte que toute la vie de la République se règle sur les principes chrétiens. Si donc il arrive que les questions politiques portent atteinte aux intérêts ou à la doctrine morale de l'Église, l'Action catholique doit interposer son influence, pour la majeure utilité de l'Eglise et des âmes, à la prospérité desquelles est entièrement lié le progrès du bien public. Rapprochés et coordonnés, ces divers éclaircissements semblent mettre en évidence trois points. D'abord le catholicisme n'est pas une religion qui épuise son objet et réalise son but par des pratiques rituelles ni même par un enseignement moral. Il doit tendre à imprégner de son esprit les institutions et les intérêts humains quelconques. S'il se jette ainsi « dans la mêlée », ce doit être à la façon d'un corps puissamment organisé et discipliné, dont la hiérarchie ecclésiastique se réserve de régler toutes les initiatives et de diriger tous les mouvements. Telles étant les directions assignées à l'Action catholique, peut-elle y déférer, à la fois docile et zélée, sans « faire de politique » ? ? C'est le troisième point, qui va devenir, on le pressent, le pivot d'une controverse animée en Italie et même ailleurs (1).
A vrai dire, pour peu qu'on entreprenne de dégager la politique de la gangue électorale et d'en parler dans le style noble, elle semble bien être une résultante des enseignements donnés ou recueillis en matière juridique, économique, sociale, internationale, tous sujets inclus, nous venons de le voir, dans le programme de l'Action catholique. Supposez que quelqu'un, de nos jours, passe son temps à recueillir ces précieux matériaux, et qu'il s'interdise de les utiliser comme membre d'une société politique et ne le sommes-nous pas tous ? ce sera un philosophe, et, qui plus est, un original. Or nous avons toutes (1) Par exemple en Lithuanie, où les démêlés de l'Action catholique avec le gouvernement ont fini par déterminer le départ du Nonce et en Espagne, où elle n'a peutêtre pas été étrangère, sous la direction du cardinal Segura, à la réaction anti-cléricale de ces derniers temps.
raisons de croire que cette Institution ne fait appel ni aux philosophes, ni aux originaux Elle tend au contraire, et elle s'en fait un mérite, à former des « citoyens », tout comme de l'autre côté de la barre, et, du moins en France, les instituteurs.
Pratiquement, dans la vie intime d'une association qui se ramifie en innombrables comités,cercles,coopératives, groupements de jeunesse qui s'appuie sur une presse docile qui suscite à chaque instant des Conférences et des Congrès comment tenir systématiquement la politique à l'écart? Comment s'entretenir de gouvernement, de lois, d'instruction publique, de questions sociales, d'économie générale, d'avenir de l'Europe, sans références à l'évènement du jour, aux épisodes concrets qui agitent et qui souvent même passionnent l'opinion ? Comment, au surplus," ignorer les partis, et ne point marquer de tendance à se rallier à celui-ci ou à celui-là ? On se flatte de ne pas rester dans l'abstrait, de pénétrer au contraire jusqu'au cœur des problèmes contemporains, et de tous. Mais ces problèmes se présentent tout justement sous la forme de péripéties de la vie politique ils en accusent les mouvements et les réactions. Est-il possible d'y toucher sans entrer, plus ou moins avant, dans cette vie, et surtout sans donner l'impression qu'on y entre ? (1)
On peut croire à la sincérité des dirigeants de l'Action catholique, quand ils recommandent à leurs adhérents de s'abstenir de politique. Mais j'ai grand peur qu'ils leur fournissent tout en même temps, du seul fait d'un programme qui sollicite l'activité et même la curiosité, l'occasion prochaine de cueillir ce fruit défendu. Le tout sous le signe d'une subordination inconditionnelle et constante aux autorités religieuses, qui fleure bien un peu l'éloge de la théocratie,
Ceci dit, non pour excuser le moins du monde les vexations et les violences, imputables au Fascisme, dont il va être parlé à l'instant mais pour convenir, par devoir d'impartialité, que les ambitions de l'Action catholique, ou plutôt son existence même, risquent de (1) Sur la question des partis,nous avons encore des amplifications de l'Osservatore romano. Cet organe, autorisé entre tous, précisait, il y a quelques temps primo, que les catholiques ont le droit de s'inscrire dans les partis, « autant que ceux-ci offrent des garanties suffisantes pour la tutelle des droits de l'Église » secundo, que néanmoins « ils doivent éviter de se meure au service de l'un ou de l'autre, car ce serait faire pencher la balance en faveur de tel ou tel mode de solution des problèmes politiques, sociaux ou économiques, sur lesquels les catholiques peuvent librement discuter et différer d'avis ». La distinction est d'une subtilité exquise. Mais il;nous semble que les dirigés de l'Action catholique auront fort à faire, sitôt qu'ils se mettront en devoir d'en tirer une règle pratique.
porter à des sentiments ombrageux tout gouvernement qui pense, à tort ou à raison, avoir quelque chose à redouter de l'Eglise. Dans les pays où la civilisation politique se fonde sur les libertés dites « constitutionnelles » – par exemple en France, en Allemagne, en Angleterre l'organisation catholique, qui tend partout aux mêmes fins sous des noms divers, rencontre des adversaires, à tout le moins des contempteurs. Toutefois, admise au bénéfice du droit commun, elle ne se désigne à la malveillance du Pouvoir, sauf cas exceptionnels, ni par son objet, ni par l'exercice de sa propagande. Dans l'Italie fasciste, il faut s'attendre au contraire à ce qu'il lui soit demandé compte de l'un et de l'autre. Sa situation dans l'Etat est réglée, comme le reste, au compas de la doctrine et de l'intérêt du régime. Plus ancienne que ce dernier et de beaucoup l'Action catholiqtec italienne est en outre exposée à la critique de ses antécédents encouragements de Pie IX à la Gioventù cattolica, dont les sentiments se conformaient aux revendications « temporalistes » sollicitude de Léon XIII pour les organisations syndicales, nombreuses et florissantes dans l'Italie du Nord, qui fonctionnaient en marge des institutions officielles du Royaume essai de conquête du pouvoir, sous Pie X et Benoît XV, par le Parti populaire avec qui le Fascisme, de 1920 à 1922, eut des démêlés véhéments. L'Action catholique a beau dire qu'elle ne s'intéresse pas à la politique, le régime la tient pour suspecte d'engendrer ou de ressusciter des politiciens. Rien que son armature extérieure, ses formations concentriques autour de représentants du Saint-Siège donnent bien un peu l'idée d'une autonomie dans l'Etat. En tous cas, une symétrie, périlleuse pour elle, s'accuse entre ses encadrements de « Jeunesses » et ceux du Fascisme. Elle aligne des patronages, des cercles d'études, des groupes sportifs (1), le tout pour chaque sexe, en face des Balilla, des Avantgardistes et des Jeunesses fascistes. Dès qu'on va au fond des choses, la symétrie tourne au contraste. Deux doctrines, qui se rattachent, l'une à un idéal religieux, moral, humanitaire, et donc orienté vers l'internationalisme l'autre à un idéal concentré sur la puissance et le prestige de la Nation. Deux méthodes systématisation de la pensée catholique, agissante et pénétrante, à travers la société en général systématisation de la pensée fasciste à travers la société italienne, dont on se propose de rénover non seulement les institutions, (1) La suppression des groupes de boy-scouts catholiques dans les villes de plus de 20.000 habitants a été une des premières mesures prises par le Duce contre l'Action catholique. Elle remonte à 1927.
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mais l'esprit et jusqu'au caractère. Deux chefs un Pape dont l'attitude ne dément certainement pas les opinions des docteurs sur les matières mixtes et le pouvoir indirect, ni peut-être même la philosophie de la Primauté du Spirituel un Duce, qui a élevé à la hauteur d'une formule officielle « Tout dans l'Etat, rien hors de l'Etat, rien contre l'Etat », et qui pense assurément, à part lui, « l'Etat c'est moi ». Les forces en présence, d'origine et de qualité si différentes, ne sont peut-être pas inégales autant qu'il semble de prime abord, même en statistique. Dans le discours de Mgr Pizzardo cité tout à l'heure, l'éminent prélat nous apprend qu'en mars 1931 l'Action catholique était constituée par six vastes organisations (adultes, jeunes gens, universitaires), soit trois du côté masculin, trois aussi du côté féminin, sous la dépendance d'un Comité central, lui-même étroitement soumis à celle du Vatican. Dans l'Encyclique du 29 juin 1931, qui a suivi la dissolution par M. Mussolini des associations de Jeunesse, le Pape attribue à l'Action catholique 250 Juntes diocésaines, 4.000 sections d'hommes, et 10.000 cercles féminins englobant 500.000 personnes. Encore ici, l'impartialité oblige à constater qu'il ne s'agit pas d'un mouvement occasionnel, ni de formations sporadiques. On éprouve plutôt l'impression que deux Italies, assurément homogènes sous certains rapports, sous d'autres s'abandonnent au fil de courants divergents.
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C'est au début de cette année que la tension jusqu'alors latente entre le Saint-Siège et le gouvernement italien est devenue un fait public. Du même coup, on a pu s'apercevoir que les accords du Latran, loin de tarir les sources de difficultés, les avait rendues plus abondantes. Cette nouvelle phase coïncide avec la retraite du Cardinal Gasparri, ancien Secrétaire d'Etat de Benoît XV, maintenu en fonction par Pie XI, et la prise de possession de ce poste si important par le cardinal Pacelli sans d'ailleurs que la coïncidence autorise à préjuger, entre l'un et l'autre prélats, une dissidence d'opinion à l'endroit du Fascisme.
Le Souverain Pontife a l'habitude de réunir, à la veille du Carême, les prédicateurs de la ville de Rome, et de leur adresser des recommandations. En 1931 il ne s'en est pas tenu aux généralités il a précisé que de mauvais exemples émanaient des administrations de l'Etat, soit par inobservation du repos dominical, soit par tolérance à l'égard des spectacles et des divertissements publics que la morale chrétienne
ne saurait approuver. Il s'est même appuyé, pour fonder ce blâme en droit, sur deux articles qui figurent en tête, l'un du Traité politique, l'autre du Concordat, conclus ensemble le 11 février 1929 (1), ajoutant textuellement, à l'adresse de son redoutable interlocuteur « On ne pouvait mieux dire, et l'on ne peut mieux se contredire ». Cette revendication d'un contrôle du Vatican sur la police des bars et des dancings à Rome, en vertu du caractère sacré de la Ville Eternelle et du principe de la religion d'Etat, a dû stimuler l'humeur fougueuse de M. Mussolini. Elle fait du reste toucher du doigt l'inconvénient d'inscrire, au fronton de textes destinés à des applications pratiques, des formules éperdument générales, que chaque partie interprète ensuite à sa manière, étire en forme do syllogismes successifs, ou réduit aux proportions d'une simple clause de style. On aurait dû se douter que le Saint-Siège mettrait le plus de sens qu'il pourrait dans ces deux articles, et le Duce le moins possible.
Ce n'était encore là qu'un fugitif épisode. Voici plus grave. En avril, M. Giuriati, ministre de l'Instruction publique, prononce à Milan un grand discours sur le point capital de l'éducation de la jeunesse. Et non seulement il abonde dans la doctrine fasciste du monopole il s'en prend à l'article 43 du Concordat, déjà cité, ou du moins à l'interprétation que le Saint-Siège lui donne en faveur de l'immunité réservée à l'Action catholique. « A ceux, dit-il, qui, sous prétexte de légitimer une action, peut-être inutile, peut-être périlleuse, font appel à un paragraphe du Concordat, nous faisons simplement observer que le Concordat a été stipulé avec le régime fasciste, et avec l'Etat corporatif fasciste ».
Le raisonnement est peut-être un peu court. Dans une Lettre publique au cardinal Schuster, archevêque de Milan, le Pape le relève en ces ternies (26 avril)
Le Fascisme se dit et veut être catholique or, pour être catholique, non seulement de nom, mais de fait, pour être de vrais et de bons catholiques, il n'y a qu'un moyen, un seul, mais indispensable, et à quoi rien ne peut suppléer obéir à l'Eglise et à son Chef.
(1) Art. 1er du Traité politique « L'Italie reconnaît et affirme de nouveau le principe consacré dans l'art. 1 er du Statut du Royaume en date du 4 mars 1848, en vertu duquel la religion catholique, apostolique et romaine est la seule religion de l'Etal ».
Art. 1er du Concordat « En considération du caractère sacré de la Ville Éternelle, siège épiscopal du Souverain Pontife, centre du monde catholique etbut de pèlerinage, le gouvernement italien aura soin d'empêcher à Rome tout ce qui pourrait être en contradiction avec ledit caractère ».
Pour le coup, le conflit entre le Pape et César s'établit sur une ligne précise. Plus précise encore, quand, dans la même Lettre, Pie XI discute le bien fondé de la formule Etat totalitaire.
Oui, en ce sens que la totalité des citoyens doit dépendre de l'État pour ce qui est du rôle de ce dernier. Mais cela ne peut pas vouloir dire que la totalité des citoyens doit dépendre de l'État pour tout ce qui est nécessaire à leur "vie individuelle, spirituelle, domestique et surnaturelle. Or la vie surnaturelle et tout ce qui s'y rattache ont été confiés par Jésus-Christ à l'Eglise et rien qu'à l'Eglise.
Nous tournons toujours dans le même cercle. Domaine de Dieu, domaine de César, chacun cherche à reculer la borne. Il n'y a qu'à donner un peu d'extension au « tout ce qui s'y rattache », et le syllogisme ne laisse plus rien à désirer sauf une conclusion que l'Etat juge acceptable.
On sait l'importance que Pie XI, en ceci digne successeur de Léon XIII, attribue à la sociologie chrétienne, et combien il s'efforce d'en généraliser les applications. Justement se présentait, le 16 mai de cette année, le 40me anniversaire de la célèbre Encyclique Rentra novarum, sur la condition des ouvriers. Le Pape résolut de le commémorer, d'abord par une nouvelle Encyclique (Quadragesimo anno), consacrée au développement du même sujet, ensuite par des fêtes religieuses exceptionnelles et un pèlerinage international. Rien de plus légitime assurément, et peut-être la presse fasciste se serait-elle contentée d'organiser contre ces solennités la conspiration du silence, si le SaintSiège n'avait laissé entrevoir qu'elles précéderaient les assises annuelles de l'Action catholique, et qu'elles en constitueraient la préface, pour ne pas dire l'apologie.
Dès lors cette presse prend les devants et elle entame, dès la fin de mars, uns nouvelle campagne. Ce n'est pas seulement qu'il n'est jamais agréable au Fascisme de constater que le Pape associe à ses intentions et entretient sous son ascendant, en une matière qui touche de près aux intérêts temporels, des fidèles rassemblés de tous les points du monde. C'est plus précisément qu'il se targue d'avoir résolu chez lui, gràce à un échafaudage de corporations, l'ensemble de la question sociale. Il soupçonne dès lors que proposer d'autres solutions ou seulement d'autres méthodes, c'est pour ainsi dire dresser contre lui une machine de concurrence déloyale. Il en fait même l'aveu d'une façon assez ingénue. « L'Encyclique Rerum novarum, dit la Tribuna, n'offre plus aucun intérêt pour l'Italie». Et la Stampa renchérit
Comment peut-on prétendre opposer (sic) une Encyclique papale, c'est-àdire un document abstrait, un avertissement pastoral sans aucune possibilité de réalisation pratique, à la Charte du travail, Code concret de la vie et de la production, base juridique de tout ordre social déjà constitué ?. D'ailleurs le but du pèlerinage international n'est que de galvaniser la grande organisation à laquelle préside le Pape, l'Action catholique. Les programmes sont prêts et les cadres aussi. L'Eglise, ou plutôt pour ne pas confondre le sacré avec le profane l'Action catholique ne veut pas renoncer à son intervention dans le domaine social, intervention que nous croyons réservée à l'État, et elle veut élever autel contre autel en face de l'organisation corporative fasciste. Elle se donne ainsi des airs de penser à l'avenir. Derrière le rideau inconsistant de l'Encyclique Rerum novarum, il y a une prétention vaine et un espoir encore plus vain.
Quant au Lavoro fascisia, a l'usage des classes populaires, il passe sans transitions à la menace
Que les faux ingénus, les cous tordus, les organisateurs de sacristie, les bigotes anti-fascistes n'oublient pas que le Fascisme a déjà procédé au nettoyage de l'Italie à coups de gourdin. Quant à nous, nous ne nous ferons pas trop prier si un supplément de correction est nécessaire à leurs épaules fléchissantes.
On voit ainsi s'élargir peu à peu le champ du conflit de l'éducation de la jeunesse et de l'interprétation du Concordat au droit de l'Église à traiter, selon l'étendue de" son magistère, de l'ordre social et des garanties qu'il requiert. (1)
Les 16 et 17 mai eut lieu l'Assemblée générale de Y Action catholique italienne. S'il fallait en croire la presse fasciste, elle aurait été précédée de « réunions secrètes » du Conseil supérieur et d'un exposé machiavélique de Mgr Pizzardo, assistant général de l'Association au nom du Saint-Siège, qui aurait dit
(1) Cette prétention de fermer la bouche au Pape en une matière si importante, sous prétexte que l'Italie est devenue un modèle d'État « corporatif », donne la mesure de ce que le régime attendait, à la suite des accords du Latran, des complaisances du Saint-Siège. On verra tout à l'heure que cette mesure est encore dépassée par l'exigence, formulée au cours de récentes négociations, d'actes de juridiction spirituelle sur, ou plutôt contre un épiscopat étranger, pour des considérations de prestige politique.
Il faudra intensifier et faire apparaître des manifestations purement religieuses, de façon à ne pas prêter le flanc à l'adversaire. Si, malgré tout, on veut nous frapper, il est bon que cela se passe dans le domaine religieux. Ainsi pourrons-nous dénoncer le Fascisme à l'opinion publique italienne et au monde entier. Qu'on nous frappe, encore une fois, non pas sous prétexte que nous préparons un mouvement politique contre le gouvernement, mais à cause de nos sentiments catholiques, et cela, en ïdépil des engagements pris dans le Concordat par les autorités responsables.
Nous ne nous résignons pas à croire que Mgr Pizzardo, prêtre exemplaire, ait tenu un langage si peu conforme à sou caractère et à sa circonspection. D'autant que, dans une réunion, même « secrète », auraient bien pu se glisser des auditeurs capables de renseigner le gouvernement, sinon chargés de le faire. Tout au plus convient-il d'admettre que certains propos de, lui, non destinés à être rendus publics, ont été dénaturés à dessein. Ces prétendues révélations, qui coururent toute la presse, n'en firent pas moins sensation, une sensation entretenue et destinée à former crescendo, comme dans les ouvertures de Rossim. Après cela, il ne restait plus qu'à passer aux actes.
Dès avant l'assemblée générale de Y Action catholique les conseils de vigueur du Lavoro fa.icista avaient commencé à être suivis. Le lendemain ils devinrent presque des ordres.
Jj'Osserpatore romano a publié, pendant près de six semaines, régulièrement et dans le plus grand déLail, le récit des outrages et des violences auxquels se sont livrées des « bandes » de Jeunesse fasciste, et même d'authentiques « chemises noires » dans une foule de villes de province et à Rome même. Une fois ouverte, cette rubrique a occupé de nombreuses colonnes de ce journal. Contentons-nous de quelques allégations, dont la plupart, d'ailleurs, n'ont été contestées que mollement par la partie adverse. A Rome, irruption dans les bureaux de la Civïlta caltolica, du cercle catholique de la paroisse da de Saint-Joachim, de l'église de San-Lorenzo lit Damaso, accompagnée de bris de mobilier, détournement de documents et autres dégâts matériels menaces et coups aux étudiants et même aux étudiantes catholiques. A Vérone, on arrose de benzine les portes du Palais épiscopal, et l'on y met le feu. A Venise, des cortèges fascistes parcourent les rues, au cri de « A bas le Pape l » A Piperno (province de Rome), l'évêché est mis à sac. A Nicastro, le directeur des écoles communales promène ses élèves par la ville et il les encourage à conspuer le clergé, ce qu'ils font, d'ailleurs, avec entrain. Quoi qu'on ait pu dire, des couches profondes d'anti-cléricalisme subsistent en Italie qu'il suffît
d'agiter pour que des excès se produisent, surtout quand leurs auteurs croient être sûrs de l'impunité. Le certain, c'est que l'intervention des autorités a été presque toujours assez hésitante ou assez tardive pour donner au Vatican l'impression de la complicité.
On ne sera donc point surpris que le Pape ait saisi, le 31 mai, l'occasion d'une cérémonie publique (la lecture d'un décret sur les vertus du Vénérable Landriani), pour commenter les derniers événements dans un langage exempt de toute circonlocution
Nous assistons à la première éclosion des fruits d'une éducation qui est Y antithèse de l'éducation chrétienne et de l'éducation civilisée, car elle engendre la haine, l'irrévérence et la violence. Nous avons, dès le premier jour, apprécié l'inestimable bénéfice du rétablissement de l'enseignement religieux dans les écoles, mais on a commencé trop tôt à défaire de la main gauche ce qu'on avait fait, ou feint d'avoir voulu faire, de la main droite. Une véritable tempête d'invasions, de confiscations, de séquestrations, s'est abattue hier, dans toute l'Italie, sur les associations catholiques, au moment même où l'on venait de déclarer à notre nonce qu'on n'avait rien à lui dire. Cependant, nous ne méritions pas cela.
Le même jour, en effet, anniversaire de la 74e année de la naissance de Pie XI, le gouvernement entre à son tour en scène, par un décret qui prononce la dissolution de toutes les associations de Jeunesse non affiliées au Parti fasciste. C'est le coup droit à l'Action catholique. La réplique est directe aussi.
Dans VOsservatora romano du lendemain, on peut lire en effet que, d'ordre du Saint Siège, toutes processions et manifestations religieuses sont suspendues en Italie suspendue aussi la commémoration solennelle, à Padoue, depuis longtemps annoncée, et qui devait donner lieu à un Congrès eucharistique, du 700e anniversaire de la mort de saint Antoine. On sait à quel point le peuple italien est attaché au culte extérieur, par tradition et tempérament. On était à la veille de la Fête-Dieu. Une Fète-Dleu, sans procession, sous le régime du Concordat, deux années après l'apologie dithyrambique des accords du Latran, quelle déception et quel signe 1 Nul ne peut s'y tromper la guerre recommence entre l'Église et l'État. Le gouvernement le sent si bien qu'il se donne la tâche assez singulière de faire sortir, lui, les processions, en dépit de la défense pontificale. Il y réussit çà et là, soit que les instructions transmises par YOsservatore romano ne soient point parvenues à temps dans certaines paroisses, soit que quelques malheureux curés cèdent à l'intimidation. Le Saint Siège montre de
la fermeté jusqu'au bout et il lance l'interdit sur des paroisses où des miliciens viennent de présenter les armes, au passage du dais.
Entre temps rebondit, entre YOsservatore romano et les journaux italiens, toujours plus ardente, la controverse autour des comportements de l'Action catholique. Fait-elle « de la politique » ou n'en faitelle pas Autrement dit, qui est l'agresseur ? Le point ne forme aucun doute pour le Directoire fasciste, qui, dans une Résolution du 2 juin, invite les dirigeants des neuf mille Faisceaux d'Italie « à défendre la révolution d'une façon immuable et à tout prix » – ni pour M. Scorza, inspecteur des groupements universitaires, qui se promène à travers la péninsule en répétant « les trois mots lapidaires lancés par le Duce, il y a sept ans Livre et mousquet »
Le même sujet occupe à coup sûr une place considérable dans les négociations engagées entre le Saint Siège et le gouvernement car on négocie en pleine effervescence. Les communiqués, assez syhillins de part et d'autre, donnent seulement à entendre que la matière à conversation ne manque pas interprétation de l'article 43 du Concordat demande d'excuses du Saint Siège pour 1rs offenses et les dégâts subis retrait du décret qui dissout les associations catholiques de Jeunesse, etc.
Voici maintenant de l'inattendu. Aussi bien, il eût manqué quelque chose à la technique dramatique inséparable des événements en Italie, si; dans le conflit soulevé par le Fascisme, n'avait pas fini par se glisser un intermède yougoslave.
Pour en apprécier la portée, il faut se souvenir qu'au mois de février dernier la Conférence des évêques catholiques de Yougoslavie, sous la présidence de Mgr Bauer, archevêque de Zagreb, formula une protestation retentissante contre les sévices dont est victime le clergé d'origine croate ou slovène en Istrie et dans la partie de la Carniole annexée à l'Italie. Il s'agissait de procédés renouvelés de ceux que Benoît XV avait cru devoir flétrir publiquement, une première fois, au début de l'ère fasciste. La presse italienne n'en soutint pas moins que la circulaire yougoslave constituait une « manoeuvre politique n, et elle mit en demeure le Saint Siège, sur un ton assez impérieux, de désavouer Mgr Bauer.
Or, voici reparaître cette exigence, mais formulée, cette fois, par le gouvernement lui-même, dans sa réponse à une Note du Vatican du 12 juin. Il sembla tout simple, au Palais de Venise, d'in-
corporer aux négociations un sujet qui n'a pas le moindre rapport avec les démêlés actuels, et de requérir l'usage de l'autorité juridictionnelle du Saint Siège, sur des évêques étrangers, pour procurer à l'Italie une satisfaction nationale. Le même gouvernement qui trouvait insolite un appel du Pape à la catholicité contre les excès du régime réclama de lui une ingérence dans les affaires d'un État voisin, en tant que Chef de la catholicité. Rarement M. Mussolini s'est fait moins de scrupule de découvrir sa pensée latente sous les paraphes des accords du Latran, qui est de mettre le Saint Siège dans ses intérêts même extérieurs, pour ne pas dire à son service. Dût-elle être portée au compte de la phobie yougoslave, la prétention qui s'affirme ici mérite mieux que la curiosité.
La réponse italienne (1) articule en outre que le Saint Siège aurait tort de méconnaître les bons offices que lui aurait prêtés le Fascisme, en lui ouvrant les yeux sur les périls que l'Action catholique fait courir au bien de la religion. Pour le coup, c'est César qui prétend donner des leçons au Pape et qui saute à pieds joints dans le domaine spirituel soit qu'il lui dicte la conduite à tenir à l'égard d'évêques du dehors, soit qu'il se substitue à lui dans la sollicitude que méritent les intérêts bien entendus de l'Église d'Italie. Notez que, sur ce dernier point, nous avons encore les confidences confirmatives de M. Mussolini en personne, dans une interview antérieure, accordée à M. Jacques Marsillac, envoyé spécial du Journal
En fait, la religion a besoin, pour arriver à ses fins, de l'appui de l'autorité dont nous disposons. Le Décalogue, voilà des siècles qu'il existe. Obéit-on à ses lois ? Il dit de ne pas convoiter la femme du voisin. S'en prive-t-on ? Et ne tue-t-on pas en particulier, sans parler des tueries en masse ? Seuls, laissés à eux-mêmes, les enseignements de l'Eglise restent vains. Nous, nous voulons leur donner vraiment la vie, en les faisant observerar la force que nous mettons à leur service.
Est-il indiscret de constater que dans